De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Lettres de Nicolas Hartsoeker


LETTRE DE M. NICOLAS HARTSOEKER
Ecrite d’Amsterdam à l’Auteur sur le sujet des Vers.


MONSIEUR,


Il faut sans doute que le ver, dont vous m’avez envoyé l’Estampe, soit plus rare chez vous qu’il ne l’est dans ce climat ; car je connois plusieurs personnes qui ont été icy attaquées de cette maladie, & qui ont rendu des vers d’une prodigieuse longueur, & semblables au vôtre. M. Tulp, autrefois tres-fameux Medecin d’icy, en fait mention dans ses Observations. Un Medecin de nos amis en a tiré un du corps d’un homme il n’y a pas encore quinze jours, & ce ver excede la longueur du vôtre. Mais M. Ruisch, Professeur d’Anatomie en cette Ville d’Amsterdam, m’en a fait voir deux, dont l’un a plus de quatre-vingt aulnes de ce Pays, qui font plus de quarante-cinq aulnes de France, ce que j’aurois de la peine à croire, si je ne l’avois vû ; car cela passe toute croyance : & pour vous dire la verité, Monsieur, cela me dérange entierement dans les pensées que j’ay toûjours euës, & que je ne sçaurois encore rejetter, que tout ce qui a vie, soit animal, soit plante, vient par semence, & que rien ne s’engendre jamais de pourriture ; car si ces pensées sont vrayes, où voit on sur terre des vers de cette espece, qui ayent une longueur si démesurée ? On aura beau dire que les alimens copieux qu’ils trouvent dans les boyaux, où ils ont pris leur demeure, font changer leur figure, & les allongent si excessivement, cela ne contente pas. On pourroit croire que ce ver, puisqu’il est moins commun chez vous, & plus ordinaire dans ce Pays aquatique & bourbeux, reside au fond des eaux bien avant dans le limon, & qu’ainsi il peut arriver qu’on avale de ses œufs par la boisson ou autrement ; mais si cela étoit, n’en auroit-on jamais trouvé dans la bouë ? Pour moy, Monsieur, je crois qu’ils sont créez avec les hommes, & que peut être leur espece est aussi ancienne que la race humaine ; de même que cette sorte de poux, qui ne se trouve que sur l’homme, & dont sans doute la race se perdroit, si celle de l’homme venoit à manquer. Je pense que ces vers s’engendrent par mâle & par femelle dans les boyaux, & que quelques-uns de leurs œufs venant à sortir avec les excremens, & à tomber sur quelque herbe, ou sur quelque autre chose, sont avalez par un autre, dans les entrailles duquel les vers renfermez en ces œufs éclosent & se nourrissent. On trouve des insectes par tout, dont quelques-uns ne s’attachent qu’à un seul animal, pour y prendre leur nourriture, & d’autres à plusieurs, comme la puce, qui se trouve sur l’homme, sur les chiens, & sur beaucoup d’autres animaux ; on trouve quelquefois des millions de vers dans les moules ; le fray de la morruë en est parsemé ; on en a trouvé dans toutes les parties du corps de l’homme, même jusques dans la glande pineale, s’il est vray ce qu’on m’en a assuré. Enfin il semble que tous les Animaux ayent été faits, pour se servir de nourriture les uns aux autres, les grands mangent les petits & en sont mangez. J’espere avoir bientôt l’honneur de vous entretenir plus amplement de bouche sur cette matiere, & de vous assûrer que je suis avec respect,

MONSIEUR,

Votre tres-humble &
tres-obéïssant Serviteur,
Nicolas Hartsoeker.


À Amsterdam, ce 26. de Fevrier 1699.


SECONDE LETTRE
DE M. HARTSOEKER
A L’AUTEUR.


MONSIEUR,

Je crois que tout ce qui est amer & purgatif, est bon pour faire sortir les vers des entrailles ; de sorte que la rheubarbe seule pourroit être employée avec effet, quand on la donne à mâcher aux enfans ; on dit que c’est pour fortifier leur estomach, mais je pense qu’elle ne sert à autre chose qu’à tuer les vers qui s’y trouvent. On peut aussi donner avec succés le mercure doux ; car ce n’est pas un poison assez violent, pour tuer le malade, mais il l’est pourtant assez pour tuer les vers, pour peu qu’ils en avalent. Mon enfant étant dangereusement malade, & sans esperance de guerison, je luy donnay quelques grains de tartre emetique, ce qui en apparence ne fit ce jour-là aucun effet sur luy, mais le lendemain il rendit deux ou trois gros vers morts, & fut gueri aussitôt. Pour vous dire ma pensée, Monsieur, je crois que les vers causent la plûpart des maladies dont le genre humain est attaqué, & même que ceux qui ont les maux, que l’on appelle veneriens nourrissent dans leur corps une infinité d’insectes invisibles, qui rongent & mordent tout ce qu’ils trouvent, & font tous les ravages que l’on sçait, aussi ne sçauroit-on bien les en chasser que par le mercure, qui devient dans nôtre corps un poison qui les tuë. M. Ruisch ne m’a sçû dire du ver, dont je vous ay déja écrit, aucune particularité, qui merite que je vous en entretienne ; mais il m’en a offert un morceau, que je vous envoyeray si vous souhaitez, afin que vous puissiez voir s’il ressemble au vôtre. Je suis avec tout le zele & toute la passion imaginable,

MONSIEUR,

Votre très-humble &
très-obéïssant serviteur,
Nicolas Hartsoeker.

À Amsterdam le 11. Juin 1699.