De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 2/10

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 102-106).


CHAPITRE X.
De la reconnoissance qu’il est dûë à Dieu pour ses bienfaits.

Pourquoi aimez-vous tant le repos, vous qui êtes né pour le travail.

Ayez toûjours plus d’inclination pour les peines, que pour les douceurs, pour la Croix que pour le plaisir.

Qui est celui dans le siécle, qui ne s’estimât heureux d’avoir toujours, s’il étoit possible, des consolations spirituelles en abondance ?

Car à dire vrai, ces consolations sont beaucoup plus douces que tous les plaisirs du monde & de la chair.

Les plaisirs du monde ne peuvent être que vains & honteux ; & il n’y a que les délices spirituelles, qui soient tout ensemble, & agréables, & honnêtes. Aussi sont-elles les fruits des vertus ; & Dieu n’en fait part qu’aux ames pures.

Mais ne croyez pas qu’on en joüisse comme on veut, & aussi long-tems qu’on veut. Car la tentation ne tarde guéres à revenir.

Nous avons deux grands obstacles aux visites du Saint-Esprit ; une fausse liberté, & une vaine présomption.

Dieu fait une grande grace à l’homme, lorsqu’il le remplit de consolation & de joye : mais l’homme commet une étrange ingratitude envers Dieu, lorsqu’il manque à le remercier de tout.

Ce qui empêche que le Ciel ne : répande ses benedictions sur nous, c’est que nôtre ingratitude en tarit la source.

Car quiconque est reconnoissant des faveurs qu’il a reçues, mérite d’en recevoir de nouvelles.

Dieu dépoüille les superbes de ses dons, & enrichit les humbles.

Je n’aime point la consolation, qui m’ôte la componction ; je ne veux point non plus de la contemplation ; qui m’inspire de la présomption.

Car tout ce qui est élevé n’est pas toûjours saint : tout ce qui est doux, n’est pas toûjours bon : tout ce qu’on desire, n’est pas toûjours pur : tout ce qu’on aime n’est pas toûjours agréable à Dieu.

Je reçois volontiers la grace qui me rend plus humble, plus retenu, & plus mortifié.

Celui que Dieu a instruit, en lui donnant, & en lui retirant sa grace, selon qu’il l’a jugé à propos, n’ose s’attribuer rien de bon, mais confesse ingenûment que de lui-même il est pauvre & dénué de tout.

Offrez à Dieu ce qui est à Dieu, & gardez pour vous ce qui est à vous, c’est-à-dire, rendez à Dieu des actions de graces pour les bienfaits ; & imputez à vous seul vos pechez avec les peines qui en font les suites.

Prenez toûjours la derniere place, & on vous donnera la premiere, car il n’y a point d’élevation sans abaissement.

Ceux qui devant Dieu sont les plus grands Saints, croyent être les moindres de tous ; & plus ils méritent de loüanges, plus ils se jugent digne de mépris.

Ceux qui aiment la verité, & qui sçavent combien est grande la gloire du Ciel ; méprisent l’estime des hommes.

Ils sont tellement affermis en Dieu, qu’ils ne craignent plus la vanité.

Comme ils reconnoissent tenir de Dieu tout ce qu’ils possedent de biens, ils ne cherchent pas la gloire qui vient de la part des hommes ; ils cherchent celle que Dieu seul leur peur donner.

L’unique souhait qu’ils font, est que Dieu soit glorifié pardessus toutes choses, & en eux, & en tous les justes.

Soyez donc reconnoissant pour les moindres graces, & vous en mériterez de plus grandes.

Recevez même les moindres bienfaits, comme des faveurs insignes, & comptez pour de precieux dons ceux qui vous paroissent les plus communs.

Si l’on considere la dignité du bienfaiteur, tout ce qui vient de sa main, ne peut sembler peu de chose ; puisque la grandeur immense d’un Dieu, sert infiniment à relever le prix de ses dons.

Quand même il ne donneroit que des croix, il faudroit lui en sçavoir gré. Car quelque chose qui arrive à l’homme, il ne la permet, ou ne l’envoye que pour son salut.

Quiconque veut conserver la grace, doit remercier Dieu, quand il la lui donne, & ne pas se plaindre, quand il la lui ôte. Il faut cependant qu’il le prie de la lui rendre, & que pour ne la pas perdre encore une fois, il se montre dans la suite plus vigilant & plus humble.