De la République, Texte établi par NisardDidot (p. 320-335).

LIVRE TROISIÈME

ARGUMENT TIRÉ DE SAINT AUGUSTIN.

Cité de Dieu, L. II, C. 21.

Le troisième livre s'ouvre par un grand débat. Philus soutient l'opinion de ceux qui pensaient que l'on ne peut gouverner les hommes sans injustice. Il se défend avec force de partager lui-même un tel sentiment; mais il prend en main la cause de l'injustice contre la justice, et il essaye de prouver par des raisons vraisemblables et par l'expérience que la première est utile au gouvernement des États, tandis que la seconde leur est entièrement inutile. Alors Lélius, à la prière de tout le monde, entreprend de défendre la justice, et démontre par tous les moyens possibles que rien n'est plus funeste aux sociétés que l'injustice, et que, sans un grand respect pour la justice, il est absolument impossible aux États de se gouverner et de vivre. Cette question suffisamment éclaircie, Scipion revient au sujet principal de l'entretien; il rappelle et met dans tout son jour la définition qu'il avait donnée de la république, selon lui la chose du peuple; il dit que l'on doit entendre par peuple non pas toute réunion d'hommes, mais une société formée sous la garantie du droit et dans un but d'utilité commune. Il montre combien les définitions sont utiles dans tout débat; et de celles qu'il a établies il conclut qu'un État est vraiment conforme à son institution, et se montre bien la chose du peuple, quand il est gouverné équitablement et sagement, ou par un roi, ou par quelques ci-












CICÉRON. LIVRE TROISIEME

ARGUMELIRE DE SAINT AUGUSTIN. Cité de Dieu, L. IT, C. 21.



  • isieme livre s'ouvre par un grand dé-

bat. Philus soutient l'opinion de ceux qui pen- aient que lon ne peut gouverner les hommes sans injustice. Il se défend avec force de partager lu e un tel sentiment; mais il prend en main la cause de l'injustice contre la justice, et ilessaye de prouver par desraisons vraisemblables et par l'expérience que la première est utile au gouvernement des Etats, tandis que la seconde leur est entièrement inutile. Alors Lélius, à la prière de tout le monde, entreprend de défendre la justice , et démontre par tous les moyens pos- sibles que rien n'est plus funeste aux sociétés que l'injustice, et que, sans un grand respect pour la justice, il est absolument impossible aux États de se gouverner et de vivre. Cette question suffi- samment éclaircie, Scipion revient au sujet prin- cipal de l'entretien ; il rappelle et met dans tout son jour la définition qu'il avait donnée de la ré- publique, selon lui la chose du peuple ; il dit que l'on doit entendre par peuple non pas toute réu- nion d'hommes , mais une société formée sous la garantie du droit et dans un but d'utilité com- mune. Il montre combien les définitions sont uti- les dans tout débat; et de celles qu'il a établies il conclut qu'un Etat est vraiment conforme à son institution, et se montre bien la chose du peuple, quand il est gouverné équitablement et sagement, ou par un roi, où par quelques citoyens principaux, ou par le corps entier de la Nation. Il appelle tyran, à l’exemple des Grecs, le roi injuste ; faction, l’aristocratie injuste ; et ne trouvant pas de terme consacré pour qualifier un peuple injuste, il lui donne aussi le nom de tyran. Mais tandis que, dans la discussion de la veille, il avait appelé États corrompus ceux dont le maître est injuste, il va plus loin maintenant, et déclare, en conséquence même de ses définitions, que, sous de tels maîtres, il n’y a plus de société. Lorsqu’un tyran ou une faction domine, ce n’est plus, dit-il, la chose du peuple ; et le peuple lui-même, quand il devient injuste, cesse d’être un peuple, parce qu’il ne présente plus alors l’image d’une société formée sous la garantie du droit et dans un but d’utilité commune, ce qui est, comme on l’a vu, la véritable définition du peuple.

I. [Dans le troisième livre de la République, Cicéron dit que la nature, plutôt marâtre que mère, a mis l’homme en ce monde avec un corps nu, frêle et débile, avec une âme dévouée aux chagrins, sujette aux terreurs, molle au travail, ouverte aux passions, mais au fond de laquelle cependant luit encore à demi étouffée une divine étincelle d’intelligence et de génie.] Saint Augustin, contre Julien le Pélagien, iv, 160.

[L’homme, qui est lié faible et désarmé, parvient cependant à se mettre en sûreté contre tous les antres animaux ; tandis que les animaux les plus robustes, ceux mêmes qui supportent aisément toute l’inclémence du ciel, ne peuvent se défendre contre l’homme. On voit donc que la raison est plus utile a l’homme que leur forte nature ne l’est aux autres animaux, puisque ceux-ci, malgré la vigueur de leurs muscles et la dureté de leur corps, ne peuvent éviter de tomber sous nos coups ou de devenir nos esclaves…… Platon rend grâces à la nature de lui avoir donné la condition humaine……] Lactance, de Opif. Dei, c. 3.

II…… L’homme s’avançait lentement, il est porté avec une vitesse extraordinaire. Il ne poussait d’abord que des sons confus et inarticulés, l’intelligence les a débrouillés et rendus distincts ; elle a attaché les mots aux choses, pour en être comme le signe ; elle n réuni les hommes, auparavant dispersés, par ce lien délicieux du langage. Les articulations de la voix paraissaient infinies, mais cette même intelligence trouva l’art de les exprimer et de les représenter toutes au moyen d’un petit nombre de caractères, qui nous permettent de converser avec les absents, de faire connaître nos volontés, et de fixer dans des monuments le souvenir du passé. Le génie de l’homme découvrit ensuite la science des nombres, chose si nécessaire à la vie et qui seule est immuable et éternelle. Cette science nous conduisit à jeter un regard observateur sur les deux, et, sans nous consumer dans une contemplation stérile de mouvements astronomiques à faire le calcul des jours et des nuits……(LACUNE)

III…… Des hommes parurent enfin, dont l’esprit s’éleva plus haut, et put exécuter ou concevoir quelques grandes choses, qui fussent vraiment dignes de ce présent des Dieux. Regardez donc, si vous le voulez, comme de grands hommes ceux qui nous enseignent l’art de la vie ; regardez-les comme les lumières des peuples, comme les précepteurs de la vérité et de la vertu, rien de plus légitime ; pourvu que vous accordiez une partie de cette estime à la science du gouvernement, à ce grand art de la vie des peuples, sorti d’abord de l’expérience des hommes politiques, médité ensuite à l’ombre des écoles, et qui donne souvent aux esprits heureusement nés une vertu divine et une incroyable puissance. Lorsque de nobles âmes ont voulu joindre aux facultés qu’elles tenaient de la nature ou des institutions sociales les trésors de la science et la lumière des principes, comme firent les illustres personnages que j’introduis dans cet ouvrage, il n’est personne qui ne proclame leur incontestable supériorité. Quoi de plus admirable en effet que d’allier la pratique et l’expérience des grandes choses à l’étude et la méditation des arts de la vie ? Peut-on imaginer rien de plus parfait qu’un Scipion, un Lélius, un Philus, tous ces grands hommes enfin qui pour ne négliger aucune partie de la véritable gloire, joignirent aux maximes de leurs ancêtres et aux traditions domestiques les enseignements étrangers dont Socrate fut le père ? Je regarde donc comme accompli de tous points celui qui a voulu et qui a pu en même temps réunir au pieux héritage de nos ancêtres le bienfait de la science. Mais s’il fallait choisir entre ces deux voies de la sagesse, bien que beaucoup d’esprits puissent trouver plus heureuse une vie passée dans l’étude et la méditation des plus hautes vérités, mon suffrage serait acquis à cette vie active dont la gloire est plus solide, et qui produit des hommes comme M. Curius. « Que personne jamais n’a pu vaincre ni avec l’or ni avec le fer ; » ou comme……(LACUNE)

IV…… La différence qu’il y eut entre les grands hommes des deux nations, c’est que chez les Grecs les semences de vertu furent développées par la parole et l’étude ; chez nous, au contraire, par les institutions et les lois. Rome a produit un grand nombre, je ne dirai pas de sages, puisque c’est un titre dont la philosophie est si avare, mais d’hommes souverainement dignes de gloire, puisqu’ils ont pratiqué les préceptes et les leçons des sages ; et si l’on songe au nombre des États florissants que le monde a connus et qu’il renferme encore, si l’on fait réflexion que le plus grand effort du génie est de fonder une nation capable d’avenir : à ne compter qu’un législateur par peuple, quelle multitude de grands hommes nous voyons subitement apparaître ! Si nous voulons parcourir en esprit toutes les contrées de l’Italie, le Latium, le pays des Sabins et des Volsques, le Samnium, l’Étrurie, la Grande-Grèce ; si nous jetons les yeux sur les Assyriens, les Perses, les Carthaginois……(LACUNE)

V…… Vous me chargez là d’une belle cause, dit Philus, en m’ordonnant de prendre la défense de l’injustice ! — Craignez-vous donc sérieusement, lui répondit Lélius, que si nous vous entendons développer les arguments favoris des adversaires de la justice, nous ne vous prenions pour l’un des leurs, vous qui êtes parmi nous le plus parfait modèle de l’antique probité et de la foi romaine, vous dont tout le monde connaît la méthode habituelle d’examiner tour à tour les deux cotés de chaque question, pour arriver plus aisément à découvrir la vérité ! — Eh bien, soit ! dit Philus, je vous obéirai, et je prendrai un masque odieux pour vous plaire. On se fait bien d’autres violences quand on poursuit la fortune ! nous qui recherchons la justice, dont le prix efface de beaucoup toutes les richesses du monde, nous ne devons reculer devant aucune épreuve. Plût aux Dieux qu’en parlant un langage qui n’est pas le mien, je pusse me servir aussi de la bouche d’un autre ! Malheureusement il faut aujourd’hui que L. Philus reproduise ce que Carnéade, un Grec, un homme si habile à manier la parole……(LACUNE) [Ce n’est donc pas mes propres sentiments que j’exprimerai, mais je vous livrerai en quelque façon Carnéade, afin que vous puissiez réfuter ce raisonneur subtil, dont les chicanes savent embarrasser les meilleures causes.] Nonius, iv, 71.

VI. [Carnéade, philosophe académicien, savait discuter avec une grande force, une grande éloquence et une extrême finesse. Cicéron en parle avec beaucoup d’éloges, et Lucilius fait dire à Neptune, qui se perd dans une questions très difficile, qu’elle restera à tout jamais insoluble, quand même l’enfer rendrait exprès Carnéade au monde. Envoyé par les Athéniens en ambassade à Rome, Carnéade parla fort éloquemment de la justice, en présence de Galba et de Caton le Censeur, les deux plus grands orateurs de ce temps. Mais le lendemain il ruina complètement tout son discours de la veille, et décria la justice qu’il avait portée aux nues. Ce n’était pas là la gravité d’un philosophe, qui doit avoir des sentiments arrêtés et immuables ; mais Carnéade voulait montrer toute la souplesse de son talent oratoire, exercé à soutenir également bien le pour et le contre, et qui le rendait capable de réfuter aisément tout ce qu’on lui voulait soutenir. Cicéron a mis dans la bouche de L. Furius l’argumentation de Carnéade contre la justice, sans doute parce que, traitant de la république, il avait le dessein d’amener la défense et l’éloge de cette vertu sans laquelle il était convaincu qu’on ne peut gouverner les États. Carnéade, au contraire, qui voulait réfuter Aristote et Platon, les deux plus fermes partisans de la justice, rassembla dans son premier discours tout ce qui était dit en faveur de cette cause, afin de pouvoir la ruiner ensuite, comme effectivement il y parvint.] Lactance, Instit., v, 14.

VII.[Un grand nombre de philosophes, Platon et Aristote en tête, ont dit mille choses à la louange de la justice, dont ils faisaient le plus magnifique portrait. C’est, disaient-ils, une vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient, et maintient en tout la plus stricte équité ; les autres vertus sont en quelque façon muettes, et demeurent renfermées dans l’âme ; seule, la justice ne se dérobe point aux regards et ne se concentre point en elle-même, mais elle se produit toute au dehors, inspire à l’âme une bienveillance universelle, et cherche à multiplier ses bons offices. Comme si la justice ne convenait qu’aux juges et aux puissants, et non pas à tout le monde ! Mais il n’est pas un seul homme, je dis même le dernier et le plus misérable, qui ne doive pratiquer la justice. Ces philosophes ignoraient en quoi consiste la justice, de quelle source elle vient, à quelle fin elle est destinée ; c’est pourquoi ils ont regardé cette vertu suprême, qui est un bien commun à tous les hommes, comme le privilège d’un petit nombre, et ont dit que, n’étant à l’âme d’aucune utilité propre, elle se consacrait sans partage aux intérêts d’autrui. Il faut donc applaudir à Carnéade, dont le génie pénétrant et subtil mit à nu la faiblesse de leur doctrine, et donna le coup de grâce à cette justice, qui n’avait pas de fondement solide : non certes qu’il ne tînt la justice en estime, mais il voulait prouver qu’elle avait eu des défenseurs malhabiles, et qui prêtaient le flanc de tous côtés. Lactance, Epitom. c. 55. [La justice nous occupe des autres, elle se produit au dehors et se répand sur le monde.] Nonius, iv, 71. [Cette vertu, à la différence des autres, est tout entière consacrée aux intérêts d’autrui, qui l’absorbent.] Nonius, iv, 174.]

VIII…… L’autre (Aristote) a parlé de la justice seule dans quatre livres assez étendus. Quant à Chrysippe, je n’attendais de lui rien de grand, ni qui fût digne du sujet ; il parle toujours à sa mode, s’embarrasse dans des minuties de langage, et ne touche jamais le fond des choses. Il était digne des héros de. la philosophie de relever cette vertu, la plus généreuse de toutes, si elle existe ; la plus libérale, celle qui rend à l’homme ses semblables plus chers que lui-même, et par laquelle chacun de nous semble né non pour soi, mais pour le genre humain : il était digne d’eux de la placer sur un trône immortel, non loin de la sagesse. Et véritablement ce n’est ni la volonté qui leur a manqué (tant de livres laborieusement écrits en font foi), ni le talent, qu’ils avaient si relevé et d’une telle prééminence. Mais tout leur génie et leurs efforts ont été trahis par la faiblesse de leur cause. Il faut bien reconnaître un droit civil ; mais le droit naturel, où le trouver ? S’il existait, tous les hommes s’entendraient sur le juste et l’injuste, comme ils s’accordent sur le chaud et le froid, le doux et l’amer.

IX. Mais aujourd’hui, si quelqu’un de nous, emporté par des dragons ailés sur ce char dont parle Pacuvius, pouvait, du haut des airs, voir passer sous ses regards peuples, villes et contrées, quel spectacle s’offrirait à lui ? Ici l’immuable Égypte, qui conserve dans ses archives le souvenir de tant de siècles et d’événements fameux, adore son bœuf Apis, et met au rang des dieux une foule de monstres et d’animaux de toute espèce. En face d’elle, la Gréée consacre des temples magnifiques à des idoles de forme humaine, commettant ainsi un indigne sacrilège, au jugement des Perses ; car on prétend que Xerxès ne livra Athènes aux flammes que parce qu’il regardait comme un crime de tenir enfermés dans des murailles les Dieux, dont l’univers entier est la demeure. Plus tard, Philippe méditant la guerre contre les Perses, Alexandre accomplissant les desseins de son père, déclaraient qu’ils allaient venger les temples de la Grèce, temples que les Grecs eux-mêmes n’avaient pas voulu relever, pour laisser à la postérité un témoignage éternel de l’impiété des barbares. Combien d’hommes, comme les peuples de la Tauride sur le Pont-Euxin, comme le roi d’Égypte Busiris, comme les Gaulois, les Carthaginois, ont cru qu’il était pieux et agréable aux Dieux immortels de répandre le sang humain ! Les règles de la justice et de la morale varient tellement, que les Crétois et les Étoliens tiennent en honneur te brigandage, et que les Lacédémoniens regardaient comme leur bien tous les champs où leur javelot pouvait atteindre. Les Athéniens juraient publiquement que toute terre portant des blés ou des oliviers leur appartenait de plein droit. Pour les Gaulois, c’est une honte de labourer la terre ; aussi vont-ils à main armée couper la moisson sur les champs d’autrui. Nous autres enfin, les plus justes des hommes, nous défendons aux nations transalpines de planter la vigne et l’olivier, pour donner plus de prix à notre huile et à nos vins : c’est de la prudence, j’en conviens ; mais direz-vous que ce soit de l’équité ? Reconnaissons donc que la justice et la sagesse ne sont pas sœurs si germaines. Apprenez-le au moins de Lycurgue, ce législateur excellent, ce flambeau d’équité, qui fait cultiver les terres des riches par le peuple, comme par des serfs.

X. Si je voulais parcourir les lois, les institutions, les mœurs et les coutumes, je ne dis pas des divers pays du monde, mais d’une seule ville, et de Rome elle-même, je prouverais qu’elles ont mille fois changé. Ainsi le savant jurisconsulte qui m’écoute, Manilius, consulté aujourd’hui sur les legs et l’héritage des femmes, répondrait autrement qu’il ne faisait dans sa jeunesse, avant la loi Voconia, loi rendue dans l’intérêt des hommes, et qui est pleine d’injustice pour les femmes. Pourquoi donc une femme ne pourrait-elle pas posséder ? Pourquoi une vestale a-t-elle le droit d’instituer héritier, tandis qu’une mère ne l’a pas ? Pourquoi, s’il fallait mettre des bornes à la richesse des femmes, la fille de P. Crassus, en la supposant fille unique, hériterait-elle légalement de cent millions de sesterces, tandis que la mienne ne pourrait en posséder trois millions ?……(LACUNE)

XI…… S’il y avait une justice naturelle, tous les hommes reconnaîtraient les mêmes lois, et dans un même peuple les lois ne changeraient pas avec les temps. Vous dites que le caractère du juste, de l’homme de bien, est d’obéir aux lois ; mais à quelles lois ? Serait-ce à toutes indistinctement ? Mais la vertu n’admet point cette mobilité, et la nature est éternellement la même. D’ailleurs, qu’est-ce qui fait l’autorité des lois humaines ? Ce sont les prisons et les bourreaux, et non l’impression évidente de la justice. Il n’y a donc point de droit naturel ; partant, ce n’est point la nature qui inspire aux hommes la justice. Direz-vous que les lois seules varient, mais que les gens de bien font naturellement ce qui est, et non ce que l’on croit juste ? Il semble, en i effet, que le propre de l’homme vertueux et juste, | c’est de rendre à chacun ce qui lui est dû. Voyons donc d’abord ce que nous devons aux bêtes ; car des esprits qu’on ne peut tenir pour médiocres, de très-doctes et de très grands hommes, Pythagore et Empédocle, enseignent que tous les êtres animés ont les mêmes droits, et menacent de châtiments terribles l’homme qui porte les mains sur un animal. C’est donc un crime que de faire du mal à une bête, et ce crime……(LACUNE)

XII. [Alexandre demandait à un pirate quel mauvais génie le poussait à infester les mers avec son chétif brigantin. — Le même, lui répondit le pirate, qui t’envoie ravager le monde.] Nonius, IV, 226 ; xiii, 6.

…… La prudence nous engage à augmenter notre pouvoir, à accroître nos richesses, à étendre nos possessions. Comment Alexandre, ce grand capitaine, qui recula si loin les bornes de son empire, aurait-il pu, sans toucher au bien d’autrui, recueillir tant de jouissances exquises, étendre au loin sa domination, soumettre tous ces peuples à sa loi ? La justice nous ordonne, au contraire, d’épargner tout le monde, de veiller aux intérêts du genre humain, de rendre à chacun ce qui lui appartient, de respecter les choses sacrées, les propriétés publiques et privées. Qu’arrive t-il ? Si vous écoutez les conseils de la prudence, homme ou peuple, vous gagnez richesses, grandeurs, pouvoir, honneurs, autorité, royaumes. Puisque nous parlons ici de la république, nous pouvons trouver dans l’histoire des peuples de plus illustres exemples ; et comme d’ailleurs tes nations et les individus sont gouvernés par les mêmes principes, je pense qu’il vaut mieux montrer suivant quelles règles de prudence un peuple se conduit. Pour ne rien dire des autres, jetons les yeux sur celui de Rome, et demandons-nous si c’est par la justice ou par la prudence que cet empire dont Scipion nous retraçait hier l’histoire depuis la première origine, et qui tient maintenant le monde entier sous ses lois, s’est élevé de ces obscurs commencements à ce faîte…..(LACUNE)

XIII. [Nous pouvons apprendre quelle différence il y a entre l’utilité et la justice dans l’histoire du peuple romain, qui, en déclarant la guerre par ses féciaux, en commettant légalement une foule d’injustices, en convoitant et ravissant toujours le bien d’autrui, s’est rendu le maître de tout l’univers.] Lactance, Instit., vi, 9. [Qu’est-ce que le bien d’un pays, si ce n’est le mal d’un autre ? L’intérêt d’un peuple n’est-il pas d’étendre ses frontières par la force des armes, de porter au loin son empire, d’accroître ses revenus ? Celui qui procure tous ces avantages à sa patrie, qui par la ruine des cités et l’anéantissement des peuples remplit le trésor public, confisque des terres, enrichit ses concitoyens, un tel homme est porté jusqu’aux nues ; on trouve en lui la souveraine et parfaite vertu. Et cette erreur n’appartient pas seulement au peuple et aux ignorants, mais elle est partagée par les philosophes, qui vont jusqu’à donner des leçons d’injustice.] Lactance, Instit., vi, 6.

XIV…… Tous ceux qui ont sur un peuple le pouvoir de vie et de mort sont des tyrans ; mais ils aiment mieux prendre le nom du Dieu souverainement bon, et s’appeler rois. Lorsque certains hommes, élevés par leurs richesses, leur naissance ou leur crédit, sont les maîtres de l’État, c’est une faction ; mais on lui donne le beau nom d’aristocratie. Si le peuple est l’arbitre suprême et tout-puissant, alors on dit que règne la liberté, et véritablement c’est la licence. Mais lorsque tout le monde se redoute dans un État, lorsque les individus et les ordres sont dans une défiance perpétuelle les uns des autres, alors il se forme une espèce de pacte entre le peuple et les grands, et l’on voit naître cette forme mixte de gouvernement dont Scipion nous faisait l’éloge. Car il faut bien comprendre que ce n’est ni la nature ni la volonté, mais la faiblesse, qui est mère de la justice. Donnez le choix à l’homme entre ces trois partis : faire le mal et ne point le souffrir, le faire et le souffrir, l’éviter sans le faire ; lequel sera préféré ? Le premier, faire le mal impunément. Et ensuite ? l’éviter à la condition de ne point le faire. Le plus triste des trois est de passer sa vie dans une lutte continuelle, faisant le mal et le recevant tour à tour. Celui donc qui peut avoir le premier destin……(LACUNE)

XV. [Voici en substance les arguments de Carnéade : Les hommes se sont fait des lois pour servir leurs intérêts, lois qui varient selon les mœurs, qui changent dans une même nation, selon les temps ; quant au droit naturel, c’est une chimère. Tous les hommes, et en général tous les êtres animés, n’ont d’autre mobile naturel que l’amour d’eux-mêmes. Il n’y a point de justice au monde ; et si elle existait quelque part, ce serait une insigne folie pour un homme que de rendre service aux autres à son préjudice. Carnéade ajoutait : Si tous les peuples dont l’empire est florissant, si les Romains surtout, qui sont maîtres de l’univers, voulaient pratiquer la justice, c’est-à-dire restituer le bien d’autrui, il leur faudrait revenir à leurs anciennes cabanes, et végéter dans la pauvreté et la misère.] Lactance, Inst., v, 16…… Les peuples ne posséderaient plus un pouce de territoire, si ce n’est peut-être les Arcadiens et les Athéniens, qui, redoutant sans doute ce grand acte de justice dans l’avenir, ont imaginé de prétendre qu’ils étaient sortis de terre, comme ces rats qui naissent du sol dans les campagnes.

XVI. Parmi ceux qui prétendent nous réfuter, nous trouvons d’abord ces philosophes d’une bonne foi si parfaite, qui semblent ici avoir d’autant plus d’autorité que, dans une discussion où il s’agit de l’homme de bien, lequel, selon nous, est d’abord franc et ouvert, ils n’apportent ni finesse, ni fourberie, ni malice. Ils disent que si le sage est homme de bien, ce n’est pas que la bonté et la justice le séduisent par elles-mêmes, mais parce que la vie des gens de bien n’est agitée ni de craintes, ni de soucis, ni d’angoisses, ni de périls ; tandis que les méchants sont toujours déchirés par quelques remords, et poursuivis de l’image des condamnations et des supplices. Ils disent qu’il n’est aucun avantage, aucun bien si précieux acquis par l’injustice, qui vaille les tourments qu’il cause, les terreurs sans cesse renouvelées de l’homme qui sent le glaive des lois suspendu sur sa tête. (LACUNE)

XVII. [Supposez, je vous prie, deux hommes, dont l’un soit un modèle de vertu, d’équité, de justice, de bonne foi, l’autre le plus insigne et le plus effronté scélérat du monde ; supposez que leurs concitoyens soient tellement abusés qu’ils regardent l’homme de bien comme un misérable, un criminel, un infâme ; le scélérat, au contraire, comme un homme d’un honneur et d’une probité parfaite ; et qu’en conséquence de ce préjugé de tout un peuple l’homme de bien soit persécuté, traqué, jeté dans les fers, qu’on lui crève les yeux, qu’il soit condamné, lié, torturé, proscrit, mourant de faim, et que tant de misères paraissent à tous les yeux un juste châtiment ; que le méchant, au contraire, soit loué, honoré, chéri de tous ; qu’on lui prodigue les dignités, les commandements, la puissance, toutes les grandeurs et les biens à profusion, qu’il soit enfin dans l’opinion de tous le meilleur des hommes et le plus digne de la merveilleuse fortune : où est l’insensé qui hésiterait entre ces deux destins ? ] Lactant. Inst., I. v, c. 12.

XVIII. Ce qui est vrai des individus est vrai des peuples ; il n’est pas une nation assez aveugle pour préférer la justice dans l’esclavage à la domination au prix de l’injustice. Je n’irai pas chercher mes preuves bien loin. Pendant mon consulat, j’appelai le peuple, d’après vos propres conseils, à se prononcer sur le traité de Numance. Tout le monde savait que Q. Pompée avait conclu ce traité, et que Mancinus s’était engagé comme lui. Celui-ci, le plus intègre des hommes, appuya la proposition, que je présentai au peuple sur les ordres mêmes du sénat ; l’autre se défendit très-vivement. Où était l’honneur, la probité, la bonne foi ? du côté de Mancinus ; l’habileté, la politique, la prudence ? du côté de Pompée……(LACUNE)

XIX. Après ces considérations générales, Carnéade venait à la discussion des faits : Si un homme de bien, disait-il, a un esclave fugitif ou une maison insalubre et malsaine, que seul il connaisse le vice de l’une et la fuite de l’autre, et qu’il veuille, pour cette raison, les mettre en vente, annoncera-t-il qu’il veut vendre un esclave fugitif, une maison insalubre ; ou bien le cachera-t-il à l’acheteur ? S’il l’annonce, on le regardera comme un honnête homme qui a la délicatesse de ne pas tromper, mais comme un sot qui ne placera sa marchandise qu’à vil prix, si toutefois il peut s’en défaire. S’il ne l’annonce pas, il fait preuve de prudence, puisque ses intérêts doivent y gagner ; mais non de probité, puisqu’il trompe. Autre exemple : Si l’on rencontre un homme qui veut vendre de l’or ou de l’argent, croyant que c’est du clinquant ou du plomb, le laissera-t-on dans son erreur pour acheter bon marché, ou l’en tirera-t-on pour payer cher ? Ne serait-ce pas une sottise que de mieux aimer compromettre sa bourse ? — On devait conclure de là, selon Carnéade, que l’honnête homme est un sot, et que l’homme prudent n’est pas honnête.

XX. [Il proposait ensuite des exemples plus graves, où l’on voyait que souvent il en coûterait la vie pour pratiquer la justice. C’est ainsi qu’il disait : La justice défend à l’homme de tuer son semblable, de toucher au bien d’autrui. Que fera donc le juste si, dans un naufrage, il voit un homme plus faible que lui s’emparer d’une planche de salut ? Ne lui fera-t-il pas lâcher cette planche pour y monter à son tour, s’en aider pour se sauver, surtout lorsqu’il n’y a aucun témoin en pleine mer ? S’il est prudent, il le fera ; car autrement il doit périr. S’il aime mieux mourir que de faire violence à son semblable, il agit selon les règles de la justice, mais il est insensé de sacrifier sa vie pour épargner celle d’autrui. De même si, dans une déroute, notre juste, poursuivi par l’ennemi, rencontre un blessé fuyant à cheval, épargnera-t-il la, vie de ce blessé pour attendre une mort certaine ; ou le jettera-t-il à bas du cheval pour échapper aux mains des ennemis ? S’il prend ce dernier parti, il est prudent, mais coupable ; s’il ne le prend pas, il agit en homme de bien, mais en insensé. — Voilà comment Carnéade, divisant la justice en deux branches, l’une civile, l’autre naturelle, les détruit l’une et l’autre, en prouvant que la première est bien la prudence, mais non la justice, et que la seconde est bien la justice, mais non la prudence. Ce sont là des arguments captieux et empoisonnés que Cicéron n’a pu réfuter. Car lorsqu’il fait répondre à Furius par Lélius, qui plaide la cause de la justice, il laisse sans solution toutes ces difficultés, qu’il semble éviter comme autant de pièges.] Lactance, Instit., liv. v, c. 16.

XXI…… [J’accepterais volontiers cette tâche, Lélius, si je ne croyais que nos amis désirent, et si je ne souhaitais moi-même, vous voir prendre quelque part à cet entretien. Vous nous disiez hier, rappelez-vous-le, que vous parleriez peut-être plus que nous ne voudrions. C’était promettre l’impossible ; mais tenez au moins une partie de votre parole, nous vous en prions tous.] Aulu-Gelle, i, 22.Lélius…… [Que nos jeunes gens se gardent bien d’écouter Carnéade, S’il pense ce qu’il dit ! c’est un homme infâme ; s’il ne le pense pas, ce que j’aime mieux croire, son discours n’en est pas moins horrible.] Nonius, iv, 236, 240.

XXII. [Il est une loi véritable, la droite raison conforme à la nature, immuable, éternelle, qui appelle l’homme au bien par ses commandements, et le détourne du mal par ses menaces ; mais, soit qu’elle ordonne ou qu’elle défende, elle ne s’adresse pas vainement aux gens de bien, et elle n’a pas le crédit d’ébranler les méchants. On ne peut ni l’infirmer par d’autres lois, ni déroger a quelqu’un de ses préceptes, ni l’abroger tout entière ; ni le sénat ni le peuple ne peuvent nous dégager de son empire ; elle n’a pas besoin d’interprète qui l’explique ; il n’y en aura pas une à Rome, une autre à Athènes, une aujourd’hui, une autre dans un siècle ; mais une seule et même loi éternelle et inaltérable régit à la fois tous les peuples, dans tous les temps ; l’univers entier est soumis à un seul maître, à un seul roi suprême, au Dieu tout-puissant, qui a conçu, médité, sanctionné cette loi : la méconnaître, c’est se fuir soi-même, renier sa nature, et par là seul subir les plus cruels châtiments, lors même qu’on échapperait aux supplices infligés par les hommes.] Lactance, Instit., vi, 8.

XXIII. [Dans le troisième livre de la République, on soutient, si je ne me trompe, qu’une sage république ne fait jamais la guerre que par fidélité à sa parole, ou pour son salut. Ailleurs Cicéron explique ce qu’il faut entendre par salut de l’État : Ces peines dont les hommes les plus grossiers, nous dit-il, sentent l’amertume, la pauvreté, l’exil, les fers, les tortures, tout citoyen peut s’en affranchir en un instant par la mort ; mais la mort, qui termine aussi les malheurs des particuliers, est elle-même le plus grand malheur pour un État. Car un État doit être constitué de façon à vivre éternellement. Les républiques ne sont donc pas destinées à périr comme les hommes, pour qui la mort est non-seulement nécessaire, mais souvent même désirable. Lorsqu’un État disparait, s’abîme, est anéanti, c’est en quelque sorte, pour comparer les petites choses aux grandes, comme si le monde entier périssait et s’écroulait.] S.Augustin, de Civ. D. xxii, 5. [Cicéron dit dans le traité de la République : On doit considérer comme injuste toute guerre entreprise sans motifs. Quelques lignes après, il ajoute : Une guerre ne peut être juste, si elle n’est annoncée et publiquement déclarée, si on ne l’a fait précéder d’une demande en réparation Isidore, Orig., xvm, 1. [C’est en défendant ses alliés que le peuple romain a conquis l’empire du monde.] Nonius, ix, 6.

XXIV. [Dans ces mêmes livres de la République, la cause de la justice contre l’injustice est soutenue avec beaucoup de force et de chaleur. En plaidant la cause opposée, et en voulant démontrer qu’il n’y a d’existence et de prospérité pour les États que par l’injustice, Philus avait proposé, comme le plus solide fondement de sa doctrine, cet argument : II est injuste que les hommes soient soumis à leurs semblables et les servent ; et cependant si un État puissant, dont l’empire s’étend au loin, ne commet cette injustice, il lui sera impossible de tenir ses provinces sous sa loi. On lui répond, au nom de la justice, que la domination dont il parle est juste, parce que la sujétion est un bien pour les peuples soumis, parce que l’autorité d’un maître leur est utile lorsqu’elle s’exerce avec équité et n’est pas confiée à des mains impures et tyranniques, parce qu’enfin la soumission doit être salutaire à des nations qui périssaient dans leur triste indépendance. Pour rendre plus manifeste la vérité de ce sentiment, Lélius montrait que c’était là une loi universelle, fondée sur la nature même, et disait : Pourquoi donc Dieu commande-t-il à l’homme, l’âme au corps, la raison aux passions et à toutes les parties mauvaises de notre nature ? ] Saint Augustin, de Civit. Dei, xix, 2l.

XXV. [Écoutez ce que dit Tullius avec tant de raison dans son troisième livre de la République ; il veut montrer que l’homme peut légitimement commander à son semblable : Ne voyons-nous pas, dit-il, que partout la nature a établi l’empire de ce qui est excellent sur ce qui est de condition inférieure, et que rien n’est plus salutaire que cet empire ? Pourquoi Dieu commande-t-il à l’homme, l’âme au corps, la raison aux passions, à la colère et à toutes les mauvaises parties de notre âme ? — Un peu après, Tullius ajoute : II y a différentes sortes de commandements et d’obéissances qu’il faut savoir distinguer. On dit que l’âme commande au corps, et qu’elle commande aux passions ; mais elle commande au corps comme un roi à ses concitoyens, un père à ses enfants ; aux passions, comme un maître à ses esclaves, parce qu’elle les réprime violemment et les dompte. Les rois, les généraux, les magistrats, les pères, les peuples gouvernent leurs concitoyens et leurs alliés comme l’âme gouverne le corps ; tandis que la dure autorité des maîtres, tenant leurs esclaves sous le joug, ressemble à celle de la meilleure partie de l’âme, je veux dire la raison, bridant les parties faibles ou vicieuses de cette même âme, telles que la colère, l’amour désordonné et les autres passions.] Saint Augustin, contre Julien, iv, 12. La sujétion de l’homme qui pourrait se commander à lui-même est injuste ; mais je ne trouve aucune injustice à ce que ceux qui ne savent pas se gouverner soient tenus d’obéir. Nonius, ii, 313.

XXVI. Si vous savez, dit Carnéade, qu’il y ait un serpent caché en quelque endroit où va s’asseoir, sans y prendre garde, un homme à la mort duquel vous gagneriez, vous agirez eu malhonnête homme si vous ne l’avertissez pas du danger qu’il court ; toutefois c’est impunément que vous garderiez le silence, car qui pourrait vous convaincre d’avoir connu le danger ? Mais nous en avons assez dit pour montrer évidemment que si l’équité, la bonne foi, la justice ne viennent pas d’une impulsion naturelle et ne sont inspirées que par l’égoïsme, il n’est pas dans le monde un seul homme de bien. C’est d’ailleurs un sujet que nous avons fait traiter longuement par Lélius dans nos livres de la République. Cicéron, de Fin. n, 18. Si, comme vous le remarquez vous-même, nous avons eu raison de dire dans ces livres que rien n’est bien que ce qui est honnête, rien n’est mal que ce qui est honteux…… Cicéron, à Att., x, 4.

XXVII. Je vois avec grand plaisir que vous regardiez l’amour d’un père pour ses enfants comme inspiré par la nature. Il faut avouer que, si cet amour n’existait pas, les hommes seraient tous étrangers les uns aux autres ; et s’il n’y a plus de liens entre les hommes, que devient la société ? Mes enfants, dira Carnéade Je leur souhaite bonne fortune ! Carnéade, êtes-vous donc un homme ? Cependant j’aime encore mieux votre langage que celui de Lucius et de Patron qui rapportent tout à eux-mêmes, et déclarent qu’ils ne remueraient pas le bout du doigt pour le service d’un autre : honnêtes gens qui se figurent qu’on est homme de bien quand on évite tous les maux, et non pas quand on fait ce qui de sa nature est droit, et qui ne veulent pas comprendre que c’est de l’homme habile qu’ils nous parlent, et non de l’homme de bien ! Mais je crois avoir expliqué tout ceci dans mes livres de la République : il est vrai, mon ami, qu’en les louant vous avez doublé mon courage. Cicéron, ad Att., vii, 2. Je suis de leur avis ; une justice agitée et pleine de péril n’est pas celle du sage. Priscien, viii, p. 801.

XXVIII. Cicéron fait dire aussi à Lélius, qui défend la justice : La vertu veut être honorée ; c’est la seule récompense qui lui convienne, encore la reçoit-elle sans exigence, et la demande-t-elle sans avidité. — Et dans un autre endroit : Quels trésors offrirez-vous à l’homme de bien ? quelles dignités ? quel royaume ? Tous ces biens il les regarde comme périssables, et ceux qu’il possède comme divins. Si l’ingratitude d’un peuple, les menées d’une cabale ou la puissance de quelques ennemis peut dépouiller la vertu de ses récompenses, elle trouve en elle-même mille consolations délicieuses, elle est toujours assez ornée de sa propre beauté. Lactance, Instit. v, 18, 22. Hercule que sa vaillance a rendu fameux presque à l’égal de l’Africain et élevé au rang des Dieux. Lactance, Instit., 9. Dans le troisième livre de la République, Cicéron assure qu’Hercule et Romulus ont dépouillé la nature humaine pour prendre place parmi les Dieux ; non, dit-il, que leur corps ait été transporté dans les cieux ; car la nature ne permet pas que ce qui sort de la terre puisse se reposer ailleurs que dans la terre elle-même. Saint Augustin, de Civil. D., xxii, 4. Les hommes de cœur ont toujours recueilli les fruits de leur courage et de leur infatigable persévérance. Nonius, ii, 434.

[Etait-ce une folie à Curius que de dédaigner les largesses de Pyrrhus, et de refuser l’or des Samnites ? ] Nonius, ii, 488. [Caton nous disait qu’il ne manquait pas, en arrivant dans ses terres de la Sabine, d’aller visiter le foyer près duquel était assis Curius, lorsque les Samnites, naguère ses ennemis, alors ses clients, vinrent lui offrir des présents qu’il rejeta.] Nonius, ii, xii, 19.

XXIX…… Gracchus respecta les droits de ses concitoyens ; mais il méconnut ceux des alliés et des Latins, et foula aux pieds les traités. Si ces entreprises se renouvellent, si cette licence s’étend plus loin et ruine nos droits pour y faire succéder la violence ; si un jour ceux qui nous obéissent encore par affection ne sont plus contenus que par la terreur, je tremble, non pas pour nous qui à notre âge n’avons plus guère de jours à offrir à notre pays, mais pour nos fils et pour l’immortalité de notre empire, immortalité qui nous était acquise avec les institutions et les mœurs de nos ancêtres.

XXX. Quand Lélius eut achevé de parler, tous ceux qui étaient présents lui témoignèrent l’extrême plaisir que leur avait fait son discours. Mais Scipion, plus charmé encore que les autres, et comme transporté de joie, lui dit : O Lélius ! vous avez défendu bien des causes avec tant d’éloquence, que je n’aurais osé vous comparer ni Servius Galba notre collègue, que vous regardiez de son vivant comme le premier de nos orateurs, ni même aucun de ces grands maîtres d’Athènes. (LACUNE)…… [Deux choses lui avaient manqué pour parler en public, l’assurance et la voix]…… Nonius, iv, 7l…… [les gémissements des malheureux renfermés dans ses flancs faisaient mugir ce taureau] Scoliaste de Juvénal, p. 215.

XXXI…… Peut-on reconnaître une république, c’est-à-dire, la chose du peuple, dans une cité où tous les citoyens étaient opprimés par la cruauté d’un seul, où il n’y avait plus de droits, de concours, de société, où était anéanti tout ce qui fait un peuple ? Tel fut également le destin de Syracuse. Cette ville admirable, que Timée appelle la plus grande de toutes les villes grecques et la plus belle du monde, cette citadelle incomparable, ce double port qui pénètre jusqu’au sein de In cité, ces quais étendus baignés par les eaux, ces larges rues, ces portiques, ces temples, ces murailles, toutes ces merveilles rassemblées ne faisaient pas que, sous la verge de Denys, Syracuse fût une république ; car aucune d’elles n’appartenait au peuple, et le peuple lui-même appartenait à un seul homme. Ainsi donc là où domine un tyran, il faut conclure, non pas comme nous disions hier, que la société est mal gouvernée, mais, comme la raison nous y contraint, qu’il n’y a plus de société.

XXXII. Lélius. C’est parfaitement dit ; et je vois déjà où tend ce discours. —Scipion. Vous voyez donc que sous l’empire absolu d’une faction on ne peut pas dire non plus qu’il y ait de société. — Lélius. C’est mon sentiment. — Scipion : Et il ne peut y en avoir de plus juste. Qu’était devenue la république d’Athènes, je vous le demande, lorsqu’après cette grande guerre du Péloponnèse, elle fut soumise au pouvoir odieux des trente tyrans ? L’ancienne gloire de la cité, les rares beautés de la ville, le théâtre, les gymnases, les portiques, les propylées si fameux, la citadelle, les admirables œuvres de Phidias, le port magnifique du Pirée, composaient-ils une république ? — Nullement, dit Lélius, puisque le peuple était asservi, et n’avait de droits sur rien. — Scipion. Et quand nos décemvirs nommés sans appel, conservèrent le pouvoir pendant cette troisième année où la liberté perdit jusqu’à son dernier privilège ? — Lélius. Il n’y avait plus de république, elle peuple alors s’arma pour reconquérir ses titres.

XXXIII. Je viens maintenant à cette troisième forme de gouvernement où nous trouverons peut-être quelques difficultés. Lorsque le peuple est le maître et dispose de tout en souverain, lorsque la multitude envoie à la mort qui elle veut, lorsqu’elle poursuit, dépouille, amasse, dissipe à son gré, pourriez-vous nier, Lélius, que ce ne soit là une république, puisque tout appartient au peuple, et que la république est, selon nous, la chose du peuple ? — Lélius. Il n’est pas d’État à qui je refuse plus péremptoirement le nom de république, qu’à celui où la multitude est la souveraine maîtresse. Si nous avons pu déclarer qu’il n’y avait pas de république à Syracuse, à Agrigente, à Athènes, sous la domination des tyrans, et à Rome sous celle des décemvirs, je ne vois pas comment il serait permis d’en reconnaître sous le despotisme de la multitude. D’abord, Scipion, je n’appelle peuple, suivant votre excellente définition, qu’une société dont tous les membres participent à des droits communs ; mais l’empire de la foule n’est pas moins tyrannique que celui d’un seul homme ; et cette tyrannie est d’autant plus cruelle qu’il n’est pas de monstre plus terrible que cette bête féroce qui prend l’apparence et le nom du peuple. Or, il ne convient pas, lorsque les lois interdisent les furieux……(LACUNE)

XXXIV. On peut appliquer à l’aristocratie ce que nous venons de dire de la royauté, et prouver qu’elle aussi peut être une véritable république et la chose du peuple. — Elle le sera à plus forte raison, dit Mummius ; car un roi, par cela même qu’il commande seul, ressemble plutôt à un maître ; mais rien ne peut être plus heureux que l’État gouverné par une vertueuse aristocratie. Cependant j’aime mieux la royauté que l’entière indépendance du peuple, cette troisième forme de gouvernement, la plus vicieuse de lotîtes, et dont il vous reste encore à nous entretenir.

XXXV. Scipion. Je reconnais bien là, Mummius, votre aversion pour le gouvernement populaire. Et quoiqu’on puisse le traiter avec moins de sévérité que vous ne faites d’ordinaire, je vous accorderai volontiers que des trois c’est le moins digne d’éloges. Mais ce que je ne puis vous accorder, c’est que l’aristocratie vaille mieux que la royauté. Si un État est sagement gouverné, qu’importé que cette sagesse soit dans un seul ou dans plusieurs ? Mais ici les mots nous font illusion ; lorsqu’on parle d’aristocratie, il semble qu’il n’y ait rien de meilleur. En effet, que peut-on imaginer de meilleur que ce qui est excellent ? Lorsqu’on parle de roi, les rois injustes se présentent à la pensée comme les autres ; mais en ce moment il n’est nullement question des rois injustes, puisque nous recherchons quelle est la véritable nature du gouvernement royal. Pensez un peu à Romulus, à Numa, à Tullus, et peut-être la royauté vous paraîtra-t-elle sous un jour moins sombre. — Mummius. Quelle estime faites-vous donc du gouvernement populaire ? — Scipion. Dites-moi, Spurius, cette ville de Rhodes, où nous nous trouvâmes naguère ensemble, vous offrait-elle l’image d’un véritable corps politique ? — Mummius. Oui, sans doute ; et d’un corps politique assez bien organisé. — Scipion. Vous avez raison ; mais si vous vous en souvenez, tous les citoyens y étaient tour à tour peuple et sénateurs ; ils remplissaient alternativement pendant quelques mois les fonctions populaires, et pendant d’autres mois les fonctions sénatoriales ; ils recevaient des deux côtés un droit de séance ; les mêmes hommes jugeaient au théâtre et dans le sénat les causes capitales et toutes les autres ; enfin le sénat avait absolument le même pouvoir et la même autorité que le peuple……(LACUNE)


FRAGMENTS DU LIVRE TROISIÈME DONT LA PLACE EST INCERTAINE.

I. Il y a dans tout homme un principe désordonné que le plaisir exalte, que la douleur abat. Nonius, iv, 178.

II. Soit qu’ils éprouvent leur ame, soit qu’ils délibèrent à quel parti ils se porteront. Nonius, iv, 351.

III. Les Phéniciens les premiers, avec leur commerce et leurs marchandises, ont importé dans la Grèce l’avarice, le luxe et une foule de besoins insatiables.Id., v, 35.

IV. L’Assyrien Sardanapale, ce roi débauché, dont Tullius écrit dans son troisième livre de la République : Sardanapale, plus infâme encore par ses vices que par son nom. Le Scoliaste de Juvénal, x, 362.

V. Que signifie donc cette absurde exception, à moins qu’on ne veuille faire un monument d’architecture de l’Athos tout entier ? Quel Athos, quel Olympe est aussi grand ? Priscien, vi, p. 710.

Passages extraits de Saint Augustin, et dans lesquels l’auteur analyse la dernière partie du 3ème livre de la République, le plus souvent avec les propres expressions de Cicéron.

I. Je m’efforcerai en son lieu de prouver, suivant les définitions mêmes de la république et du peu que que Cicéron met dans la bouche de Scipion, et en m’autorisant des sentiments exprimés en mille endroits de la République ou par l’auteur ou par les personnages de ses dialogues, que jamais Rome n’a formé une véritable société, parce que jamais elle n’a connu la vraie justice. Mais, selon des définitions plus vraisemblables, on peut accorder qu’il y eut à Rome une certaine société selon les idées romaines, et prétendre qu’elle a été mieux gouvernée par les anciens Romains que par les nouveaux. De Civil. Dei, ii, 2l.

II. Voici le moment de démontrer le plus brièvement et le plus clairement possible, comme j’ai pris l’engagement de le faire au second livre de cet ouvrage, que, suivant les définitions proposées par Scipion dans la République, il n’y a jamais eu de société politique à Rome. Il définit en quelques mots la république la chose du peuple, et le peuple une société formée sous la garantie des droits et dans un but d’utilité commune. Il explique ce qu’on doit entendre par garantie du droit, en montrant qu’un gouvernement ne peut donner cette garantie à un État sans la justice. Où la vraie justice ne règne pas, il n’y a donc pas de droit. Ajoutons encore que ce qui est conforme au droit se fait justement, et ce qui se fait injustement est contraire au droit. On ne doit pas regarder comme des droits les iniques conventions des hommes ; car les Romains eux-mêmes disent qu’il n’y a de droit que celui qui découle de la justice comme de sa source, et qu’il est très-faux de soutenir, avec certains esprits mal faits, que le droit, c’est tout ce qui convient au plus fort. Ainsi donc, dans un État où la vraie justice ne règne pas, il n’y a point de société établie sous la garantie du droit ; par conséquent il n’y a point de peuple tel que Scipion et Cicéron le définissent ; et s’il n’y a point de peuple, il n’y a point de chose du peuple ; l’État devient la chose de je ne sais quelle multitude, indigne du nom de peuple. Nous voyons enfin que si la république est la chose du peuple, le peuple une société formée sous la garantie du droit, et que si le droit disparaît avec la justice, il faut en conclure nécessairement que là où la justice ne règne pas, il n’y a point de république. Quant à la justice, c’est cette vertu qui rend à chacun ce qui lui appartient. De Civit. Dei, xix, 21.