De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 04/Si la rage a pour cause les Vers
Si la rage a pour cause les Vers.
M. Desault Médecin de Bourdeaux, prétend dans une Dissertation qu’il a donnée sur la Rage, que cette maladie n’a point d’autre cause que des Vers que l’on voit nager dans la salive des Animaux enragés, & que l’on trouve dans leur cerveau. Il ajoute que ces Vers s’insinuent dans le sang par la Plaie que l’Animal enragé fait avec sa dent ; qu’ils se multiplient ensuite dans le corps qui les a reçus, & que parvenus à un certain nombre, ils mordent le cerveau, le gosier, les glandes salivaires, causent des délires, des convulsions, de l’écume à la bouche, & donnent enfin la mort.
Si les Vers, continue-t-il, qui sont dans les intestins, peuvent par la correspondance des nerfs des intestins, produire des délires, des convulsions, & la mort même ; à plus forte raison, des Vers d’une certaine espéce, plus malfaisans, & qui attaquent immédiatement le cerveau & les glandes salivaires, doivent produire des symptômes semblables, & même de plus affreux.
On ne doit point s’étonner, continue toûjours M. Default, que ces Vers affectent principalement le cerveau, puisque nous voyons une certaine espéce de Poux gris & cendrés qui aiment la tête, & d’autres blancs répandus dans tout le corps ; de même aussi nous voyons certaines espéces d’oiseaux qui se tiennent dans les bois, d’autres dans les marais, &c.
Notre Auteur entreprend ensuite d’expliquer comment l’aversion que tous les Animaux enragés ont pour l’eau, peut être produite par des Vers.
L’aversion, dit-il, que l’enragé a pour l’eau & pour la boisson, vient par degrés. Il a éprouvé, qu’en avalant sa salive, cette salive lui causoit de vives ardeurs dans l’estomac, & qu’en buvant il se procuroit des convulsions. Or ces accidens lui viennent sans doute, parce que dans la déglutition des liquides, il entraîne ces Vers dans son estomac où ils produisent tous ces désordres. En faut-il d’avantage pour le rebuter de la boisson ?
M. Desfault n’en demeure pas là ; voici comme il poursuit : « L’ame par les loix de l’union, s’intéresse à la conservation du corps, avec lequel elle est unie ; la triste expérience lui fait ressentir des maux cruels par la déglutition de la salive & par la boisson. En voilà assez pour lui en inspirer l’horreur. »
Il s’agit à présent de sçavoir si c’est un fait bien constant, que dans la salive & dans la tête des Animaux enragés on découvre des Vers, ainsi que l’assure M. Default. Il cite sur cela divers Auteurs qui le prétendent, & entre autres, François Paulini, dans son Livre intitulé, Cynographia curiosa, où on lit les paroles suivantes.
« Je voyageois en chaise roulante allant de Hambourg en Saxe. Un Chien enragé qui appartenoit à un Berger, vint à nous sur le soir ; un Chirurgien nommé Tobie Loreki le tua d’un coup de pistolet. Ce Chirurgien me fit après le souper diverses questions sur la rage, & me témoigna qu’il seroit bien aise d’ouvrir la tête de ce Chien pour y chercher quelque éclaircissement sur la cause de ce mal. J’applaudis à son empressement & à sa curiosité. Nous ouvrîmes le crâne de cet Animal, nous fûmes surpris d’admiration, d’en voir sortir une infinité de petits Vers, dont les uns étoient entassés en pelottons, & les autres fourmilloient visiblement.
» Tandis que nous faisions notre Anatomie, un vieux Berger vint à nous ; & comme il nous vit étonnés à la vue de ces Vers il se prit à rire en disant : Je n’ai jamais étudié, mais ce que vous voyez là, & qui vous étonne si fort, n’a rien de nouveau pour moi. Nous en voyons autant dans nos Brebis. Je lui demandai si la chose étoit comme il le disoit ? Oui Messieurs, répondit-il, je ne vous dis rien que de vrai : vous voyez ces Vers, ce sont des Vers enragés ou plutôt ce sont ces Vers qui font venir la rage. Ils mordent aux Bêtes le cerveau, & les font courir enragées. »
Après cette histoire, M. Desfault cite Ettmuller, qui dans son Traité des Délires, dit qu’on voit de petits Insectes dans la salive & dans l’urine des Animaux enragés, Animalcula generantur, vel conspiciuntur in salivâ vel lotio animalium rabidorum. 1o. M. Default au lieu de ces mots dont se sert Ettmuller, On voit de petits Insectes dans la salive & dans l’urine des Animaux enragés, met, On voit fourmiller de petits Insectes ; ce qui est bien plus fort que de dire simplement, On voit de petits Insectes, comme le dit Ettmuller. 2o. M. Default supprime le reste du passage où Ettmuller ajoute tout de suite, que Ces petits Insectes ressemblent en quelque sorte aux Animaux qui ont communiqué la rage. Similia iis quodammodo animalibus à quibus rabies suit inducta. Qu’ils sont faits, par exemple, comme de petits Chiens, ou ont la teste faite comme celle des petits chiens. Unde, verbi gratiâ, Vermes Catelli formes, aut capitalis Catellorum similes. Qu’il est certain, qu’on a trouvé quelquefois de ces petits insectes, mais non pas toujours, et que cela est rare. Notarunt hoc jam suo tempore veteres Arabes, in specie Avicenna, Avenzoar, quod tamen rarum est. Que quelques modernes ont pris de-là occasion de nier absolument le fait, mais mal-à-propos ; étant certain qu’on a trouvé quelquefois de ces petits insectes, quoiqu’à la vérité on n’en ait pas toujours trouvés. Unde ex Modernis quidam planè negare volunt, sed malè, certum enim est reperta interdum fuisse talia animalcula, non tamen semper. Ettmull. de Rabie.
Si Ettmuller s’étoit contenté de dire qu’on trouve des Vers dans la salive & dans l’urine des Animaux enragés, la chose ne seroit pas hors de vraisemblance ; mais d’ajouter avec Avicenne[1], que ces petits Vers sont faits comme de petits Chiens, c’est trop donner à l’imagination ; & il n’est pas nécessaire d’avertir comme il fait, que la chose est rare, Quod tamen rarum est.
M. Default outre l’Histoire du Berger, que nous avons rapportée il y a un moment, en rapporte une autre dont nous laissons le jugement aux Lecteurs comme de la précédente.
Salmuth, dit-il, raconte qu’une femme ayant été mordue à la frange de sa robe, par un Chien enragé, & l’ayant suspendue à l’air pour la faire sécher, elle apperçut d’abord après, dans l’endroit de la morsure, où la salive du Chien s’étoit répandue, de petits Animaux dont la tête ressembloit à celle d’un Chien.
M. Default a pris dans Ettmuller cette Histoire ; mais Ettmuller qui la rapporte d’après Salmuth, ne dit pas comme M. Default, que cette femme apperçut ces Vers d’abord après avoir suspendu sa robe, mais quelques jours après, Post unum, vel alterum diem ; ce qui est bien différent. D’ailleurs quel fond faire sur le rapport d’une bonne femme, qui croit, peut-être, avoir vu ce qu’elle n’a point vu ; mais passons qu’elle l’ait vu, ne se peut-il pas faire que ces Vers, qui n’ont paru que deux jours après, soient venus d’ailleurs que de ce Chien ?
M. Default auroit pu citer ici d’Ettmuller, un passage qui paroît d’abord bien favorable au systême dont il s’agit ; c’est que selon cet Auteur, on prétend sur le témoignage de plusieurs personnes qui assurent l’avoir vu, que les Chiens enragés ont sous la langue un Ver long : Que si on tire ce Ver avant que l’accès de la rage vienne, le Chien est préservé de la rage. Mais ce qui a peut-être empêché M. Default de rapporter ce passage, c’est que Ettmuller ajoûte 1o. Que quelques-uns croyent que ce prétendu Ver n’est point un Ver, mais un sang grumelé, & amassé sous la langue du Chien. 2o. Que c’est une question sur laquelle il suspend son jugement, parce qu’elle n’est pas assez éclaircie[2].
Ce que dit là Ettmuller de ce prétendu Ver qui se trouve sous la langue des Chiens enragés, je le dis de tout le systême de M. Default, sur la production de la rage par les Vers. La chose n’est pas assez éclaircie pour en pouvoir porter aucun jugement.
Quelques Auteurs vont jusqu’à prétendre, les uns, que toutes les maladies généralement viennent de Vers ; les autres, qu’elles en sont du moins accompagnées. Comme c’est une erreur, & que cette erreur pourroit être dangereuse dans la pratique de Médecine, il est important de marquer les signes par lesquels on peut connoître quand il y a des Vers dans le corps. C’est à quoi nous allons employer le Chapitre suivant.
- ↑ Avicen. Lib. IV. Fen. 6. tract. 4.
- ↑ De Cane rabido, vulgò affirmatur sub linguâ ejus latere Vermem quendam longum, quem alii à seipsis visum testantur, quo maturè dempto, nullus Canis rabidus fiat ; eodem verò increscente, rabiem necessariò supervenire : Unde quidam ad præcautionem solent extrahere hunc Vermiculum. Quidam existimant non esse Vermiculum, sed pro sanguinis congrumati particulâ in venis raninis sub lingua collecti & stagnantis habent. Rem hanc ceu nondum sufficienter exploratam in medio relinquo. Ettmuller, de Rabie.