De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 4/10

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 326-331).


CHAPITRE X.
Qu’il ne faut pas aisément se priver de la sainte Communion.
Le Maistre.

Si vous cherchez un remede à vos passions déreglées, & que vous vouliez vous rendre plus fort & plus vigilant contre les attaques du malin esprit, il faut recourir souvent à la source des misericordes divines, à la source de toute bonté & de toute pureté.

Le demon qui sçait de quel avantage & de quel secours est le Sacrement de l’Eucharistie aux ames devotes, met tout en usage pour leur en donner de l’aversion & du dégoût.

Ainsi plusieurs n’ont jamais de plus rudes tentations à soûtenir, que lorsqu’ils tâchent de se préparer à la Communion.

Car le vieux serpent se glisse parmi les enfans de Dieu[1], comme il est écrit dans Job, & il employe toutes ses ruses pour les troubler par de vaines craintes, par des doutes & des scrupules mal fondez.

Il prétend par-là rallentir l’ardeur de leur dévotion, ou même ébranler leur foi, afin qu’ils s’abstiennent tout à fait de communier ; ou s’ils communient, qu’ils le fassent negligemment & avec tiédeur.

Mais il ne faut point se mettre en peine de ses artifices, ni des pensées qu’il suggére alors, quelque honteuses & horribles qu’elles soient.

Il faut au contraire sçavoir le vaincre par ses propres armes. La voye la plus courte pour s’en délivrer, c’est de le renvoyer avec mépris, & de ne point s’éloigner de la sainte Table, quelques mouvemens qu’il puisse exciter dans l’appetit sensitif.

Il arrive aussi quelquefois que l’envie trop grande d’avoir de la devotion, & de se bien confesser, tourmente l’esprit, & cause de l’inquiétude.

Prenez conseil de quelque personne sage, & défaites vous de ces vains scrupules, qui ne servent qu’à dessecher la devotion, & à tarir la source des graces.

Si vous vous sentez coupable de quelque legere faure, & que vous en ayez la conscience tant soit peu troublée, ne laissez pas de communier : mais confessez-vous auparavant, & pardonnez de bon cœur à quiconque vous a offensé.

Que si vous avez offensé quelqu’un, demandez-lui humblement pardon, & Dieu vous pardonnera vôtre peché.

Que vous sert de retarder vôtre Confession, & de remettre à un autre tems vôtre Communion ?

Purifiez-vous au plûtôt par la penitence : hâtez-vous de rejetter le poison mortel que vous avez dans le cœur ; prenez le contrepoison que Dieu vous presente. Vous gagnerez baucoup plus par-là, que par de longues & inutiles remises.

Si vous avez aujourd’hui quelque raison de differer à communier peut-être que vous en aurez une plus specieuse demain : ainsi vous ne communierez de long-tems : & il est à craindre que par ce délai vous ne deveniez moins capable de le bien faire.

Chassez le plûtôt que vous pourrez ces craintes qui vous retiennent. A quoi bon vous tourmenter tant l’esprit ? pourquoi vivre dans de continuelles allarmes, & vous éloigner des Sacremens par de legeres raisons, qui peuvent se presenter tous les jours ?

Il est même très préjudiciable de tant differer la Communion, parce qu’un trop long retardement ne fait qu’augmenter l’indevotion & la tiédeur.

Hélas ! bien des gens, ou tiédes, ou libertins, se font un plaisir de n’aller que rarement à confesse : & rien ne les détourne davantage de la Communion, que la crainte d’être obligez à vivre dans une plus grande retenuë.

O qu’il paroît peu de charité & de religion en ceux qui pour de foibles sujets s’abstiennent de communier !

O qu’on est heureux, & qu’on se rend agréable à Dieu, lorsqu’on tâche à se conserver dans une telle pureté de cœur, que s’il se pouvoir, & qu’il n’y eût nul inconvenient, on ne dût point craindre de s’approcher de la sainte Table, même tous les jours ? Que si par humilité, ou par respect, ou par quelque autre raison legitime on n’y va pas si souvent, cette crainte est loüable :

Mais si c’est manque de ferveur, on doit faire tout ce qu’on peut pour ranimer la devotion ; & Dieu qui aime la bonne volonté, fera tout le reste.

Pour ceux qui se trouvent hors d’état de communier réellement, ils doivent avoir un saint désir de le faire, s’ils pouvoient ; & de cette sorte ils auront part à la grace du Sacrement.

Car rien n’empêche les bonnes ames, & il leur est d’ailleurs très-utile de communier spirituellement tous les jours, & à toute heure.

Mais il y a de certains tems, & des jours plus solemnels, oui elles doivent recevoir la Communion Sacramentelle, avec toute la réverence & toute l’affection possible, en se proposant néanmoins toûjours la gloire de Dieu plutôt que leur consolation particuliere.

Du reste, toutes les fois qu’on rappelle en sa memoire le Mystére de l’Incarnation du Sauveur, ou celui de la Passion, & qu’on tâche de s’unir à lui par amour, on communie en esprit, on mange invisiblement sa Chair.

Mais ceux qui attendent une grande Fête pour communier réellement, & qui ne le font que parce que la coûtume les y oblige, & que tout le monde le fait, il est rare qu’ils y apportent les dispositions necessaires.

Heureux celui qui ne célébre, ou ne communie jamais, qu’au même tems il ne s’offre en holocauste au Seigneur ?

Ne mettez ni trop de tems, ni trop peu à dire la Messe : gardez en cela une mesure juste ; accommodez-vous aux personnes, avec lesquelles vous vivez.

Ne leur donnez point occasion de se dégoûter, & de s’ennuyer ; ne faites rien d’extraordinaire ; suivez l’exemple de ceux qui ont été avant vous, & ayez toûjours plus d’égard à l’utilité publique, qu’à votre propre devotion.

  1. Job. 1. 6.