De la baguette divinatoire/Première partie/Chapitre 2

CHAPITRE II.

DE LA BAGUETTE OU DU BÂTON DANS L’ANTIQUITÉ PROFANE ET LE MOYEN ÂGE JUSQU’À LA FIN DU XVIe SIÈCLE.

47.Les magiciens égyptiens du temps de Moïse se servaient de la baguette, comme le montre une des citations précédentes. D’après cela, et s’il est vrai, comme l’avance Hérodote, que l’Égyptien Bélus conduisit sur les bords de l’Euphrate une colonie égyptienne et qu’il y institua les prêtres que les Babyloniens appelèrent Chaldéens[1], il n’est point étonnant que ceux-ci aient pratiqué la rabdomancie ou l'art de deviner avec la baguette, comme plusieurs auteurs le prétendent, et particulièrement le père Pierre Lebrun[2].

Saint Jérôme et saint Cyrille pensent que les Juifs, après la prise de Jérusalem par Nabuchodonosor II, et pendant leur captivité à Babylone, se familiarisèrent avec l’usage de la baguette, et c’est le reproche que le prophète Osée leur adresse dans la huitième citation du chapitre précédent. Maimonides, rabbin qui vivait au XIIIe siècle, et qui écrivit un Traité de l’idolatrie, professe la même opinion.

Il est probable que les Chaldéens répandirent l’usage de la baguette chez beaucoup de peuples asiatiques, et particulièrement chez les Arabes, leurs voisins.

48.Hérodote dit que les Scythes pratiquent la rabdomancie[3] ; les brahmanes de Perse, suivant Strabon, les brahmanes de l’Inde, suivant Philostrate, les peuples de Méthelin la pratiquaient aussi.

49.Dans la mythologie grecque, Minerve, Mercure, etc., produisent les effets les plus merveilleux au moyen de la baguette.

C’est en touchant Ulysse de sa baguette, que Minerve lui donne l’aspect de la jeunesse ou celui d’un vieillard couvert de haillons[4].

Mercure tient la baguette lorsqu’il envoie les âmes aux enfers ou qu’il les en retire[5], lorsqu’il déchaîne les vents et les tempêtes. Pour plusieurs auteurs, son caducée n’est que la baguette dont il se servait comme nécromancien pour évoquer les âmes des morts.

Janus, divinité présidant aux chemins publics, est représenté, ainsi que la Providence, avec une baguette à la main[6].

La baguette entre les mains de Circé et de Médée, qui ne sont que de simples magiciennes, produit pareillement des effets merveilleux.

Circé, touchant de sa baguette les vingt-deux compagnons d’Ulysse, les change en porcs[7]. Elle change Picus en pic-vert de la même manière[8].

Médée, magicienne, est aussi représentée avec une baguette à la main.

50.L’art divinatoire était en grande estime chez les Romains, ainsi que le montrent l’institution des augures et le livre de Divinatione de Cicéron. Les augures se servaient du lituus, bâton augural, baguette recourbée, dont parlent Tite-Live, Aulu-Gelle, Macrobe et Plutarque.

Romulus était renommé par sa science augurale.

Nous savons par Tacite que les Germains comme les Romains en faisaient un grand cas. « Les anciens Germains, dit ce grand historien[9], croient aux auspices et à la divination plus que nation au monde. Pour la divination, leur méthode est simple. Ils coupent en plusieurs morceaux une baguette d’arbre fruitier, et après les avoir distingués par différentes marques, ils les jettent au hasard et pêle-mêle sur une étoffe blanche… Et le prêtre prend trois fois chaque morceau, et selon les marques qui se présentent, il donne l’explication. »

51.Les Alains faisaient usage d’une baguette divinatoire d’osier, suivant Ammien Marcellin[10].

Les Frisons et plusieurs peuples asiatiques, tels que les Chinois, les Hindous et les Turcs, s'en servaient également à une époque reculée ; ceux-ci faisaient usage de flèches à l’instar des anciens Babyloniens.

Il serait difficile de dire d’une manière précise toutes les circonstances dans lesquelles on employait la baguette dans l’antiquité et le moyen âge jusqu’à la fin du XIVe siècle. Cependant il est probable qu’elle ne servait qu’à reconnaître des choses du monde moral.

Par exemple, Hérodote dit que les Scythes l’employaient à reconnaître les parjures. Les Frisons s’en servaient pour découvrir les homicides.

52.Il est pareillement difficile de dire à quelle époque on l’employa, en Allemagne, à guérir les plaies et à remettre les membres rompus ou cassés[11] ; à quelle époque elle le fut au mont Sinai pour guérir les animaux de l’enflure[12].

53.Mais la baguette fut-elle employée dans l’antiquité pour découvrir les eaux souterraines et les métaux ? Cela est fort peu probable, car on ne cite, en faveur de cette opinion, que deux passages : l’un de Ctésias, et l’autre de Cicéron, qui sont loin de le signifier explicitement.

Ctésias parle d’une baguette du bois parebus, qui attirait l’or, l’argent, les autres métaux, les pierres et plusieurs autres choses[13].

Si nous pouvions, dit Cicéron, nous procurer, par la baguette qu’on appelle divine, tout ce qui convient à la nourriture et au vêtement[14].

Varron ne parle point de l’usage de la baguette pour découvrir les eaux souterraines et les métaux.

D’un autre côté, Vitruve, en indiquant les moyens de découvrir les sources, ne fait pas la moindre mention de la baguette. Pline n’en dit pas un mot dans le XXXe livre de son Histoire naturelle, où il parle de la magie et de ses diverses espèces (1 à 8). Au livre XXXIe (de 26 à 27), il expose, d’après Vitruve, les moyens de reconnaître les eaux souterraines sans qu’il soit question de la baguette. Enfin, même silence au livre XXXIIIe, lorsqu’il traite de la recherche des

métaux. S’est-il tu, parce que la baguette n’était pas employée à ce genre de recherche, ou bien parce qu’il a jugé une explication superflue, après l’opinion qu’il a professée plusieurs fois de la vanité de la magie ? C’est ce que je ne discuterai pas.

Columelle et Palladius ne disent rien de la baguette.

Cassiodore, au VIe siècle, insiste sur l’utilité des chercheurs d’eau, sans faire mention de la baguette dont ils se seraient servis[15].

Enfin, je citerai un livre fort rare, imprimé en 1569, qui ne parle pas de la baguette. Il est intitulé : L’art et science de trouver les eaux et fontaines cachées soubs terre autrement que par les moyens vulgaires des agriculteurs et architectes, par Jacques Besson, Dauphinois, mathématicien. Orléans, 1569.

54.Quoi qu’il en soit, les citations précédentes montrent comment la pensée, non d’un individu, mais des peuples, a été conduite à lier l’idée d’un bâton, d’une verge, d’une baguette à des idées mystérieuses en général, et particulièrement à celles de découvrir des choses qu’on veut connaître et de pénétrer dans l’avenir même. C’est de là qu’est sortie la branche de l’art divinatoire appelée rabdomancie, divination par verge ou petits bâtons[16]. Si toutes les citations précédentes ne s’appliquent pas également bien au sujet, il ne serait pas juste de m’en faire le reproche, parce que la plupart ne sont point de mon fait ; elles appartiennent à des écrivains qui ont cru à leur correspondance avec le sujet que je traite. Or, cette correspondance étant elle-même un fait incontestable, quelle qu’en soit la justesse réelle, je la mentionne à l’appui de mes idées, après avoir vérifié l’exactitude des citations aux sources originales.

55.En définitive, depuis l’antiquité la plus reculée jusqu’au XVe siècle, il semble que l’usage de la baguette ait été exclusivement borné à l’art divinatoire, aux opérations magiques, à la nécromancie, parce qu’en effet on ne trouve aucun écrit qui autorise clairement et positivement à penser que, dans ce laps de temps, la baguette ait servi à découvrir les métaux et les sources ; cependant, si on admet qu’il a existé un alchimiste du nom de Basile Valentin, auquel on doit des écrits qu’il aurait composés au commencement du XVe siècle, quoique la publication par la voie de l’imprimerie n’en remonte qu’au commencement du xviie siècle, il devient certain que la baguette servait déjà à découvrir les métaux dans le xive siècle, comme je le ferai remarquer dans le chapitre suivant.


  1. Journal des Savants ; novembre 1852, page 715.
  2. Histoire critique des pratiques superstitieuses, pages 86 et 87. Rouen et Paris, 1702.
  3. Journal des Savants ; novembre 1852 , page 717.
  4. Odyssée, chants XIII et XVI. — Dictionnaire de la Fable, de Chompré ; édition de Millin ; tome II, page 972.
  5. Odyssée, chants XIII et XVI. — Dictionnaire de la Fable, de Chompré ; édition de Millin ; tome II, page 972.
  6. Dictionnaire de la Fable, tome II, pages 519 et 851.
  7. Dictionnaire de la Fable, tome I, page 271.
  8. Métamorphoses d’Ovide, livre XIV. — Énéide, livre VII. — Dictionnaire de la Fable, tome I, page 271.
  9. Tacite, traduction de Dureau de Lamalle ; édition de 1790 ; tome III , pages 330 et 331.
  10. Livre XXXI.
  11. Borellus.
  12. Journal des Voyages de M. de Monconys ; 1665 ; Ire partie, page 240. Voici le passage : « … Des bâtons de coudrier, qu’on dit estre du mesme bois, que Moyse mit dans les eaux pour les adoucir, et avoir à présent cette propriété, que si l’on fait boire de l’eau où il y en aura trempé, à une femme qui soit en travail d’enfant, et qu’elle ait difficulté, elle est incontinent deslivrée ; et si quelque animal est enflé, en luy fesant dessus le signe de la croix et lui en donnant un petit coup sur le ventre, il guérit par évacuation d’urine. »
  13. Apud, phot. bibl. cod. 72.
  14. Si nobis omnia quæ ad victum cultumque pertinent virgulâ ut aiunt divinâ, suppeditarentur (Cicero, de Officiis lib. I).
  15. Theodoric. epist. LIII (Cassiod. Variar., lib. III, p. 58).
  16. Des controverses et recherches magiques de Martin Delrio, Traduction française de Duchesne ; 1611 ; livre IV, page 591.