De l’inspection des écoles


CHAPITRE X

DE L’INSPECTION DES ÉCOLES

On dit, dans ce chapitre, que l’inspection des écoles est confiée à un seul inspecteur pour toute la province. Dans le projet, on répète plusieurs fois que le rôle de l’inspecteur porte sur la partie scolaire, et autre chose encore. Je ne comprends pas du tout cette division, et, dans chaque école, je ne vois point d’autre partie que la partie scolaire, de laquelle découle la partie économique qui lui est subordonnée et ne peut se séparer d’elle. Selon le projet, tout est laissé au pouvoir d’un seul inspecteur. L’inspecteur, comme il faut l’entendre d’après les termes vagues de l’article 87 (celui qui a acquis l’expérience des écoles pendant son service au ministère de l’Instruction publique), doit être choisi parmi les professeurs des lycées et des facultés. L’inspecteur doit contrôler personnellement les études et même montrer comment il faut se tenir et comment il faut enseigner. Et il n’y a qu’un inspecteur pour trois ou cinq cents écoles de province. Or, pour avoir le droit de donner un conseil quelconque au maître, il faut étudier chaque école au moins une semaine, et il n’y a que trois cent soixante-cinq jours par année. Et ces fonctionnaires coûteront près de deux cent mille roubles !

Dans l’article 79, il est dit que l’inspecteur, pour éviter la paperasserie, doit s’occuper personnellement des choses de l’enseignement. Dans les articles suivants, on notifie à l’inspecteur ce qu’il doit exiger des maîtres.

L’article 86 fixe les indemnités des inspecteurs, pour chaque inspection, et il en ressort que le désir des auteurs du projet est que l’inspection ne soit pas théorique mais réelle. Mais la situation elle-même de ce fonctionnaire écarte la possibilité de l’inspection réelle. Un ancien élève de l’Université, professeur de lycée ou de faculté, qui, par conséquent, n’a jamais eu affaire au peuple et aux écoles populaires, est obligé, en résidant dans une ville et administrant une chancellerie — dossiers des instituteurs, récompenses, bulletins, etc. — de diriger des écoles dans lesquelles il ne peut aller plus d’une fois par an (à peine). Je connais des directeurs de lycée qui se trouvent dans cette situation, qui s’occupent avec ardeur et amour des écoles paroissiales et qui, à chaque pas, pendant les révisions, pendant les examens, quand ils remplacent les professeurs, font des fautes, uniquement parce que le cercle de leur activité est cent fois plus large qu’il devrait et pourrait l’être. Un seul homme peut diriger le corps des cadets, et après l’avoir inspecté savoir s’il va bien ou mal. Mais c’est déjà trop pour un homme de diriger dix écoles.

Quiconque connaît les écoles populaires doit savoir combien il est difficile, même impossible, soit par l’inspection, soit par l’examen, de définir le degré du succès de la direction d’une école. Souvent, un maître de bonne foi, qui garde sa dignité et ne se permet pas de faire mousser ses élèves, est plus mal noté qu’un maître sans conscience, un grossier soldat, qui, toute une année durant, déforme les esprits et ne travaille qu’en vue de l’inspection future. Et que de fois ces hommes sans conscience ni science parviennent-ils à tromper les chefs bons et honnêtes ! Il est inutile de discuter le tort considérable que causent aux élèves de tels agissements. Mais si même l’on n’était pas d’accord avec moi sur ce point, l’établissement d’une fonction d’inspecteur est inutile et nuisible parce qu’un seul inspecteur par province nommera et remplacera les maîtres, distribuera les récompenses seulement d’après des on-dit, d’après des suppositions ou suivant sa fantaisie, car un seul homme ne peut savoir ce qui se passe dans cinq cents écoles.

Vient ensuite le modèle du bulletin pour la statistique des élèves, pour le calcul des sommes nécessaires à l’école et le budget de l’inspection des écoles populaires. Puis vient l’exposé des motifs.

D’après cet exposé on voit que les travaux du comité étaient répartis en deux sections :

1o Recherche des mesures à prendre pour le développement de l’instruction publique actuelle avant l’organisation définitive de la commune rurale ;

2o Élaboration du projet dont nous nous occupons. Les mesures préventives sont réalisées, comme je le sais, par la circulaire du ministère de l’Intérieur relative à l’ouverture des écoles et l’obligation d’en faire la déclaration. Quant à la nomination et à la révocation des maîtres par l’inspecteur des écoles de province, quant à la surveillance laissée au clergé local, l’approbation des manuels par le ministère de l’Instruction publique et le Saint Synode, je ne sais pas, bien que je m’occupe spécialement des écoles, si c’est un projet de loi ou la loi même. Il se peut que je commette un crime en me servant de manuels non approuvés et que les communes soient également criminelles en remplaçant et nommant les maîtres sans l’avis de l’inspecteur. Si une pareille loi est déjà promulguée, si elle doit l’être, alors le premier article du code, d’après lequel nul n’a le droit d’ignorer la loi, est insuffisant. Quand paraissent des lois aussi inattendues, il est nécessaire de les lire dans toutes les églises. J’ignore également si la proposition du comité de préparer des maîtres dans le plus bref délai est acceptée par le ministère de l’Instruction publique et combien on en prépare et où. J’ai déjà dit que la mesure prescrite par la circulaire du Ministre de l’Instruction publique n’est pas très commode à réaliser. Prenons quelques idées exprimées dans l’exposé des motifs et qui nous frappent particulièrement.

Pourquoi en une affaire d’État si sérieuse ne pas être franc ? Je veux parler de l’importance et de l’influence que, selon le projet, on veut donner à notre clergé en matière d’instruction. Je me représente vivement les auteurs du projet qui introduisent, par exemple, l’observation suivante : il faut que le clergé de la paroisse s’assure que l’enseignement est donné dans l’esprit de la morale orthodoxe et chrétienne, etc. Je me représente vivement le sourire — sourire de soumission, de la conscience de sa nécessité et de sa supériorité, et, en même temps, de la fausseté d’une pareille mesure, — qui était sur les lèvres des auteurs du projet quand ils ont entendu cet article et l’ont inscrit au procès-verbal. Cet article provoquera le même sourire chez toutes les personnes expérimentées et qui croient connaître la vie. « Mais que faire, c’est compréhensible », diront-elles. Les autres personnes instruites, intelligentes et qui aiment leur tâche se révoltent et se mettent en colère en lisant cet article. À qui veut-on cacher la triste vérité ? Probablement au peuple. Mais le peuple la connaît mieux que nous. Est-ce que, vivant tant de siècles à proximité du clergé, il n’a pas fini par le connaître et par l’apprécier ? Le peuple a apprécié le clergé et il lui attribue, dans son instruction, la juste part qu’il mérite.

Dans le projet il y a beaucoup d’articles pareils, non sincères, diplomatiques. En réalité, tous seront négligés et ce sera comme s’ils n’avaient jamais été écrits. Mais ces articles, comme par exemple celui que nous avons cité pour sa fausseté et son indécision, ouvrent aux abus un champ immense, qu’on ne pouvait même soupçonner. Je connais des prêtres qui disent qu’enseigner be et non bouki, c’est un péché ; que traduire en russe et interpréter les prières, c’est un péché ; qu’on ne peut enseigner l’histoire sainte que d’après le syllabaire, etc.