De la fréquente Communion.../Partie 1, Chapitre 14

Chez Antoine Vitté (p. 279-288).

Chapitre 14


explication d’un excellent passage de Saint Augustin, que l’auteur attribuë faussement à Saint Hilaire.

vous vous abusez ; Saint Hilaire, que vous citez sur la foy de Gratien, ne dit en aucun lieu ce que vous rapportez comme de luy. Ce passage ne se trouve que dans S Augustin : mais si vous l’aviez leu dans sa source, et non pas dans de faux memoires, et que vous comprissiez quelque chose dans la doctrine de ce grand homme, vous vous fussiez bien gardé de l’alleguer ; puis qu’il renverse entierement la plus grande partie des poincts de vostre mauvaise conduite. C’est ce qu’il est important de faire voir pour des-abuser les ames, à qui sous le nom de ces grands saints, vous presentez le poison comme dans une coupe d’or.

C’est dans son epistre cent dix-huitiesme, où il propose à un de ses amis les sentimens differens de deux personnes vertueuses, touchant la reception de l’eucharistie, avec une decision veritablement chrestienne. (...). Page:Arnaud - De la frequente communion, 1643.djvu/281

De cét excellent passage nous pouvons faire cinq remarques fort importantes. La premiere, que les paroles que vous en rapportez, ne sont point de Saint Augustin, parlant en sa personne : mais ne contiennent, que les raisons de l’un des deux advis qu’il propose, sans les approuver davantage, ou peut-estre encore moins, que celles de l’advis contraire, comme j’espere de le faire voir plus bas, lors que vous voulez encore abuser du mesme passage.

La seconde, que cette dispute ne se propose pas sur le sujet de ces demy-chrestiens, qui s’eforcent d’accorder les regles de l’evangile avec toutes leurs passions déreglées ; qui voudroient bien meriter le paradis, sans estre obligez de faire aucune des actions qui y menent ; qui taschent de se partager entre Dieu, et le monde, et faire mentir la verité mesme, qui nous asseure, que l’on ne peut servir deux maistres ; dont toute la vie se passe en une suitte continuelle de pechez, mesme mortels, et de confessions sans amandement ; et enfin (pour descouvrir en un mot, et par vos propres termes ; la cause de tous leurs desordres) qui sont remplis d’amour d’eux-mesmes ; ce qui leur donne quelque desir de ne se pas perdre : et si attachez au monde, que de merveille ; ce qui les empesche d’embrasser ce qu’il faut faire pour ne se pas perdre. Ce n’est pas, dis-je, entre les personnes de cette sorte, que ce grand saint propose ce differend, ausquelles il eust esté si esloigné de permettre la communion de tous les jours ; qu’à peine leur eust-il seulement permis d’assister aux sacrez mysteres. Mais il ne le propose qu’entre ceux dont la vie ne des-honore point la sainteté du christianisme ; dont la foy est fortifiée par l’esperance, et l’esperance animée par la charité ; qui offensent Dieu tous les jours, parce qu’ils sont hommes, mais qui ne l’offensent point mortellement, parce qu’ils sont enfans de Dieu ; qui ont droit de se nourrir du corps de Jesus-Christ, parce qu’ils sont eux-mesmes ce corps, comme parle Saint Augustin : et enfin pour dire tout, cette dispute ne s’agite qu’entre deux hommes, dont l’un a une sainte avidité, qui merite d’estre comparée à la ferveur de Zachée, qui le fit resoudre en un moment à donner aux pauvres la moitié de tout son bien : et l’autre a une crainte respectueuse, qui merite d’estre comparée à l’humilité du centenier, dont la foy a esté preferée à celle de tout Israël par la bouche du sauveur mesme.

La troisiesme remarque qui suit de cette seconde, est qu’encore que Saint Augustin propose deux avis differens sur la reception de l’eucharistie ; sçavoir, s’il est meilleur de la recevoir tous les jours, ou de s’en abstenir quelquesfois par reverence, il declare neantmoins en termes clairs, comme une chose constante parmy tous les fidelles, et dont personne ne pouvoit douter ; que pour les pechez mortels, il faut differer cette sainte nourriture ; se separer de l’autel pour faire penitence ; et ne s’en approcher point, que par l’autorité du prestre, apres la penitence achevée. Car il ne faut point douter, que par cette playe du peché, et cette violence de maladie, qui nous doivent oster l’usage de ces remedes, lesquels ne sont utiles qu’aux ames plus fortes ; il n’entende toute sorte de pechez mortels, et qui tuent l’ame par une seule playe, comme il dit ailleurs : puis que vous-mesme le reconnoissez, en alleguant plus bas ce mesme endroit pour prouver, que les pechez veniels ne doivent pas empescher de communier. Autrement l’on feroit approuver à Saint Augustin une pensée abominable, et absolument contraire à ses sentimens, (...).

Je sçay bien, que l’imagination des hommes n’estant remplie que de ce qu’ils voyent prattiquer, et ne se parlant en nostre temps d’excommunication que pour de certains pechez, qui bien que tres-grands, ne sont pas tousjours les plus enormes devant Dieu, et pour lesquels on ne l’ordonne qu’apres beaucoup de formalitez ; aussi-tost qu’ils trouvent dans les peres le mot d’excommunication , ils l’appliquent à l’image qu’ils en ont formée dans leur esprit ; et voyans qu’aujourd’huy l’eglise n’excommunie pas pour la pluspart des pechez mortels ; ils s’imaginent, que ces pechez sont bien differens de ceux, que les peres asseurent meriter l’excommunication. Mais il est aisé de monstrer (et j’espere de le faire si clairement en son lieu, que personne n’en pourra douter) premierement, que dans la doctrine de l’antiquité, et principallement de Saint Augustin, (...), ne sont que la mesme chose, quoy que dans cette mesme peine, il y eust quelque diversité, selon la diversité des personnes, impenitentes, ou penitentes, comme nous dirons en un autre endroit. Et en second lieu, que cette peine estoit imposée pour tous les pechez mortels, c’est à dire, pour ceux qu’il appelle, (...). Il suffira pour cette heure d’avoir monstré l’absurdité qu’il y auroit d’entendre autrement ce saint docteur au lieu que nous expliquons ; puis qu’il s’ensuivroit, qu’il auroit laissé libre la communion de tous les jours à ceux qui commettent des pechez mortels, que les bons chrestiens ne commettent point, comme il le soûtient ailleurs en termes formels : (...).

La quatriesme remarque, qui est d’une extréme importance, pour soustenir la verité que vous avez si hardiment condemnée ; c’est que selon la doctrine de l’eglise, expliquée par la bouche de ce grand saint, recevoir indignement le corps de Jesus-Christ, ce n’est pas seulement le recevoir, ayant la conscience chargée de quelque peché mortel ; mais mesme le recevoir durant le temps où l’on doit faire penitence de son peché. (...). Et ne craignez-vous point, que ce grand maistre de l’eglise, que vous osez condemner en la personne de ceux qui voudroient suivre ses saintes regles, ne s’esleve quelque jour en jugement contre vous, et ne vous soustienne, que ce n’est pas luy, mais toute l’eglise que vous condemnez, puis qu’il n’en a esté en cét endroit que la voix, et le tesmoin ?

C’est ce que je vous laisse à considerer, pour passer au cinquiesme et dernier poinct, qui vous monstrera avec combien peu de retenuë vous voulez que l’on s’approche de l’eucharistie sans crainte aucune , et blasmez generallement tous ceux qui s’en retirent durant quelque temps par crainte, et par reverence. Je viens de vous faire voir, que ce grand homme qui a esté si particulierement esclairé de Dieu, proposant les raisons de deux personnes, dont l’un pretend, qu’il faut s’approcher fort souvent de la communion ; et l’autre, qu’il s’en faut quelquefois separer par retenuë, n’ose porter jugement en faveur de l’un, ou de l’autre : mais les exhorte seulement à vivre en paix, et à suivre chacun les mouvemens que la foy luy inspire ; adjoutant : (...).

Reconnoissez, je vous prie, combien ces excellentes paroles, remplies d’une sainte moderation, sont esloignées de vos jugemens precipitez : et ne travaillez plus desormais à citer beaucoup de peres, dont vous ne connoissez que le nom, pour persuader aux ignorans, que vous parlez selon leurs maximes.