De l’influence de la révolution d’Amérique sur l’Europe/01

Œuvres de CondorcetDidotTome 8 (p. 3-42).

DE L’INFLUENCE

DE L

RÉVOLUTION D’AMÉRIQUE

SUR L’EUROPE.

INTRODUCTION.

Le chemin de la vérité, dit le poëte Sadi, est étroit et placé entre deux précipices. Le moindre faux pas fait rouler au fond ; on se relève étourdi de la chute ; on gravit avec peine pour se rapprocher du sommet ; on croit y toucher ; on fait un dernier effort, et l’on retombe de l’autre côté.

L’Amérique avait à peine déclaré son indépendance, et nos politiques voyaient déjà clairement que la ruine de l’Angleterre et la prospérité de la France devaient être la conséquence nécessaire de cette heureuse révolution. Cette indépendance est reconnue, assurée ; ils semblent la voir avec indifférence, et ne s’avisent de douter de leurs prédictions qu’à l’instant où l’événement commence à en vérifier la dernière partie.

J’ai cru que ce moment où l’opinion semble s’égarer en sens contraire, était précisément celui où il pouvait être utile de discuter tranquillement les conséquences de ce grand événement, et je vais tâcher d’être prophète de sang-froid.

Le prix proposé par M. l’abbé Raynal, sur le bien et le mal qui ont résulté pour l’Europe de la découverte du Nouveau-Monde, avait excité mon intérêt ; j’avais osé entreprendre de résoudre cette question, mais j’ai senti que ce travail était au-dessus de mes forces, et je n’ai sauvé de l’incendie que le chapitre où j’examinais l’influence que l’indépendance de l’Amérique aurait sur l’humanité, sur l’Europe, sur la France en particulier, et l’analyse des principes d’après lesquels j’essayais de trouver une méthode de mesurer les différents degrés du bonheur public.

Une nation prise en corps étant un être abstrait, elle ne peut être ni heureuse ni malheureuse. Ainsi, quand on parle du bonheur d’une nation collectivement, on ne peut entendre que deux choses : ou une espèce de valeur moyenne, regardée comme le résultat du bonheur et du malheur des individus ; ou les moyens généraux de bonheur, c’est-à-dire de tranquillité et de bien-être que le sol, les lois, l’industrie, les rapports avec les nations étrangères, peuvent offrir à la généralité des citoyens. Il suffit d’avoir quelque idée de justice pour sentir que l’on doit s’en tenir au dernier sens.

Autrement, il faudrait adopter la maxime trop répandue chez les républicains anciens et modernes, que le petit nombre peut être légitimement sacrifié au plus grand ; maxime qui met la société dans un état de guerre perpétuelle, et soumet à l’empire de la force ce qui ne devrait l’être qu’à la raison et à la justice.

Les moyens généraux de bonheur pour l’homme en société peuvent se partager en deux classes : la première comprend tout ce qui assure, tout ce qui étend la jouissance libre de ses droits naturels. La seconde renferme les moyens de diminuer le nombre des maux auxquels l’humanité est assujettie par la nature ; de pourvoir à nos premiers besoins plus sûrement et avec moins de travail ; de nous procurer un plus grand nombre de jouissances par l’emploi de nos forces et l’usage légitime de nos industries ; et, par conséquent, les moyens d’augmenter notre force et notre industrie doivent être rangés dans la même classe.

Les droits de l’homme sont : 1° la sûreté de sa personne, sûreté qui renferme l’assurance de n’être troublé par aucune violence, ni dans l’intérieur de sa famille, ni dans l’emploi de ses facultés, dont il doit conserver l’exercice indépendant et libre pour tout ce qui n’est pas contraire aux droits d’un autre.

2° La sûreté et la jouissance libre de sa propriété.

3° Comme, dans l’état de société, il y a certaines actions qui doivent être assujetties à des règles communes ; comme il faut établir des peines pour les atteintes portées par un individu aux droits d’autrui, soit par la violence, soit par la fraude, l’homme a encore le droit de n’être soumis pour tous ces objets qu’à des lois générales, s’étendant à l’universalité des citoyens, dont l’interprétation ne puisse être arbitraire, dont l’exécution soit confiée à des mains impartiales.

4° Enfin, le droit de contribuer, soit immédiatement, soit par des représentants, à la confection de ces lois et à tous les actes faits au nom de la société, est une conséquence nécessaire de l’égalité naturelle et primitive de l’homme, et l’on doit regarder une jouissance égale de ce droit pour chaque homme usant de sa raison, comme le terme duquel on doit chercher à se rapprocher. Tant qu’on ne l’a pas atteint, on ne peut pas dire que les citoyens jouissent de ce dernier droit dans toute son étendue.

Il n’est aucun des droits des hommes qu’on ne puisse déduire facilement de ceux auxquels nous venons d’essayer de les réduire, et il serait même aisé de prouver que tous les principes des lois civiles, criminelles, comme ceux des lois d’administration, de commerce, de police, sont une suite de l’obligation de respecter les droits compris dans les trois premières divisions.

Le bonheur d’une société est d’autant plus grand, que ces droits y appartiennent avec plus d’étendue aux membres de l’État. Mais la jouissance de chacun de ces mêmes droits n’est pas également importante pour le bonheur commun ; nous les avons placés ici suivant l’ordre dans lequel nous croyons qu’ils contribuent à ce bonheur, et nous ajouterons même que, dans une société très-nombreuse, il doit arriver presque nécessairement que le dernier de ces droits se trouve presque nul pour le plus grand nombre des habitants d’un pays.

Des républicains zélés l’ont regardé comme le premier de tous ; et il est vrai sans doute que, dans une nation éclairée, dégagée de toute superstition, où il appartiendrait en réalité à tout citoyen qui pourrait ou voudrait l’exercer, la jouissance de ce droit assurerait celle de tous les autres. Mais il perd ses avantages les plus précieux, si l’ignorance, si les préjugés écartent ceux qui doivent l’exercer du sentier étroit que la règle immuable de la justice leur a tracé ; et, relativement au bonheur public, une république qui aurait des lois tyranniques peut être fort au-dessous d’une monarchie.

En adoptant cet ordre, on sent que la violation très-fréquente ou très-forte d’un droit moins essentiel peut nuire davantage au bonheur commun que la violation légère ou très-rare d’un droit plus important ; qu’ainsi, par exemple, une forme dans la jurisprudence criminelle, qui exposerait les innocents à être condamnés par des juges ignorants ou prévenus, peut faire plus de mal à un pays qu’une loi qui condamnerait à mort pour un délit imaginaire très-rare dans le lieu où cette peine est établie. Des lois fiscales, des lois prohibitives peuvent, en attaquant l’exercice libre de la propriété, être plus nuisibles qu’un pouvoir d’emprisonner arbitrairement, dont on ne ferait qu’un usage très-rare.

Ces principes sont simples ; mais la manière d’évaluer les degrés du mal ou du bien que peuvent produire ces différentes lésions des droits naturels, ou la destruction des abus contraires à ces droits, commence à devenir difficile. Il ne suffirait pas de connaître avec précision les effets de chaque loi injuste, de chaque réforme utile, il faudrait encore une mesure commune à laquelle on pût les comparer.

Quant à la seconde classe de moyens de bonheur, il est aisé de voir qu’ils dépendent encore en très-grande partie de l’exercice plus étendu et plus libre des droits naturels, et ils se bornent ensuite d’abord à la jouissance d’une paix durable et assurée avec les puissances étrangères ; puis à l’augmentation des moyens de se procurer plus de jouissances avec un travail égal, soit par celle des lumières et de l’industrie, soit par l’extension des relations avec les autres peuples, soit surtout par une plus grande égalité dans la distribution de ces moyens entre les membres de la société. En effet, comme la population se proportionne nécessairement à la quantité des subsistances, reproduites dans une année ordinaire, on voit aisément que jamais la masse des jouissances pour la pluralité des citoyens ne peut être très-grande, au moins d’une manière constante et durable ; et qu’ainsi c’est dans la distribution plus égale de ces jouissances que l’on doit chercher le bonheur public. C’est à maintenir ou à rétablir cette égalité entre les membres d’une nation, sans nuire au droit de propriété, sans gêner l’exercice légitime de la liberté, que doivent tendre toutes les lois civiles, toutes celles qui ont le commerce pour objet.

Il résulte de ces mêmes principes, que le bonheur d’un peuple, loin de s’accroître par le malheur ou l’affaiblissement de ses voisins, doit augmenter, au contraire, par la prospérité des autres peuples, puisqu’il en recevrait alors l’exemple des bonnes lois ou de la destruction des abus, de nouveaux moyens d’industrie, tous les avantages, enfin, qui naissent de la communication des lumières ; et il est sensible en même temps que la masse des jouissances communes et la facilité de les répartir avec plus d’égalité, est pour tous les peuples l’effet nécessaire des progrès de chacun d’eux.

La seule exception à cette loi générale, est le cas où un peuple égaré par une fausse politique fatigue ses voisins par son ambition, et cherche, soit par la guerre, soit par des monopoles, soit par des lois prohibitives de commerce, à leur rendre, à ses propres dépens, sa puissance dangereuse et sa prospérité inutile.

Tels sont les principes d’après lesquels je vais essayer de montrer quelle doit être l’influence de la révolution d’Amérique.

On ne trouvera, peut-être, à l’auteur de ces réflexions, d’autre mérite que celui de rêver plus en grand que l’abbé de Saint-Pierre, et il répondra comme lui : Je me consolerai sans peine d’avoir passé toute ma vie pour un rêveur, si je puis espérer qu’un siècle après moi, l’exécution d’une de mes idées puisse faire un peu de bien.

C’est même trop exiger. En cherchant à répandre quelques vérités isolées et stériles en elles-mêmes, on peut faciliter à la longue des combinaisons d’idées plus heureuses et plus fécondes. N’est-ce pas encore être utile que de contribuer à diriger l’attention des bons esprits sur une matière importante, à leur inspirer le désir d’en faire l’objet de leurs méditations ou de leurs recherches ? On n’aurait aucun droit à la gloire qu’ils pourraient mériter, mais on en aurait du moins au plaisir d’avoir été l’occasion de quelque bien ; et serait-ce payer trop cher ce plaisir que de l’acheter par un léger sacrifice d’amour-propre, par l’humiliation de s’être trompé de bonne foi, ou de n’avoir dit sur de grands objets que des vérités petites et communes ?


CHAPITRE PREMIER.
Influence de la révolution d’Amérique sur les opinions et la législation de l’Europe.

Le genre humain avait perdu ses titres, Montesquieu les a retrouvés et les lui a rendus[1]. Mais il ne suffit pas qu’ils soient écrits dans les livres des philosophes et dans le cœur des hommes vertueux, il faut que l’homme ignorant ou faible puisse les lire dans l’exemple d’un grand peuple.

L’Amérique nous a donné cet exemple. L’acte qui a déclaré son indépendance est une exposition simple et sublime de ces droits si sacrés et si longtemps oubliés. Dans aucune nation, ils n’ont été ni si bien connus, ni conservés dans une intégrité si parfaite.

L’esclavage des nègres subsiste encore, à la vérité, dans quelques-uns des États-Unis ; mais tous les hommes éclairés en sentent la honte, comme le danger, et cette tache ne souillera plus longtemps la pureté des lois américaines.

Ces sages républicains, encore attachés à quelques restes des préjugés anglais, n’ont pas senti assez que les lois prohibitives, les règlements de commerce, les impôts indirects étaient de véritables atteintes au droit de propriété, dont ces institutions restreignent le libre exercice, car on ne possède point ce dont on ne peut disposer. En établissant une tolérance plus étendue qu’aucune autre nation, ils ont consenti à quelques limitations exigées par le peuple, mais contraires, sinon à l’exercice de la liberté personnelle, du moins au droit qu’a chaque homme de n’être soumis à aucune privation pour avoir cru ce que sa raison lui ordonnait de croire. On pourrait, peut-être, encore trouver dans les lois de quelques États de faibles restes d’un fanatisme trop aigri par de longues persécutions, pour céder aux premiers efforts de la philosophie ; mais si on compare ces atteintes portées aux droits naturels des hommes à tout ce qu’un œil éclairé pourrait en découvrir dans les législations des peuples les plus sages, surtout dans celles de ces nations anciennes que l’on admire tant et que l’on connaît si peu, on sentira que notre opinion sur celles de l’Amérique n’est pas le fruil d’un enthousiasme exagéré, ni pour cette nation, ni pour notre siècle.

D’ailleurs, si on peut faire aux Américains des reproches fondés, ils n’ont pour objet que des erreurs particulières ou d’anciens abus que les circonstances n’ont pas permis de corriger. Il leur suffira d’être conséquents pour tout réparer. Ils sont le seul peuple chez lequel on ne tiouve, ni des maximes du machiavélisme éiigées en principes politiques, ni parmi les chefs, l’opinion sincère ou feinte de l’impossibilité de perfectionner l’ordre social et de concilier la prospérité publique avec la justice.

Le spectacle d’un grand peuple où les droits de l’homme sont respectés, est utile à tous les autres, malgré la différence des climats, des mœurs et des constitutions. Il apprend que ces droits sont partout les mêmes, et qu’hors un seul, auquel, pour l’intérêt de la tranquillité publique, le citoyen vertueux doit savoir renoncer dans certaines constitutions, il n’est point d’État où l’homme ne puisse jouir de tous les autres dans leur entière étendue.

Il fait sentir l’influence que la jouissance de ces droits a sur la prospérité commune, en montrant que l’homme, qui n’a jamais craint d’outrages pour sa personne, acquiert une âme plus élevée et plus douce ; que celui dont la propriété est toujours assurée, trouve la probité facile ; que le citoyen qui ne dépend que des lois a plus de patriotisme et de courage.

Cet exemple, si utile à toutes les nations qui peuvent le contempler, allait être perdu pour le genre humain. Les grandes nations méprisent l’exemple des petits peuples, et l’Angleterre qui, depuis un siècle, en avait donné un si imposant, n’allait plus servir qu’à accréditer par sa chute l’opinion si répandue, si dangereuse et si fausse, que les lois ne peuvent avoir sur les peuples qu’un empire passager, et que les corps politiques sont condamnés à se dissoudre après quelques instants d’une vie plus ou moins brillante. Si l’Amérique eût succombé sous les armes de l’Angleterre, le despotisme y aurait bientôt forgé les fers de la mère patrie, et les Anglais auraient éprouvé le sort de toutes les républiques qui ont cessé d’être libres, pour avoir voulu avoir des sujets au lieu de n’avoir que des citoyens.

Or, l’Angleterre eût perdu ses lois en perdant sa liberté. Il peut arriver sans doute que dans une monarchie paisible, un sage législateur respecte assez les droits des hommes pour faire envier au fier républicain le sort de ses heureux sujets. On sait que cette vérité, importante pour la tranquillité de ces constitutions, a été prouvée par des philosophes français, précisément dans le même temps où ils étaient accusés dans les journaux, dans les mandements et dans les réquisitoires, de prêcher la sédition. Mais la violence seule peut assujettir celui qui a joui de la liberté ; et pour que le citoyen consente à cesser de l’être, il faut lui ravir jusqu’à la dignité d’homme.

Par une conséquence nécessaire du respect qu’ont eu les lois de l’Amérique pour les droits naturels de l’humanité, tout homme, quels que soient sa religion, ses opinions, ses principes, est sûr d’y trouver un asile. En vain l’Angleterre offrait-elle le même avantage, du moins aux protestants. L’industrie de ses habitants ne laisse point de ressource à celle de l’étranger, sa richesse repousse le pauvre ; il reste peu de place sur un sol où le commerce, les manufactures ont multiplié les hommes. Son climat ne convient même qu’aux peuples d’une petite partie de l’Europe. L’Amérique, au contraire, offre à l’industrie des espérances séduisantes ; le pauvre y trouve une subsistance facile : une propriété assurée, suffisante à ses besoins, peut y devenir le prix de son travail. Un climat plus varié convient aux hommes de tous les pays.

Mais en même temps l’Amérique est séparée des peuples de l’Europe par une vaste étendue de mer. Il faut d’autres motifs pour engager à la traverser, qu’un simple désir d’augmenter son bien-être. L’opprimé seul peut avoir la volonté de franchir cet obstacle : ainsi l’Europe, sans avoir à craindre de grandes émigrations, trouve dans l’Amérique un frein utile pour les ministres qui seraient tentés de trop mal gouverner. L’oppression doit y devenir plus timide, lorsqu’elle saura qu’il reste un asile à celui qu’elle aurait marqué pour sa victime, et qu’il peut, à la fois, lui échapper et la punir en la forçant de se présenter avec lui au tribunal de l’opinion.

La liberté de la presse est établie en Amérique, et l’on y a regardé avec une juste raison le droit de dire et celui d’entendre les vérités qu’on croit utiles, comme un des droits les plus sacrés de l’humanité.

Dans un pays où le saule serait un arbre sacré, et où il serait défendu, sous peine de la vie, d’en rompre une branche pour sauver un homme qui se noie, dirait-on que la loi ne porte aucune atteinte ni à la liberté, ni à la sûreté des citoyens ? Si l’absurdité des lois contre la liberté de la presse ne nous paraît pas aussi palpable, c’est que malheureusement l’habitude a le pouvoir funeste de familiariser la faible raison humaine avec ce qui doit le plus la révolter.

Or, l’exemple seul de tout le bien que la liberté de la presse a fait et fera encore en Amérique, sera d’autant plus utile pour l’Europe, qu’il est plus propre que celui de l’Angleterre à rassurer contre les prétendus inconvénients de cette liberté. Déjà plus d’une fois on a vu l’Américain se soumettre tranquillement à des lois dont il avait attaqué avec chaleur, ou les principes ou les effets, et obéir avec respect aux dépositaires de la puissance publique, sans renoncer au droit de chercher à les éclairer et de dénoncer à la nation leurs fautes ou leurs erreurs. On a vu des discussions publiques détruire les préjugés, et préparer aux vues sages de ces législations naissantes l’appui de l’opinion générale.

On a vu cette liberté, loin de favoriser l’intrigue, dissiper des associations particulières, empêcher ceux qui étaient conduits par des vues personnelles de se former des partis, et on a pu en conclure que les déclamations et les libelles n’ont de danger, qu’autant que la sévérité des lois les oblige de circuler dans les ténèbres.

On y a vu, enfin, que l’opinion répandue facilement et promptement dans un pays immense, au moyen de l’impression, offrait au gouvernement, dans des circonstances difficiles, une arme souvent plus puissante que les lois. Nous n’en citerons qu’un exemple : la désertion s’était introduite dans une partie de la milice ; les peines les plus sévères n’avaient pu l’arrêter, parce que l’espérance de l’impunité leur ôtait toute leur force. On proposa d’insérer le nom du coupable dans la gazette de son pays, et la crainte de cette punition fut plus efficace que celle de la mort. On sent que cette manière si noble et si généreuse de faire rentrer les citoyens dans le devoir, doit tout son succès au droit qu’aurait eu l’accusé de réclamer avec une égale publicité contre une inculpation injuste.

En Angleterre, l’usage d’éluder par des subtilités, souvent ridicules, les lois encore subsistantes contre la liberté de la presse, le scandale des libelles, la vénalité des écrivains politiques, la fausse chaleur d’un patriotisme qu’on ne sent pas, ont empêché de s’apercevoir que ce pays doit plus encore à la liberté de la presse, qu’à sa constitution, le maintien des lois et le respect qu’on y conserve pour la partie des droits de l’humanité que l’opinion y a consacrés.

Croit-on qu’en voyant la tolérance la plus étendue dont aucun peuple ait encore joui, loin d’exciter des troubles en Amérique, y faire fleurir la paix et la fraternité, les gouvernements des pays où l’intolérance règne encore continueront de la croire nécessaire au repos des États, et n’apprendront pas, enfin, qu’ils peuvent, sans danger, obéir à la voix de la justice et de l’humanité ? Jadis le fanatisme osait se montrer à découvert, et demander, au nom de Dieu, le sang des hommes : la raison l’a forcé de se cacher ; il a pris le masque de la politique, et c’est pour le bien de la paix, qu’il demande qu’on lui laisse encore les moyens de la troubler. Mais l’Amérique a prouvé qu’un pays peut être heureux, quoiqu’il n’y ait dans son sein ni persécuteurs, ni hypocrites, et les politiques qui auraient eu peine à le croire sur l’autorité des sages, le croiront, sans doute, sur celle de cet exemple.

En observant comment les Américains ont fondé leur repos et leur bonheur sur un petit nombre de maximes, qui semblent l’expression naïve de ce que le bon sens aurait pu dicter à tous les hommes, on cessera de vanter ces machines si compliquées, où la multitude des ressorts rend la marche violente, irrégulière et pénible ; où tant de contre-poids, qui, dit-on, se font équilibre, se réunissent dans la réalité pour peser sur le peuple. Peut-être sentira-t-on le peu d’importance, ou plutôt le danger de ces subtilités politiques trop longtemps admirées, de ces systèmes où l’on veut forcer les lois, et par conséquent la vérité, la raison, la justice, leurs bases immuables, à changer suivant la température, à se plier à la forme des gouvernements, aux usages que le préjugé a consacrés, et même aux sottises adoptées par chaque peuple, comme s’il n’eût pas été plus humain, plus juste et plus noble, de chercher, dans une législation raisonnable, des moyens de l’en désabuser.

On verra qu’on peut avoir de braves guerriers, des soldats obéissants, des troupes disciplinées, sans recourir à la dureté des administrations militaires de plusieurs nations de l’Europe, où les subalternes sont jugés sur les mémoires secrets de leurs chefs, condamnés sans avoir été entendus, punis sans avoir pu se défendre, où c’est un nouveau crime de demander à prouver son innocence, et un crime bien plus grand encore d’imprimer qu’on n’est point coupable. Il faut cependant l’avouer, ce n’est pas à la corruption, à une injustice réfléchie, à une dureté tyrannique, qu’il faut attribuer ce système d’oppression secrète qui viole à la fois les droits des citoyens et ceux des nations : c’est encore moins à la nécessité, car il est, à la fois, aussi inutile, aussi dangereux pour la discipline, pour la sûreté de l’État, qu’il peut être injuste. Que faut-il donc en accuser ? Hélas ! c’est seulement cette ignorance invincible du droit naturel qui excuse du péché ; et l’exemple d’un peuple libre, mais soumis avec docilité aux lois militaires comme aux lois civiles, aura sans doute le pouvoir de nous en guérir.

Le spectacle de l’égalité qui règne dans les États-Unis, et qui en assure la paix et la prospérité, peut aussi être utile à l’Europe. Nous n’y croyons plus, à la vérité, que la nature ait divisé la race humaine en trois ou quatre ordres, comme la classe des Solipèdes, et qu’un de ces ordres y soit aussi condamné à travailler beaucoup et à peu manger. On nous a tant parlé des avantages du commerce et de la circulation, que le noble commence à regarder un banquier et un commerçant presque comme son égal, pourvu qu’il soit très-riche ; mais notre philosophie ne va pas plus loin, et nous imprimions encore, il n’y a pas longtemps, que le peuple est, dans certains pays, taillable et corvéable de sa nature.

Nous disions, il n’y a pas encore longtemps, que le sentiment de l’honneur ne peut exister dans toute sa force, que dans certains États, et qu’il fallait avilir la plus grande partie d’une nation, afin de donner au reste un peu plus d’orgueil.

Mais, voici ce qu’on pourra lire dans l’histoire de l’Amérique. Un jeune général français, chargé de défendre la Virginie contre une armée supérieure, voyant que les soldats qu’on avait tirés de leurs régiments pour lui former un corps de troupes l’abandonnaient, déclara, pour faire cesser cette espèce de désertion, que, voulant avoir avec lui des hommes choisis, il renverrait de l’armée tous ceux dont il soupçonnerait la valeur, la fidélité ou l’intelligence. Dès ce moment, aucun n’eut l’idée de se retirer. Un soldat qu’il voulait charger d’une commission particulière exigea de lui la promesse que, s’il venait à périr en l’exécutant, on mettrait dans la gazette de son pays, qu’il n’avait quitté le détachement que par ordre du général ; un autre hors d’état de marcher à cause d’une blessure, loua un chariot à ses dépens pour suivre l’armée. Alors, on sera forcé de convenir que le sentiment de l’honneur est le même dans toutes les constitutions, qu’il agit avec une force égale sur les hommes de toutes les conditions, pourvu qu’aucune d’elles ne soit ni avilie par une opinion injuste, ni opprimée par de mauvaises lois.

Tels sont les biens que l’humanité entière doit attendre de l’exemple de l’Amérique, et nous serions surpris qu’on regardât comme chimériques ces avantages, parce qu’ils n’ont pas une influence immédiate et physique sur le sort des individus. Ce serait ignorer que le bonheur des hommes réunis en société dépend presque uniquement des bonnes lois, et que, s’ils doivent leur premier hommage au législateur qui réunit à la sagesse de les concevoir la volonté et le pouvoir de les prescrire, ceux qui, par leur exemple ou par leurs leçons, indiquent à chaque législateur les lois qu’il doit faire, deviennent après lui les premiers bienfaiteurs des peuples.


CHAPITRE II.
Des avantages de la révolution d’Amérique, relativement à la conservation de la paix en Europe.

L’abbé de Saint-Pierre avait osé croire que les hommes seraient un jour assez raisonnables pour que les nations consentissent, d’un commun accord, à renoncer au droit barbare de la guerre, et à soumettre au jugement d’arbitres paisibles la discussion de leurs prétentions, de leurs intérêts ou de leurs griefs. Sans doute cette idée n’est pas chimérique ; il est si clairement prouvé que la guerre ne peut jamais être un bien pour la pluralité des individus d’une nation ! Et pourquoi les hommes qui se sont accordés si longtemps pour se livrer à des erreurs absurdes et funestes, ne s’accorderaient-ils pas un jour pour adopter des vérités simples et salutaires ? Mais cette espérance est encore loin de se réaliser.

Peut-être l’abbé de Saint-Pierre aurait-il été plus utile, si, au lieu de proposer aux souverains (monarques, sénats ou peuples) de renoncer au droit de faire la guerre, il leur eût proposé de conserver ce droit, mais d’établir en même temps un tribunal chargé de juger, au nom de toutes les nations, les différends qui peuvent s’élever entre elles, sur la remise des criminels, sur l’exécution des lois de commerce, les saisies de vaisseaux étrangers, les violations de territoire, l’interprétation des traités, les successions, etc. Les différents États se seraient réservé le droit d’exécuter les jugements de ce tribunal, ou d’en appeler à celui de la force. Les hommes qui l’auraient composé auraient été chargés de rédiger un code de droit public, fondé uniquement sur la raison et sur la justice, et que les nations confédérées seraient convenues d’observer pendant la paix. Ils en eussent formé un autre, destiné à contenir les règles qu’il serait de l’utilité générale d’observer en temps de guerre, soit entre les nations belligérantes, soit entre elles et les puissances neutres. Un tel tribunal pourrait étouffer des semences de guerre, en établissant dans l’état de paix plus d’union entre les peuples, et détruire ces germes de haine et cette humeur d’un peuple contre un autre, qui dispose à la guerre et en fait saisir tous les prétextes. Souvent les ambitieux qui la conseillent, n’oseraient la proposer s’ils ne se flattaient de soulever en leur faveur l’opinion populaire, s’ils n’étaient appuyés du suffrage de ceux même dont ils prodiguent le sang et la substance. Les guerres seraient devenues moins cruelles : en effet, nous sommes encore bien loin d’avoir donné à la justice, à l’humanité, tout ce qu’on peut leur accorder pendant la guerre, sans nuire au succès. Les troupes réglées ont du moins produit un grand bien, celui de rendre les peuples étrangers à la guerre qu’on fait en leur nom, et il n’y aucune raison pour que l’ennemi ne traite pas les habitants de la frontière qu’il a conquise, comme il traiterait ceux de la sienne s’il était obligé de la défendre. Est-il si nécessaire au succès des guerres maritimes de légitimer le vol et le brigandage ? A-t-on pesé seulement avec quelque attention les tristes avantages et les conséquences funestes de cet usage des siècles et des nations barbares ? Mais ne nous égarons pas dans ces idées qui, toutes simples, toutes naturelles qu’elles soient pour tout homme doué d’un cœur juste et d’un esprit droit, étonneraient encore l’oreille des politiques.

Venons aux effets de la révolution d’Amérique, et voyons si, quoiqu’elle ait coûté une guerre à l’humanité, elle n’aura pas été un bien, même à cet égard.

Si l’Angleterre se fût réconciliée avec ses colonies, le ministère britannique eût senti qu’une guerre étrangère était le seul moyen d’en tirer des taxes, d’y établir l’autorité militaire, d’y avoir un parti. Cette guerre avec la maison de Bourbon eût entraîné la perte d’une grande partie des îles que la France et l’Espagne n’eussent pu soutenir contre l’Amérique et l’Angleterre réunies. Je ne regarderais pas la perte des îles à sucre en elle-même comme un très-grand malheur pour la France. Le produit de ces îles, diminué des frais de culture, des dépenses d’administration et de défense, n’ajoute qu’une très-petite somme au produit total du territoire de la France, et ces possessions si difficiles à défendre, diminuent plutôt qu’elles n’augmentent la puissance nationale. Mais il n’en serait pas de même dans les cas où l’on pourrait craindre qu’une nation, peu éclairée sur les vrais intérêts de son propre commerce, ne permît à des négociants riches et avides d’exercer un monopole sur les étrangers ; monopole dont cette nation elle-même, et surtout les négociants peu riches, sentiraient aussi le poids. Dans cette hypothèse, l’intérêt de chaque nation consommatrice serait d’avoir un moyen de se procurer, au moins en partie, des denrées devenues nécessaires, sans dépendre du caprice des autres nations. C’est sous ce point de vue que la possession des colonies dans les Antilles est vraiment importante pour les nations européennes. Les principes généraux de l’économie politique sont prouvés d’une manière rigoureuse, ils ne sont sujets à aucune exception réelle. Si on ne peut les suivre dans la pratique, en étendre les conséquences à tous les cas particuliers, c’est uniquement parce qu’une grande partie des hommes se laissent guider par des préjugés contraires à ces principes ; ainsi, ces exceptions apparentes ne servent qu’à les conserver davantage. Dans la supposition que nous considérons, les conséquences de la perte des îles à sucre eussent été funestes pour la France. La marine française, détruite par une guerre malheureuse, eût laissé l’Angleterre maîtresse de la mer ; bientôt elle eût voulu envahir le commerce de l’Inde, de l’Afrique, des deux parties de l’Amérique.

L’esprit de monopole qu’elle porte dans le commerce l’eût engagée à prendre, même aux dépens de sa propre richesse, les mesures les plus ruineuses aux autres peuples, les eût exposés à tout ce qu’une politique mercantile peut imaginer de vexations et d’outrages. Mais, avant que ce système de machiavélisme eût atteint son but, avant que l’empire britannique se fût divisé, dans combien de guerres les nations de l’Europe n’auraient-elles pas été entraînées ? Car ce système eût été inégalement, mais constamment suivi par des ministres intéressés à occuper leur nation de conquêtes, soit pour se maintenir dans leurs places, soit pour éviter les troubles intérieurs ou la séparation des colonies, soit pour détruire sourdement la constitution et faire naître une monarchie absolue. Peut-être, plus d’un siècle d’oppression et de guerres eût-il précédé l’époque où la division de cet empire eût fait renaître la paix et la liberté des mers. Ainsi, l’humanité peut pardonner à la guerre d’Amérique, en songeant aux maux dont cette guerre l’a préservée.

La même révolution doit rendre les guerres plus rares en Europe.

En effet, on ne peut se le dissimuler, les Américains sont presque absolument les maîtres de faire pencher la balance dans les mers de l’Amérique en faveur de la puissance qu’ils favoriseront ; ils ont, en même temps, plus de facilité que les nations européennes pour les conquérir et les garder. D’ailleurs, les habitants de ces îles, assez indifférents sur le nom de la puissance à laquelle ils appartiennent, parce qu’ils sont moins de véritables propriétaires attachés au sol de leur patrie que des entrepreneurs de manufactures, seraient disposés à s’unir à un peuple qui, dédaignant de commander à des sujets, ne veut avoir que des concitoyens, et pour qui conquérir ne peut être qu’admettre les vainqueurs à partager son indépendance et sa liberté. Sans doute il peut arriver que les colons anglais, français, espagnols, craignent l’arrivée des Américains dans leurs possessions, plus qu’ils ne la désirent, si les Américains proscrivent chez eux l’esclavage des noirs, et que les puissances européennes aient la barbarie et la mauvaise politique de le conserver. Mais alors les Américains n’en seraient que plus sûrs du succès, puisqu’ils auraient, en arrivant dans chaque île, des partisans nombreux, animés de tout le courage que peuvent donner la vengeance et l’espoir de la liberté.

Ainsi, du moment où les États-Unis auront réparé les maux au prix desquels ils ont acheté leur indépendance, aucune nation de l’Europe ne pourrait, sans imprudence, entreprendre une guerre dans des mers où elle serait exposée à tout perdre, si elle avait les États-Unis pour ennemis, et à se mettre dans leur dépendance, si elle les avait pour amis.

La possession des Antilles aurait été absolument précaire dans très-peu de temps, dès aujourd’hui peut-être, sans la révolution d’Amérique ; elle le deviendra sans doute, mais plus tard : et d’ailleurs les Anglais auraient sûrement regardé la conquête de ces îles comme très-importante, et il n’est pas vraisemblable que les Américains aient jamais la même idée ; ils sentent qu’il importe à leur liberté, à la conservation de leurs droits, de ne pas avoir de sujets ; ils ne peuvent désirer d’avoir loin d’eux des alliés faibles et difficiles à défendre ; et les Européens seuls, par une conduite imprudente, pourraient leur inspirer le désir de faire cette conquête. C’est ce qu’a senti le ministère de France, et s’il s’est empressé d’ouvrir ses colonies aux Américains, cette opération, juste en elle-même, nécessaire à la prospérité, presque à l’existence des colonies, a été en même temps dictée par une politique sage et prévoyante.

Les Américains serviront encore à maintenir la paix en Europe par l’influence de leur exemple. Dans l’Ancien Monde quelques philosophes éloquents, et surtout Voltaire, se sont élevés contre l’injustice, l’absurdité de la guerre ; mais à peine ont-ils pu y adoucir, à quelques égards, la fureur martiale. Cette foule immense d’hommes qui ne peuvent attendre de gloire et de fortune que par le massacre, ont insulté à leur zèle, et l’on répétait dans les livres, dans les camps, dans les cours, qu’il n’y avait plus ni patriotisme, ni vertu, depuis qu’une abominable philosophie avait voulu épargner le sang humain.

Mais, dans l’Amérique, ces mêmes opinions pacifiques sont celles d’un grand peuple, d’un peuple brave qui a su défendre ses foyers et briser ses fers. Toute idée de guerre entreprise par ambition, par le désir de la conquête, y est flétrie par le jugement tranquille d’une nation humaine et paisible. Le langage de l’humanité et de la justice ne peut y être l’objet de la risée, ni des courtisans guerriers d’un roi, ni des chefs ambitieux d’une république. L’honneur de défendre la patrie y est le premier de tous, sans que l’état militaire pèse avec orgueil sur les citoyens : et que pourront opposer à cet exemple les préjugés guerriers de l’Europe ?


CHAPITRE III.
Avantages de la révolution d’Amérique, relativement à la perfectibilité de l’espèce humaine.

Nous avons déjà essayé de montrer combien l’exemple de l’Amérique et les lumières qui doivent naître de la liberté de discuter toutes les questions importantes au bonheur des hommes, peuvent être utiles à la destruction des préjugés qui règnent encore en Europe. Mais il est un autre genre d’utilité sur lequel nous croyons devoir nous arrêter, bien que très-convaincu qu’il paraîtra chimérique au plus grand nombre de nos lecteurs.

L’Amérique offre un pays d’une vaste étendue, où vivent plusieurs millions d’hommes que leur éducation a préservés des préjugés, et disposés à l’étude, à la réflexion. Il n’y existe aucune distinction d’état, aucun attrait d’ambition qui puisse éloigner ces hommes du désir, si naturel, de perfectionner leur esprit, de l’employer à des recherches utiles, d’ambitionner la gloire qui accompagne les grands travaux ou les découvertes, et rien n’y retient une partie de l’espèce humaine dans une abjection qui la dévoue à la stupidité, comme à la misère. Il y a donc lieu d’espérer que l’Amérique, d’ici à quelques générations, en produisant presque autant d’hommes occupés d’ajouter à la masse des connaissances que l’Europe entière, en doublera au moins les progrès, les rendra au moins deux fois plus rapides. Ces progrès embrasseront également les arts utiles et les sciences spéculatives.

Or, on doit mettre le bien qui en peut résulter pour l’humanité, au nombre des effets de la révolution. La dépendance de la mère patrie n’eût pas, sans doute, éteint le génie naturel des Américains, et M. Franklin en est la preuve. Mais elle eût presque toujours détourné ce génie vers d’autres objets ; le désir d’être quelque chose en Angleterre eût étouffé tout autre sentiment dans l’âme d’un Américain né avec de l’activité et des talents, et il eût choisi les moyens les plus prompts et les plus sûrs d’y parvenir. Ceux qui n’auraient pu nourrir cette ambition seraient tombés dans le découragement et dans l’indolence.

Les États gouvernés par des princes qui règnent loin d’eux, les provinces des grands empires, trop éloignées de la capitale, nous offriraient des preuves frappantes de cette assertion, et nous les développelions ici, sans la crainte de paraître nous ériger en juges du génie, en appréciateurs des nations et des découvertes.

On sera peut-être surpris de me voir placer ici quelques découvertes, quelques inventions et le progrès de nos connaissances à côté de ces grands objets, la conservation des droits de l’humanité, le maintien de la paix, et même avant les avantages qui peuvent résulter du commerce.

Mais, occupé à méditer depuis longtemps sur les moyens d’améliorer le sort de l’humanité, je n’ai pu me défendre de croire qu’il n’y en a réellement qu’un seul : c’est d’accélérer le progrès des lumières. Tout autre moyen n’a qu’un effet passager et borné. Quand même on avouerait que des cireurs, des fables, des législations combinées, non d’après la raison, mais d’après les préjugés locaux, ont fait le bonheur de quelques nations, on serait forcé d’avouer aussi que partout, ce bien trop vanté a disparu en peu de temps, pour faire place à des maux que la raison n’a pas encore pu guérir après plusieurs siècles. Que les hommes soient éclairés, et bientôt vous verrez le bien naître, sans effort, de la volonté commune.


CHAPITRE IV.

Du bien que la révolution d’Amérique peut faire par le commerce à l’Europe et à la France en particulier.

Nous n’avons presque considéré jusqu’ici que des avantages qui, par leur nature, sont communs à toutes les nations. Celui du maintien de la paix a quelques degrés d’importance de plus pour les peuples qui, comme la France, l’Espagne, l’Angleterre, la Hollande, sont exposés à des guerres dans les îles de l’Amérique.

De même, la France tirera plus d’utilité qu’aucun des peuples de l’Europe, des idées saines des Américains sur les droits de la propriété et de la liberté naturelle, parce qu’avec un plus grand besoin de ces idées que la nation anglaise, elle est dans ce degré de lumières qui permet d’en profiter, et jouit d’une constitution où les réformes utiles ne trouveraient que peu d’obstacles à vaincre, et surtout en trouveraient beaucoup moins qu’en Angleterre.

Nous commencerons encore ici par examiner les avantages qui résulteront de la révolution d’Amérique, pour le commerce de toutes les nations ; nous verrons ensuite si, à cet égard, la France doit avoir quelque supériorité. Mais avant de nous livrer à cet examen, il est bon de chercher quelle espèce d’utilité une nation peut trouver dans le commerce étranger.

Elle y trouve : 1° celle de se procurer les denrées nécessaires, ou presque nécessaires, qui lui manquent, de se les procurer à un meilleur prix ; enfin, d’avoir une plus grande assurance de ne pas en manquer. 2° Celle d’augmenter par le débit plus grand des denrées nationales, ou des objets manufacturés, l’intérêt qu’ont les cultivateurs à multiplier les productions, et en même temps d’augmenter l’industrie et l’activité des manufacturiers, qui ne peuvent s’accroître sans influer sur la quantité du produit net des terres, et par conséquent sur la richesse réelle.

Ces deux avantages, celui de l’importation plus avantageuse ou plus sure des denrées, celui d’une exportation plus étendue, peuvent paraître se confondre, parce que l’un ne peut guère exister sans l’autre. Mais nous les distinguons, parce que le premier a pour objet direct l’augmentation du bien-être, et le second l’augmentation de la richesse. Il faut observer de plus, que la production ne peut augmenter dans un pays par le commerce d’exportation, sans qu’il ne résulte de cette surabondance de denrées un moindre danger d’en manquer.

On peut compter encore parmi les avantages du commerce étranger, ceux qu’une nation retire de son industrie, de son habileté dans le négoce. C’est ainsi qu’un peuple qui n’habiterait qu’un rocher et qui aurait quelques capitaux, pourrait vivre et même augmenter ces capitaux, en recevant chaque année, pour prix de son travail ou de ses spéculations de commerce, une portion du revenu territorial d’une autre nation.

Ce troisième avantage, le premier de tous pour un petit peuple livré uniquement au commerce et à l’industrie, est presque nul pour les grandes nations qui occupent un vaste territoire.

Le commerce se fait toujours par échange, et par échange de matières qui se renouvellent chaque année ; autrement il ne pourrait être durable, puisque le peuple qui échangerait tous les ans contre une denrée dont il a besoin, une denrée qui ne se renouvelle pas, serait au bout d’un certain temps dans l’impossibilité de faire cet échange.

Mais la manière dont l’échange se fait n’est pas indifférente, 1° Supposons qu’un pays qui n’a pas de mines abondantes achète en argent des marchandises d’un autre, il est clair qu’il faut qu’il ait vendu à un troisième des marchandises pour de l’argent ; ainsi, pour faire cet échange réel de marchandises contre marchandises, il a fallu payer deux fois le profit du commerçant ; on ne le payerait qu’une fois si l’échange était immédiat, ou, en d’autres termes, le négociant qui gagne sur ce qu’il achète et sur ce qu’il vend peut se contenter d’un moindre profit. Voilà donc, pour la masse des citoyens, une épargne de frais inutiles. Il n’est donc pas indifférent de payer les mêmes denrées en marchandises ou en argent ; et, toutes choses égales d’ailleurs, il est plus avantageux de les payer en marchandises.

2° Il est plus avantageux à un pays d’exporter les denrées dont la culture exige le plus d’avances, proportionnellement au produit net, et dont la production est plus irrégulière, plus exposée à des accidents ou à l’intempérie des saisons. Le commerce étranger est un moyen d’en assurer le débit dans les années d’abondance, et de rendre moins précaire l’existence des entrepreneurs de culture. Ainsi, par exemple, il est plus avantageux d’exporter du vin que du blé, des bois, etc.

3° Il est plus avantageux d’exporter des denrées brutes, parce que, pourvu que la liberté soit entière, la culture en obtient le même encouragement. Dans un cas on cultive pour acheter les denrées étrangères, dans l’autre, pour entretenir les ouvriers nationaux, et l’effet est le même si l’on ne décourage pas la culture par des lois prohibitives. Mais, dans le premier cas, la culture seule est encouragée ; dans le second, l’industrie l’est en même temps, et l’on y gagne l’avantage d’avoir à un prix égal des produits de manufacture plus parfaits.

Enfin il vaut mieux, et par la même raison, tirer des denrées non manufacturées que des produits de manufactures, mais toujours avec la même condition de la liberté entière. Cette condition est nécessaire, parce que sans elle il arrivera, ou qu’on vendra les denrées brutes à plus bas prix, ou qu’on achètera plus cher les produits des manufactures ; ce qui devient un mal, une perte réelle, et détruit même avec excès les avantages qu’on peut attendre de cette combinaison de commerce.

Après avoir établi ces principes, examinons les avantages pour l’Europe, et pour la France, d’un commerce immédiat et plus étendu avec l’Amérique.

D’abord toute extension d’un commerce libre est un bien : 1° En ce qu’il en résulte nécessairement d’un côté plus d’encouragement pour la culture, d’un autre plus de jouissances pour le même prix. 2° En ce qu’il en résulte naturellement, que chaque pays arrive plus promptement à ne cultiver, à ne fabriquer que ce qu’il peut cultiver ou fabriquer avec le plus d’avantage. L’accroissement des richesses et de bien-être qui peut résulter de l’établissement de cet ordre naturel est incalculable. Malheureusement, l’espèce de fureur avec laquelle toutes les nations veulent tout cultiver, tout fabriquer, non pour faire de simples essais, mais dans la vue de ne rien acheter au dehors, prouve combien l’on ignore même aujourd’hui cette utilité d’un commerce étendu et libre.

Indépendamment de cet avantage, les Américains occupant un terrain immense dont une partie n’est pas encore défrichée, ne peuvent être longtemps encore que des cultivateurs : dans un pays libre tout homme, quelle que soit son industrie, préférera nécessairement l’état de propriétaire à tout autre, tant qu’il pourra se flatter de pouvoir y atteindre sans trop sacrifier de son aisance. Ainsi, l’Amérique n’aura longtemps, en général, que des denrées brutes à apporter en Europe, et des denrées manufacturées à y demander. Elle aura peu d’argent à mettre dans le commerce, parce que la plus grande partie des capitaux sera consacrée à la dépense des défrichements, des établissements dans les parties reculées. Elle ne commercera donc avec l’Europe que par des échanges immédiats. Enfin, la seule denrée qu’elle tirera de l’Europe, et qu’elle en tirera longtemps encore, est le vin, une de celles dont l’exportation est la plus avantageuse.

La France paraît en même temps être la nation européenne pour laquelle le commerce avec l’Amérique est le plus important : 1° Parce qu’elle est obligée d’acheter dans le Nord, pour de l’argent, des huiles, des fers, des chanvres, des bois qu’elle se procurerait en Amérique en les échangeant pour des produits de ses manufactures. 2° Parce que dans les années de disette en blé, le blé et le riz de l’Amérique seraient une ressource importante pour ses provinces situées sur l’Océan, ou qui communiquent avec cette mer par des canaux et des rivières navigables. 3° Parce qu’elle peut établir avec l’Amérique un très-grand commerce en vins ; et qu’ayant presque exclusivement ce commerce particulier, en même temps que relativement aux manufactures elle peut au moins soutenir la concurrence avec l’Angleterre, il doit naturellement arriver que ce commerce nécessaire lui fasse obtenir la préférence sur l’Angleterre pour tous les autres ; et il n’est pas douteux qu’elle ne l’ait sur le reste des nations européennes, tant que l’industiie du Portugal et de l’Espagne n’aura point fait de progrès.

On a pu croire que l’Angleterre aurait au contraire la supériorité, et certainement, toutes choses égales d’ailleurs, la conformité de langage, de manière de vivre, de religion, jointe à l’habitude de se servir des produits de manufactures anglaises, pourrait avoir une grande influence. Mais il faut observer que cette influence n’exercerait tout son empire que dans le premier moment ; or, dans ce premier moment, les restes d’une indignation trop bien fondée, les liaisons contractées pendant la guerre dernière, doivent nécessairement diminuer l’effet des motifs qui auraient pu déterminer les Américains à donner la préférence à l’Angleterre, et la France aura le temps d’employer les moyens qui dépendent d’elle, pour empêcher ces motifs de balancer ses avantages réels. Nos manufactures sauront bientôt se plier au goût et aux besoins des Américains, que nos commerçants apprendront à connaître et à prévenir.

La communication des deux langues peut être facilitée par l’établissement de colléges dans quelques-unes de nos villes, où les Américains feraient élever leurs enfants, où ils les enverraient même en grand nombre, si tout enseignement religieux en était exclu.

La religion ne doit pas être longtemps un obstacle : le dogme le plus cher aux Américains, celui auquel ils tiennent le plus, est le dogme de la tolérance, ou plutôt de la liberté religieuse ; car chez ce peuple, conduit plus qu’aucun autre par la raison seule, le mot de tolérance paraît presque un outrage à la nature humaine. Or, pourquoi désespérerait-on de voir la tolérance (qu’on me pardonne ici ce mot européen) s’établir bientôt dans notre patrie ? N’exister-elle pas aujourd’hui dans l’Ancien Monde depuis le Kamtschatka jusqu’à l’Islande, depuis la Laponie jusqu’à l’Apennin ? Les princes de la maison de Hugues Capet sont les seuls grands souverains qui ne l’aient pas encore appelée dans leurs États. Mais en France, la voix unanime de tous les hommes éclairés dans le clergé, dans la noblesse, dans la magistrature, dans le commerce, sollicite cette révolution avec force et sans relâche. Ces sollicitations seront-elles inutiles ? Ne doit-on pas espérer plutôt que le gouvernement cédera aux motifs de justice et d’utilité qu’on lui présente, et même que la tolérance s’élablira en France, d’après un système plus régulier, plus conforme à la justice naturelle, et que nous réparerons par là le malheur et peut-être la honte d’avoir tardé si longtemps à suivre l’exemple des autres peuples ?

On verra sans doute les avantages particuliers du commerce avec l’Amérique diminuer peu à peu. Il ne restera plus à l’Europe que ceux qui naissent d’un commerce actif, étendu, entre des nations industrieuses et riches. Mais ce changement sera l’ouvrage de plusieurs siècles, et alors les nouveaux progrès du genre humain ne laisseront rien à regretter aux nations éclairées des deux mondes.

Il est impossible qu’une nation de plus, ajoutée au petit nombre de celles qui font le commerce avec intelligence et avec activité, n’augmente entre elles cette concurrence dont l’effet naturel est de diminuer les frais de transport ; et c’est un bien pour toutes les nations qui n’ont d’autre intérêt réel que de se procurer, avec abondance et au plus bas prix possible, les denrées que le besoin ou l’habitude leur rendent nécessaires.

Enfin, il ne faut pas croire que le commerce de l’Amérique doive se borner aux objets qu’elle fournit maintenant à l’Europe. Combien cette contrée immense ne renferme-t-elle pas de substances à peine connues aujourd’hui de nos naturalistes, et même presque ignorées de ses habitants, dont bientôt le commerce nous fera connaître l’utilité ? Quand bien même la conjecture que nous hasardons ici ne serait pas appuyée sur la connaissance de plusieurs productions, dont il est aisé de prédire qu’elles deviendront un jour des objets de commerce, cette espérance ne devrait pas être regardée comme chimérique ; il serait absolument contre l’ordre constant de la nature que ce vaste continent n’offrît que des productions inutiles ou communes à l’Europe.

Des moralistes austères nous diront peut-être que cet avantage, qui se bornerait à nous donner de nouveaux besoins, doit être regardé comme un mal ; mais nous répondrons qu’il nous donnera au contraire de nouvelles ressources pour satisfaire ceux auxquels la nature a voulu nous soumettre. Dans tous les pays, dans tous les temps où il exisleia une grande inégalité dans les fortunes, les hommes auront des besoins factices, et la contagion de l’exemple les fera éprouver à ceux même que la pauvreté empêche de les satisfaire. Ainsi, multiplier les moyens de pourvoir à ces besoins factices, et rendre ces moyens moins coûteux, c’est faire un bien réel, c’est rendre moins sensibles, moins dangereux pour la tranquillité commune, les effets de l’inégalité des fortunes ; et si jamais l’influence lente, mais sûre, d’un bon système de législation peut détruire cette inégalité en Europe, les besoins factices qu’elle seule a fait naître, disparaîtront avec elle, ou plutôt il n’en restera que ce qu’il faut pour conserver à l’espèce humaine cette activité, cette industrie, cette curiosité nécessaires à ses progrès, et par conséquent à son bonheur.

Nous aurions désiré, sans doute, pouvoir compter au nombre des avantages qui naîtront de nos liaisons avec l’Amérique, celui de l’exemple d’une liberté entière et illimitée de commerce donné par une grande nation. Mais si, sur d’autres parties de la politique, ces nouvelles républiques ont montré une raison et des lumières supérieures à celles des nations les plus éclairées, il paraît qu’elles ont conservé sur ces deux objets importants et intimement liés entre eux, l’impôt et le commerce, quelques restes des préjugés de la nation anglaise. Elles semblent ne pas sentir assez que l’intérêt de l’Amérique est d’ouvrir à toutes les denrées, à toutes les nations, une entière liberté d’entrer ou de sortir, de vendre ou d’acheter sans exception comme sans privilége, soit que les nations européennes rendent au commerce sa liberté, soit qu’elles lui laissent ses chaînes ou qu’elles lui en donnent de nouvelles. Déjà égarés par ces vues mercantiles dont l’Europe leur donne l’exemple, quelques États ont gêné le commerce par des impôts indirects. Ils n’ont pas vu combien, dans un pays où les propriétaires de terre forment le grand nombre, où les propriétés sont plus également distribuées qu’en Europe, où l’impôt est très-faible, un impôt direct sur le produit des terres serait facile à établir et à lever. D’ailleurs, quel avantage ne trouveraient pas les citoyens égaux d’un État libre dans un système où chacun, voyant ce que doit lui coûter une taxe nouvelle, ne serait pas la dupe des raisonnements qui, sous de vains prétextes, tendraient à en faire établir d’inutiles.

Cet impôt ne peut décourager les défrichements, puisqu’il est aisé de fixer, à l’exemple de la France, un terme, avant lequel les terrains nouvellement défrichés n’y seraient pas assujettis. Le peu de numéraire des Américains n’est pas une objection, parce que non-seulement en Amérique, où l’impôt est très-faible, mais chez les nations les plus chargées de subsides, le numéraire en métaux ou en billets nécessaire pour solder l’impôt, est une très-petite partie de celui qui sert aux opérations de commerce et aux usages de la vie.

Si on parcourt l’histoire de l’administration des États-Unis depuis la déclaration de l’indépendance, on ne trouvera point dans tous les États des constitutions également bien combinées. Il n’en est point où l’on ne puisse observer quelques défauts ; toutes les lois établies depuis l’acte d’indépendance ne sont pas également justes et sages, mais aucune partie de la législation politique, delà législation criminelle, n’offrira d’erreurs grossières, de principes oppresseurs ou ruineux. Au contraire, dans les opérations de finance et de commerce, presque tout annonce une lutte constante entre les anciens préjugés de l’Europe et les principes de justice et de liberté si chers à cette nation respectable ; et souvent les préjugés ont obtenu la victoire.

Cependant, en convenant de ces défauts, l’amour des Américains pour l’égalité, leur respect pour la liberté, pour la propriété, la forme de leurs constitutions, empêcheront sans doute d’y établir jamais ni ces prohibitions, ou absolues ou indirectement ordonnées par l’établissement de droits énormes, ni ces priviléges exclusifs de commerce, ni ces monopôles de certaines denrées, ni ces visites si outrageantes, si contraires à tous les droits du citoyen, ni ces lois barbares contre la fraude, ni ces corporations exclusives de marchands ou d’ouvriers, ni enfin tout ce que l’esprit mercantile et la fureur de tout régler, pour tout opprimer, ont produit en Europe de vexations absurdes ; et l’exemple de l’Amérique apprendra du moins à en voir l’inutilité et à en sentir l’injustice.

Je n’ai point parlé du commerce de la France avec l’Amérique relativement au tabac, parce que ce n’est point la France qui fait ce commerce, mais la compagnie qui en a le privilége, et dont les intérêts sont absolument étrangers à ceux de la nation, toutes les fois qu’ils n’y sont pas opposés. Avec quelque nation, de quelque manière que se fasse ce commerce, il est toujours également nuisible. Une compagnie n’achètera que d’une autre compagnie ; et quand même on retrouverait encore, en achetant cette denrée des Américains, une partie de l’avantage qui résulte d’un commerce d’échange, comparé à un commerce en argent, les faux frais de toute espèce qu’entraîne un commerce de monopole, sont si supérieurs à cet avantage, qu’il deviendrait presque insensible.

conclusion.

Telles avaient été mes réflexions sur l’influence de la révolution d’Amérique. Je ne crois pas en avoir exagéré l’importance, ni m’être laissé entraîner à l’enthousiasme qu’inspire le noble et touchant spectacle que ce nouveau peuple donne à l’univers.

  1. Voltaire.