De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 21

Chez Antoine Vitté (p. 312-321).

Chapitre 21


comment se doivent disposer à la saincte communion ceux qui ont commis des pechez mortels apres le baptesme. Où il est principalement parlé de l’utilité des religions pour faire penitence.

ainsi pour commencer où Gennadius acheve, et declarer quel est l’esprit de l’eglise dans la conduite qu’elle tient touchant la dispensation de l’eucharistie envers ceux qui se sentent coupables de pechez mortels ; ne leur ordonne-t’il pas (ce que vostre zele ne peut endurer, parce qu’il n’est pas selon la science) d’estre plusieurs jours à faire penitence, avant que de communier ; de satisfaire à Dieu par les gemissemens, les soumissions, les pleurs, les jeusnes, les aumosnes, les prieres, que le nom seul de penitence publique emporte avec soy ; pour estre admis en suitte à la participation de l’eucharistie. Et enfin, ne juge-t’il pas ce delay si necessaire, qu’il croit, que faire autrement, c’est recevoir sa condamnation, en recevant le plus precieux gage de nostre salut, et convertir en poison cette nourriture divine.

Il est vray, qu’il admet une exception pour se pouvoir exempter de se mettre au rang ordinaire des penitens, et pour changer ces soumissions publiques en des satisfactions particulieres : mais c’est une exception, qui confirme cette regle sainte. Car quelle penitence peut estre plus agreable à Dieu, et en un sens mesme, plus publique, que de rompre entierement, et à la veuë de tous, avec son ennemy, c’est à dire, avec le monde ; que de renoncer pour jamais à tous les plaisirs, ou plûtost à toutes les folies du siecle ; que de quitter toutes sortes de pretensions, pour embrasser une vie sainte et religieuse ; que de se retirer dans une solitude à l’exemple de tant de grands saints, ou choisir le fonds d’un monastere, pour y satisfaire à la justice de Dieu, par des larmes continuelles ; que de luy sacrifier sans cesse le sang du cœur blessé de regret et d’amour, pour l’expiation de ses offenses, comme parle Saint Augustin ; et enfin, que de passer tout le reste de sa vie dans l’exercice des actions contraires à celles pour lesquelles on gemit. Certes, je ne puis assez admirer cette parole de Gennadius, qui juge la penitence publique si salutaire, et si importante, pour obtenir le pardon des pechez mortels, qu’il n’en dispense que ceux qui en voudront faire une plus secrette, mais qui est plus penible, plus austere, et plus longue, que celle qu’on faisoit publiquement.

Et cela me remet en l’esprit ce que j’ay oüy dire autresfois à un grand homme de Dieu, et fort esclairé dans la science de l’eglise ; que l’on ne pouvoit assez admirer la providence divine, qui veillant sans cesse pour le bien de son eglise, sembloit avoir suivy et autorisé par sa conduite la pureté de cette doctrine de Gennadius : comme si ç’avoit esté une prophetie de ce qui devoit arriver un jour, ayant suscité la plus grande partie des ordres religieux vers le douziesme et le treiziesme siecle, lors que l’exercice de la penitence ancienne a commencé à diminuer par la dureté des cœurs des laïques, et par l’ignorance des ecclesiastiques, ainsi que Saint Bernard le tesmoigne, et le déplore.

Quand les chrestiens qui avoient perdu la grace du baptesme par des offenses mortelles, ont negligé de r’entrer dans l’eglise par la porte publique de la penitence : Dieu a ouvert des maisons publiques de penitence, afin que ceux à qui il inspireroit la volonté de la faire, et qui penseroient serieusement à se sauver, trouvassent comme des aziles sacrez contre l’impenitence des uns, et l’ignorance des autres ; et peussent prattiquer plus commodément tous les exercices de la penitence, les jeusnes, les prieres, les veilles, le retranchement des plaisirs, et les autres parties de la penitence publique ; non seulement pour quelques mois, ou quelques années ; mais pour tout le reste de leurs jours.

C’a esté pour cela, que ces grandes lumieres des ordres religieux, Saint Bruno, S Bernard, Saint Estienne De Grammont, Saint Norbert, Saint Albert, Saint Dominique, et Saint François ont paru dans l’eglise quasi en mesme temps, ou l’un prés de l’autre ; qu’ils ont deployé l’estendart de la penitence dans toutes les provinces chrestiennes ; qu’ils sont venus au nom de Jesus-Christ, au nom du prince de la penitence, et du chef de tous ceux qui se sauvent par la penitence , comme l’appelle excellemment Saint Hierosme ; qu’ils ont confirmé leur mission par une infinité de miracles, et de prodiges, et par la conversion d’un nombre innombrable d’hommes et de femmes ; qu’ils ont esté comme des seconds apostres dans la vieillesse du christianisme, et ont renouvellé par le second baptesme, qui est celuy des larmes et de la penitence, des millions de chrestiens qui avoient violé l’innocence du premier.

En quoy l’on peut remarquer, qu’ainsi que la persecution des empereurs payens ayant commencé à cesser dans l’eglise, et la guerre publique ne donnant plus de lieu au martyre public, lequel estoit honoré de la plus illustre des couronnes : Dieu suscita les anciens solitaires, et les premiers hermites des deserts de l’Asie, et de l’Afrique, qui firent fleurir un nouveau genre de martyre, dans la paix mesme de l’eglise, par leurs austeritez, et par leurs souffrances presque incroiables, et qui ont fait douter quelquefois s’ils estoient hommes : de mesme lors que l’usage ancien de la penitence a commencé à diminuer dans l’eglise, Dieu a suscité cette grande foule de religieux, ces troupes saintes de penitens, qui ont pris le sac et la cendre, dont les pecheurs du monde ne vouloient plus guere se couvrir ; qui ont promis solemnellement la conversion de leurs mœurs, comme tous les penitens doivent faire ; qui ont estably un certain temps pour esprouver ceux qui se presentent, ainsi qu’on ne recevoit pas les grands pecheurs à la penitence publique, qu’apres les avoir fort examinez, sur tout au siecle de Saint Augustin, et de Gennadius où l’on ne les y recevoit gueres qu’une fois ; et qui ont voüé pour toute leur vie les abstinences, et les mortifications, que les peres et les conciles n’ordonnent aux personnes seculieres, que durant quelques mois, ou quelques années.

Et ç’a esté encore par une conduite particuliere de Dieu, et par une suitte du mesme dessein de conserver l’exercice de la penitence dans son eglise, que depuis la mort de Saint Bernard, et la naissance de Saint Dominique, et de Saint François, les religieux se sont plus meslez dans le monde, selon l’esprit de leurs regles toutes saintes, qu’ils n’avoient fait auparavant : afin qu’ils attirassent plus facilement à la penitence les hommes du monde qui en avoient besoin, pour se purifier de leurs pechez, comme dit Gennadius, et que la conversation, et le commerce qu’ils avoient avec eux, leur rendist la vie penitente plus agreable, qu’elle ne leur paroissoit dans les personnes, et dans les maisons des parfaits solitaires, tels qu’estoient les religieux des siecles precedens, la solitude effrayant d’ordinaire les pecheurs, et les seculiers.

Mais comme la corruption des mœurs croistra tousjours dans l’eglise, selon l’evangile, à mesure que la naissance du soleil de justice s’éloignera de nous par le cours des siecles ; de mesme que le froid s’augmente dans la nature, à mesure que le soleil s’éloigne par le cours des mois : cette corruption s’est acreüe dans ces derniers temps, et apres avoir esté la mere de tant d’heresies, qui toutes ont rejetté les exercices laborieux de la penitence, aussi bien que la confession des pechez, et ont obligé l’eglise à les soustenir selon la doctrine de tous les peres : elle a encore reduit les theologiens catholiques à les deffendre seulement dans leurs escrits, et les predicateurs à les prescher dans les chaires ; sans pouvoir dans l’application des regles surmonter, que tres-rarement, le torrent du siecle, et l’enchantement de l’amour du monde, qui est la source de tous les vices, et l’ennemy de la penitence. Et Dieu n’a pas manqué en ce mesme temps, de susciter de nouvelles maisons de penitence, en suscitant de nouveaux ordres, et en reformant les anciens ; et de multiplier le remede, à mesure que le mal se multiplioit : afin que les pecheurs qui seroient dans une condition libre, et qui ne se trouveroient pas assez forts pour faire une pleine et entiere penitence en demeurant dans le monde, et qui se sentiroient poussez par le Saint Esprit à embrasser la vie religieuse, le peussent faire plus facilement.

Et feu Monsieur De Geneve a tellement reconnu le besoin qu’avoient les femmes du monde, filles, ou veuves de se retirer dans les cloistres, pour se conserver dans un estat qui n’ait point besoin de penitence, ou pour aller pleurer leurs vanitez et leurs folies hors du monde, où l’on fait des choses deplorables, et où l’on ne les pleure quasi jamais ; qu’apres un si grand nombre de monasteres de filles, il s’est veu engagé par la conduite de Dieu à fonder encore un nouvel ordre, lequel paroist plus doux que tous les autres, afin que nulle fille, et nulle veuve ne pust estre retenuë par la delicatesse de son naturel, à demeurer dans les funestes engagemens de la vie mondaine et impenitente.

Mais ce choix que donne Gennadius de sortir du siecle, ou de subir le joug de la penitence publique, me fait encore souvenir d’une semblable proposition que le Pape Estienne, qui vivoit au neuviesme siecle, fait à un grand seigneur nommé Astulphe, pour avoir tué sa femme dans un transport de jalousie. Car il ne luy propose que deux choses, en l’asseurant, que le conseil qu’il luy donne est le plus doux qu’il luy peut donner : ou de se retirer dans un cloistre pour y estre humilié sous la main d’un abbé, et y faire penitence toute sa vie : ou s’il desire la faire demeurant dans le monde ; voicy les regles qu’il luy donne en general. (...).

Ne prendrez-vous pas les paroles de ce saint pape pour un stratagéme du diable , puis qu’il ne destourne pas seulement cét homme de communier souvent : mais luy deffend de le faire tout le temps de sa vie ; (ce que S Ambroise avoit ordonné avant luy à une fille consacrée à Dieu, qui s’estoit laissé corrompre.) et cependant ceux qui ont recueilly les regles divines, selon lesquelles le Saint Esprit a voulu que l’eglise se gouvernast, ont estimé ces sentimens si dignes du successeur de Saint Pierre, et si remplis de ce zele judicieux, qui pesant les crimes au poids du sanctuaire, veut guerir les pecheurs par une penitence égalle à leurs maux, avant que de leur permettre les viandes fortes ; qu’ils leur ont donné place dans le corps des saints canons, où ils les ont mis en depost comme dans des registres sacrez ; afin que cette ordonnance particuliere faite pour le salut d’un seul homme, servist d’instruction generalle à toute l’eglise, et en tous les siecles. Aussi Dieu a voulu que de nostre temps mesme le grand Saint Charles redonnast comme une nouvelle lumiere à la decision de ce pape, l’inserant dans les canons qu’il a proposez pour modelle à tous les ministres de Jesus-Christ, pour leur apprendre à guerir plustost les ames par une douce severité, qu’à les tuer par une cruelle flaterie, ainsi que le clergé de Rome parle escrivant à Saint Cyprien.