De la Restauration et ses historiens/01
ET
DE SES HISTORIENS.
II. — Histoire des deux Restaurations, M. par Achille de Vaulabelle.
Les grandes époques politiques ne veulent être jugées ni de trop près ni de trop loin. Entrevues à distance, leur physionomie s’altère, et le secret de leur vie vous échappe ; étudiées de trop près, elles demeurent enveloppées de la poussière soulevée par les passions, et la limpidité du regard en est obscurcie. Dans notre siècle, où les révolutions se succèdent avec une sorte de régularité chronique, il est difficile d’apprécier avec quelque justice un gouvernement déchu au lendemain de sa chute, car on participe en quelque degré, ou à l’irritation des vaincus, ou aux illusions des vainqueurs. Un assez long intervalle sépare d’ailleurs l’instant où une idée s’élève à l’horizon du monde politique de celui où cette idée se déploie sous son jour véritable, avec son caractère définitif, et les partis n’acquièrent l’entière conscience d’eux-mêmes qu’après avoir traversé l’une et l’autre fortune. Ajoutons que l’hypocrisie tient une plus large place dans la vie publique que dans la vie privée, et que les mots ne se dépouillent que lentement de l’écorce artificielle dont les revêtent des passions qui n’osent ou ne peuvent s’avouer. Que valent aujourd’hui certaines formules solennellement consacrées durant tant d’années ? Sous quel aspect se présentent en ce moment pour nous les théories constitutionnelles au nom desquelles de si rudes assauts furent livrés durant quinze ans à la maison de Bourbon ? Pour juger en parfaite connaissance de cause la monarchie représentative, peut-être fallait-il que ce régime eût disparu, déserté par un si grand nombre des hommes qui s’étaient, pour le défendre, engagés dans les voies d’une opposition implacable. J’aborde donc l’étude de la restauration sous le coup d’événemens dont l’effet sera d’éclairer cette ère politique d’une lumière triste, mais nouvelle ; je me propose surtout d’observer, durant cette première période de notre vie constitutionnelle, le rôle de ces classes industrielles et lettrées dont j’ai signalé l’action et les instincts dans une série de travaux auxquels j’ose renvoyer les lecteurs de cette Revue qui n’en auraient pas perdu le souvenir[1].
Au moment où l’empire succombait sous le contre-coup de ses violences, et lorsque la guerre, portée dans toutes les capitales de l’Europe, se terminait aux buttes Montmartre, il ne régnait en France qu’un seul sentiment, celui de la lassitude, ci le pays n’entretenait qu’une seule pensée, celle d’une pacification prompte et générale. De croyances politiques, la nation n’en avait plus : celles-ci s’étaient abîmées dans la sanglante loterie dont les dépouilles du monde avaient si long-temps fourni les lots. Les garanties stipulées en 1802 et rappelées en 1804 avaient disparu sans laisser ni regrets ni souvenirs au sein des masses enivrées de bruit et de gloire. Une formidable machine de guerre s’était élevée au lieu et place de cette monarchie radieuse, mais pacifique et pondérée, que la France avait saluée douze années auparavant de ses acclamations et de ses espérances.
Le rêve politique de 1789, repris de 1795 à 1802, ne touchait plus que les hommes personnellement engagés dans les événemens de la révolution. En 1814, les constitutionnels formaient moins un parti qu’une école, et celle-ci aurait facilement tenu dans l’enceinte d’un salon. Mais, si la France avait cessé de s’inquiéter de la liberté, elle avait conservé, jusque dans l’affaiblissement où la jetait l’épuisement de son sang généreux, le sentiment très vif de l’égalité conquise, et si les théories constitutionnelles étaient mises en oubli par la génération élevée dans les lycées et dans les camps, le souvenir des premiers triomphes remportés par la démocratie sur l’ordre social antérieur à 1789 était aussi vif qu’aux jours de la Bastille. Les merveilleuses fortunes créées par l’épée, loin d’étancher cette soif d’égalité, n’avaient servi qu’à la rendre plus ardente, car ces glorieux soldats, admis à l’honneur de royales alliances, recevaient moins de force du principe aristocratique qu’ils ne lui inculquaient de faiblesse. Universel oubli des doctrines et des garanties constitutionnelles, antipathie non moins universelle contre les temps antérieurs à l’ère révolutionnaire dont les crimes s’étaient perdus dans les splendeurs de l’époque impériale, telle était la double disposition de l’esprit public lorsque l’empire disparut dans la tempête qu’il avait suscitée. La France éprouvait des répulsions instinctives, mais n’avait aucune croyance politique, quand les rois de l’Europe, au lendemain de leur entrée dans Paris, s’élevant à la hauteur de la mission que leur donnait la Providence, l’interrogèrent loyalement sur la nature du gouvernement qu’il lui convenait d’adopter.
Les étrangers ne songeaient point aux Bourbons, et si l’action des souverains alliés s’exerça dans les premiers jours d’avril 1814, ce fut moins pour susciter cette royale candidature que pour élever contre elle des objections sérieuses. Les cabinets, et particulièrement l’empereur Alexandre, leur inspirateur suprême, déniaient aux princes de la maison de Bourbon les qualités requises pour gouverner un pays où ils les croyaient oubliés. Tout le monde sait que cette solution, la plus inattendue entre toutes, fut suggérée par un salon où des constituans et des conventionnels coudoyaient d’anciens ecclésiastiques depuis long-temps étrangers aux devoirs de leur état. Personne n’ignore que les amis de M. de Talleyrand, loin d’être entraînés par l’enthousiasme, organisèrent les premiers la manifestation royaliste avec tout le sang-froid de joueurs égoïstes ; mais l’histoire attestera que, si inattendue qu’elle fût la veille pour le pays, cette solution devint le lendemain la pensée de tout le monde. Aucune combinaison ne répondait en effet aussi complètement à l’impérieux besoin qui dominait les ames en cet instant suprême. Le gouvernement d’un prince de la maison impériale ou la régence du roi de Rome n’auraient été considérés par la France et par l’Europe que comme une halte dans le système belliqueux de l’empire, et c’était avec ce système lui-même que la nation, lasse de la guerre et humiliée de sa défaite, cherchait alors à rompre par un acte éclatant. Un retour à la vieille monarchie était assurément le gage le plus formel qu’elle pût donner au monde de ses volontés pacifiques ; l’instinct public le devina, et, sous cette seule impression, il accepta la restauration sans en discuter d’abord ni le titre ni les conséquences. En 1814, la France était affamée de paix, comme nous l’avons vue depuis affamée d’ordre. Dans de tels momens, l’on sait qu’elle va droit devant elle, et que, pour se satisfaire, elle ne marchande aucune condition.
Aux premiers jours, tout le monde acclama donc les Bourbons, qui semblaient plus en mesure que personne de rassurer la coalition et de garantir la France contre les conséquences de sa défaite, et l’on accueillit cette solution par esprit d’égoïsme et point du tout par sentiment de fidélité. Plus de conscription, plus de droits réunis ! s’écriait le comte d’Artois en passant la frontière, mot imprudent peut-être, mais qui assurait au prince un accueil chaleureux au sein de populations qui ne savaient rien ni de sa famille ni de lui-même. Ce programme était, en avril 1814, l’expression du vœu populaire jusque dans ces campagnes de l’est qui, dominées par de vieilles appréhensions plus vives que de récentes souffrances, devaient, une année plus tard, porter sur leurs bras, de Grenoble à Paris, le guerrier redevenu pour elles le vivant symbole de la révolution et de la nationalité française. Quand la fille de Louis XVI était accueillie avec enthousiasme à Bordeaux, la part des intérêts froissés était plus grande dans cette manifestation que celle des opinions politiques, et la ville du 12 mars, ruinée par la chute du commerce maritime et colonial, faisait aux promesses de la restauration l’accueil qu’elle réservait trente ans plus tard aux doctrines du libre-échange. Le conseil municipal de Paris, qui, devançant les résolutions du sénat, affichait, le 2 avril, sur l’initiative hardie de M. Bellart, une proclamation dans laquelle il indiquait comme vœu national le rétablissement de l’ancienne monarchie, cédait à la pression d’intérêts financiers et commerciaux beaucoup plus qu’aux souvenirs d’un passé disparu de la mémoire de la génération contemporaine.
Si la restauration fut pour M. de Talleyrand une intrigue, pour le sénat une spéculation, elle fut donc pour la bourgeoisie un calcul, et pour les masses une halte bénie dans la voie sanglante où elles avaient épuisé leurs forces ; nais, tandis que le rétablissement de la maison de Bourbon se présentait aux yeux de la plus grande partie de la nation sous cet aspect tout positif, cet événement revêtait un caractère très différent pour les fidèles serviteurs dont les cheveux avaient blanchi au service et dans l’attente de la royauté exilée. C’était l’accomplissement de leurs longues croyances soudainement réalisées, la sanction imprimée par le ciel aux espérances de toute leur vie, la captivité de Babylone miraculeusement terminée. La restauration des Bourbons devenait à leurs yeux la condamnation implicite des actes consommés depuis vingt-cinq ans ; c’était un arrêt porté par le ciel même contre les hommes qui avaient ou servi ou défendu la révolution dans toutes ses phases et sous toutes ses formes, depuis la terreur jusqu’à la gloire.
De là deux écoles en même temps que deux partis, deux manières d’envisager le rétablissement de la royauté, d’entendre son droit, d’expliquer son origine et de comprendre ses devoirs envers la France et envers elle-même. Pour les uns, Louis XVIII était appelé au trône comme frère du dernier roi des Français, et son autorité ne préexistait point à l’acte du sénat qui lui conférait la royauté sous l’expresse condition de jurer les institutions dont cet acte déterminait les bases, institutions qui devaient être d’ailleurs formellement soumises à la sanction de la nation ; pour les autres, le sénat et la France elle-même ne pouvaient que reconnaître un droit antérieur qu’aucune puissance humaine n’avait créé, et qu’on ne constituait pas en lui rendant hommage plus qu’on ne l’infirmait en le niant. Louis XVIII était roi dans l’exil aussi bien qu’aux Tuileries, et l’empire avait passé avec ses victoires, comme la république avec ses bourreaux, sans retrancher un seul jour de ce règne, déjà vieux de dix-neuf années. Son titre inamissible n’avait besoin ni d’être reconnu ni d’être sanctionné, car il résultait de l’acte suprême par lequel le Dieu de Tolbiac et de Bouvines avait constitué la nationalité française ; la royauté capétienne était la base de cette constitution séculaire, et la nation était aussi inséparable de son roi que nous le sommes du principe qui constitue notre vie et notre identité personnelle.
Si cette doctrine n’était pas comprise à Paris, si elle y était à peine soupçonnée, elle régnait sans contestation à Hartwell. Les nobles compagnons qui n’avaient pas déserté la royauté, lorsqu’elle était abandonnée de l’Europe, ne pouvaient renier la foi de toute leur vie au moment où la Providence semblait lui apporter une si foudroyante confirmation, et le prince qui, depuis la mort du jeune orphelin du Temple, se tenait pour investi de la royauté, devait répugner singulièrement à accepter un acte qui, en lui rouvrant les portes de la France, le contraignait de renoncer au principe de perpétuité dont il était demeuré dans toutes les fortunes le représentant opiniâtrement convaincu. Bel esprit égoïste et un peu sceptique, Louis XVIII n’avait ni le cœur ni les passions de l’homme de parti ; il avait gardé de sa jeunesse des habitudes frondeuses et des goûts de popularité parfois satisfaits aux dépens de ses plus dévoués serviteurs. Sa lutte constante contre un frère autour duquel s’était groupée dans tous les temps la portion la plus ardente de l’opinion royaliste avait fait de l’ancien comte de Provence le point d’appui naturel des hommes de transaction, et ce prince avait pris les allures et presque le caractère d’un roi constitutionnel sans en avoir toutes les croyances politiques. Son défaut de confiance dans le personnel de l’ancien régime n’avait aucunement altéré la foi royaliste qu’avaient imprimée dans son ame son sang, son éducation et une longue suite d’épreuves. Il croyait en son droit aussi fermement que Louis XIV, et tout enclin qu’il fût, comme d’autres rois de sa race, à employer les hommes nouveaux de préférence aux grands seigneurs et à faire prévaloir la politique de conciliation sur la politique de parti, il n’admettait ni le doute ni la controverse sur l’origine et sur l’étendue de sa puissance souveraine.
La manière nette et précise dont la déclaration du sénat réservait le droit supérieur de la nation contrariait donc sensiblement Louis XVIII ; mais il avait l’instinct trop droit pour le laisser paraître alors qu’il ne pouvait encore disposer d’aucune force qui lui fût propre. Ce prince n’était en effet rappelé ni par les efforts ni même par l’initiative de son propre parti ; les manifestations moins sérieuses que bruyantes de celui-ci n’avaient été d’aucun poids dans la balance des événemens, et la maison de Bourbon avait, en 1814, cette heureuse fortune, de devoir plus à ses anciens adversaires qu’à ses amis éprouvés. Si cette situation, qui dispensait la royauté de toute reconnaissance envers les siens, contrariait les alentours du prince, elle allait fort bien à son caractère et à la nature de son esprit. Louis XVIII était très propre à appliquer ce système de transactions perpétuelles entre les principes et les personnes qui était la condition vitale de son gouvernement, et auquel il fut généralement fidèle jusqu’au 20 mars, malgré quelques fautes singulièrement exagérées par les injustices de l’opinion. Le roi tourna toutes les difficultés qu’il ne pouvait aborder de front. Le projet de constitution voté par le sénat le 6 avril, accepté par le comte d’Artois comme condition de l’exercice de la lieutenance-générale, ne fut pas repoussé par lui, quelque résolu qu’il fût à ne pas laisser périmer son droit d’initiative : profitant avec habileté des imperfections de cet acte, reconnues par ses auteurs eux-mêmes, il prit l’engagement de préparer sur les mêmes bases un travail conçu dans le même esprit, et la déclaration de Saint-Ouen s’efforça de concilier, par une grande souplesse de rédaction, les doctrines qui partageaient la nation depuis soixante ans. Cette déclaration combinait en effet les maximes du vieux droit historique avec tous les principes et toutes les garanties de 1789. Enfin la commission, tirée du corps législatif et du sénat, à laquelle le roi confia la rédaction du pacte fondamental, offrit par ses membres d’abord, et bientôt après par son œuvre, les gages les plus complets aux intérêts et aux hommes issus de la révolution. Celle-ci n’était point amnistiée, mais consacrée, et la royauté légitime sanctionnait le droit de la France nouvelle en même temps qu’elle maintenait le sien.
La maison de Bourbon commit sans doute une irréparable faute en ne saisissant pas, aux premiers mois de 1814, l’admirable occasion que lui envoyait la fortune de réclamer pour son œuvre législative la sanction nationale, qui aurait impliqué le renouvellement solennel du contrat passé entre nos pères et les siens. Cette sanction pouvait seule renouer la chaîne des temps si complètement rompue : elle ne lui aurait pas manqué sous le coup de la paix et dans l’entraînement des premières espérances plus qu’elle n’a manqué à aucun des pouvoirs qui l’ont réclamée pour la consécration d’un fait accompli. La restauration, survenant tout à coup au milieu de la France de l’empire, était, quoi qu’elle en pût penser, une révolution à laquelle manquait un titre ; prétendre s’imposer en vertu d’un contrat immémorial inconnu ou contesté, c’était s’exposer à rester sans racines, sous prétexte de ne pas les laisser découvrir. Mais Louis XVIII répugnait invinciblement à une concession qui lui semblait impliquer la répudiation du droit de ses pères ; les repoussemens de sa famille étaient plus énergiques encore, et le roi n’avait pas atteint Paris, que tout ce qui survivait de talons rouges et de présidens à mortier assourdissait ses oreilles des us et coutumes de la France monarchique et du jargon des lits de justice. En ceci comme en tout, la mission de Louis XVIII n’était pas de briser les obstacles, mais de les tourner, et son devoir lui commandait la prudence plus que l’héroïsme. Aussi, en s’engageant à mettre la charte octroyée par lui sous les yeux des mandataires de la nation réunis en corps législatif, échappa-t-il par une équivoque à l’obligation qu’on entendait lui imposer. Contraint de se faire accepter de ses sujets nouveaux comme de ses vieux serviteurs, le roi-législateur devait parler deux langues et professer un double symbole. Le préambule de la charte rapproché de son texte donne la mesure de cette situation difficile. Aux yeux de la noblesse émigrée, le préambule fit supporter la charte ; aux yeux de la bourgeoisie, les dispositions libérales de la constitution firent passer le préambule.
Le droit publie consacré par la charte de 1814 était, dans chacune de ses dispositions, empreint du caractère de cette politique hybride imposée au législateur par des circonstances plus fortes que les volontés humaines. Ici, le principe de l’exercice collectif de la puissance législative par les deux chambres et par le roi était reconnu dans toutes ses conséquences ; là, un pouvoir mystérieux se glissait timidement à la queue de l’art. 14, sous une rédaction ambiguë. L’art. 5 posait le principe de la liberté des cultes, et prescrivait à l’état de les protéger également, tandis que l’article 6 attribuait à la religion catholique le titre de religion de l’état avec une sorte de prééminence dont les conséquences pratiques étaient à peu près insaisissables. La rédaction presque contradictoire de ces dispositions attestait que le législateur avait à ménager deux convictions opposées, celle qui ne permettait point à la monarchie de saint Louis de paraître indifférente entre l’erreur et la vérité, et celle qui voyait dans la liberté de conscience la première conquête de la révolution et la plus impérieuse nécessité d’une société sans croyances communes. Par une application de la même politique, la charte proclamait la restauration de la noblesse conséquence obligée de la restauration monarchique, mais elle se hâtait de déclarer que le roi ne pourrait accorder aux nobles que des titres et des honneurs, sans aucun droit politique ; ce qui enlevait à l’institution nobiliaire tout caractère sérieux, et la réduisait à un impôt payé par la vanité au profit de la caisse du sceau.
L’antagonisme avec lequel le roi était contraint de transiger dans toutes les questions de principes s’imposait à lui d’une manière plus rigoureuse encore dans toutes les questions de personnes. Lorsque, par son ordonnance du 30 mai 1814, il composait la chambre des pairs, il dut ouvrir tour à tour l’almanach de Versailles et l’almanach de l’empire pour y appeler, en nombre parfaitement égal, des sénateurs et des généraux d’une part, des ducs et pairs et des gentilshommes émigrés de l’autre. Les mêmes difficultés commandaient les mêmes ménagemens jusque dans la composition de la maison royale et l’organisation du service personnel de la royauté. Louis XVIII appelait au commandement de ses gardes deux maréchaux de l’empire en même temps que deux compagnons d’exil ; et s’il distribua aux fidèles combattans de la Vendée l’étoile de la Légion-d’Honneur avec une prodigalité calomniée par l’esprit de parti, les pages du Moniteur attestent qu’il ne se montra pas moins prodigue de l’image de son aïeul saint Louis en faveur des glorieux débris de nos grandes armées.
Ainsi s’élevait cette constitution, humble fille des circonstances, bien moins sur des doctrines propres à elle-même que sur le dualisme de principes irréconciliables et sur l’opposition plus implacable encore des intérêts et des vanités. La charte de 1814 aspirait moins à dominer la société qu’à la réfléchir : elle chercha moins à vaincre la révolution qu’à réconcilier celle-ci avec l’antique royauté par un système d’habiles tempéramens. Ni les temps, ni les mœurs, ni les hommes ne comportaient autre chose, et Louis XVIII aurait uni l’intelligence de Machiavel à l’énergie de Richelieu, que l’obligé de M. de Talleyrand et de l’empereur Alexandre, placé entre l’émigration et l’empire, entre le sénat et les alliés, n’avait pas à entreprendre une autre tâche et à poursuivre une autre gloire.
Tous les partis s’étaient accordés jusqu’à ce jour pour payer cet hommage au prince bien inspiré qui, entre deux révolutions également fatales à sa race, avait su conquérir et garder à Saint-Denis une tombe près de ses pères ; mais le respect qui protégea long-temps cette royale mémoire n’arrête plus certains écrivains, qui, ne se contentant pas de poursuivre la monarchie parlementaire après sa chute, l’attaquent encore à son berceau, imputant au mode de gouvernement organisé par la charte de 1814 toutes nos agitations, toutes nos angoisses, et jusqu’aux extrémités où nous ont conduits des périls plus humilians encore qu’ils ne sont redoutables pour une société civilisée. Au dire de ces publicistes, en organisant chez nous le gouvernement représentatif, et, pour parler leur langue, en habillant la France à l’anglaise, Louis XVIII l’aurait enveloppée de la tunique de Déjanire. Pour dégager la mémoire de l’auteur de la charte des reproches posthumes qui succèdent aux éloges dont on enivra sa vie, peut-être suffirait-il de constater que l’établissement du système représentatif fut la condition formelle du rappel des Bourbons, et d’apprendre à ceux qui l’ignorent que, si Louis XVIII n’avait pas pris un engagement précis sur ce point, il n’aurait pas été moins repoussé des murs de Paris par les cabinets alliés que par le sénat, le corps municipal et toutes les autorités constituées.
En raisonnant même dans l’hypothèse la plus contraire aux faits et en attribuant au roi Louis XVIII une plénitude de puissance qu’il était si loin de posséder, quel usage différent voudrait-on qu’il en eût fait ? Fallait-il prendre la France à la veille de 89, lui rendre ses notables, ses intendans, ses fermiers-généraux et ses offices de magistrature achetés à deniers comptans ? Singulier don de joyeux avènement pour la maison de Bourbon que de substituer le chaos où s’abîmait la France sous les ministères de MM. de Brienne et de Calonne à l’admirable système administratif et financier institué, par la constituante et développé par l’empire, et d’exhumer des études de procureurs le droit coutumier de nos trente-trois provinces pour remplacer le code civil ! Qu’était-ce que cette constitution historique dont on lui impute à crime de n’avoir pas rassemblé les débris à la manière de Cuvier restaurant un mastodonte à l’aide de quelques fragmens arrachés au flanc des montagnes ? Si l’on en excepte la loi de l’hérédité, qu’y avait-il de commun, au point de vue de l’organisation sociale, entre la monarchie féodale au XIIe siècle, la monarchie des états au XVe et la monarchie des parlemens au XVIIe ? Attendait-on de Louis XVIII que de sa pleine autorité il rayât de l’histoire tout le cycle révolutionnaire qui s’ouvre au lendemain de la séance du 23 juin par le serment du jeu de paume ? Mais se figure-t-on bien ce prince sans puissance et sans armée, rappelé par les grands corps de l’état sous des conditions déterminées, et qui commence par chasser ces corps et par convoquer des états-généraux afin de jeter avec eux la base d’une constitution ? L’idée des états-généraux implique celle de trois ordres, comme l’idée du triangle celle de trois côtés. La France de la révolution et de l’empire aurait donc vu s’élever tout à coup, au milieu de la stupéfaction publique, trois ordres distincts délibérant séparément sur le texte des cahiers des bailliages ! Dans ce pays, ivre d’égalité, où tant de glorieux paysans tenaient encore à la main les armes sous lesquelles s’était si long-temps courbé le monde, on aurait accepté comme une concession de la noblesse au tiers-état le droit de servir en commun la patrie ! De tels rêves ne comportent pas même une discussion. Que veut-on dire lorsqu’on accuse Louis XVIII d’avoir désorganisé le pouvoir par l’introduction du principe parlementaire et sanctionné toutes les ruines faites par la révolution, au lieu de reconstituer la société ? Voudrait-on qu’il eût proclamé l’illégitimité des ventes des biens nationaux pour restaurer la morale, qu’il eût fait du clergé un ordre politique pour restaurer la religion, qu’il eût rétabli le droit d’aînesse pour restaurer la famille, et rendu à la noblesse le monopole des fonctions publiques pour restaurer la hiérarchie ? Le gouvernement royal, emporté en moins de dix mois par la bourrasque des cent jours sur le seul soupçon de rêver une très faible partie de ces choses, aurait-il donc été plus fort, s’il avait justifié d’avance toutes ces accusations et dépassé les plus calomnieuses prévisions de ses ennemis ? Lorsque MM. de Bonald et de Maistre combinaient à priori l’organisation des sociétés humaines sur un idéal religieux ou un type philosophique, et que M. de Montlosier écrasait la démocratie moderne sous ses souvenirs d’historien et ses mépris de gentilhomme, il y avait au fond de leurs plus inapplicables théories quelque chose de fort et de sincère ; mais quand, trente ans après, des écrivains, qui ne peuvent arguer ni de leur persistance ni de leur naïveté, proclament des principes tout nouveaux pour eux et prétendent plier les faits aux plus mobiles caprices de leur fantaisie, on ne peut contempler de sang-froid, dans leur intolérance toujours furieuse, le paroxysme du pouvoir comme en Russie succédant tout à coup au paroxysme de la liberté comme en Belgique.
Louis XVIII n’était pas plus en mesure de continuer l’empire que de rétablir l’ancien régime. En 1814, l’empire n’était qu’un homme, et cet homme ne représentait plus que la guerre aux yeux de l’Europe. Le mécanisme constitutionnel de Sieyès, transformé par les sénatus-consultes organiques, n’avait reçu que de fort rares applications : dès son origine, la coalition européenne avait investi l’empire de la dictature presque aussi complètement que la convention, et la constitution de l’an VIII avait eu la destinée de celle de 1793. Il ne restait debout à la chute de Napoléon qu’un sénat affaibli par ses longues complaisances et qu’une armée mal disposée pour la royauté nouvelle, dont l’avènement semblait sanctionner sa défaite. Aucune des traditions des quinze dernières années ne pouvait être appliquée par le gouvernement royal, car le point de vue de l’opinion avait changé par une transformation qui, pour être soudaine, n’était pas moins profonde. Si, à la veille de la restauration, on ne songeait guère à la liberté politique, les classes moyennes tout entières y aspiraient instinctivement le lendemain pour résister aux prétentions qui leur semblaient le cortége obligé de la dynastie. C’est l’étrange destinée de la maison de Bourbon de rendre à son pays le goût de la liberté par les susceptibilités mêmes qu’elle excite, et d’amener les plus humbles natures à se redresser jusqu’à la faction. Le sens politique le plus vulgaire prescrivait à Louis XVIII de devancer le mouvement de l’opinion, en donnant spontanément à la France les garanties qu’elle ne pouvait manquer de réclamer bientôt. Imprimer l’impulsion pour ne la point subir, rallier sur un terrain neutre deux nations presque étrangères l’une à l’autre, tel était le double devoir auquel il satisfaisait en constituant la monarchie parlementaire. Il ouvrait ainsi devant la pensée publique de nouvelles et larges perspectives, et se défendait contre les glorieux souvenirs du régime précédent avec les seules armes dont il lui fût donné d’user. La promulgation de la charte semblait jeter un abîme entre l’empire et la restauration ; elle assurait à la royauté l’adhésion chaleureuse des hommes d’élite qui, durant le long cours de la révolution française, avaient obstinément poursuivi le succès de la même idée, groupe dédaigné et comme dissout aux jours de crise, mais auquel revient toujours la France lorsqu’elle a cessé ou d’être lasse ou d’avoir peur. Pour ce parti, dont M. de Lally-Tollendal marquait alors l’extrême droite, Mme de Staël et Benjamin Constant l’extrême gauche, la charte de 1814 était l’Ithaque politique à laquelle abordait enfin la France après vingt-cinq ans de tourmentes.
Mais une école s’est élevée sur les ruines du gouvernement parlementaire, qui, proclamant l’incompatibilité radicale de ce gouvernement avec le génie français, reproche amèrement au roi Louis XVIII d’avoir dévoyé sa patrie en y introduisant des institutions d’origine étrangère. Cette école prétend établir que toute participation active du pays à son propre gouvernement n’est pas moins contraire à ses traditions historiques qu’à ses dispositions naturelles, grosse découverte qui donne à nos annales une physionomie toute nouvelle ! Pour faire prévaloir la doctrine de l’initiative gouvernementale continue, il faut en effet biffer tout d’un trait et la monarchie des capitulaires, durant laquelle toute la race conquérante délibérait côte à côte avec son chef militaire dans les grands comices de la nation, et la monarchie des hauts barons, qui, de Hugues Capet à saint Louis, ne faisait du roi que le premier entre ses pairs. Il ne faut pas s’inquiéter davantage de cette monarchie des Valois qui vit les trois ordres, instrumens des grandes factions de cour, délibérer avec une violence qui rappelle nos plus mauvais jours ; il faut bien moins encore s’arrêter à cette monarchie de la ligue sous laquelle le pays, triomphant de la royauté, imposait au prince, qui pourtant s’appelait Henri IV, comme la condition obligée de son avènement au trône, le respect de sa foi populaire et la consécration du principe fondamental de la nationalité française. Ce passé-là doit être effacé de toutes les mémoires pour que la génération nouvelle demeure persuadée que la France n’a subsisté dans ses conditions normales qu’à partir du cardinal de Richelieu.
Prétendre que le peuple réputé l’initiateur de l’Europe doit demeurer dénué de toute initiative par rapport à lui-même, c’est là un paradoxe qui n’a pas même le mérite d’être spirituel. Si la nation la plus portée à poursuivre la réalisation immédiate de ses conceptions d’esprit était déclarée incapable d’intervenir activement dans le cours habituel et régulier de sa vie politique, ce serait la proclamer un instrument nécessaire et permanent de révolution, car la vapeur condensée n’a qu’une issue, l’explosion. Les conséquences morales du pouvoir absolu aux diverses périodes de notre histoire sont-elles, d’ailleurs, de nature à le faire envisager comme un instrument de conservation sociale ? Lorsque le pays était privé de tout droit d’intervention dans ses propres affaires, l’activité nationale n’exerçait-elle pas dans la sphère des croyances une action mille fois plus dissolvante que celle qu’elle a exercée depuis dans la sphère des intérêts ? Ne s’est-il pas fait et préparé plus de ruines sous le despotisme de Louis XV que sous le régime de la tribune ? Que l’on compare de sang-froid la propagande révolutionnaire du XIXe siècle jusque dans ses excès les plus hideux à la propagande philosophique du XVIIIe dans son hypocrisie régulière et bien ordonnée ; que l’on mette en regard les folies contre lesquelles l’intérêt et la crainte ont soulevé jusqu’aux plus lâches, et cette corruption de l’esprit qui atteignait la société jusque dans ses dernières fibres, parce qu’elle n’épouvantait personne, et qu’on dise si Voltaire à l’Académie n’a pas été un révolutionnaire plus dangereux que M. Louis Blanc au Luxembourg !
Il n’est donné à aucun pouvoir, sous quelque forme qu’il se présente, d’assurer à une société aussi profondément troublée que la nôtre des jours sans orages et un avenir à l’abri des révolutions. Louis XVIII aurait rétabli la monarchie absolue, au lieu de constituer le gouvernement représentatif, qu’il n’aurait rien ajouté à notre sécurité ni rien diminué à ses propres périls. Si la lutte extérieure avait été moins vive, les colères auraient été plus implacables, les machinations plus profondes, et les partis auraient demandé aux complots les armes qu’ils ont empruntées aux institutions. La Providence permit qu’au moment où la restauration se consommait en France, un événement semblable s’accomplît au sein d’une contrée voisine. Un autre prince de la maison de Bourbon, quittant la prison où il s’était vu jeté par surprise, s’acheminait vers sa capitale, porté sur les bras d’un peuple unanime dans ses transports. La présence des armes étrangères n’attristait pas ce cortège, qui, loin de se lier au souvenir d’une défaite, attestait la plus sainte des victoires. S’il y avait en 1814 une royauté populaire en Europe, c’était à coup sûr celle de Ferdinand VII. Cependant ce prince ne comprit pas sa mission à la manière de son royal cousin. Il reprit la plénitude de son pouvoir traditionnel et en tendit tous les ressorts. Aucune tribune ne s’éleva en face de son trône, aucune voix ne fut admise à réclamer les garanties violemment abolies. Les citoyens les plus illustres furent entassés dans les présides, et le germe de toutes les résistances fut étouffé dans le sang. Six années ne s’étaient pourtant pas encore écoulées, que Riego entraînait à l’extrémité de la Péninsule son roi impuissant et captif, et, trois ans plus tard, l’auteur de la charte faisait franchir les Pyrénées à cent mille hommes pour arracher le roi d’Espagne à l’abîme entr’ouvert sous ses pas. L’événement avait prononcé entre les deux conduites.
Si la monarchie représentative à sombré deux fois en France, ce n’est donc ni parce qu’elle est opposée à nos traditions historiques, ni ’ parce qu’elle est incompatible avec notre génie ; ce n’est pas davantage parce que la France ne possède point une puissante aristocratie territoriale. L’histoire atteste à chacune de ses pages que, si la présence de cet élément-là imprime un jeu plus facile à un gouvernement libre, elle n’est aucunement nécessaire à l’existence d’un tel gouvernement. La Belgique a des institutions représentatives depuis vingt ans, la Hollande en possède depuis plus de deux siècles, et ces pays, civilement organisés comme le nôtre, ne sont aucunement modelés sur ce type britannique en dehors duquel il n’y aurait, suivant les détracteurs du gouvernement parlementaire, aucune condition de durée pour cette forme de gouvernement. Si le système représentatif a succombé en France, c’est que nous avons dans notre sein des factions plus que des partis, et que l’opposition a moins aspiré à s’emparer du pouvoir qu’à le renverser. Ceci est un fort grand malheur sans nul doute ; mais cette longue maladie chronique n’est pas plus imputable à certaines institutions qu’elle ne serait guérie par des institutions différentes. Cet état moral, amené par des perturbations immenses, est entretenu par les plus vivaces entre toutes les passions humaines ; il préexistait à l’établissement du gouvernement représentatif en France, comme il survivra malheureusement à sa chute.
S’il a existé dans le cours de nos trente dernières années une heure propice à l’établissement de la monarchie constitutionnelle en France, c’est assurément l’époque de la première restauration. Les partis, qui depuis quinze années ne s’étaient pas rencontrés face à face, étaient alors séparés par des souvenirs lointains et de vagues inquiétudes plus que par des griefs actuels et des antipathies personnelles. Le rétablissement de la dynastie ayant été l’œuvre des circonstances et non pas celle d’un parti, et la royauté ne devant en ce moment-là rien aux royalistes, elle était en mesure de tenir la balance égale entre ses amis de la veille et ceux du lendemain. L’histoire, plus juste que les contemporains, constatera qu’elle le fit avec une abnégation digne d’éloges, qu’elle n’inquiéta aucun intérêt, ne blessa pour son propre compte aucune susceptibilité, et qu’elle n’hésita pas à donner des gages d’oubli et même de bienveillance aux hommes les plus compromis. Dans tout le cours de l’année 1814, il ne fut pas fait aux chambres une proposition législative, il ne fut pas répandu dans le public une espérance de nature à susciter les appréhensions les plus ombrageuses. Quelques choix furent déplorables sans doute et suffirent à faire perdre au roi Louis XVIII tout le profit de ses excellentes intentions. Le moment était mal choisi pour se passer la fantaisie d’un favori, et il y avait plus que de la maladresse à donner pour chef à l’armée le général dont le nom se rattachait à la désastreuse capitulation de Baylen. L’inexpérience politique, alors universelle, explique seule qu’on ait pu choisir, pour inaugurer une ère de conciliation et de liberté constitutionnelle, de vieux magistrats dont les souvenirs de jeunesse se reportaient à la grand’chambre, hommes honnêtes, mais plus dénués encore de tact que d’esprit, et qui, sous des phrases ampoulées, empruntées à la langue moitié servile, moitié hargneuse des parlemens, semblaient cacher des arrière-pensées dangereuses, tandis qu’ils n’avaient guère d’autre souci que de dissimuler leur propre médiocrité. Les humbles doléances de M. Dambray, la ligne droite et la ligne courbe de M. Ferrand, forment, avec les impertinences de quelques grandes dames et les rêves de certains Épiménides de châteaux, le bilan de presque tous les torts légitimement imputables au gouvernement de la première restauration. Les cent-jours sont sortis de mots moins sérieux que ridicules jetés par la mauvaise foi en pâture à l’ignorance.
Si des soldats fidèles à toutes les fortunes de leur général peuvent arrêter avec orgueil leurs souvenirs sur ces heures d’entraînement et de lutte héroïque, il faut réserver à l’histoire le droit de dire que jamais révolution ne fut plus désastreuse dans ses conséquences. Ce mouvement militaire n’eut pas seulement pour effet d’épuiser les forces vives de la nation dans un effort impossible, et de faire passer l’Europe de la bienveillance presque respectueuse de 1814 au ressentiment implacable de ses vieilles injures oubliées ; il n’épuisa pas seulement la France de sang et d’or ; les hontes de l’occupation étrangère, les deux milliards de notre rançon, l’atteinte portée à nos frontières et aux chefs-d’œuvre conquis par nos armes, tout ce long arriéré de vengeances si cruellement payé en un jour n’est rien auprès des maux incalculables que la crise des cent-jours fit à la France politique. Ce sanglant épisode enlevait pour jamais à la restauration la seule position qui pût assurer son avenir. Elle cessait d’être une transaction pour devenir une victoire, et la royauté fut désormais contrainte d’épouser des passions et de s’associer à des vengeances qui l’arrachèrent à la sphère calme et sereine où l’avaient d’abord placée les événemens.
Un complot ourdi de longue main, des sermens prêtés et méconnus, des désastres effroyables, suivis d’une occupation étrangère plus humiliante encore que ruineuse, tel était l’aspect sous lequel apparaissait aux royalistes cette révolution improvisée, dans laquelle les soldats avaient entraîné leurs généraux, et qui n’avait guère eu pour mobile que la vue du drapeau d’Austerlitz. D’un autre côté, la dynastie, si étrangère qu’elle fût à ce grand désastre, en porta aux yeux du pays la responsabilité tout entière. Lorsque Louis XVIII rentra dans Paris le 8 juillet 1815, le peuple ne vit plus dans l’auteur de la charte que le promoteur de l’invasion et le complice de Blücher. De profondes et réciproques injustices vinrent dénaturer les faits, fausser les esprits et soulever les cœurs. Jamais nation ne fut plus divisée contre elle-même. Le parti royaliste, à peu près nul lors de la première restauration, se montrait, au début de la seconde, puissant par le nombre et par le concours de l’Europe armée, ardent dans sa colère et implacable dans ses vengeances. Il comptait encore dans ses rangs la portion la plus nombreuse de la bourgeoisie parisienne, particulièrement au sein du petit commerce, et, dans la crise du 20 mars, le serment constitutionnel, solennellement renouvelé par le roi et par sa famille, avait assuré à la monarchie le concours de toute une génération d’élite appelée à exercer une durable influence sur l’avenir du pays. MM. Guizot, Barrot, Cousin, de Broglie, dévouaient leur jeunesse encore obscure à cette cause de la liberté politique à laquelle MM. Royer-Collard et Camille Jordan consacraient la maturité de leur vie. Tous ces hommes, résolument opposés au système impérial, appartenaient en ce moment au parti royaliste, non qu’ils éprouvassent les mêmes passions, mais parce qu’ils partageaient les mêmes antipathies.
Des élémens d’une tout autre nature constituaient le parti royaliste provincial et laissaient pressentir un prochain déchirement au sein de cette grande opinion, où les uns étaient entrés par la haine du despotisme et les autres par la haine de la révolution. Tous les intérêts atteints en 1789 s’étaient soudainement relevés à l’avènement de la dynastie, et la restauration, par la manière imprévue dont elle avait été consommée, était devenue, aux yeux de la noblesse émigrée et du clergé dépouillé de ses propriétés, comme une condamnation d’en haut portée contre l’ordre social sorti de la révolution française. Ce parti était puissant dans l’ouest par le patronage rural, plus puissant encore dans le midi, où les opinions politiques s’étaient entées sur les croyances religieuses, en s’empreignant de la même exaltation. Après le 20 mars, la Vendée avait pu lever une armée à la tête de laquelle mourut un autre Larochejaquelein, et la pacification de ce pays, amenée par la prudence plus que par les armes du général Lamarque, n’avait, pas moins laissé debout et entière une organisation formidable. Les départemens méridionaux avaient reçu une impression profonde, et qui persista plusieurs années, de la présence de Mme la duchesse’ d’Angoulême à Bordeaux en mars 1814, et de sa noble attitude en avril 1815. À cette même époque, des agens habiles avaient organisé dans ces contrées le parti royaliste sur des bases aristocratiques pour les campagnes et très démocratiques pour les villes. Les gardes nationales en majorité, les administrations municipales presque entières lui étaient dévouées, et de nombreuses associations secrètes venaient ajouter à cette forte organisation la puissance de leur réseau et le prestige de leurs mystères.
Ce mouvement n’était pas concentré dans les seules provinces de l’ouest et du midi. Sous le coup de la seconde invasion et de l’occupation du territoire, le parti frappé à Waterloo était un moment rentré sous terre, selon la loi invariable de toutes les révolutions, et ne songeait qu’à dérober sa tête aux condamnations poursuivies par ses adversaires avec plus d’ardeur que de prudence. Quelques efforts que fît le cabinet Fouché-Talleyrand pour contenir cet entraînement, indice assuré de sa propre chute, et pour provoquer des choix modérés ; quelle que fût la chaleur avec laquelle le roi entrât lui-même dans la politique de conciliation que lui conseillaient ses alliés et dont il avait fait le programme de son second avènement, rien ne put arrêter le flot montant de l’opinion victorieuse. Le pays qui avait élu la constituante, acclamé l’empire et porté aux extrémités de l’Europe ses principes avec ses armes, envoya spontanément au pouvoir, qui ne la lui demandait pas, une chambre presque unanime dans sa haine pour les idées et les hommes de la révolution, et qui voyait dans la royauté la pierre angulaire d’un vaste édifice à élever sur une base aristocratique et religieuse.
Parmi les causes qui concoururent à l’élection de la chambre de 1815, peut-être faudrait-il indiquer la présence aux affaires du cabinet qui la convoqua. Bien loin d’être en mesure de contenir l’opinion royaliste ; ce cabinet la surexcitait violemment en soulevant par sa composition même les répugnances les plus légitimes. Si l’on ne connaissait à fond tous les détails de la négociation qui fit passer le ministre de la police de Napoléon dans le cabinet de Louis XVIII, il serait assurément très facile de deviner dans cet arrangement une inspiration de l’étranger. Jamais en effet combinaison politique ne fut en désaccord plus manifeste avec l’état des choses et l’instinct de la nation. Sachant combien le nom de M. de Blacas avait été funeste à la première restauration, et convaincus que le parti royaliste avec ses seules forces était incapable d’exercer ou du moins de conserver le pouvoir, les souverains insistaient auprès du roi pour qu’il refusât toute participation aux affaires à son entourage habituel, et pour qu’il se confiât à des hommes intelligens, dont les antécédens aideraient à grouper autour du trône les forces vives de la nation. Le duc de Wellington, qui avait hérité du patronage exercé par l’empereur Alexandre en 1814, et dont l’honorable rôle dans ces jours difficiles mériterait d’être apprécié avec plus de justice, donnait surtout ces conseils de modération avec l’autorité qui s’attachait au plénipotentiaire victorieux du plus grand état constitutionnel. Ce fut donc au double titre d’esprit supérieur et d’homme compromis dans la révolution qu’il imposa le duc d’Otrante aux répugnances trop naturelles du frère de louis XVI. Or un pareil choix ne pouvait manquer d’aller à l’encontre du but que l’on se proposait d’atteindre, car il soulevait au sein de l’opinion royaliste des irritations beaucoup plus dangereuses en ce moment-là que les alarmes auxquelles on s’efforçait ainsi de remédier. Pour avoir compris durant les cent-jours l’impossibilité matérielle de résister à l’Europe et pour s’être mis prudemment en règle avec l’avenir, Fouché n’était pas d’ailleurs l’homme éminent rêvé par les diplomates étrangers, trop enclins à confondre l’adresse avec l’habileté et à s’incliner devant le cynisme protégé par l’impudence. Associé comme M. de Talleyrand, son collègue, aux trop faciles admirations de l’Europe, il avait toujours suivi les événemens sans essayer jamais de les dominer. Égorgeur en 93, servile en 1812, conspirant en 1815 avec les hommes qu’il avait mission de surveiller, Fouché n’avait été inspiré, aux phases diverses de sa triste carrière, que par la très vulgaire pensée de sauver ou sa tête ou sa fortune. Il y avait une étrange aberration à voir dans un tel homme le sauveur possible d’un gouvernement assailli par tous les périls. Ni le duc d’Otrante, ni le prince de Talleyrand n’étaient de taille à se mesurer avec ces dangers-là sous le coup de l’inexorable publicité qui dans un gouvernement représentatif agite incessamment la conscience du pays ; mais ce qui dépasse toute croyance, c’est d’avoir espéré qu’un ministère dans lequel un moine régicide siégeait côte à côte avec un évêque apostat soutiendrait un seul moment le choc d’un parti victorieux, que ses énergiques convictions rendaient intraitable, et dont la provinciale honnêteté ne s’inclinait pas devant de banales réputations de salon et de chancellerie.
Si les gentilshommes que les derniers événemens avaient jetés tout à coup du fond de leurs châteaux délabrés dans le tumulte de la vie publique étaient sans nulle connaissance des affaires, l’honneur parlait trop haut dans leurs cœurs pour qu’ils supportassent de sang-froid le spectacle de ces scandaleux reviremens, et c’était ajouter singulièrement à la difficulté déjà si grande d’en obtenir des votes sages et modérés que de les demander par de tels interprètes. La foi politique du parti royaliste n’était pas moins vive que sa foi religieuse, avec laquelle elle était confondue ; or, tant que les partis ont des convictions ardentes, les meilleurs instrumens pour les contenir sont ceux qui partagent leurs croyances en demeurant étrangers à leurs passions. Il n’y a, pour dominer les situations vives, que les hommes qui en sortent. La politique que l’Europe conseillait à la restauration, et que Louis XVIII entendait suivre, était assurément la seule bonne ; mais, si elle ne put être pratiquée qu’à grand’peine par MM. de Richelieu ou Lainé, dont la vie était un gage donné à l’opinion dominante, elle devenait d’un succès beaucoup plus difficile, appliquée par des hommes dont plusieurs avaient siégé durant les cent-jours soit dans les conseils de l’empereur Napoléon, soit dans la chambre des représentans. Des travestissemens politiques se succédant comme dans une pièce à tiroir sont supportés par l’opinion après qu’une longue série de révolutions a détendu le ressort des esprits et que le scepticisme a énervé les aines ; mais on n’en était pas là en 1815, et le parti royaliste en particulier conservait alors l’entière virginité de ses croyances comme de ses haines : il poursuivait à la fois, avec une logique impitoyable, et le triomphe de ses idées et l’anéantissement de ses ennemis. On voyait des hommes fervens dans leur piété, doux dans leurs mœurs, désintéressés dans leur vie, lutter avec fureur contre la clémence du prince, pour imposer à la royauté le fardeau de justices qu’elle n’était pas assez forte pour porter : spectacle déplorable sans doute, mais qui offusque encore plus notre scepticisme que notre humanité, et qui s’expliquait naturellement dans ces jours où tant de passions s’allumaient au foyer de convictions profondes. Le propre de l’opinion royaliste en France est d’être une religion plus qu’une doctrine politique, et de transformer ses serviteurs en croyans ; c’est à la fois et ce qui l’empêche de périr et ce qui l’empêche de s’étendre. La révolution militaire du 20 mars et ses suites désastreuses avaient donné à cette opinion une puissance qu’elle n’avait pas encore possédée ; elle se tenait pour appelée à exercer sur la société bouleversée par la révolution française une mission de reconstitution et de salut, et on la vit développer tout à coup une énergie et une décision qu’il est impossible de méconnaître. Autant le parti royaliste avait été pauvre dans ses plans et incertain dans ses allures durant la première restauration, autant il se montra ferme dans ses vues, résolu dans son langage et dans, ses actes au sein de cette chambre de 1815 qui engagea contre la société nouvelle un hardi duel, dans lequel elle apporta la triple puissance de la bonne foi, de la passion et du talent.
Nous entendons beaucoup parler de restaurer l’autorité, de rétablir l’ordre dans la société et dans les intelligences, en reconstituant le pouvoir, trop long-temps miné dans ses bases et avili dans ses organes ; mais, lorsqu’il faut sortir de ces formules générales pour en préparer l’application, les esprits les plus résolus éprouvent des défaillances : on se sent comme enlacé par mille liens invisibles, et les théories viennent se briser presque toujours contre d’inexorables réalités : Les choses ne se passaient point ainsi dans la chambre introuvable ; à chaque anathème qui partait de cette ardente tribune contre la révolution et la démocratie moderne correspondait une proposition législative. On ne se contentait ni de l’état de siége, ni des gendarmes, ni de la censure une majorité compacte proposait nettement de commencer la reconstitution de la société par celle de la famille, et de donner au pouvoir la religion pour base, le clergé et l’aristocratie terrienne pour instrumens et pour appuis. Les cent-jours ayant déchiré l’espèce de convention synallagmatique souscrite par la dynastie l’année précédente, l’œuvre du parti royaliste changeait de nature et devenait tout organique. L’horizon de ce parti s’élargissant avec sa fortune, il passa du culte larmoyant d’une royauté adorée à une politique d’action qui comprenait dans son ensemble tous les intérêts moraux et matériels de la société. Cette politique, issue d’une doctrine métaphysique, avait pour base toute une philosophie, et celle-ci a exercé une influence assez sérieuse sur la société contemporaine pour qu’il soit important d’en exposer sommairement les principes. On va voir comment l’opinion de droite comprenait la société, et quel programme elle entendait imposer à la royauté légitime.
Suivant les théoriciens dont les doctrines prévalaient dans la chambre de 1815, ce concile de Nicée de la foi monarchique les peuples sont liés à leur passé au point de ne pouvoir se séparer, en aucune occasion et pour quelque nécessité que ce soit, des lois sur lesquelles fut assise leur constitution originelle. Il existe une similitude complète entre l’identité des individus et l’identité des peuples, la constitution anatomique de l’homme et la constitution historique des nations. Celle-ci se compose de tous les faits primordiaux qui ont présidé à la formation de la nationalité elle-même. Tout vit en quelque sorte par le souffle des ancêtres, et doit se développer, sous peine d’apostasie sociale, par la même aspiration continue. Le libre arbitre des peuples ne peut donc légitimement s’exercer qu’en se subordonnant à ces lois fondamentales, de telle sorte que la royauté héréditaire tire moins son droit de son utilité pratique que de sa durée séculaire. Tel était le résumé d’une doctrine que divers esprits originaux marquaient d’ailleurs à l’empreinte de leur personnalité. L’auteur de la Législation primitive cherchait dans l’organisation de la famille le type des institutions politiques ; le grand penseur qui avait écrit les Considérations sur la France, et qui préparait les Soirées de Saint-Pétersbourg, concevait les monarchies chrétiennes comme émanées d’un fiat prononcé d’en haut. M. de Montlosier, le savant auteur de la Monarchie française, cherchait son point d’appui dans l’histoire, tandis que l’auteur de l’Essai sur la Propriété, Bergasse, s’attachait à faire du trône la base et la garantie de toutes les institutions civiles ; enfin l’illustre auteur de la Monarchie selon la Charte s’efforçait de badigeonner d’un vernis éclatant et tout moderne ces ruines si hardiment relevées, ressemblant, dans la bigarrure de ses couleurs et de ses idées à un disciple de Montesquieu grené sur un chevalier de Froissart.
Dans le système d’une société fondée sur le droit historique, une religion d’état politiquement constituée n’était pas moins nécessaire qu’une royauté héréditaire et une aristocratie territoriale. La France st un royaume fait par les évêques : sa législation civile, ses circonscriptions territoriales étaient ecclésiastiques. Il fallait donc rétablir autant que le comportaient les malheurs et les difficultés des temps, cette majestueuse unité qui transformait les canons de l’église en lois de l’état et le souverain lui-même en pasteur. Un clergé constitué avec une représentation politique et une dotation territoriale était un élément fondamental de la monarchie française. Aux yeux des hommes de la droite, quelles que fussent d’ailleurs leurs croyances religieuses, la maison de Bourbon et la religion catholique étaient en France dans des rapports semblables à ceux qui unissent en Angleterre la maison de Hanovre à l’établissement anglican, et les moyens politiques et financiers employés dans la Grande-Bretagne pour protéger l’église nationale et maintenir l’édifice du state and church étaient alors généralement considérés comme les seuls propres à ranimer la foi de nos pères ; à lui rendre la possession des intelligences et des ames. On confondait dans une pensée commune la restauration de l’église et celle de la monarchie, et l’on ne concevait pas plus d’hésitation sur le principe que de doute sur les conséquences salutaires d’une législation tendant à protéger par des pénalités rigoureuses les plus augustes mystères de la foi.
À la suite de cette consécration réciproque de la religion par la politique et de la politique par la religion venaient les rapports civils des citoyens entre eux et des diverses classes entre elles, rapports que la royauté légitime avait, selon l’école monarchique, le droit et l’impérieux devoir de réformer. Sa mission ne se bornait pas, en effet, à tracer les formes extérieures d’un gouvernement ; il fallait qu’elle rétablît dans la famille et dans la cité les principes de permanence et de perpétuité d’après lesquels les peuples vivent et prospèrent. « Aucun droit n’est assuré, » s’écriait avec sa pittoresque énergie un des plus éminens publicistes de cette école. « Y a-t-il des familles dans l’état, n’y a-t-il que des individus ? Quel est le droit des pères sur leurs enfans ? Quel est celui des maîtres ? Qu’est-ce que le droit de tester ? Qu’est-ce que la propriété ? Est-ce l’argent qui doit avoir la prépondérance dans nos mœurs ? est-ce l’honneur ? Les familles vouées depuis des siècles au service de l’état abdiqueront-elles le sentiment de leur élévation héréditaire près de familles nouvellement élevées par le crime ou par le trafic ?… La révolution a-t-elle adopté le roi, ou est-ce le roi qui a adopté la révolution ? Si le roi était la seule force, il n’aurait bientôt plus de force ; s’il était la seule dignité, il n’aurait bientôt plus de dignité. Le gouvernement n’a point à se contenter des faibles et insuffisantes dispositions de l’art. 7 de la charte : la noblesse n’est ni assise ni constituée, elle vit en plein air… Il devra constituer la cité par l’établissement parallèle d’un système d’enseignement libéral et d’un système correspondant de corporations, de maîtrises et de jurandes. Le retour des corporations est commandé sous d’autres rapports. Les corporations sont des classifications aussi nécessaires que la division des troupes par compagnies et par régimens. Les rangs une fois fixés, la naissance, la maison, la famille, le domaine une fois reconnus, constitution de la cité-territoire, civitas, une fois établie, celle de la cité, urbs, complétée, le gouvernement aura fait un grand pas dans les rapports du passé avec l’avenir[2]. »
Inspirer au pays sur l’origine et la nature de la souveraineté des croyances en opposition directe avec celles qu’il entretenait depuis cinquante ans ; faire participer l’église à l’action et à l’autorité politiques et lui transférer le monopole de l’enseignement ; arrêter la mobilisation du sol par le principe des substitutions et celle de la famille par le droit de primogéniture ; traduire enfin la liberté de conscience d’après M. de Maistre, la charte d’après M. de Bonald, et le code civil d’après M. de Montlosier : telle était la tâche herculéenne que l’opinion de droite prétendait alors imposer à la dynastie ; telle fut l’œuvre que cette opinion poursuivit durant quinze ans contre la politique du roi Louis XVIII. C’était au lendemain des cent-jours, lorsque la restauration, encore entourée de ses cours prévôtales et de cent cinquante mille étrangers, était campée plutôt qu’assise sur un sol où fermentaient tant de colères, qu’on la conviait à cette lutte ouverte contre les idées issues de la révolution française et contre les mœurs formées par elle. Ni le talent, ni le courage ne manquèrent aux hommes qui se dévouèrent à cette tentative impossible. L’entreprise formulée en 1815 et soutenue durant les six années de l’administration de M. de Villèle fut le dernier grand acte de foi qu’un parti politique ait fait en France les hommes de 1815 et de 1825 avaient du moins le loyal courage de toutes leurs opinions comme de toutes leurs haines, et leur échec a constaté pour jamais l’impossibilité d’organiser, d’après les types du passé, cette société mobile et troublée au sein de laquelle Dieu poursuit son œuvre par des voies qui nous confondent.
La chambre de 1815, durant sa courte et brillante carrière, eut à peine le temps d’exposer, par l’organe de ses publicistes et de ses orateurs, le programme de cette vaste politique contre-révolutionnaire. Une lutte très vive pour conserver au clergé la portion de ses forêts non aliénées, diverses propositions, non revêtues de la sanction législative, pour lui rendre la tenue des registres de l’état civil et lui attribuer la direction de l’enseignement public, tels furent les seuls résultats effectifs d’un labeur dont des soins plus pressans détournèrent d’ailleurs cette assemblée. La lutte était trop ardente et les passions trop excitées pour que les questions de personnes ne primassent point alors les questions de doctrines ; mais après que la guerre d’Espagne eut donné une armée à la maison de Bourbon et que celle-ci eut retrouvé la chambre introuvable, appuyée sur les longues perspectives de la septennalité, le parti royaliste se remit sans hésitation comme sans retard au travail que lui imposaient sa conscience et sa foi politique. De 1823 à 1827, chaque session fut marquée par une loi organique loi des substitutions et du droit d’aînesse, lois du sacrilège et de la presse. Chaque année s’élevait une assise de plus de l’édifice destiné à abriter une longue suite de générations, et l’on croyait conquérir un gage de durée à tous les pas qu’on faisait pour se rapprocher de l’abîme. À chaque effort tenté par la majorité législative soit pour transformer l’idée monarchique en dogme, soit pour fonder une aristocratie territoriale, soit pour protéger la religion par des prérogatives politiques ou des dispositions pénales, correspondait un affaiblissement simultané de l’élément même qu’on aspirait à fortifier, et les mœurs protestaient avec violence contre les lois. La royauté, qu’il aurait fallu présenter comme la sauvegarde des intérêts généraux et défendre par ses effets plus que par son principe, fut compromise au sein du pays le plus monarchique de l’Europe par les théories de métaphysique et d’histoire inventées pour lui créer un titre mystérieux supérieur à toutes les vicissitudes humaines. Le pouvoir constituant que l’auteur de la charte avait dissimulé dans une rédaction habile fut brutalement étalé comme une doctrine fondamentale ; toute une école de logiciens brouillons se mit à cheval sur l’article 14, et de syllogisme eu syllogisme on marcha droit aux ordonnances et à la révolution de juillet.
Mais ce fut surtout en poursuivant l’union des intérêts politiques avec les intérêts religieux qu’on aboutit à des résultats de nature à ouvrir, ce semble, les yeux des plus aveugles. Les inimitiés qui s’attachaient à la dynastie régnante, celles plus nombreuses encore qui poursuivaient son parti, se portèrent avec une impétuosité sans exemple sur l’église, dont ce parti s’évertuait à lier les destinées à celles de la royauté légitime, et la solidarité présentée par les orateurs de la droite comme une garantie non moins précieuse pour l’autel que pour le trône produisit contre l’un et l’autre une effroyable accumulation de haines et de colères. Ce fut par le côté politique que, durant la restauration, les couches inférieures de la bourgeoisie entrèrent si profondément dans les voies d’irréligion au bout desquelles étaient les grands scandales et les grands abaissemens de ces dernières années.
Un système dont l’effet nécessaire était d’enrôler sous le même étendard l’incrédulité et l’opposition, et de jeter dans une lutte violente tous les intérêts issus de la révolution et toutes les vanités nourries par elle, était un véritable danger public, quelles que fussent chez ses partisans la droiture des intentions et l’élévation de la pensée. En défendant en principe l’union de l’état avec l’église, on partait d’idées théoriquement incontestables sans doute : soit qu’on la fît procéder des traditions nationales, soit qu’avec MM. de Bonald, de Maistre et de Lamennais, cette grande trinité des penseurs monarchiques, on remontât jusqu’aux lois qui régissent l’ordre moral et le gouvernement providentiel des choses humaines, c’était opposer un principe d’organisme à un principe d’anarchie et la voix des siècles au cri des passions contemporaines ; mais la France de la restauration, au sein de laquelle tous les intérêts étaient en lutte et toutes les croyances publiques en ruine, se trouvait dans une situation d’esprit qui n’avait été celle d’aucune autre société antérieure. La foi n’y pouvait refleurir qu’en s’isolant du souffle brûlant des partis : au lieu d’agir par le pouvoir, qui n’était accepté que de l’un d’entre eux, il fallait qu’elle agît par la liberté, qui était le patrimoine de tous. Si chez les écrivains dont je viens de rappeler les noms le sens pratique avait été à la hauteur du génie, ils n’auraient pas appliqué des généralités philosophiques à un état tout spécial, imitant l’astronome dont le pied glisse dans l’abîme pendant qu’il poursuit au fond des cieux le cours de ses spéculations audacieuses.
Jamais meilleures intentions n’aboutirent à des résultats plus funestes. On voulait ressusciter Bossuet et faire des Bourbons les colonnes de l’église ; on ne parvint qu’à leur frayer les voies de l’exil et à rajeunir Voltaire : l’opposition transforma en grand citoyen le flatteur de Catherine et de Mme de Pompadour, et l’application de la politique sacrée aboutit au sac de Saint-Germain-l’Auxerrois. Cependant le catholicisme fut sauvé par la révolution même qui s’élevait contre lui comme une formidable tempête. À la vue de l’écueil soudainement découvert, le clergé comprit d’instinct qu’on l’avait engagé dans une fausse route il s’écarta des ruines pour embrasser la colonne éternelle, et, s’isolant des intérêts qui passionnent et qui passent, on le vît se faire tout à tous et refuser de chercher sa force ailleurs que dans la libre expression de ses doctrines. Cette situation nouvelle, sans rendre ses ennemis moins implacables, les laissa du moins désarmés, et quelques années plus tard, lorsque les orages, succédant aux orages, eurent ouvert devant la France des perspectives plus incertaines et plus sombres encore, la religion, devenue étrangère à nos disputes, immuable au sein des plus grands changemens, apparut à tous comme une dernière force et une suprême espérance. La liberté fut pour elle aussi féconde que le pouvoir avait été stérile. Par l’une, elle réalisa sans effort ce qu’elle avait à peine osé espérer de l’autre. Tous les partis s’inclinèrent devant l’église comme devant la seule puissance qui survive aux révolutions ; aux bruits de la société roulant vers l’abîme, elle ouvrit partout ses écoles, éleva ses chaires, convoqua ses synodes et rétablit sa discipline : œuvre merveilleuse, où éclatent et la profondeur des desseins de Dieu et la vanité de nos conceptions, et devant le témoignage de laquelle on comprend à peine que des chrétiens osent convier l’église à renouer avec les puissances temporelles des lie1 s qui ont été si funestes.
Des illusions inexplicables en ces temps-ci sur la portée de certaines mesures politiques étaient d’ailleurs fort naturelles en 1815. Comment les royalistes n’auraient-ils pas considéré l’établissement de la monarchie comme inséparable du rétablissement des influences qui furent durant le cours des siècles le plus solide point d’appui de la royauté et son cortège nécessaire ? De telles croyances, pour eux si naturelles, pour ne pas dire si légitimes, élevaient contre la prudente politique du roi Louis XVIII des obstacles presque insurmontables. Il fallait que ce monarque se séparât violemment des traditions et des amitiés de toute sa vie, et qu’il repoussât des dévouemens éprouvés pour accueillir des fidélités douteuses ; il fallait que le roi des vieux âges adoptât la révolution, et que le premier des gentilshommes se transformât en chef de la bourgeoisie, s’exposant de la part des siens au double reproche d’ingratitude et de félonie. C’était une tâche ardue autant que délicate pour le chef de la maison de Bourbon d’opposer aux périlleux entraînemens d’une loyauté sans lumières les impassibles calculs d’une habileté sans illusions, et de faire prévaloir une politique de négation et de simple bon sens contre le vaste ensemble de théories monarchiques qui avaient à cette époque et de si brillans interprètes et de si intrépides croyans. L’histoire ne rendra jamais une justice assez éclatante au vieux souverain qui usa les huit dernières années de sa vie dans cette lutte quotidienne contre tous ses souvenirs, toutes les affections de sa famille et toutes les influences de son intimité ; labeur d’autant plus ingrat qu’en se séparant avec éclat des hommes de la France ancienne pour se livrer aux hommes de la France nouvelle, le gouvernement de la restauration était bien loin de rencontrer dans leurs rangs le dévouement et la confiance à laquelle sa généreuse tentative lui donnait tant de titres, et qu’il rendait les royalistes implacables sans rendre les libéraux reconnaissans. L’irritation des premiers détermina le plus grand acte émané de la royauté, la dissolution de la chambre de 1815, qui mit le pouvoir aux mains des classes moyennes. L’inconsistance politique de celles-ci provoqua trois ans plus tard la plus dangereuse épreuve qu’ait traversée le gouvernement de la branche aînée, les menaçantes élections de 1819, qui mirent la royauté en face de la convention. La dissolution de l’assemblée la plus aristocratique qu’ait eue la France et l’avènement d’une chambre quasi-révolutionnaire, tout le règne de l’auteur de la charte avec le haut et sérieux intérêt qui s’y rattache est résumé dans ces deux faits capitaux, l’un émanant d’une confiance qui croit conquérir la France en s’abandonnant à elle, l’autre révélant la permanence de ces inspirations malfaisantes qui payèrent l’abandon de Louis XVIII comme celui de Louis XVI, et qui semblent livrer la bourgeoisie française à la révolution comme sa victime au monstre qui la fascine. Rappelons sommairement les faits qui provoquèrent l’ordonnance du 5 septembre 1816 et les conséquences qui en sortirent, afin qu’on puisse embrasser d’un même coup d’œil la double pression qui menaçait la monarchie.
Cédant à ses inspirations personnelles comme aux conseils de l’Europe, Louis XVIII aspirait à restreindre dans les plus étroites limites possibles une justice qui, lorsqu’elle frappe de nombreux coupables, est plus dangereuse encore pour le pouvoir qui l’exerce que cruelle pour ceux qui la subissent. La déclaration de Cambrai et son ordonnance du 24 juillet 1815 avaient eu pour but de satisfaire aux exigences de son parti moyennant un petit nombre de proscriptions individuelles ; mais l’ardente assemblée qui allait au bout de toutes ses haines comme de toutes ses convictions avait mis à néant ces actes de clémence et de suprématie royale, et se croyait assez monarchique pour servir la monarchie en dépit d’elle-même. L’on sait qu’elle entreprit de substituer à l’amnistie donnée par le roi un projet par catégories, dont l’application aurait atteint le plus grand nombre de ceux qui avaient exercé des commandemens militaires ou des fonctions politiques durant les cent jours ; personne n’ignore de plus que ce projet ajoutait à la peine de mort ou d’exil à prononcer contre les coupables celle de la confiscation, que la charte royale avait eu l’insigne honneur d’abolir. Je ne connais pas dans l’histoire parlementaire de situation plus saisissante que celle du ministère de M. le duc de Richelieu luttant avec un calme imperturbable durant de terribles journées pour protéger la personne et les biens des hommes qui venaient de renverser la royauté, et suscitant par là contre celle-ci une opposition plus furieuse peut-être de sa clémence que du crime de ses ennemis : noble attitude qui s’éleva jusqu’au sublime, lorsque, le testament de Louis XVI à la main, le frère de la sainte victime refusa de frapper ceux qui étaient couverts par son pardon. On sait que l’exil des régicides signataires de l’acte additionnel ne fut imposé au roi que par la menace de voir la chambre accueillir le désastreux projet de M. de Labourdonnaye et refuser le budget, si cette satisfaction ne lui était accordée.
La lutte n’était pas moins vive dans les questions d’administration que dans celles qui touchaient aux personnes, et partout la politique de conciliation venait se heurter contre des passions ou des principes inflexibles. Une loi de 1814 avait affecté les forêts de l’état pour gage à la dette publique. Or la chambre entendait distraire ce gage de cette destination dans la double pensée de constituer une dotation immobilière pour le clergé et d’atteindre indirectement ces intérêts de banque, objet constant de méfiance et de jalousie pour toute assemblée où dominent énergiquement le sentiment provincial et celui de la propriété terrienne. Le même esprit lui inspira une tentative plus énorme. Elle voulut établir des distinctions de date, de drapeau et de parti dans des matières où de telles distinctions sont impossibles, et, refusant de seconder le gouvernement royal dans ce respect inviolable pour tous les engagemens contractés par le pays sous les gouvernemens précédens, respect qui était de l’habileté financière autant que de l’honnêteté politique, elle entreprit de frapper les nombreux créanciers de Parriéré d’une sorte de banqueroute partielle. On pouvait assurément donner ce nom à une mesure qui tendait à fournir à ceux-ci, en acquit de leurs créances liquidées, des rentes sur l’état qui, au cours de la place, perdaient alors de 40 à 50 pour 100.
De tels projets rencontraient des résistances énergiques dans les lumières des principaux membres du conseil et au sein de la chambre des pairs, moins dominée par l’esprit de castel et de clocher. L’abîme s’élargissait chaque jour entre la politique expérimentale qui tentait de fonder la monarchie sur les intérêts dominans et la politique théorique qui aspirait à faire reculer ceux-ci par la résurrection d’influences éteintes. Ces points de vue opposés et ces espérances si diverses venaient, de part et d’autre, se résumer dans la combinaison d’une loi électorale qui manquait encore à l’ensemble de la législation politique. La droite entendait asseoir cette loi fondamentale sur le patronage rural et la prépondérance de la propriété agricole : elle espérait atteindre ce but par un système à deux degrés qui confiait à tous les citoyens payant 50 francs de contributions directes, réunis en assemblées de canton, le droit de désigner des candidats au choix des collèges départementaux. Ces derniers colléges étaient formés de tous les citoyens domiciliés dans le département et payant 300 francs d’impositions. Dans les collèges électoraux des départemens, le nombre des électeurs ne pouvait être au-dessous de cent cinquante, et ce nombre était subsidiairement complété par les citoyens âgés de trente ans ne payant pas 300 francs. Les députés étaient élus pour cinq ans, et le renouvellement de la chambre s’opérait intégralement. Ce projet, élaboré avec beaucoup de soin par M. de Villèle, marqua le premier pas de sa carrière. Appuyé à la chambre des pairs par la parole étincelante de M. de Chateaubriand, à la chambre des députés par la raison sans éclat de Corbière, il devint l’évangile du parti, et celui-ci ne s’en écarta jamais, même au plus ardent paroxysme de son opposition. Je tiens à constater ce fait pour protéger les hommes de 1815 contre une calomnie posthume, en montrant qu’ils ne conçurent pas même la pensée du suffrage universel dont certains publicistes leur imputent l’honneur d’avoir eu l’initiative.
À ce projet le gouvernement en opposait un autre. Présenté par M. de Vaublanc, mais inspiré par les hommes de pratique et d’affaires, entre lesquels MM. Pasquier, Molé, de Serre, de Barante, tenaient déjà la première place, il tendait à maintenir l’influence prépondérante à l’administration, comme le projet de M. de Villèle aspirait à la transmettre à la propriété agricole. Rédigé d’après les traditions de l’école impériale, à laquelle se rattachaient ces esprits distingués, ce projet admettait aussi deux degrés dans l’élection ; mais il constituait les collèges au moyen de listes de notables et d’adjonctions dans lesquelles dominaient les fonctionnaires publics, investis par leurs fonctions mêmes du droit électoral. Enfin une idée plus hardie commençait à se faire jour entre ces deux systèmes. M. Lainé, appelé au ministère de l’intérieur, la patronait comme la plus nette et la plus loyale des combinaisons, et le caractère logiquement absolu de ce projet lui assurait la chaleureuse adhésion d’un groupe d’hommes qui occupaient déjà une grande place dans le gouvernement, quoiqu’un canapé les réunît encore. Il s’agissait de faire pour la première fois une sérieuse application du principe de l’élection directe et de conférer purement et simplement le droit électoral à tout citoyen payant 300 francs d’impôt.
Ainsi se révélait un antagonisme de plus en plus profond entre les ministres du prince et ses vieux amis des mauvais jours, entre l’opinion royaliste et les serviteurs officiels de la royauté. Questions constitutionnelles, questions religieuses, questions financières, tout provoquait des débats où les passions monarchiques empruntaient aux passions révolutionnaires et leur langage et leurs allures. Il y avait je ne sais quoi d’étrange et de dépaysé dans l’attitude de ce parti de gentilshommes devenus tribuns par dévouement et presque factieux par fidélité. On s’y mettait en règle avec sa foi politique en déversant sur les agens responsables de l’autorité royale les flots de fiel et d’amertume qu’on n’osait faire monter jusqu’à elle. Dans un parti composé de gens de bien et d’hommes de bon goût, M. Decazes devenait l’objet d’une haine portée jusqu’à l’extravagance et de poursuites poussées jusqu’au ridicule, bien moins à raison de ses opinions, d’ailleurs énergiquement répressives au début de sa carrière ministérielle, qu’à cause de la faveur du prince qu’on trouvait l’occasion d’atteindre dans la personne d’un favori. La chambre engageait chaque jour contre la couronne, par ses propositions législatives, la lutte la plus acharnée comme la plus inconstitutionnelle, puisque le principe de l’initiative royale était formellement consacré par la charte de 1814. Une assemblée monarchique jusqu’à la fureur proclamait sur l’étendue de ses pouvoirs et l’inviolabilité de sa prérogative des maximes devant lesquelles auraient reculé, vingt ans plus tard, les chambres souveraines de la monarchie consentie, tant il est vrai qu’au sein du parti royaliste les mœurs l’emportaient aussi sur les doctrines, et que cette opinion participait ellemême dans une mesure qu’elle ne soupçonnait pas à la vie de cette société démocratique contre laquelle elle épuisait ses anathèmes !
Une nouvelle session était impossible dans une situation aussi violente : il fallait ou livrer le pouvoir à l’opinion qui dominait la cour et la chambre élective, ou rompre résolûment avec elle pour se confier sans réserve à la France de la révolution et de l’empire. Répudier les hommes dont le dévouement héréditaire avait suivi toutes les fortunes de la royauté pour passer à ceux qui avaient, durant vingt-cinq ans, tout laissé faire, depuis le 2 septembre 1792 jusqu’au 20 mars 1815, cesser d’être le roi de la noblesse pour devenir le roi de la bourgeoisie, c’était pour le chef de la maison de Bourbon une résolution incompatible en apparence avec ses engagemens de famille. Pourtant, le 5 septembre 1816, la nation put apprendre que ce miracle était accompli. Méditée avec un secret profond, la dissolution de l’assemblée qui emportait avec elle tant de souvenirs et d’illusions avait été signée par le roi malgré les résistances de toute sa famille et les clameurs de toute son intimité. À partir de ce jour, la royauté s’engageait dans un monde qui l’avait tenue long-temps pour ennemie, et aux yeux duquel elle restait encore une étrangère ; elle commençait cette carrière libérale de cinq années, arrêtée par une réaction qui fut moins provoquée par sa propre volonté que par l’attitude de la classe à laquelle elle s’était si pleinement confiée.
Le gouvernement royal marcha dans cette voie aussi résolûment que le comportait la situation d’un pays encore occupé par une armée étrangère et menacé par une conspiration permanente. Une politique d’apaisement succéda à une politique de violence, et la clémence de la royauté s’étendit aussi loin que l’avait fait sa justice. Les membres de la majorité royaliste se virent combattus et repoussés aux élections par le pouvoir, qui n’hésitait pas à leur chercher des concurrens jusque dans les rangs des hommes qui avaient servi et défendu le gouvernement des cent-jours. Si en 1815 les hommes de la veille avaient subi la dure loi des vaincus et si les vainqueurs avaient exploité leur victoire au profit des personnes plus largement encore qu’au profit des principes, il est juste de reconnaître que, de 1816 à 1820, les fonctionnaires destitués retrouvèrent une faveur à laquelle ils n’avaient pas certainement lieu de s’attendre. Bientôt toutes les mesures exceptionnelles cessèrent ; les bannis revirent leur patrie ; la plupart reprirent leurs positions jusque dans l’armée : plus tard, quelques-uns vinrent s’asseoir au sein de la chambre des pairs. Les rangs de la magistrature, de l’administration et de toutes les carrières privilégiées s’ouvrirent devant les ambitions plébéiennes ; les hommes de toutes les origines furent appelés au service de l’état sans distinction comme sans méfiance, ou, si des rigueurs s’exerçaient encore, c’était contre les triomphateurs humiliés de 1815. Les foudres du parquet frappaient des écrivains monarchiques indignés de subir les arrêts d’une justice rendue au nom du roi. Les habitués du pavillon Marsan n’occupaient guère moins la police que les correspondans de Sainte-Hélène ; elle poursuivait la cocarde verte avec non moins d’énergie que la cocarde tricolore ; le commandement des gardes nationales était retiré à Monsieur, et le Conservateur suscitait au château des irritations bien autrement vives que la Minerve.
Chaque session fut marquée par une conquête législative, comme chaque journée l’était par des gages donnés aux hommes et aux intérêts nés de la révolution. En 1817, M. Lainé faisait passer, malgré les clameurs de la droite et les hésitations des meilleurs esprits, la loi célèbre qui conférait le droit d’élection directe à quatre-vingt mille propriétaires ou patentés réunis en un seul colléges par département, et, repoussant avec une confiance que l’avenir devait tromper les prophétiques menaces de l’opposition royaliste, il s’écriait : « Si la France abusait d’une loi qui consacre aussi loyalement l’alliance de la royauté et de la nation ; si, conduite au port par une main bienfaisante, elle s’en éloignait volontairement pour affronter de nouveaux orages, un tel peuple serait ingouvernable, ce serait pour en désespérer. » En 1818, le maréchal Gouvion Saint-Cyr rédigeait la charte de l’armée. Le roi, qui en était le chef suprême, posait lui-même à sa prérogative constitutionnelle des limites infranchissables. Les citoyens voyaient leurs droits garantis dans la vie militaire aussi sévèrement que dans la vie civile, et la noblesse était pour jamais atteinte au cœur en perdant le privilège qui, durant tant de siècles, avait fait son honneur et sa force. En 1819, pour protéger la loi électorale contre l’opposition de la chambre haute dont M. de Barthélemy avait été l’organe, M. Decazes brisait la majorité de cette assemblée en y introduisant soixante-dix membres nouveaux. Au nombre de ceux-ci, pris en presque totalité parmi les serviteurs du régime impérial, figuraient la plupart des anciens sénateurs qui avaient perdu leur siège en juillet 1815 pour avoir figuré dans la pairie des cent-jours. La consécration des droits venait chaque jour confirmer la réhabilitation des personnes ; ceux des donataires de l’empire étaient garantis ; les chambres étaient saisies d’un projet sur la responsabilité ministérielle et votaient sur la presse la meilleure loi que la France ait possédée.
Depuis le 5 septembre 1816, la royauté ne reculait devant aucun devoir ni devant aucun sacrifice pour s’assimiler la France nouvelle. Le gouvernement représentatif était loyalement pratiqué. Les ennemis de la dynastie s’enveloppaient de la constitution comme d’un manteau, et les royalistes peu sympathiques à la charte y trouvaient des armes pour une opposition que leur indignation rendait ardente et leur talent redoutable. La France devenait aussi grande par la parole qu’elle l’avait été par les armes, et rendait l’Europe tributaire de ses idées comme de ses arts et de ses plaisirs. L’aisance générale suivait une progression ascendante comme la fortune de l’état. Celui-ci avait triomphé d’une épreuve sans exemple en acquittant à jour fixe avec une religieuse fidélité toutes les charges imposées par l’invasion et toutes celles que lui avaient léguées les gouvernemens antérieurs. Aussi, malgré l’inscription de 50 millions de rentes nouvelles à son grand-livre, son crédit dépassait celui des jours les plus glorieux de notre histoire. Les capitalistes enrichis par la négociation de nos emprunts, que se disputaient toutes les places de l’Europe, faisaient refluer vers l’industrie des bénéfices non moins féconds pour le pays que pour eux-mêmes, et la France avait repris à ses vainqueurs les profits de leur victoire en attirant toute l’Europe opulente dans son sein par la douceur de ses mœurs et de son soleil. Son crédit politique s’était relevé avec sa fortune. Commencée au lendemain de Waterloo, sur la carte fameuse qui retranchait l’Alsace et la Lorraine du territoire français, la négociation, un moment suivie par les ministres d’un roi sans armée et sans sujets, n’avait pu prévenir de cruelles exigences : le noble duc de Richelieu avait dû, plus mort que vif, apposer son nom au traité du 20 novembre ; mais, en retrouvant un gouvernement régulier et en accomplissant avec scrupule les plus douloureux engagemens, la France n’avait pas tardé à imposer au monde le respect d’elle-même. Dès 1817, la charge de l’occupation militaire avait été réduite, grace aux efforts d’un ministre respecté de l’Europe ; quelques mois plus tard, une transaction très favorable intervenait sur les créances personnelles des sujets étrangers, dont la liquidation avait fait long-temps peser sur le trésor la menace d’une charge colossale ; enfin, au mois d’octobre 1818, le petit-fils de Louis XIV, dans l’effusion de sa joie française et royale, pouvait écrire au petit-neveu du grand cardinal : « J’ai assez vécu, puisque j’ai vu mon pays libre et le drapeau français flotter sur toutes les villes françaises. » A partir du congrès d’Aix-la-Chapelle, la France, admise dans les conseils des grandes puissances, reprenait sa place dans le monde et retrouvait un avenir digne de son passé.
En trois années, la restauration avait donc accompli le double prodige de féconder un sol épuisé par la guerre et de transformer un peuple de soldats en un peuple de citoyens ; elle avait enseigné la liberté constitutionnelle à une génération née dans l’anarchie et grandie sous le régime militaire ; enfin, tandis qu’elle engageait contre l’esprit de cour une lutte non moins vive que contre l’esprit de révolution, elle promulguait des lois dont l’effet nécessaire était de transférer l’importance sociale des hommes de l’ancien régime aux chefs de l’industrie, des grands propriétaires fonciers aux détenteurs de capitaux. Du 5 septembre au second ministère Richelieu, la restauration s’était faite centre gauche. Elle avait cherché dans les classes moyennes l’adhésion que lui refusaient et l’ancienne noblesse exaspérée et les masses encore dominées par des antipathies originaires ; mais ces efforts avaient été vains et ces avances stériles. La bourgeoisie acceptait les gages qui lui étaient donnés sans se donner elle-même, et se tenait en face de la royauté légitime dans un état de vague suspicion qui avait sinon toutes les apparences, du moins tous les périls de l’hostilité. Un parti s’était formé, dans la crise des cent-jours, sous la double inspiration de l’esprit révolutionnaire et des souvenirs de l’époque impériale : ce parti faisait appel à toutes les passions, associait toutes les colères dans un éclectisme destructeur, et s’inclinait avec la même béatitude devant les vainqueurs de la Bastille et devant ceux d’Austerlitz. Disciples d’une doctrine qui cachait le culte de la force sous les dehors de la liberté, ces prétendus libéraux, dont le langage mentait chaque jour à la pensée, poursuivaient des espérances incompatibles au fond avec l’établissement de tout gouvernement libre assis sur l’influence personnelle de la fortune et du talent. Cette opinion, soldatesque en même temps que démocratique, avait à la fois des aspirations et des regrets pour les conquêtes impériales et pour les tumultes de place publique ; par toutes ses tendances, elle menaçait donc directement les intérêts permanens de ces classes industrielles dont le premier besoin est un pouvoir régulier et pacifique. La bourgeoisie cependant, durant les quinze années du gouvernement de la branche aînée, se mit à la suite de l’opposition hypocrite qui entretenait des pensées très différentes des siennes, mais dont elle servit souvent les desseins et presque toujours les caprices. Sa modération naturelle subit la pression des opinions les plus violentes, et les hommes qui avaient un si manifeste intérêt à maintenir la royauté dans les voies difficiles où elle était alors engagée semblèrent la pousser, par un système d’impitoyables exigences, soit sur les piques des faubouriens, soit dans les bras de la réaction. Derrière de sincères protestations d’attachement à la monarchie se révélaient de perpétuels ménagemens pour tous les écarts de la presse, d’inexplicables complaisances pour les fauteurs de désordres, de l’indulgence et comme une quasi-sympathie pour toutes les tentatives des factions, tandis que les hésitations de la royauté, même les plus naturelles, suscitaient des impatiences qui allaient jusqu’à la colère. Le parti révolutionnaire, contre lequel la bourgeoisie allait avoir, sous la monarchie de 1830, de si rudes combats à livrer, eut sous la branche aînée cette singulière destinée, de voir les classes moyennes lire ses journaux, patroner ses accusés, accepter ses candidats, et mettre à son service leurs richesses, leurs paroles, leurs votes et leurs inoffensives intentions.
La loi du 5 février 1817 avait été expérimentée trois fois, et, à chaque renouvellement partiel, des résultats de plus en plus alarmans avaient constaté cette tyrannique influence. Les premières élections avaient décimé les rangs des hommes de 1815 pour les remplacer par les partisans de l’ordonnance du 5 septembre ; les secondes avaient mis les ministériels aux prises avec les indépendans, et les dernières venaient de donner aux ennemis de la maison de Bourbon une victoire tellement complète, qu’il devenait impossible dose dissimuler le sort que l’entraînement des uns et la faiblesse des autres réservaient à la dynastie et aux institutions elles-mêmes. Au lieu d’accueillir les candidats patronés par les ministres d’une royauté qui venait de faire tant pour elles, les classes moyennes leur préféraient des hommes dont le nom était presque toujours une menace lorsqu’il n’était pas un outrage. Des membres de cette chambre des cent-jours, sur laquelle pèsera le double reproche d’avoir provoqué l’invasion et désarmé le seul bras qui pût la repousser, de vieux drapeaux extraits, après vingt ans d’oubli, du garde-meuble révolutionnaire, voilà ce que la France électorale députait vers Louis XVIII pour l’assister dans sa généreuse tentative ! C’était en nommant Manuel et Grégoire que l’on venait en aide à un gouvernement modéré contre les mauvais vouloirs de la cour et que l’héritier de la couronne, contre les inquiétudes chaque jour croissantes de l’Europe et les prophétiques menaces jetées au pied du trône par les plus vieux serviteurs de la royauté ! Admirable politique qui naquit la veille du 10 août pour finir au lendemain du 24 février !
Les élections de 1819 avaient rendu impossible l’application prolongée du système dont le souvenir attache à la mémoire du roi Louis XVIII un honneur impérissable. Pratiqué avec loyauté par des ministres habiles, ce système avait échoué devant de tristes et incurables habitudes d’esprit. Organisée en sociétés secrètes, descendue dans la jeunesse vies écoles et dans les rangs de l’armée, la révolution minait le sol et préparait une catastrophe. Sous cette mystérieuse influence, les diadèmes des rois pâlissaient comme des astres près de s’éteindre ; le poignard de Louvel atteignait le sang de saint Louis à sa source, et une vaste insurrection militaire, dont le mobile était à Paris, dominait en 1820 l’Europe méridionale de Naples à Lisbonne. Les cabinets qui avaient poussé la royauté dans la voie des concessions l’entraînaient vivement dans celle de la résistance, tant le danger devenait imminent, tant les résultats de la politique royale semblaient en accuser le principe. Les ministres qui avaient si énergiquement repoussé toute modification à la loi électorale durent, vaincus par l’évidence du péril, venir eux-mêmes en implorer le changement, faisant d’une modification immédiate une question de vie ou de mort. C’était porter contre le pays un témoignage trop mérité, et fournir en même temps contre soi-même des armes très dangereuses. Toute politique qui recule sur une question fondamentale est une politique condamnée, et du jour où les auteurs de la loi de 1817 étaient contraints de l’abandonner, il était manifeste que le pouvoir allait leur échapper. Cependant Louis XVIII résista long-temps au torrent qui l’entraînait vers d’autres rivages, car il prévoyait que de là souffleraient des tempêtes non moins redoutables pour la France et pour sa maison. Son instinct lui révélait l’alternative qui pesait sur la restauration comme un arrêt funèbre ; il savait que le zèle n’était pas pour elle moins périlleux que la tiédeur, et que les illusions de ses serviteurs ne lui seraient pas moins fatales que les machinations de ses ennemis. Aussi l’auteur de la charte fit-il sa retraite pas à pas, usant à défendre sa pensée les restes d’une vie minée par les souffrances. Il ne livrait à la réaction que le terrain qu’il était devenu impossible de lui disputer, attendant qu’un retour du bon sens national lui permît de reprendre dans des conditions plus heureuses son œuvre de réconciliation et de paix.
Le second ministère Richelieu, cette administration d’élite où le talent était à la hauteur du cœur, avait été formé d’ans la pensée qu’en écartant celui de ses conseillers contre lequel les passions se déchaînaient avec le plus de violence, la couronne pourrait maintenir sans altération sensible le fond de son système politique ; mais le terme en avait été marqué par une date funèbre : il avait glissé dans le sang. L’assassinat du duc de Berry, la révolte prétorienne des deux péninsules, l’état d’esprit de la jeunesse allemande et les progrès des sociétés secrètes en France, tout commandait de s’arrêter sur la pente qui conduisait aux abîmes, et les circonstances étaient devenues plus fortes que les volontés. M. Decazes, en tombant du pouvoir, avait reconnu et proclamé lui-même l’urgence de refondre la législation électorale et de prendre des garanties contre une presse devenue l’instrument d’une conspiration flagrante. Les collègues de M. de Richelieu avaient donc reçu de leurs prédécesseurs la mission d’accomplir cette œuvre ; mais en vain implorèrent-ils dans cette nécessité pressante le concours des hommes qui avaient l’intérêt le plus direct à soutenir le pouvoir pour contenir la réaction. Le centre gauche refusait par faiblesse ce que les doctrinaires repoussaient par enivrement de logique et d’orgueil : les uns ne pouvaient consentir à blesser la révolution, les autres à paraître s’être trompés. La force des choses conduisit le cabinet à demander à la droite l’appui que ses propres amis lui refusèrent à diverses reprises avec une si imprudente obstination. Dans un gouvernement représentatif, le parti qui assure la majorité est maître du pouvoir, et, ne donnât-il qu’un appoint, on n’est guère en mesure de lui en marchander les conditions. L’abandon où les opinions modérées laissaient le ministère Richelieu dans cette crise suprême impliquait donc l’avènement obligé de la droite aux affaires. Ce furent les chefs du parti bourgeois qui spontanément, et malgré les longs efforts de la couronne firent passer de leurs propres mains dans celles des chefs du parti aristocratique le pouvoir que ceux-ci allaient conserver six années. Devant cet aveuglement de la faiblesse et de la vanité, le roi Louis XVIII put se laver les mains et faire retomber sur les hommes qui les avaient provoquées les conséquences d’un changement qu’il leur aurait été si facile de prévenir et qu’il lui coûtait tant de consommer.
L’adresse de 1821, sous le coup de laquelle tomba le dernier cabinet présidé par M. le duc de Richelieu, peut être comptée au nombre des plus tristes monumens de l’histoire parlementaire. Une coalition entre des partis opposés, possible sur une question spéciale où l’accord existe accidentellement, devient déloyale et coupable lorsqu’il ne se rencontre pas même un grief commun à formuler, et que, pour abattre son ennemi, il faut le frapper dans l’ombre en l’insultant à mots couverts. Tel fut le caractère de l’odieux paragraphe par lequel, sans spécifier aucun fait, sans articuler aucun reproche, on insinuait que le roi de France avait pu, dans des transactions secrètes, livrer à ses alliés l’honneur de sa couronne. Adresser un tel outrage à l’auguste vieillard qui venait de délivrer le sol de sa patrie après l’avoir doté d’un gouvernement libre, c’était à faire refluer vers son cœur le sang de soixante rois et à désespérer d’un pays où deux grands partis se rencontraient pour consommer de compte à demi cet acte d’ingratitude et d’injustice. Ce qui mettrait le comble à la surprise, si l’on ne connaissait l’entraînement des passions humaines, c’est qu’un pareil acte ait été accompli par l’opinion que l’ordonnance du 5 septembre avait mise en pleine possession du pouvoir, lorsque son seul effet possible était d’appeler immédiatement aux affaires ses adversaires impatiens et implacables. Louis XVIII subit la loi constitutionnelle ; il inaugura le ministère de la droite. Cet acte fut pour lui comme une sorte d’abdication morale. Survivant à sa pensée, et voyant commencer du seuil de la tombe le règne de son successeur, il put, sans chercher désormais à les prévenir, prévoir des périls non moins redoutables que ceux qu’il avait traversés. La route changeait, mais le précipice restait ouvert. Nous retracerons cette phase nouvelle, et, après avoir essayé de montrer ce que fut la restauration dans l’histoire, nous verrons ce qu’elle est dans ses historiens.
L. DE CARNE.