De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 2/08

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 94-97).


CHAPITRE VIII.
De l’union intime avec Jesus.

LOrs que Jesus est present, tout va bien, & rien ne paroît difficile : au contraire, tout fait de la peine dès qu’il est absent.

Quand Jesus ne nous parle point au cœur, toute consolation qui vient de dehors, ne nous sert de guéres ; mais s’il nous dit seulement un mot, nous nous sentons le cœur plein de joye.

Marie Magdelaine ne se leva-t-elle pas du lieu où elle pleuroit, Sitôt que Marthe lui eût dit : Le Maître vient, & il vous demande[1].

O heureux moment dans lequel Jesus visite une ame & la fait passer de la tristesse à la joye !

Que vous êtes sec & indevot, quand Jesus vous abandonne ! que vous êtes insensé, quand vous desirez quelque chose hors de Jesus.

Perdre Jesus, n’est-ce pas perdre davantage, que si l’on perdoit tous les Royaumes du monde ?

Quel bien pouvez-vous avoir dans le monde sans Jesus ?

Etre separé de Jesus, c’est un enfer, être avec Jesus, c’est un Paradis.

Tant que Jesus sera avec vous, nul ennemi ne vous pourra nuire.

Qui trouve Jesus trouve un tresor, ou pour mieux dire il trouve un bien qui surpasse infiniment tous les autres biens.

Qui renonce Jesus fait une perte sans comparaison plus grande, que ne seroit celle de l’empire de l’Univers.

C’est être très pauvre, que de vivre sans Jesus, c’est être tres-riche que de posseder Jesus.

Il faut une sainte adresse pour sçavoir traiter avec Jesus, & une extrême prudence pour l’engager à demeurer avec nous.

Soyez doux & humble, soyez devot & paisible, & Jesus demeurera avec vous.

Vous éloignerez Jesus de vous, & perdrez bien-tôt la grace, si vous vous épanchez trop au dehors.

Et si vous venez à l’éloigner & à le perdre, à qui aurez-vous recours ? ou trouverez-vous un pareil ami ?

Il est impossible que vous vous passiez d’un bon ami, & si Jesus n’est pas le premier de vos amis, vous serez toujours rempli de chagrin.

Vous ne sçavez ce que vous faites, si vous mettez en quelqu’autre qu’en lui vôtre confiance, & vôtre joye.

Il vaudroit mieux avoir tous les hommes sur les bras, que d’avoir Jesus seul pour ennemi.

Préférez donc son amitié à celle de tous les hommes.

Aimez tous les hommes pour Jesus, & aimez Jesus pour lui-même.

Jesus mérite d’être uniquement aimé ; parce qu’il est de tous les amis le plus genereux & le plus fidele.

Aimez en lui & pour lui, non seulement vos amis, mais même vos ennemis. Priez generalement pour tous, afin que tous le connoissent, & brûlent d’amour pour lui.

Que jamais l’envie ne vous prenne d’être loüé & aimé plus que les autres ; cela n’appartient qu’à Dieu, à qui rien n’est digne d’être comparé.

Ne souhaitez en nulle maniere de posseder le cœur de personne, ni que personne possede le vôtre : souhaitez plûtôt que Jesus regne absolument & dans vous, & dans tous les justes.

Tâchez d’acquerir une entiere liberté de cœur, avec un parfait dénuëment de toutes les choses creées, & une intention très pure de plaire à Dieu seul.

Car sans cela vous n’aurez jamais la tranquillité d’esprit necessaire pour considerer & pour comprendre combien Dieu est doux.

Et de fait vous n’en goûterez jamais la douceur à moins que par une grace spéciale, vous ne renonciez à tout, afin de vous attacher tout entier à lui.

Car lors qu’un homme est fortifié de la grace, il est tout-puissant, rien ne lui fait peine ; & dès qu’elle l’abandonne, il devient pauvre, foible, incapable de tout autre chose que de souffrir.

Il ne doit pas pour cela se laisser aller à la tristesse & au découragement : mais il doit se résigner à la volonté divine, & recevoir doucement pour la gloire de nôtre Seigneur toutes les peines qui lui arrivent. Car enfin l’été succede à l’hyver, le jour à la nuit, & le calme à la tempête.

  1. Joan. 11. 28.