De la Chasse (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
De la ChasseHachetteTome 1 (p. 384-388).


CHAPITRE VI.


De l’armure des chiens, du temps propre à la quête, du garde-filet, et de la chasse au lièvre.


Les ornements des chiens sont le collier, la laisse, le corselet. Que le collier soit mince, large, pour ne pas brûler le poil des chiens ; que la laisse ait des crochets pour être tenue à la main, et rien de plus : car c’est mal garder les chiens que de leur faire un collier de la laisse même ; que le corselet ait des courroies larges, pour ne pas leur faire mal aux flancs, et qu’on les garnisse de pointes, pour éviter les croisements des races.

Il ne faut pas mener les chiens à la chasse, quand ils prennent avec dégoût la nourriture qu’on leur présente, ce qui est un signe qu’ils ne se portent pas bien, ni quand il souffle un grand vent, car il dissipe les voies ; les chiens n’ont plus de nez, et les rets et les toiles ne peuvent plus tenir. En l’absence de ces deux obstacles, il faut mener les chiens tous les deux jours. Ne les accoutumez pas à courir les renards : c’est tout à fait les gâter, et, en temps voulu, ils ne suivent plus.

Il faut aussi changer de terrain de chasse, et pour leur apprendre à chasser partout, et pour connaître vous-mêmes le pays. On doit sortir de bon matin, afin qu’ils puissent trouver la voie ; ceux qui s’y prennent trop tard empêchent les chiens de retrouver le lièvre, et perdent eux-mêmes leur peine. En effet, la fumée du gibier, vu la subtilité du matin, ne demeure pas à toute heure.

Le garde-filet doit sortir pour la chasse en accoutrement léger : il tendra ses rets près des passées raboteuses, déclives, étroites, obscures, aux ruisseaux, aux ravins, aux torrents rapides, car c’est là surtout que le lièvre s’enfuit, et en d’autres endroits qu’il serait trop long d’énumérer. Il doit pratiquer les débouchés, les ouvertures découvertes ou cachées, au point du jour et non pas auparavant, de peur qu’en plaçant les rets à l’endroit de la quête il n’effraye l’animal par le bruit. Si les rets sont à une grande distance les uns des autres, rien ne l’empêche le matin de nettoyer la place où il les tend. Pour que rien n’empêche le jeu, il doit ficher les fourchettes en pente, de manière à ce qu’elles opposent une résistance à la traction. Il faut faire passer par le haut toutes les mailles de la même rangée, et tendre également partout en élevant la poche du filet vers le milieu. Il posera sur le tirant une grosse et longue pierre, afin que le rets, quand le lièvre est pris, ne se tende pas en sens inverse ; il doit tendre les engins long et haut, de peur que le lièvre ne saute par-dessus. Qu’il ne perde pas de temps aux battues : un chasseur actif doit, par tous les moyens, prendre vite son gibier.

Qu’il tende les toiles dans les plaines, les panneaux sur les routes, dans les endroits qui d’une pente aboutissent à un chemin, laissant retomber les tirants à terre, rassemblant les extrémités, renforçant les fourchettes, entre les bords, en y faisant passer les coulisses et en bouchant les échappées. Il faut ensuite qu’il fasse une ronde, l’œil à tout : s’il voit pencher une rangée, les rets eux-mêmes, qu’il les redresse. Quand le lièvre est poussé vers les rets, il doit le laisser filer et le suivre à grands cris. La bête prise, il doit calmer la fougue de ses chiens, sans les toucher, mais avec des paroles d’encouragement. Il faut aussi qu’il indique clairement au chasseur que le lièvre est pris, qu’il a passé par ici ou par là, qu’il ne l’a pas vu, ou bien où il l’a vu.

Le chasseur part vêtu négligemment, à la légère, chaussé simplement, un bâton à la main, et suivi du garde-filet. Ils vont bouche close, de peur que le lièvre, s’il y en a dans le voisinage, ne parte en entendant du bruit. Une fois au bois, le chasseur met ses chiens en laisse, chacun séparément, afin qu’ils soient faciles à détacher. Les rets et les toiles sont tendus comme il a été dit. Ensuite le garde-filet se place en observation, et le chasseur, emmenant les chiens avec lui, procède au lancer. Il voue à Apollon et à Diane chasseresse les prémices de sa chasse, il fait lâcher alors le chien le plus instruit à la quête, commençant en hiver au lever du soleil, en été avant le jour ; dans les autres saisons, entre ces deux intervalles. Dès que le premier chien a trouvé la vraie piste, au milieu des brisées qui se croisent, on en lâche un second. Et lorsque ces deux là sont sur la piste, peu de temps après, on lâche les autres un à un. Puis le chasseur suit lui-même, sans presser les chiens, mais en les appelant par leur nom ; rarement toutefois, de peur de les exciter avant le moment. Les voilà donc partis pleins de joie et d’ardeur, démêlant les voies, comme elles se rencontrent, doubles, triples, courant sur les brisées, telles qu’elles s’offrent dans leur réseau, circulaires, doubles, courbes, serrées, connues, inconnues, se gagnant de vitesse, remuant la queue, baissant l’oreille, l’œil en feu. Arrivés près du lièvre, ils l’indiquent au chasseur en frappant tout leur corps de leur queue, s’élançant comme à la guerre, courant à l’envi, faisant assaut de vitesse, tantôt se réunissant, tantôt se séparant, pour revenir encore à la charge ; enfin ils sont au fort du lièvre, ils sautent dessus ; soudain l’animal s’élance, poursuivi dans sa fuite par les clameurs et l’aboiement des chiens. Qu’à leur suite les deux chasseurs s’écrient : « Ohé ! les chiens ! Ohé ! les chiens ! Bien ! les chiens ! Très bien ! les chiens[1] ! » et que continuant de les suivre, le maître s’enroule le bras de son vêtement, prenne son bâton et poursuive le lièvre, mais par derrière, sans s’offrir à lui, ce qui serait hasardeux.

Le lièvre se dérobe ; on le perd de vue : il prend d’ordinaire un grand cerne autour du débuché ; le chasseur crie : « À lui ! garçon ! à lui ! garçon ! garçon ! holà ! garçon ! holà ! » Et celui-ci doit faire signe si le lièvre est pris ou non. S’il est pris dès la première coursé, on appelle les chiens pour en courre un autre ; autrement, on repart de plus belle, sans aucun répit, et l’on quête avec une nouvelle ardeur. Quand les chiens ont retrouvé le lièvre, et qu’ils poursuivent, on crie : « Bien ! très-bien ! les chiens ! Poussez ! les chiens ! » Si les chiens ont trop gagné au pied, et que le chasseur, à leur suite, ne puisse les joindre, ou qu’il les ait perdus dans la course, sans qu’il lui soit possible de les voir errant dans le voisinage, aboyant ou suivant la trace, il demande en criant au premier venu près duquel il passe à la course : « Ohé ! as-tu vu les chiens ? » La réponse faite, s’ils sont sur la voie, il les joint, les encourage, les appelle par leur nom, et prend tour à tour des intonations diverses : aiguë, grave, faible, forte. Entre autres encouragements, s’ils courent sur une montée, il les anime ainsi : « Bien ! les chiens ! Bien les chiens ! » Si, au lieu d’être sur la piste, ils la dépassent, il leur crie : « Arrière ! arrière[2] ! les chiens ! » Quand il les voit près de la trace, il leur fait prendre de grands cernes et à maintes reprises. Si la trace n’est pas sensible, il y met un piquet pour remarque, puis il restreint les cernes en animant et en caressant ses chiens, jusqu’à ce qu’ils sentent clairement la piste. Alors les chiens, voyant la trace nette, s’élancent, sautent, s’unissent, jappent, font des signes, se fixent des points de repère, et gagnent de vitesse. Tandis qu’ils bondissent ainsi sur la voie, le chasseur court, sans les passer, de peur que, par rivalité, ils ne dépassent le lièvre. Quand ils l’ont cerné et qu’ils l’indiquent clairement au chasseur, celui-ci prend garde que l’animal, effrayé par les chiens, ne se dérobe par un crochet. Les chiens, agitant la queue, se ruant les uns sur les autres, sautant, clabaudant, levant la tête, regardant du côté du chasseur, lui font entendre que c’est vrai cette fois, forcent le lièvre et se précipitent dessus en aboyant. Si le lièvre tombe dans les rets, ou bien s’il passe à côté ou à travers, le garde-filet criera fort pour indiquer chacune de ces circonstances : si décidément le lièvre est pris, on en cherche un autre ; autrement, on court le même avec les mêmes signaux.

Lorsque les chiens sont fatigués de la course et qu’il est déjà tard, il faut alors que le chasseur cherche le lièvre, qui, lui-même, doit être rendu, battant tout ce que la terre produit dessus et dessous, allant et revenant sans cesse, de peur de manquer la bête. Or, le lièvre se rase souvent dans un petit coin étroit, et ne bouge plus de fatigue et de crainte. Le chasseur stimule sa meute, lui parle, l’encourage, dit beaucoup au chien docile, peu au chien têtu, quelques mots à celui qui n’est ni l’un ni l’autre, jusqu’à ce qu’enfin il ait abattu le lièvre à ses pieds ou l’ait fait tomber dans les rets. Après cela, il lève les rets et les toiles, frotte les chiens et revient de la chasse, après un temps d’arrêt, si c’est l’heure de midi, en été, de peur que les pieds des chiens ne soient brûlés dans la marche.



  1. On trouve fréquemment dans du Fouilloux un grand nombre de forhus ou cris analogues : Ty a Hillaut pour le cerf ! Valecy, allez pour le lièvre ! Escoute à lui ! Tirez à luy ! Voiles-cy ! allez avant ! Gare, gare, approche les chiens ! etc. Cf. le chapitre : Comme il faut sonner de la trompe et houpper de la voix, pour s’appeler l’un l’autre quand on est a la chasse, p. 47 verso.
  2. Je lis Οὐ πάλιν ; avec L. Dindorf.