De la division du travail social/Livre I/Chapitre I/II

Félix Alcan (p. 55-65).
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Livre I, Chapitre I

II


Tout le monde sait que nous aimons qui nous ressemble, quiconque pense et sent comme nous. Mais le phénomène contraire ne se rencontre pas moins fréquemment. Il arrive très souvent que nous nous sentons portés vers des personnes qui ne nous ressemblent pas, précisément parce qu’elles ne nous ressemblent pas. Ces faits sont en apparence si contradictoires que de tout temps les moralistes ont hésité sur la vraie nature de l’amitié et l’ont dérivée tantôt de l’une et tantôt de l’autre cause. Les Grecs s’étaient déjà posé la question. « L’amitié, dit Aristote, donne lieu à bien des discussions. Selon les uns, elle consiste dans une certaine ressemblance et ceux qui se ressemblent s’aiment : de là ce proverbe qui se ressemble s’assemble et le geai cherche le geai, et autres dictons pareils. Mais selon les autres, au contraire, tous ceux qui se ressemblent sont potiers les uns pour les autres. Il y a d’autres explications cherchées plus haut et prises de la considération de la nature. Ainsi Euripide dit que la terre desséchée est amoureuse de pluie, et que le sombre ciel chargé de pluie se précipite avec une amoureuse fureur sur la terre. Héraclite prétend qu’on n’ajuste que ce qui s’oppose, que la plus belle harmonie naît des différences, que la discorde est la loi de tout devenir[1]. »

Ce que prouve cette opposition des doctrines, c’est que l’une et l’autre amitié existent dans la nature. La dissemblance, comme la ressemblance, peut être une cause d’attrait mutuel. Toutefois, des dissemblances quelconques ne suffisent pas à produire cet effet. Nous ne trouvons aucun plaisir à rencontrer chez autrui une nature simplement différente de la nôtre. Les prodigues ne recherchent pas la compagnie des avares, ni les caractères droits et francs celle des hypocrites et des sournois ; les esprits aimables et doux ne se sentent aucun goût pour les tempéraments durs et malveillants. Il n’y a donc que des différences d’un certain genre qui tendent ainsi l’une vers l’autre ; ce sont celles qui, au lieu de s’opposer et de s’exclure, se complètent mutuellement. « Il y a, dit M. Bain, un genre de dissemblance qui repousse, un autre qui attire, l’un qui tend à amener la rivalité, l’autre à conduire à l’amitié… Si l’une (des deux personnes) possède une chose que l’autre n’a pas mais qu’elle désire, il y a dans ce fait le point de départ d’un charme positif[2].» C’est ainsi que le théoricien à l’esprit raisonneur et subtil a souvent une sympathie toute spéciale pour les hommes pratiques, au sens droit, aux intuitions rapides ; le timide pour les gens décidés et résolus, le faible pour le fort, et réciproquement. Si richement doués que nous soyons, il nous manque toujours quelque chose, et les meilleurs d’entre nous ont le sentiment de leur insuffisance. C’est pourquoi nous cherchons chez nos amis les qualités qui nous font défaut, parce qu’en nous unissant à eux nous participons en quelque manière à leur nature et que nous nous sentons alors moins incomplets. Il se forme ainsi de petites associations d’amis où chacun a son rôle conforme à son caractère, où il y a un véritable échange de services. L’un protège, l’autre console ; celui-ci conseille, celui-là exécute, et c’est ce partage des fonctions, ou, pour employer l’expression consacrée, cette division du travail qui détermine ces relations d’amitié.

Nous sommes ainsi conduits à considérer la division du travail sous un nouvel aspect. Dans ce cas, en effet, les services économiques qu’elle peut rendre sont peu de chose à côté de l’effet moral qu’elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. De quelque manière que ce résultat soit obtenu, c’est elle qui suscite ces sociétés d’amis et elle les marque de son empreinte.

L’histoire de la société conjugale nous offre du même phénomène un exemple plus frappant encore.

Sans doute l’attrait sexuel ne se fait jamais sentir qu’entre individus de la même espèce, et l’amour suppose assez généralement une certaine harmonie de pensées et de sentiments. Il n’est pas moins vrai que ce qui donne à ce penchant son caractère spécifique et ce qui produit sa particulière énergie, ce n’est pas la ressemblance, mais la dissemblance des natures qu’il unit. C’est parce que l’homme et la femme diffèrent l’un de l’autre qu’ils se recherchent avec passion. Toutefois, comme dans le cas précédent, ce n’est pas un contraste pur et simple qui fait éclore ces sentiments réciproques : seules, des différences qui se supposent et se complètent peuvent avoir cette vertu. En effet, l’homme et la femme isolés l’un de l’autre ne sont que des parties différentes d’un même tout concret qu’ils reforment en s’unissant. En d’autres termes, c’est la division du travail sexuel qui est la source de la solidarité conjugale, et voilà pourquoi les psychologues ont très justement remarqué que la séparation des sexes avait été un événement capital dans l’évolution des sentiments ; c’est qu’elle a rendu possible le plus fort peut-être de tous les penchants désintéressés.

Il y a plus. La division du travail sexuel est susceptible de plus ou de moins ; elle peut ou ne porter que sur les organes sexuels et quelques caractères secondaires qui en dépendent, ou bien au contraire s’étendre à toutes les fonctions organiques et sociales. Or, on peut voir dans l’histoire qu’elle s’est exactement développée dans le même sens et de la même manière que la solidarité conjugale.

Plus nous remontons dans le passé, plus elle se réduit à peu de chose. La femme de ces temps reculés n’était pas du tout la faible créature qu’elle est devenue avec les progrès de la moralité. Des ossements préhistoriques témoignent que la différence entre la force de l’homme et celle de la femme était relativement beaucoup plus petite qu’elle n’est aujourd’hui[3]. Maintenant encore, dans l’enfance et jusqu’à la puberté, le squelette des deux sexes ne diffère pas d’une façon appréciable : les traits en sont surtout féminins. Si l’on admet que le développement de l’individu reproduit en raccourci celui de l’espèce, on a le droit de conjecturer que la même homogénéité se retrouvait aux débuts de l’évolution humaine, et de voir dans la forme féminine comme une image approchée de ce qu’était originellement ce type unique et commun dont la variété masculine s’est peu à peu détachée. Des voyageurs nous rapportent d’ailleurs que, dans un certain nombre de tribus de l’Amérique du Sud, l’homme et la femme présentent dans la structure et l’aspect général une ressemblance qui dépasse ce qu’on voit ailleurs[4]. Enfin le Dr Lebon a pu établir directement et avec une précision mathématique cette ressemblance originelle des deux sexes pour l’organe éminent de la vie physique et psychique, le cerveau. En comparant un grand nombre de crânes choisis dans des races et dans des sociétés différentes, il est arrivé à la conclusion suivante : « Le volume du crâne de l’homme et de la femme, même quand on compare des sujets d’âge égal, de taille égale et de poids égal, présente des différences considérables en faveur de l’homme, et cette inégalité va également en s’accroissant avec la civilisation, en sorte qu’au point de vue de la masse du cerveau et par suite de l’intelligence la femme tend à se différencier de plus en plus de l’homme. La différence qui existe par exemple entre la moyenne des crânes des Parisiens contemporains et celle des Parisiennes est presque double de celle observée entre les crânes masculins et féminins de l’ancienne Égypte[5]. » Un anthropologiste allemand, M. Bischoff, est arrivé sur ce point aux mêmes résultats[6].

Ces ressemblances anatomiques sont accompagnées de ressemblances fonctionnelles. Dans ces mêmes sociétés, en effet, les fonctions féminines ne se distinguent pas bien nettement des fonctions masculines ; mais les deux sexes mènent à peu près la même existence. Il y a maintenant encore un très grand nombre de peuples sauvages où la femme se mêle à la vie politique. C’est ce que l’on a observé notamment chez les tribus indiennes de l’Amérique, comme les Iroquois, les Natchez[7], à Hawai où elle participe de mille manières à la vie des hommes[8], à la Nouvelle-Zélande, à Samoa. De même on voit très souvent les femmes accompagner les hommes à la guerre, les exciter au combat et même y prendre une part très active. À Cuba, au Dahomey, elles sont aussi guerrières que les hommes et se battent à côté d’eux[9]. Un des attributs aujourd’hui distinctifs de la femme, la douceur, ne paraît pas lui avoir appartenu primitivement. Déjà dans certaines espèces animales la femelle se fait plutôt remarquer par le caractère contraire.

Or, chez ces mêmes peuples le mariage est dans un état tout à fait rudimentaire. Il est même très vraisemblable, sinon absolument démontré, qu’il y a eu une époque dans l’histoire de la famille où il n’y avait pas de mariage ; les rapports sexuels se nouaient et se dénouaient à volonté sans qu’aucune obligation juridique liât les conjoints. En tout cas, nous connaissons un type familial qui est relativement proche de nous et où le mariage n’est encore qu’à l’état de germe indistinct : c’est la famille maternelle[10]. Les relations de la mère avec ses enfants y sont très définies, mais celles des deux époux sont très lâches. Elles peuvent cesser dès que les parties le veulent, ou bien encore ne se contractent que pour un temps limité[11]. La fidélité conjugale n’y est pas encore exigée. Le mariage, ou ce qu’on appelle ainsi, consiste uniquement dans des obligations d’étendue restreinte et le plus souvent de courte durée, qui lient le mari aux parents de la femme ; il se réduit donc à peu de chose. Or, dans une société donnée, l’ensemble de ces règles juridiques qui constituent le mariage ne fait que symboliser l’état de la solidarité conjugale. Si celle-ci est très forte, les liens qui unissent les époux sont nombreux et complexes et, par conséquent, la réglementation matrimoniale qui a pour objet de les définir et elle-même très développée. Si au contraire la société conjugale manque de cohésion, si les rapports de l’homme et de la femme sont instables et intermittents, ils ne peuvent pas prendre une forme bien déterminée et par conséquent le mariage se réduit à un petit nombre de règles sans rigueur et sans précision. L’état du mariage dans les sociétés où les deux sexes ne sont que faiblement différenciés témoigne donc que la solidarité conjugale y est elle-même très faible.

Au contraire, à mesure qu’on avance vers les temps modernes, on voit le mariage se développer. Le réseau de liens qu’il crée s’étend de plus en plus ; les obligations qu’il sanctionne se multiplient. Les conditions dans lesquelles il peut être conclu, celles auxquelles il peut être dissous se délimitent avec une précision croissante ainsi que les effets de cette dissolution. Le devoir de fidélité s’organise ; d’abord imposé à la femme seule, il devient plus tard réciproque. Quand la dot apparaît, des règles très complexes viennent fixer les droits respectifs de chaque époux sur sa propre fortune et sur celle de l’autre. Il suffit d’ailleurs de jeter un coup d’œil sur nos Codes pour voir quelle place importante y occupe le mariage. L’union des deux époux a cessé d’être éphémère ; ce n’est plus un contact extérieur, passager et partiel, mais une association intime, durable, souvent même indissoluble de deux existences tout entières.

Or il est certain que dans le même temps le travail sexuel s’est de plus en plus divisé. Limité d’abord aux seules fonctions sexuelles, il s’est peu à peu étendu à bien d’autres. Il y a longtemps que la femme s’est retirée de la guerre et des affaires publiques et que sa vie s’est concentrée tout entière dans l’intérieur de la famille. Depuis, son rôle n’a fait que se spécialiser davantage. Aujourd’hui, chez les peuples cultivés, la femme mène une existence tout à fait différente de celle de l’homme. On dirait que les deux grandes fonctions de la vie psychique se sont comme dissociées, que l’un des sexes a accaparé les fonctions affectives et l’autre les fonctions intellectuelles. À voir dans certaines classes les femmes s’occuper d’art et de littérature comme les hommes, on pourrait croire, il est vrai, que les occupations des deux sexes tendent à redevenir homogènes. Mais, même dans cette sphère d’action, la femme apporte sa nature propre, et son rôle reste très spécial, très différent de celui de l’homme. De plus, si l’art et les lettres commencent à devenir choses féminines, l’autre sexe semble les délaisser pour se donner plus spécialement à la science. Il pourrait donc très bien se faire que ce retour apparent à l’homogénéité primitive ne fût autre chose que le commencement d’une différenciation nouvelle. D’ailleurs, ces différences fonctionnelles sont rendues matériellement sensibles par les différences morphologiques qu’elles ont déterminées. Non seulement la taille, le poids, les formes générales sont très dissemblables chez l’homme et chez la femme, mais le Dr Lebon a démontré, nous l’avons vu, qu’avec le progrès de la civilisation le cerveau des deux sexes se différencie de plus en plus. Suivant cet observateur, cet écart progressif serait dû à la fois au développement considérable des crânes masculins et à un stationnement ou même à une régression des crânes féminins. « Alors, dit-il, que la moyenne des crânes parisiens masculins les range parmi les plus gros crânes connus, la moyenne des crânes parisiens féminins les range parmi les plus petits crânes observés, bien au-dessous du crâne des Chinoises et à peine au-dessus du crâne des femmes de la Nouvelle-Calédonie[12]. »

Dans tous ces exemples, le plus remarquable effet de la division du travail n’est pas qu’elle augmente le rendement des fonctions divisées, mais qu’elle les rend solidaires. Son rôle dans tous ces cas n’est pas simplement d’embellir ou d’améliorer des sociétés existantes, mais de rendre possibles des sociétés qui sans elle n’existeraient pas. Faites régresser au delà d’un certain point la division du travail sexuel, et la société conjugale s’évanouit pour ne laisser subsister que des relations sexuelles éminemment éphémères ; si même les sexes ne s’étaient pas séparés du tout, toute une forme de la vie sociale ne serait pas née. Il est possible que l’utilité économique de la division du travail soit pour quelque chose dans ce résultat, mais, en tout cas, il dépasse infiniment la sphère des intérêts purement économiques ; car il consiste dans l’établissement d’un ordre social et moral sui generis. Des individus sont liés les uns aux autres qui sans cela seraient indépendants ; au lieu de se développer séparément, ils concertent leurs efforts ; ils sont solidaires et d’une solidarité qui n’agit pas seulement dans les courts instants où les services s’échangent, mais qui s’étend bien au delà. La solidarité conjugale, par exemple, telle qu’elle existe aujourd’hui chez les peuples les plus cultivés, ne fait-elle pas sentir son action à chaque moment et dans tous les détails de la vie ? D’autre part, ces sociétés que crée la division du travail ne peuvent manquer d’en porter la marque. Puisqu’elles ont cette origine spéciale, elles ne peuvent pas ressembler à celles que détermine l’attrait du semblable pour le semblable ; elles doivent être constituées d’une autre manière, reposer sur d’autres bases, faire appel à d’autres sentiments.

Si l’on a souvent fait consister dans le seul échange les relations sociales auxquelles donne naissance la division du travail, c’est pour avoir méconnu ce que l’échange implique et ce qui en résulte. Il suppose que deux êtres dépendent mutuellement l’un de l’autre parce qu’ils sont l’un et l’autre incomplets, et il ne fait que traduire au dehors cette mutuelle dépendance. Il n’est donc que l’expression superficielle d’un état interne et plus profond. Précisément parce que cet état est constant, il suscite tout un mécanisme d’images qui fonctionne avec une continuité que n’a pas l’échange. L’image de celui qui nous complète devient en nous-même inséparable de la nôtre, non seulement parce qu’elle y est fréquemment associée, mais surtout parce qu’elle en est le complément naturel : elle devient donc partie intégrante et permanente de notre conscience, à tel point que nous ne pouvons plus nous en passer et que nous recherchons tout ce qui en peut accroître l’énergie. C’est pourquoi nous aimons la société de celui qu’elle représente, parce que la présence de l’objet qu’elle exprime, en la faisant passer à l’état de perception actuelle, lui donne plus de relief. Au contraire, nous souffrons de toutes les circonstances qui, comme l’éloignement ou la mort, peuvent avoir pour effet d’en empêcher le retour ou d’en diminuer la vivacité.

Si courte que soit cette analyse, elle suffit à montrer que ce mécanisme n’est pas identique à celui qui sert de base aux sentiments de sympathie dont la ressemblance est la source. Sans doute il ne peut jamais y avoir de solidarité entre autrui et nous que si l’image d’autrui s’unit à la nôtre. Mais quand l’union résulte de la ressemblance des deux images, elle consiste dans une agglutination. Les deux représentations deviennent solidaires parce qu’étant indistinctes totalement ou en partie elles se confondent et n’en font plus qu’une, et elles ne sont solidaires que dans la mesure où elles se confondent. Au contraire, dans le cas de la division du travail, elles sont en dehors l’une de l’autre et elles ne sont liées que parce qu’elles sont distinctes. Les sentiments ne sauraient donc être les mêmes dans les deux cas ni les relations sociales qui en dérivent.

Nous sommes ainsi conduits à nous demander si la division du travail ne jouerait pas le même rôle dans des groupes plus étendus ; si, dans les sociétés contemporaines où elle a pris le développement que nous savons, elle n’aurait pas pour fonction d’intégrer le corps social, d’en assurer l’unité. Il est très légitime de supposer que les faits que nous venons d’observer se reproduisent ici, mais avec plus d’ampleur ; que ces grandes sociétés politiques ne peuvent, elles aussi, se maintenir en équilibre que grâce à la spécialisation des tâches ; que la division du travail y est la source, sinon unique, du moins principale de la solidarité sociale. C’est déjà à ce point de vue que s’était placé Comte. De tous les sociologues, à notre connaissance, il est le premier qui ait signalé dans la division du travail autre chose qu’un phénomène purement économique. Il y a vu « la condition la plus essentielle de la vie sociale » pourvu qu’on la conçoive « dans toute son étendue rationnelle, c’est-à-dire qu’on l’applique à l’ensemble de toutes nos diverses opérations quelconques au lieu de la borner, comme il est trop ordinaire, à de simples usages matériels ». Considérée sous cet aspect, dit-il, « elle conduit immédiatement à regarder non seulement les individus et les classes, mais aussi, à beaucoup d’égards, les différents peuples comme participant à la fois, suivant un mode propre et un degré spécial, exactement déterminé, à une œuvre immense et commune dont l’inévitable développement graduel lie d’ailleurs aussi les coopérateurs actuels à la série de leurs prédécesseurs quelconques et même à la série de leurs divers successeurs. C’est donc la répartition continue des différents travaux humains qui constitue principalement la solidarité sociale et qui devient la cause élémentaire de l’étendue et de la complication croissante de l’organisme social[13]. »

Si cette hypothèse était démontrée, la division du travail jouerait un rôle beaucoup plus important que celui qu’on lui attribue d’ordinaire. Elle ne servirait pas seulement à doter nos sociétés d’un luxe, enviable peut-être, mais superflu ; elle serait une condition de leur existence. C’est par elle, ou du moins c’est surtout par elle, que serait assurée leur cohésion ; c’est elle qui déterminerait les traits essentiels de leur constitution. Par cela même, et quoique nous ne soyons pas encore en état de résoudre la question avec rigueur, on peut cependant entrevoir dès maintenant que, si telle est réellement la fonction de la division du travail, elle doit avoir un caractère moral, car les besoins d’ordre, d’harmonie, de solidarité sociale passent généralement pour être moraux.

  1. Éthique à Nic., VIII, I, 1155.a.32.
  2. Émotions et volonté, tr. fr., p. 135.
  3. Topinard, Anthropologie, p. 149.
  4. V. Spencer, Essais scientifiques, tr. fr., p. 300. — Waitz, dans son Anthropologie der Naturvœlker, I, 76, rapporte beaucoup de faits du même genre.
  5. L’homme et les sociétés, II, 154.
  6. Das Gehirngewicht des Menschen. Eine Studie. Bonn, 1880.
  7. Waitz, Anthropologie, III, 101-102.
  8. Waitz, op. cit., VI, 121.
  9. Spencer, Sociologie, tr. fr., III, 391.
  10. La famille maternelle a certainement existé chez les Germains. — V. Dargun, Mutterecht und Raubehe im Germanischen Rechte. Breslau, 1883.
  11. V. notamment Smith, Mariage and Kinship in Early Arabia. Cambridge, 1886, p. 67.
  12. Op. cit., 154.
  13. Cours de philosophie positive, IV, 425. — On trouve des idées analogues dans Schaeffle, Bau und Leben des socialen Kœrpers, II, passim, et Clément, Science sociale, I, 235 et suiv.