De la génération des vers dans le corps de l’homme (1700)/Chapitre 08


Chapitre VIII.

De certains remedes qu’on a coûtume d’employer contre les Vers, & qu’il faut éviter.



IL y a bien de l’erreur sur le fait des remedes qu’on employe contre les Vers ; quelques Auteurs[1] conseillent le vinaigre pour les tuer, d’autres la poudre de vers desséchez, d’autres de l’eau où a trempé du mercure, d’autres le mercure en substance, d’autres la poudre nommée semen contra, d’autres le tabac, tous remedes communs aujourd’huy & dont il est bon de s’abstenir.

Le vinaigre ne tuë pas toutes sortes de vers, & il y en a qu’il fait revivre quand ils meurent, ainsi que nous le remarquerons dans le Chapitre neuviéme. D’ailleurs, ce que nous avons dit du vinaigre dans le Chapitre sixiéme, suffit pour faire soupçonner qu’il pourroit bien être plus favorable que contraire aux vers.

La poudre de vers desséchez fait rendre, je l’avouë, beaucoup de vers quand on en use quelque tems, mais ce sont ceux qu’elle produits : Et comment n’en produiroit-elle pas, n’étant elle-même qu’un amas de semences à vers ? Qu’on jette de cette poudre sur de la terre, qu’on arrose cette terre, & qu’on la mette à la cave, on la verra en peu de tems toute remplie de vers. Qu’on jette de cette même poudre sur de la viande cruë, on la trouvera bientôt toute gâtée, & au bout de quelques heures, si c’est en Esté, toute mangée de vers. Ainsi il ne faut pas tout-à-fait s’en rapporter à ce que les Auteurs nous disent à l’avantage de cette poudre, & à ce qu’en dit entr’autres Levinus Lemnius, qui en parle comme du meilleur de tous les remedes.

L’eau où le mercure a trempé est bonne contre les vers ; mais comme il en faut user plus d’une fois, pour qu’elle fasse son effet, il arrive que les parties subtiles du mercure, qui y sont mêlées, offensent à la longue le genre nerveux, & causent des tremblemens. J’ajoûte à cela que la plûpart des malades, à qui j’ay fait prendre de cette eau, se sont plains à moy qu’elle leur laissoit des pesanteurs d’estomach, & des gonflemens tres-incommodes.

Le mercure préparé que l’on prend en substance, s’appelle Aquila alba ; on en donne six, sept, huit, & jusqu’à vingt & trente grains, selon les âges & les temperamens dans quelque conserve. Ce remede pris seul, peut causer le flux de bouche, étant souvent réïteré. Ainsi il est bon de le mêler avec quelque purgatif, autrement on doit l’éviter, ou du moins n’en pas faire un usage familier, s’il n’y a quelque Soupçon de vers veneriens ; car alors le mercure doux est à conseiller.

Le semen-contra est contraire aux vers, mais il est en même temps contraire aux malades ; il échauffe considerablement, & cause souvent des fievres violentes. Quelques personnes disent que si l’on met de cette graine dans du pain chaud, elle y produit une fort grande quantité de vers ; j’en ay fait l’experience diverses fois, elle ne m’a nullement réüssi, ainsi ce pourroit bien être une fable. Je ne decide rien neanmoins : il suffit qu’une expérience réüssisse une fois, pour qu’on la doive regarder comme vraye ; mais il ne suffit pas qu’elle manque plusieurs fois, pour qu’on la doive regarder comme fausse. Je dis cecy, parce que si l’on ne doit avancer aucun fait temerairement, on n’en doit non plus nier aucun sans être absolument certain qu’il est faux. J’ay fait cette experience le mois d’Octobre de cette année 1699. le froid de la saison pourroit bien l’avoir empêché de réüssir. Je suspends donc mon jugement jusqu’à ce que j’aye essayé la chose dans le tems des chaleurs.

Pour ce qui est du Tabac, plusieurs prétendent qu’à en user fréquemment, on peut se délivrer non seulement des vers des intestins, mais de tous les autres. Ils conseillent sur tout de fumer souvent, parce que cette fumée déchargeant beaucoup d’eaux, empêche, disent-ils, la corruption qu’une pituite superfluë pourroit faire dans l’estomach & dans les intestins.

Je ne prétends pas nier que le tabac ne puisse être bon contre les vers ; mais s’il a quelque vertu contre cette maladie, c’est par un endroit, qui le rend en même tems tres-dangereux ; car pour la raison qu’on allegue, qui est qu’il se décharge beaucoup d’eaux par la bouche quand on fume, il ne s’ensuit pas pour cela que l’estomach & les intestins doivent être moins remplis de pituite ; au contraire ceux qui fument y en ont plus que les autres, à cause que cette fumée picote les glandes des machoires & des vaisseaux salivaires, & en exprime une sérosité, qui se décharge pour la plus grande partie dans l’estomach, ce qui fait que ceux qui fument supportent plus long-tems l’abstinence que les autres, parce que cette pituite, qui distille sans cesse dans leur estomach, engourdit les nerfs du ventricule, & les rend insensibles à l’impression du ferment, qui excite en nous le sentiment de la faim. Ce n’est donc pas la décharge de la pituite, qui doit nous persuader que le tabac soit bon contre les vers, c’est un sel caustique qu’il contient, lequel est si mordant, qu’il consume même les chairs les plus dures qui s’amassent dans les ulceres : en sorte que ce sel se mêlant avec la salive qui coule dans l’estomach, laquelle se mêle elle même avec les alimens, il en passe une partie dans les intestins avec les excremens, & une autre se distribuë avec le sang à tout le corps, d’où il arrive que quelque part que soient les vers, il est difficile qu’ils échapent à l’action de ce sel, qui est porté par tout. Or, ce même sel, qui rend le tabac bon contre les vers, le rend en même tems dangereux au corps ; car il picote si violemment les parties tendres & délicates, où il s’attache, qu’il les relâche & en derange toute la tissure ; il excite aussi à la longue dans les nerfs des mouvemens convulsifs, qui approchent fort ceux de l’épilepsie, ainsi que le remarque M. Fagon dans sa These sur le tabac, d’où je conclus que les maux que produit le tabac, quand on en use souvent, étant beaucoup plus grands que les avantages qu’on en peut retirer contre les vers, on n’en doit point conseiller le fréquent usage dans cette maladie. J’ajoûte à cela avec le celebre Auteur que nous venons de citer, qu’il y a dans le tabac un souphre narcotique encore plus dangereux que son sel. Ce souphre est de la nature de celuy de l’opium, qui se dissout également dans l’huile, dans l’esprit, dans le sel, & dans l’eau : ce qui n’arrive pas aux autres souphres. Le souphre du tabac étant donc de ce caractere, n’est pas plûtôt entré dans le corps, qu’il s’y dissout par le moyen de la lymphe, ou de l’esprit qu’il y rencontre, & alors débarassé des sels qui le lioient, ses parties branchuës s’engagent les unes dans les autres, & causent des obstructions & des engourdissemens, qui ralentissent le cours des esprits animaux. Ainsi, selon la diverse disposition des corps, l’une de ces deux choses ne manque presque jamais d’arriver : ou les sels piquans du tabac déchirent les parties, & en rompent la trame, ce qui ne peut que hâter la ruïne du corps ; ou les souphres narcotiques, dont il est composé, ralentissent le mouvement du sang, & par ce repos causent des apoplexies, & souvent, comme le remarque M. Fagon, des morts soudaines ou prématurées. Ce ne sont point icy des conjectures fondées sur des idées de Cabinet, ce sont des faits certains, dont j’ay vû moy-même des exemples ; & en voici un entr’autres qui mérite d’être remarqué.

En 1696. dans la ruë S. Denis au Sepulchre, je traitois un malade qui tomboit souvent d’apoplexie ; après l’avoir traité quelque temps sans qu’il reçût tout le soûlagement que je m’étois promis, j’appellay en consultation M. de Saint-Yon, Docteur de la Faculté de Paris, lequel ne trouva pas à propos de rien changer dans les remedes que j’avois préscrit, ni dans la methode que je suivois. Je continuai donc, mais le mal s’opiniâtrant toûjours, comme le malade prenoit beaucoup de tabac, je craignis que ce souphre narcotique n’agît trop sur lui, ou que ce sel à force de picoter les parties du cerveau, ne les tint trop relâchées, & qu’ainsi ce sel ou ce souphre ne fût une des principales causes de la maladie. Je conseillay donc au malade de se des-accoûtumer peu à peu du tabac, & de s’en abstenir ensuite absolument ; il suivit mon avis, & il n’eut pas été un mois sans en prendre, qu’il se porta mieux, ses attaques furent moins fréquentes & moins longues, & au bout de six mois il fut gueri.

Comme la These, que M. le premier Medecin a donnée sur le tabac, fait voir au long tous les accidens que peut causer le fréquent usage de cette plante, j’ay crû que les Lecteurs seroient bien aises de trouver cette These dans ce Livre : Je l’ay mise à la fin, où on la verra traduite en François.

Bontekoé est du nombre de ceux qui recommandent le tabac contre les vers, il le regarde même comme un des plus seurs moyens de prolonger la vie. Cet Auteur a toûjours des sentimens qui lui sont particuliers, il outre les choses, jusqu’à dire que comme on doit continuellement respirer l’air, on doit aussi recevoir & rejetter sans cesse la fumée du tabac, qui ne nous est pas moins utile que la respiration. Il ajoûte que les femmes doivent fumer aussi, & que d’ailleurs c’est un parfum si agreable, que ceux qui jugent des choses sans préjugé, le préferent à toutes les autres. Ce discours est trop outré pour meriter qu’on le refute, & il est assez digne d’un homme, qui ne fait pas difficulté de dire dans un autre endroit de son Ouvrage, que la temperance n’est pas une chose si necessaire à la santé ; & que quand on a mangé avec excés, comme la faim tarde plus long-tems à venir, & qu’ainsi l’on prend moins d’aliment dans le repas suivant, il arrive qu’on n’en a pas trop pris pour tout un jour ; aprés quoy il ajoûte, qu’à bien juger des choses, l’intempérance n’est pas une faute nuisible pour la vie & pour la santé[2].

Il y a un autre remede, dont j’ay vû quelques personnes se servir, si toutes fois on peut l’appeller un remede, c’est de boire de l’eau, dans laquelle ayent trempé des écorces vertes de noix. Ce que je puis assurer de cette eau, est qu’elle n’a d’autre effet que de beaucoup échauffer, & qu’elle ne chasse du corps aucun ver. La raison pourquoy on a crû qu’elle pouvoit tuer les vers du corps, ou les chasser, est que si l’on en jette dans un jardin, on void aussitôt tous les vers de l’endroit, où l’on en a jettez, sortir en foule[3] ainsi que le rapporte Charles-Estienne dans son Agriculture, Erasme[4] dans son Colloque sur la Chasse, & que je l’ay reconnu moy-même par l’experience ; mais il se peut bien faire que ces vers sortent ainsi, plûtôt attirez que chassez par cette eau, & qu’ils viennent sur terre comme on les y void venir lorsqu’il commence à pleuvoir, & comme on void les poissons sauter au dessus de l’eau quand la fraicheur de la nuit s’avance. On peut opposer que cette eau étant fort amere, il est à croire que lorsqu’elle fait sortir de terre les vers, c’est plûtôt parce que les vers la fuyent, que parce qu’ils la cherchent. Je réponds à cela que les choses ameres ne sont pas contraires à tous les vers, témoin l’absynthe, dont la tige & les feüilles sont toutes couvertes de petits vers, ainsi qu’on s’en peut convaincre par le microscope.

Baglivi dans l’Ouvrage qu’il vient de donner au public, rapporte quelques experiences qu’il a faites sur les vers, & que j’ay faites aprés luy, lesquelles peuvent beaucoup servir à nous faire connoître l’inutilité ou le peu de force de certains remedes. En 1694. à Rome, il mit dans de l’esprit de vin des vers vivans, qui y vécurent cinq heures entieres ; il en mit d’autres dans du vin, d’autres dans une dissolution d’aloës, d’extrait de camædris, & de tabac, & ils y vécurent neuf heures ; il en mit d’autres le soir dans de l’huile d’amandes douces, & il les trouva en vie le lendemain matin, mais languissans ; d’autres dans du jus de limon, & le jour suivant ils étoient encore fort vigoureux ; d’autres dans un vaisseau à moitié plein de mercure[5], & il les trouva vivans le lendemain, qui tâchoient de gagner le haut du vaze. J’ay voulu faire ces mêmes experiences aprés les avoir lûës dans Baglivi, & voicy ce qui m’est arrivé.

Le 7. de Mars de cette année 1699. un enfant, à qui j’avois fait prendre un remede contre les vers, rendit onze vers par le bas tout vivans, je me servis de l’occasion, je mis d’abord ces vers dans du lait tiede, pour les empêcher de mourir, puis j’en mis deux dans de l’eau de vie, où ils vécurent deux heures ; un dans de l’esprit de vin, où il vécut quatre heures, deux dans du jus de limon, où ils vécurent deux jours ; deux dans du vin de Champagne, où je les trouvay encore vivans le lendemain : de ces deux j’en tiray un, que je mis dans de bon vin de Bourgogne, où il mourut aussitôt, pour l’autre, que je laissay dans le vin de Champagne, il y vécut encore 4. heures ; j’en mis un dans de l’huile de noix, où il mourut d’abord, un dans de l’huile d’amandes douces, où il vécut dix heures, mais languissant, un dans de l’eau, où j’avois dissout de l’extrait d’aloës, & il y vécut huit heures ; un dans une fiole à moitié pleine de mercure, où il fit beaucoup de mouvement, pour s’échaper, mais où il vécut dix heures.

Le 21. du même mois je réïteray ces experiences sur des vers, que rendit un jeune homme de vingt ans, malade d’une fiévre tierce, elles ne me réüssirent pas tout-à-fait de la même maniere pour les espaces de tenus que j’ay marquez : ceux-cy eurent moins de vie, mais toujours les mêmes choses, où les autres vécurent plus long-tems, furent les mêmes où ceux-cy vécurent davantage, & celles ou les autres vécurent moins, les mêmes où ceux cy moururent plûtôt.

Je concluds de-là que si de ces remedes, qui touchoient immédiatement les vers, quelques-uns n’ont pû les tuer, il n’en faut pas attendre un grand effet, lors qu’étant pris interieurement ils se mêlent avec d’autres matieres, qui ne peuvent qu’en alterer la force. Il n’y a que le mercure que j’en excepterois, parce que les mouvemens extraordinaires que fit le ver, que je mis dans le mercure, & que firent aussi ceux que Baglivi y mit, marquent assez que si ce minerai ne tuë pas certains vers sur le champ, du moins il les chasse fortement, ce qui suffit. Mais nous avons dit plus haut pourquoy il est bon de s’en abstenir. Voila ce que j’avois à remarquer sur les remedes qu’il est à propos d’éviter. Passons à ceux qu’il est à propos de faire.

Séparateur

  1. Perdulc. particul. Therap. Lib. 3. cap. 21.
  2. Bontekoé part. 3 Chap. 4.
  3. Carol. Steph. agricult. lib. 3. cap. 24.
  4. Erasm. colloq. in venat.
  5. Georg. Bagliv. de praxi medicâ ad veram obser. ration. revocand. cap. 9. art. de Lumbric. pueror.