De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/20

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 43-49).


CHAPITRE XX.
De l’amour de la retraite & du silence.

CHerchez un temps propre pour penser à vous, & souvenez vous à toute heure des bienfaits de Dieu.

Ne vous amusez point à lire des livres curieux : lisez-en qui servent plûtôt à donner de la componction, qu’à faire passer agréablement le temps.

Si vous ayez soin d’éviter les entretiens & les visites inutiles ; si vous n’aimez point à entendre conter des nouvelles, vous aurez assez de temps à donner à l’Oraison.

Les plus grands Saints fuyoient, autant qu’ils pouvoient, les compagnies & le commerce du monde, afin de pouvoir traiter librement & en secret avec Dieu.

Un certain disoit que toutes les fois qu’il s’étoit trouvé dans la compagnie des hommes, il en étoit revenu moins homme qu’auparavant.

Il avoir raison, & l’expérience ne nous le fait que trop sentir, lors que nous sommes long-temps en conversation.

Il est plus aisé de se taire que de ne point trop parler.

On a moins de peine à se tenir à la maison qu’à s’empêcher de faire des fautes quand on est dehors.

Quiconque donc veut devenir homme interieur & spirituel, doit se tirer de la foule, & demeurer seul avec Jesus-Christ.

Il y a toûjours du peril à se produire quand on aime pas à être caché.

Il y en a à parler, quand on a peine à se taire.

Il y en a à commander, quand on ne sçait pas obéïr.

Il y en a à se réjoüir, lors qu’on n’a pas la conscience nette, & qu’on doit songer à pleurer.

Aussi la crainte de Dieu a toûjours servi de contrepoids à la joye & à la confiance des Saints.

Leurs grandes vertus, & l’abondance des graces dont Dieu les combloit, ne les ont jamais empêché de vivre dans un extrême mépris d’eux-mêmes, & dans une sainte frayeur.

La sécurité des méchans est l’effet de leur présomption ; & elle traîne aprés elle l’aveuglement & l’erreur.

Ne croyez jamais être en assurance tant que vous serez en ce monde ; quoi qu’il vous semble avoir saintement vécu dans le monastere ou dans le desert.

Ceux que le monde estimoit le plus, ont souvent été le plus en danger de leur salut, pour s’être trop peu défiez de leurs forces.

De-là vient que les tentations sont necessaires à beaucoup de gens, de peur que s’imaginant être au dessus de tous les dangers, & n’avoir plus rien à craindre, ils ne tombent dans l’orgueil, & que pleins d’eux-mêmes, ils n’aillent chercher leur contentement hors de Dieu.

O que l’on auroit la conscience en repos si l’on se privoit de tous les plaisirs passagers, & qu’on s’interdit toute communication avec le monde !

O que l’on joüiroit d’une grande paix si l’on pouvoit se débarrasser de mille soins superflus, qui ne font qu’inquietter l’esprit.

Si l’on ne pensoit qu’aux choses de Dieu & de son salut, & qu’on mît toute son esperance en Dieu seul.

Nul n’est digne des consolations celestes, s’il n’a passé par les exercices les plus rudes de la penitence.

Voulez-vous être penetré jusqu’au fond de l’ame du regret de vos offenses ? Recuëillez-vous en vous même, & loin du tumulte des creatures, faites ce que le Prophete vous conseille : Estant seul et en repos, entrez dans les sentimens d’une véritable componction[1].

Vous trouverez en vôtre cellule ce que vous perdrez aisément, si vous la quittez.

On se plaît dans sa cellule quand on s’accoûtume à y demeurer : mais on s’en dégoûte, quand on en sort trop souvent.

Si dès le commencement vous pouvez vous determiner à garder la vôtre, elle vous deviendra agréable, & vous y vivrez content.

Une ame devote profite beaucoup dans le silence & dans la retraite, & c’est-là que le Saint-Esprit luy découvre les veritez qu’il a renfermées dans les Ecritures.

C’est là qu’elle pleure toutes les nuits, & qu’elle se fait un bain de ses larmes. C’est là qu’elle se tient éloignée du bruit & de l’embarras du monde, afin de pouvoir entrer plus avant dans la familiarité du divin Epoux.

C’est-là que Dieu avec les saints Anges visite cette ame, ainsi separée de ses amis & de ceux de sa connoissance.

Il vaut mieux êrre caché, & penser à soy, que de faire des miracles éclatans, & de s’oublier soy-même.

C’est une chose bien loüable dans un Religieux que de sortir rarement, que de n’aimer ny à voir le monde, ny à être vû du monde.

Qu’est-il necessaire que vous voyez ce qu’il vous est défendu d’avoir ? Le monde passe, & tout ce qu’il aime, tout ce qu’il desire, passe avec luy[2].

L’inclination naturelle nous porte au plaisir, à la promenade, & au divertissement : mais quand nous avons par-là contenté nos sens, qu’en rapportons-nous qu’un esprit bien dissipé, & de grands remords de conscience ?

Souvent on est plein de joye lors qu’on sort de la maison ; & lors qu’on y rentre, on se trouve tout chagrin.

Souvent on rit & on jouë le soir, & le lendemain matin on est contraint de pleurer.

Ainsi le plaisir, qui d’abord flatte les sens, traîne après luy des chagrins mortels.

Que pouvez-vous voir ailleurs que vous ne voyez dans le lieu même où vous êtes ? Le ciel, la terre, les élemens, & les corps composez des élemens sont toûjours devant vos yeux.

Et de tant de choses que vous voyez, y en a-t-il une seule qui puisse durer long-temps ?

Vous croyez peut-être trouver ici-bas un contentement parfait : mais vous y serez trompé ?

Quand vous pourriez voir d’une seule œillade tout ce que le monde a de beau, que seroit-ce qu’un spectacle vain & passager ?

Levez les yeux, & considerez le Seigneur qui est dans le Ciel : priez-le de vous pardonner vos fautes & vos negligences.

Laissez joüir des faux plaisirs ceux qui se repaissent de vent, & ne songez qu’à accomplir ce que Dieu demande de vous.

Enfermez-vous dans vôtre cellule ; & appellez-y Jesus, vôtre Bien-aimé ; demeurez-y avec luy : car en vain chercherez-vous un plus grand repos ailleurs.

Si vous n’en êtiez point sorti, & que vous n’eussiez point prêté l’oreille à des conteurs de nouvelles, vous auriez été beaucoup plus tranquille & plus recuëilli.

Il est impossible que vous n’ayez l’esprit dissipé, quand vous écoutez avec plaisir tous les bruits qui courent.

  1. Ps 4. 5.
  2. I. Joa. 2. 17.