De la Chasse (Trad. Talbot)
Traduction par Eugène Talbot.
De la ChasseHachetteTome 1 (p. De la chasse-373).


DE LA CHASSE[1].


CHAPITRE PREMIER


Origines de la chasse ; éloge des héros qui s’y sont adonnés[2].


C’est une invention des dieux : d’Apollon et de Diane viennent les chasses et les chiens ; ils en ont fait présent à Chiron pour honorer sa justice. Celui-ci reçut ce don avec joie, et eut pour disciples, dans la chasse aussi bien que dans les autres arts, Céphale, Esculape, Mélanion, Nestor, Amphiaraüs, Pélée, Télamon, Méléagre, Thésée, Hippolyte, Palamède, Ulysse, Ménesthée, Diomède, Castor, Pollux, Machaon, Podalire, Antiloque, Énée, Achille, honorés des dieux chacun dans son temps. Qu’on ne soit point surpris que presque tous, malgré la faveur céleste, aient payé leur tribut à la nature : c’est le destin ; mais leur renommée est immortelle. Qu’on ne s’étonne pas non plus de ce qu’ils ne sont pas morts tous au même âge, et que Chiron ait vécu lui seul autant que tous les autres. En effet, Jupiter et Chiron, frères issus du même père, eurent pour mère, l’un Rhéa, l’autre la nymphe Nais. En sorte qu’aîné de tous, Chiron naquit avant Céphale, Mélanion et les autres, et ne mourut qu’après l’éducation d’Achille.

Leur passion pour les chiens, pour la chasse et les autres exercices, en les plaçant, par leurs vertus, au-dessus des autres hommes, les a rendus dignes d’admiration.

Céphale fut enlevé par une déesse.

Esculape reçut un don des plus précieux, celui de ressusciter les morts et de guérir les malades : aussi vivra-t-il éternellement comme un dieu dans la mémoire des hommes. Télamon, en ne reculant devant aucune peine, l’emporta sur ses rivaux, qui étaient les plus illustres de cette époque, et parvint au brillant hymen d’Atalante. La vertu de Nestor court par toutes les oreilles de la Grèce, et je n’en parle que pour mémoire.

Amphiaraüs, au siége de Thèbes, se couvre de gloire, et obtient des dieux les honneurs de l’immortalité.

Pélée inspire aux dieux le désir de lui donner la main de Thétis en récompense de sa valeur, et de célébrer ses noces chez Chiron.

Télamon se montre si grand qu’il épouse celle qu’il aimait, Péribée, fille d’Alcathoüs, d’une des villes les plus puissantes ; puis, quand le premier des Grecs, Hercule, après la prise de Troie, partagea le butin, il reçut de ses mains Hésione.

Quels honneurs reçut Méléagre, on le sait. S’il fut malheureux, la cause n’en est point à lui, mais à son père, qui, dans ses vieux jours, avait oublié la déesse. Thésée extermine, lui, tous les ennemis de la Grèce entière, et sa patrie accrue par lui est un titre à une admiration qui dure encore.

Hippolyte, honoré de Diane, est dans toutes les bouches : son innocence et sa piété adoucissent la tristesse de sa mort.

Palamède, tant qu’il vécut, surpassa tous ceux de son âge par sa sagesse ; mort victime de l’injustice, il fut honoré par les dieux comme ne le fut aucun mortel. D’ailleurs les auteurs de sa mort ne sont pas ceux que l’on pense : autrement l’un n’aurait pas été un homme presque accompli, ni l’autre semblable aux gens de bien : ce sont des scélérats qui ont commis ce crime.

Ménesthée, toujours passionné pour la chasse, s’endurcit tellement à la fatigue, que les premiers des Grecs convenaient de sa supériorité sur eux dans l’art militaire, Nestor seul excepté ; encore disait-on qu’il ne le surpassait point, mais qu’il l’égalait.

Ulysse et Diomède brillèrent en mille occasions, et surtout devant Troie, dont la prise fut leur ouvrage.

Castor et Pollux se montrèrent en Grèce les dignes élèves de Chiron, et leur gloire les a rendus immortels.

Machaon et Podalire, initiés à la même éducation, excellèrent dans les arts, l’éloquence et les combats.

Antiloque, en mourant pour son père, acquiert une si grande gloire, que seul de tous les Grecs il reçoit le surnom de Philopator.

Énée sauve ses dieux paternels et maternels ; il sauve son père lui-même ; et cet acte, qui lui vaut un renom de piété, fait que l’ennemi lui accorde, à lui seul, le privilége de n’être pas dépouillé comme les vaincus.

Achille, élevé dans les mêmes principes, laisse après lui tant de grands et beaux monuments, qu’on ne se lasse point d’en faire ni d’en entendre le récit.

Tous ces héros, grâce à l’éducation de Chiron, devinrent tels qu’ils sont encore aimés des gens de bien, et enviés des méchants. Et de fait, s’il arrivait en Grèce quelque malheur, à une ville ou à un roi, c’étaient eux qui les en délivraient : si la Grèce entière avait à soutenir contre les barbares une lutte, une guerre, leur appui rendait les Grecs vainqueurs et la Grèce entière invincible. Pour ma part, j’engage donc les jeunes gens à né pas mépriser la chasse, ni toute autre branche de l’éducation. C’est le moyen de devenir de bons soldats, et d’exceller dans tout ce qui exige le talent de bien penser, de bien parler et de bien faire.



  1. On peut comparer ce traité avec celui qu’Arrien nous a laissé sur le même sujet. Arrien, chasseur, général et historien comme Xénophon, s’y est proposé spécialement de combler les lacunes de l’ouvrage de son devancier. Un autre écrivain grec, Xénophon le Jeune, a écrit aussi un traité De la chasse. On trouvera également des détails techniques, qui ne manquent point d’intérêt dans le livre de l'Onomasticon de Jul. Pollux, et l’on ne lira pas sans fruit le poëme d’Oppien, intitulé Cynégétiques. Mais nous croyons faire plaisir au lecteur en répandant ici dans nos notes quelques extraits de l’ouvrage dont le titre suit : La Vénerie de Jacques du Fouilloux, seigneur dudit lieu, gentilhomme du pays de Gastine en Poictou, dédié au Roy, de nouveau reveue et augmentée du Miroir de fauconnerie (de P. Harmont). Paris, Pierre Durand, 1640 (exemplaire de la Bibliothèque de l’Arsenal, catalogue de Nyon, n° 7357). Il nous a paru fort curieux de rapprocher du livre de Xénophon les connaissances pratiques exposées par un gentilhomme du xvie siècle, qui chassait dans des conditions analogues à celles de l’antiquité, c’est-à-dire au chien courant, et qui avait à poursuivre les mêmes espèces de gibier. On sait d’ailleurs que bon nombre des observations de du Fouilloux sur les animaux ont été confirmées par Buffon et par Daubenton.
  2. Pour ne pas charger ce chapitre de notes redoublées, nous engageons le lecteur à recourir au Dict. mytholog. de Jacobi pour tous les noms propres qui se trouvent accumulés dans cet étroit espace.