De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 4/02

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 302-306).


CHAPITRE II.
Que Dieu fait paroître admirablement sa bonté dans le Sacrement de l’Eucharistie.
Le Disciple.

Plein de confiance en vôtre miséricorde, Seigneur, j’ose m’approcher de vous ; c’est un malade qui s’approche de son Medecin ; c’est un voyageur, qui brûlant de soif, court à la fontaine de la vie ; c’est un pauvre qui s’adresse au plus riche de tous les Rois : c’est un serviteur qui vient à son Maître ; c’est une créature qui cherche son Créateur : enfin c’est une ame affligée, qui se jette entre les bras de son Dieu, & de son unique consolateur.

Mais d’où vient que vous m’honorez de vôtre visite ? qui suis-je pour mériter que vous vous donniez à moi ?

Comment un pecheur ose-t-il se présenter devant vous ? & vous, ô mon Dieu comment vous abbaissez-vous jusqu’à visiter un pecheur ?

Vous connoiffez le fond de mon ame, & que je n’ai nul mérite pour vous attirer à moi.

Je reconnois mon indignité & ma bassesse ; je louë & adore vôtre bonté ; je vous rends graces pour tous les effets de vôtre misericorde.

Car si vous me comblez d’honneur & de biens, c’est parce que vôtre inclination vous y porte, & non parce que vous m’en jugez digne ; c’est afin de me faire mieux sentir quelle est la tendresse de vôtre amour & jusques où peut aller vôtre humilité.

Sçachant donc que vous voulez bien en user ainsi, je ne puis dissimuler la joye que j’en ai : tout ce que je crains, c’est que mon ingratitude ne vienne enfin à vous éloigner de moi.

O très-doux Jesus, quelles loüanges, quelles benedictions vous donnerai-je pour une faveur aussi grande, qu’est celle de me donner à manger vôtre sacré Corps, dont les qualitez glorieuses ne se peuvent exprimer.

Mais enfin, que puis-je penser quand je communie, quand je m’approche de mon Seigneur, qui mérite infiniment plus de respect que je ne lui en puis rendre ; quoique je souhaite ardemment de le recevoir avec devotion ?

La meilleure & la plus salutaire pensée que je puisse prendre, c’est de m’humilier profondément devant vous, & de vous marquer l’estime que je fais de vos bontez.

Je vous benis, ô mon Dieu, & jamais je ne cesserai de vous loüer, & d’exalter vos grandeurs.

De ma part ce que j’ai à faire, c’est de me mépriser moi-même, de me soûmettre à vos volontez, de descendre & de m’abîmer dans mon néant.

Vous êtes le Saint des Saints, & moi je ne suis que corruption & qu’ordure.

Vous vous abaissez jusqu’à moi, qui ne suis pas digne de vous regarder.

Vous daignez me visiter, vous voulez être avec moi ; & tout pecheur que je suis, vous m’invitez à vôtre banquet.

Vous me presentez le pain des Anges, le pain vivant, la manne celeste, en un mot vous-même, qui êtes venu du Ciel pour donner la vie au monde[1].

Voilà ce qui me fait voir jusques à quel point vous nous aimez & nous honorez, Quelles actions de graces ne vous doit-on pas pour un tel bienfait ?

O que cette divine institution nous est utile ! que ce festin, où vous voulez être vous-même nôtre nourriture, est agréable ! qu’il est délicieux ?

Qui n’admirera ici la vertu & la verité de votre parole ? Vous avez parlé, & tout s’est fait[2] : tout s’est fait selon que vous l’avez dit.

Chose merveilleuse, & qu’on ne croiroit jamais sans la lumiere de la Foi : vous, Seigneur, vrai Dieu & vrai Homme, vous êtes caché sous les especes d’un peu de pain & de vin ; vous y êtes tout entier, & on vous mange toûjours, sans que vous puissiez être consumé.

Vous donc, qui êtes le Maître de l’Univers, qui n’ayant besoin de personne, avez institué ce Sacrement afin de pouvoir habiter en nous, conservez mon corps & mon ame dans une telle pureté, qu’étant net de toute tache, je puisse avec joye célebrer souvent vos sacrez Mystéres. Faites que je reçoive pour ma sanctification, ce qui doit servir principalement à votre gloire, & à me faire souvenir de vous.

O mon ame, tressaillez de joye, & remerciez le Seigneur d’un don si précieux, qu’il vous a laissé pour vôtre plus grande consolation en cette vallée de larmes.

Car toutes les fois que vous mangez le Pain de vie, l’œuvre de la Redemption se renouvelle, & vous entrez en participation de tous les mérites de vôtre Sauveur.

La charité de Jesus-Christ ne diminuë point, & le trésor de les merites est inépuisable.

Vous devez donc concevoir une haute idée de ce Mystére incompréhensible : vous devez y penser souvent, & par un renouvellement intérieur, vous y disposer tous les jours.

Il faut, soit que vous disiez, ou que vous entendiez la Messe, que cette action vous paroisse toûjours grande, & toûjours nouvelle ; il faut que vous en soyez touché de même que si c’étoit ce jour-là que le Fils de Dieu se fût incarné dans le sein de la bienheureuse Vierge, ou qu’il fût mort sur la Croix pour le salut de tous les hommes.

  1. Joan 6, 33.
  2. Gen. 1. ; Psal. 148. 5.