De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 4/04

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 310-314).


CHAPITRE IV.
Que Dieu fait beaucoup de biens à ceux qui communient dignement.
Le Disciple.

O Mon Seigneur & mon Dieu, prévenez-moi de votre grace, faites-moi part de vos douceurs ; rendez moi digne de vous recevoir à la sainte Table.

Réveillez-moi du profond assoupissement où je suis ; attirez mon cœur à vous, visitez mon ame, sanctifiez-la par votre visite, afin qu’elle se réjouisse en vous dans ce Sacrement, comme dans la source de toute douceur.

Eclairez aussi mes yeux, & découvrez-moi ce grand Mystére, afin que je le croye avec une vive foi.

Car c’est le chef-d’œuvre de votre Toute-puissance ; c’est vous seul qui l’avez institué, & les hommes n’y ont point de part.

Il contient tant de merveilles, que l’esprit humain n’y peut rien comprendre, & qu’il est même incomprehensible aux Esprits celestes.

Comment donc le pourrai-je pénetrer, moi qui ne suis que terre & que cendre, que corruption & que peché ?

Seigneur, j’ose m’approcher de vous avec un cœur simple, avec une ferme foi, avec beaucoup de confiance & de respect, parce que vous le voulez ; & je crois sans aucun doute que vous êtes dans ce Sacrement, que vous y êtes tout entier, & comme Dieu, & comme Homme.

Vous desirez que je m’unisse intimément à vous par amour.

Je vous supplie donc par vôtre bonté infinie, & je vous demande une grace spéciale pour cela ; je vous supplie, dis-je, de m’embraser tellement le cœur, que je fonde de tendresse pour vous, & que je ne cherche plus de consolation hors de vous.

Car la divine Eucharistie est le salut de l’ame & du corps ; c’est un remede souverain pour toutes les infirmitez spirituelles ; c’est elle qui me guérit de mes vices, qui modére mes appetits, qui m’aide à vaincre les plus violentes tentations, ou qui en diminuë la violence ; c’est par elle que je reçois une infinité de graces, que ma vertu encore foible se fortifie, que ma foi s’augmente, que mon esperance s’affermit, que la charité enfin s’allume & s’étend de plus en plus dans mon cœur.

Qui pourroit concevoir les biens que vous avez faits, & que vous continuez de faire aux Justes qui communient dignement, ô mon Dieu, ô le refuge & le soutien de l’infirmité humaine, ô l’auteur de toute consolation spirituelle ?

Vous les consolez effectivement dans leurs afflictions ; s’ils sont dans l’abattement, vous leur relevez le courage, & leur inspirez une ferme confiance en votre secours ; vous les remplissez de tant de joye, vous leur éclairez tellement l’esprit, qu’avec cette nouvelle grace, ils se trouvent tout-à-fait changez. De sorte que ceux qui avant que de communier, étoient inquiets, dissipez & sans devotion, deviennent tranquilles, recuëillis, & plein de ferveur, dès qu’ils ont pris cette nourriture celeste.

C’est ainsi que vous en usez avec vos Elûs, afin qu’étant convaincu de leur extrême foiblesse, ils soient obligez d’avoüer que c’est de vous qu’ils tiennent toute leur vie.

En effet d’eux-mêmes ils sont tiédes & indevots, & vous les rendez devots & fervens.

Car qui peut aller à la source de la douceur ; & n’en pas revenir plus doux ?

Qui peut demeurer long-tems devant un grand feu, & n’en être pas échauffé ?

Vous êtes la source qui ne tarit point ; vous êtes le feu qui brûle toûjours, & qui ne s’éteint jamais.

Si je ne puis donc m’approcher assez de la source pour m’y désalterer pleinement, j’irai au canal par où coulent les eaux salutaires, & j’en tirerai du moins quelques goutes pour temperer un peu l’ardeur de ma soif.

J’avouë que je suis encore un homme terrestre, & qu’il s’en faut bien que je ne sois embrasé du divin amour, comme les Cherubins & les Seraphins le sont dans le Ciel, mais j’essayerai desormais d’acquerir la vraye devotion, je me mettrai en état de vous recevoir dignement, & j’espere enfin obtenir de vous quelque étincelle de ce feu, dont brûlent les Esprits celestes.

Suppléez par vôtre bonté à ce qui me manque, ô mon doux Jesus, ô le Saint des Saints, qui appellez tout le monde à vous, en disant : Venez à moi, venez vous tous qui êtes dans le travail & dans l’oppression, & je vous soulagerai[1].

Vous voyez, Seigneur, que je suis contraint de manger mon pain, à la sueur de mon visage, toûjours accablé de tristesse, chargé de pechez, combattu de tentations, tourmenté de passions violentes ; & il n’y a que vous qui soyez capable de me délivrer de tant de maux.

Je me remets donc entre vos mains, avec tout ce que j’ai, afin qu’il vous plaise me conserver, & me conduire sûrement au Ciel.

Faites-moi la grace de m’y recevoir, pour l’honneur de votre saint Nom, vous qui n’avez pas dédaigné de me donner vôtre chair pour viande, & vôtre sang pour breuvage.

Faites ő mon Dieu, & mon Sauveur que par le frequent usage de ce Sacrement, je croisse de jour en jour en pieté & en devotion[2].

  1. Matt. 1. 28.
  2. Orat. Eccl.