De la fièvre puerpérale/Post-scriptum

De la fièvre puerpérale devant l’Académie impériale de médecine de Paris
Germer Baillière (p. 103-107).


POST-SCRIPTUM.


Dans un des paragraphes précédents, nous avions exprimé le vœu qu’un rapporteur général résumât les débats de l’Académie et en fît sortir des conclusions fondamentales ; M. Guérard a résolument abordé ce travail difficile et dans un rapport qui n’était pas encore publié quand nous avons livré notre manuscrit à l’impression, il a brillamment repris et savamment commenté les points principaux de cette grande question de la fièvre puerpérale !… Question palpitante, s’il en fût jamais, dont la verve gauloise et le sarcasme des orateurs et des critiques se sont vivement emparés, question retentissante qui est devenue bientôt, par le choc des réparties, comme une espèce de folie dramatique en seize tableaux, qui a su passionner l’Académie, la presse et le public pendant plus de quatre mois !… Voici les termes abrégés du rapport de M. le docteur Guérard :

« Sur quatre accoucheurs qui ont pris part à cette discussion, trois professent une même doctrine, la doctrine de l’essentialité ; ce sont MM. Danyau, Depaul et Paul Dubois. Cette doctrine est remarquable par sa simplicité, sa netteté et sa lucidité ; elle se réduit à ceci : chez les femmes accouchées, il y a plusieurs ordres de phénomènes pathologiques : les uns bénins, les autres extrêmement graves. Parmi ces derniers, il en est un qui apparaît ordinairement au dixième jour après les couches, c’est l’intoxication septique ! Deux autres ordres de phénomènes se montrent à l’époque où apparaît la fièvre puerpérale : l’un est l’embarras gastrique, il se montre du second au troisième jour ; l’autre est l’état inflammatoire ; mais rien de tout cela n’est la fièvre puerpérale !

» La métrite, l’ovarite, la péritonite, observées avec la fièvre puerpérale, ne la constituent pas non plus ; elles la compliquent ; l’infection putride et l’infection purulente ne sauraient, de même, être confondues avec la fièvre puerpérale. D’autre part, on ne peut admettre de similitude entre la surface interne de l’utérus après l’accouchement et une plaie ordinaire, car lorsque le délivre est expulsé, il n’y a pas de rupture, mais un simple décollement d’avec le placenta des vaisseaux maternels qui bientôt s’affaissent pour s’oblitérer ensuite par un dépôt de lymphe plastique. »

Qu’est-ce donc que la fièvre puerpérale ? existe-t-il une maladie à laquelle il faille réserver ce nom ? Oui, certainement, voilà les caractères de cette entité :

« Son invasion se fait brusquement, et on peut l’observer tout aussi bien avant l’accouchement ou pendant le travail que dans les premiers jours des couches. Elle jette le trouble presque instantanément dans les principales fonctions ; l’accélération du pouls est portée d’emblée à 120 ou 140 pulsations ; la respiration présente un embarras remarquable ; les idées se troublent, elles se perdent dans un subdélirium qui cache aux malades, et trop souvent aux assistants, la gravité de l’affection ; il n’y a pas de réaction franche, et les antiphlogistiques, loin d’être utiles, précipitent, au contraire, la terminaison fatale.

» En résumé, la fièvre puerpérale est caractérisée par l’époque de son invasion (avant le huitième jour), par l’évolution et la nature de ses symptômes ; par ses caractères anatomiques, consistant en une altération du sang inconnue dans sa nature et se traduisant par la formation rapide du pus.

» La fièvre puerpérale est produite par un miasme puerpéral qui est dû à l’action combinée des influences atmosphériques et des conditions dans lesquelles se trouvent les femmes en couches.

» Le caractère contagieux de la fièvre puerpérale et la rapidité de la marche des accidents ne pourraient-ils pas la faire comparer à un empoisonnement ? à celui, par exemple, qui succède à la morsure d’un serpent de la Martinique, du Bothrops lancéolé qui, d’après le savant docteur Rufz, fait périr chaque année un nombre considérable de personnes ? Peu de temps après la morsure, le sang est décomposé ; en moins de deux heures, le membre piqué est tuméfié, crépitant ; le sang épanché hors de ses vaisseaux est en grande partie transformée en pus ! Ce qu’il y a du moins de certain, c’est une grande analogie entre la piqûre du Bothrops et la fièvre puerpérale. Ainsi, après la morsure du serpent, il n’y a pas toujours des accidents locaux, mais ils sont au contraire très souvent remplacés par des accidents nerveux généraux, absolument comme dans la fièvre puerpérale.

» La fièvre puerpérale et les accidents puerpéraux ont un caractère épidémique et infectieux. Dans l’opinion de beaucoup de médecins, elle est transmissible par infection et par contagion.

» Il n’existe pas de traitement formulé, unique et spécial contre la fièvre puerpérale ; les médecins s’inspirent des indications qui naissent des circonstances, et font la médecine des symptômes ; mais jamais ils n’abandonnent leurs malades, et jamais ils ne désertent leur poste ! Ils trouvent, dans une prophylaxie générale bien entendue, d’excellents secours.

» Maintenant faut-il ou ne faut-il pas supprimer les Maternités ? Faut-il créer hors de Paris de petits établissements pour douze ou quinze femmes au plus ? Ce système, appliqué à Saint-Louis, a donné d’excellents résultats… Toutefois, la question de l’encombrement est encore bien obscure ! Du reste, cette haute et délicate question préoccupe vivement l’Académie, qui a nommé une commission destinée à examiner les travaux qui lui ont été envoyés à l’occasion de la discussion actuelle, ainsi que les propositions formulées par ses propres membres. Cette commission est composée de MM. Cruveilhier, Danyau, Davenne, Depaul, Paul Dubois, Guérard et Hervez de Chégoin. »

Pour nous, après avoir tout étudié et tout médité, il résulte, non de la lettre et non des termes du rapport de M. Guérard, mais bien de l’esprit des débats de l’Académie, et surtout de l’analyse scientifique des opinions de M. Guérard et de ses douze collègues militants ; il résulte disons-nous :

Premièrement, qu’il faut admettre : 1o un état puerpéral et des accidents puerpéraux consécutifs ; 2o une fièvre puerpérale légitime (entité qui n’a d’autre raison d’être que l’absorption des lochies où du lait) ; 3o des fièvres puerpérales épidémiques ; 4o un typhus puerpéral.

Secondement, que la fièvre puerpérale est une fièvre essentielle d’origine et de nature miasmatique.

Troisièmement, que l’état puerpéral est produit par le fait de la gestation et de la parturition ; que la fièvre puerpérale est déterminée par des causes spéciales ou spécifiques infectieuses qui agissent sur le sang, le vicient, le décomposent et provoquent un tolle général, c’est-à-dire une fièvre, une réaction générale ; que ces causes spéciales, que ces agents toxiques à la recherche desquels l’Académie s’est épuisée depuis quatre mois par des marches et des contre-marches incessantes, mais sans jamais sortir du même horizon, ne sont autres que la matière des lochies ou du lait, altérées ou détournées de leurs voies naturelles ; quel les épidémies de fièvres puerpérales, nées du génie épidémique régnant se lient étroitement à des constitutions atmosphériques ou médicales. Enfin, que le typhus puerpéral, véritable bâtard de la fièvre puerpérale, est le produit accidentel des miasmes putrides qui se forment des émanations et des exhalaisons de toutes ces femmes nouvellement accouchées et imprudemment entassées dans des salles trop étroites, mal aérées ou mal exposées !

Quatrièmement, que la fièvre puerpérale légitime et vraie n’est pas contagieuse ; que les fièvres puerpérales épidémiques le deviennent quelquefois ; que le typhus puerpéral est transmissible soit par infection, soit par contagion.

Cinquièmement, que chacune de ces affections : l’état puerpéral, la fièvre puerpuérale légitime, la fièvre puerpérale épidémique et le typhus puerpérual, réclament un traitement spécial ou différent.

Sixièmement, que la prophylaxie générale, bien entendue, est souveraine et qu’elle doit être l’objet constant des efforts du médecin, avant, pendant et après les affections puerpérales.

Telles sont nos dernières conclusions ; elles sont absolues et ne font, en réalité, que corroborer celles que nous avions exposées avant d’avoir pris connaissance du rapport de M. Guérard.

Nous voudrions retenir, revoir et retoucher toutes ces lignes à peine ébauchées, dont le style redondant et quelquefois emporté, accuse trop notre impatience d’en finir ; mais, la pression des circonstances, les exigences de l’actualité, quelques projets, des tristesses, et enfin des devoirs, s’opposent énergiquement à nos si justifiables désirs !… Et ces pages incorrigées nous échappent !… Puissent-elles, du moins, rencontrer sur le seuil, la bienveillance et l’indulgence active des lecteurs !