De la génération des vers dans le corps de l’homme (1741)/Chapitre 01

Veuve Alix ; Lambert et Durand (Tome Ip. 1-11).


DE
LA GENERATION
DES VERS
Dans le Corps de l’Homme.


CHAPITRE PREMIER,

Ce que c’est que Ver.



LE Ver passe pour le plus méprisable de tous les animaux : c’est cependant celui que nous méprisons peut-être le moins ; n’y en ayant point contre lequel nous cherchions plus à nous défendre. On le compte dans le genre des Insectes : ainsi pour faire entendre ce que c’est que ver, il faut expliquer auparavant ce que c’est qu’Insecte.

Qui dit Insecte, dit un animal complet, entrecoupé de plusieurs incisions faites en forme de cercles ou d’anneaux, par le moyen desquelles il respire, & d’où il a tiré le nom d’insecte, qui signifie, Divisé, coupé, entrecoupé. Tels sont le Scorpion, la Fourmi, la Chenille, & une infinité d’autres.

De ces Insectes, les uns ont les incisions sous le ventre, les autres sur le dos, les autres à l’un & à l’autre tout ensemble. Aux uns il s’en trouve plus, aux autres moins, & tout cela selon la diversité des espèces. On en remarque douze à la Fourmi, sept au Scorpion, autant au Ver à soye, seize & quelquefois davantage à la Chenille, &c.

On appelle aussi Insectes, la plûpart des animaux qui vivent quelque temps après qu’ils sont coupés en morceaux, comme les grenouilles, les lézards, les serpens, les vipéres, &c.

Je croirois volontiers que les Insectes tirent leur nom du mot latin Insectari, qui signifie, poursuivre, persécuter, tourmenter, &c. parce que ces animaux se trouvent presque par-tout, & qu’il est difficile de s’en défendre ; mais cette étymologie paroît fausse quand on fait réflexion, que les Grecs ont appellé ces animaux, Εντομα, c’est-à-dire, coupez, incisez, & que le latin incisum qu’on a ensuite francisé, n’est que la traduction de ce mot grec.

Je dis que l’insecte respire, ce qui est contraire au sentiment de plusieurs anciens Philosophes, qui ont cru que la plupart des insectes ne respiroient pas, parce qu’ils se sont imaginés que ces animaux n’avoient pas de poumons ; au lieu que les observations des Modernes sur ce sujet, celles entre autres, du célébre Malpighi, nous font voir qu’il y a des insectes qui, loin de manquer de poumons, en ont un plus grand nombre que les autres animaux. D’ailleurs, comme le remarque Pline, quand ils n’en auroient point, ce ne seroit pas une conséquence qu’ils ne respirassent pas, puisqu’il ne paroît pas plus possible de vivre sans respiration que de respirer sans poumons. Nec video cur magis possint non trahere animam & vivere, quam spirare sine visceribus[1].

Ces mêmes Philosophes ont écrit que la plupart des Insectes n’avoient point de sang, parce qu’on ne trouve dans le corps de plusieurs, aucune liqueur rouge, mais ils se sont encore trompés là-dessus, l’humeur appellée sang, n’étant point telle par sa couleur, mais par son usage ; ce qui fait dire au même Pline, que quelle que soit l’humeur vitale qui anime l’Insecte, cette humeur est le sang de l’Insecte : Sic & Insectis, quisquis est vitalis humor, hic erit & sanguis[2]. Or comme il n’y a point d’Insecte qui n’ait en soi une humeur vitale qui s’anime, il n’y a point non plus d’Insecte qui n’ait du sang.

Un Auteur moderne[3] écrit que dans les premiers temps de l’Eglise, un grand nombre de Chrétiens ne s’accordoient que de petits poissons qui fussent dépourvus de sang, comme des Moules, des Huitres, & des Ecrevisses. Cet Auteur, comme on voit, donne ici dans l’erreur ancienne, & ne reconnoît que du sang rouge.

Une autre cause de la méprise des Anciens sur ce sujet, est la pensée où ils étoient qu’il n’y avoit point de cœur en plusieurs Insectes ; mais on sait aujourd’hui par les découvertes qui ont été faites avec le secours des microscopes, que si quelques Insectes ont plusieurs poumons, il y en a aussi qui ont plusieurs cœurs ; tel est, par exemple, le Ver à soye, dans lequel il s’en trouve un si grand nombre, que ce n’est presque qu’une chaîne de cœurs, depuis la tête jusqu’à l’extrémité du corps.

Ces observations nous convainquent que les Insectes ne sont point des ébauches de la nature, ni des animaux incomplets, comme se le sont imaginé quelques Philosophes ; puisque bien loin de manquer de parties, il s’en trouve qui en ont plus que les autres animaux, ainsi qu’on le peut voir encore, 1o. Dans l’Araignée vulgaire qui a huit yeux. 2o. Dans la Mouche qui a une trompe comme un Eléphant, six jambes distinguées chacune en quatre membres, dont les extrémités se divisent aussi en plusieurs parties, & sont armées de deux pinces, entre lesquelles on apperçoit de petites pointes, par le moyen de quoi cet animal s’attache aux moindres inégalités des corps même les plus polis. 3o. Dans la Puce, où l’on découvre six jambes, ayant chacune trois jointures diversement articulées. Les articles des deux jambes de devant entrent tout-à-fait l’un dans l’autre, & ceux des jambes du milieu ont leur étendue séparée. Mais les jambes de derriere ont leurs articles pliés l’un sur l’autre, comme la jambe & la cuisse de l’homme. Quand la puce veut sauter, elle étend en même temps toutes ses jambes ; & alors les différens articles venant à se débander à la fois, font l’effet d’autant de ressorts, & produisent ce sault qui l’éleve en l’air, à la hauteur de deux cens fois celle de son corps, ainsi que le remarque M. Hook dans sa Micrographie, & qu’il a été remarqué dans le Journal des Savans, du Lundi 20. Décembre 1666. Voyez la planche cy-jointe, où par occasion, nous avons marqué plusieurs autres particularités concernant cet Insecte, lesquelles sont très-dignes d’observation. 4o. Dans la Chenille qui a seize pieds, six devant, huit au milieu, & deux derriere, sans parler de plusieurs autres parties qu’on découvre sur le corps de quelques-unes ; tels que sont deux espéces de bouquets de plume noire, situés autour de la tête, deux petits avirons rangés de chaque côté, dont les filets, ressemblent à ceux des plumes, & une peau parsemée de petits poils bruns, séparés les uns des autres, entre lesquels on voit plusieurs petites plumes ; toutes parties dont chacune, sans doute, a son usage, quoique nous ne le connoissions pas.

On peut dire cependant, que le grand nombre de parties qui composent un Animal, n’est pas toujours ce qui en fait la perfection ; car pourvue que cet Animal ait celles qui lui sont nécessaires pour être complet dans son espéce, & qu’elles soient placées selon la situation qui leur est propre, il est parfait. Le Serpent, par exemple, qui n’a point de pieds, est parfait ; & le Limaçon qui jette ses excrémens par le col, qui respire par là, & qui a dans ce même endroit, les parties destinées à la propagation de son espèce, est un Animal parfait.

Je ne cite point ici l’exemple de la Taupe, que quelques uns croyent être sans yeux, car elle a un chrystallin & tout ce qu’il faut pour voir.

Nous pouvons observer, en passant, qu’il n’est pas étonnant que quelques Philosophes ayent regardé les Insectes comme des Animaux imparfaits, puisqu’il s’en est trouvé qui se sont égarés jusqu’au point d’avancer que le corps de la femme étoit un ouvrage imparfait, une ébauche formée contre l’intention de la nature ; comme si un corps parfaitement proportionné, où l’on ne remarque aucune irrégularité ; un corps qui ne manque d’aucune partie nécessaire, qui n’en renferme aucune de superflue, & qui l’emporte même en cela sur celui de l’homme, où l’on en trouve en quelque façon d’inutiles, telles que sont les mammelles, pouvoit être un corps imparfait, & comme si, d’ailleurs, un sexe si nécessaire pour la production de l’homme, & dont la nature se sert pour se conserver elle-même, pouvoit être contre l’intention de la nature. Il faut avouer ici avec Cicéron[4], que c’est une chose étonnante qu’il n’y ait point d’absurdité si étrange, qui n’ait été soutenue par quelque Philosophe.

En voilà suffisamment pour donner une idée générale de ce que c’est qu’Insecte.

Les Insectes se divisent en grands & en petits. Les premiers sont compris sous le nom général d’Insectes, comme la Couleuvre, l’Aspic, la Vipère, le Scorpion, la Grenouille, &c. Les autres le sont sous le nom particulier de Vers, comme la Chenille, le Papillon, la Fourmi, la Puce, les Vers de terre, ceux qui s’engendrent dans le corps de l’homme, dans celui des autres Animaux, dans les fruits, dans les plantes, dans le bois, dans les étoffes, dans les liqueurs, & dans tous les différens mixtes.

Les petits Insectes meurent presque tous sur la fin de l’Automne ; mais ils laissent une infinité d’œufs qui se conservent pendant l’Hyver & qui, aux approches du Printems, s’ouvrent en foule, & laissent éclorre les petits Animaux qu’ils renferment.

La naissance du petit Insecte, à ces premieres chaleurs du Printems, est ce qui l’a fait nommer en latin, Vermis, comme qui diroit, vere micans, & en françois Ver, du mot latin Ver, qui signifie, Printems.

De ces Vers, les uns sont reptiles, c’est-à-dire, se traînent sur le ventre, comme les Vers de terre, & la plûpart de ceux qui s’engendrent dans les intestins, ou qui se trouvent dans les fruits ; les autres non reptiles, comme la Mouche, le Haneton, la Fourmi, l’Escarbot, la Cigale, le Cloporte, &c.

Les reptiles Vers se meuvent par des fibres spirales, comme les autres reptibles ; mais avec cette différence, que les fibres tant antérieures que postérieures se raccourcissent, & font faire par cette contraction générale une petite voute au corps du Ver ; après quoi elles s’unissent, & les parties qui composent cette voute, étant tirées, s’étendent du côté où elles sont tirées, & font ainsi mouvoir le Ver par un mouvement d’ondulation.

Un grand nombre de personnes sont sujettes aux vers ; mais comment ces vers peuvent-ils se produire dans le corps de l’homme ? C’est ce que nous allons examiner dans le Chapitre suivant.



  1. Plin. Hist. nat. lib. II. c. 3
  2. Plin. ibid.
  3. Traité des dispenses de Carême, premiere partie. Chap. 20.
  4. Nescio quomodo nihil tam absurdè dici potest quod non dicatur ut ab aliquo Philosophorum. Cic. lib. I. de Divinatione.