De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/21

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 49-52).


CHAPITRE XXI.
De l’esprit de Componction.

SI vous voulez faire quelque progrès dans la vertu, conservez la crainte de Dieu ; ne vous donnez point trop de liberté ; tenez en bride vos sens ; & ne vous laissez jamais aller à une joye excessive.

Tachez d’avoir de la componction, & vous aurez de la devotion.

L’amour du plaisir nous fait perdre beaucoup de biens qui s’acquierent par la penitence, & par la mortification.

Il est surprenant qu’un homme qui se voir comme exilé sur la terre, & qui y voit son salut toûjours en danger, y puisse goûter un véritable plaisir.

Nous avons l’esprit si volage, & nous apportons si peu de soin pour nous amender, qu’enfin nous ne sentons plus les playes de notre ame ; & que souvent même nous nous amusons à rire lorsque nous devrions pleurer.

Il n’y a point de vraye liberté, ny de vraye joye que dans une ame innocente, & qui a la crainte de Dieu.

Heureux est celui qui éloigne de sa pensée tout ce qui peut le distraire, & dont tout le soin est de s’exciter à la componction.

Heureux est celui qui rejette tout ce qui peut, ou lui changer, ou lui soüiller la conscience.

Combattez genereusement : quelque forte que puisse être une habitude, elle cede enfin à une autre encore plus forte.

N’ayez nulle communication avec le monde, & le monde vous laissera faire tout le bien que vous voudrez.

Ne vous mélez point des affaires d’autrui : gardez-vous sur tout de vous intriguer dans celle des Grands.

Ayez l’œil sur vous plus que sur les autres : profitez si bien de vos lumieres qu’elles vous servent davantage qu’à tous vos amis.

Si l’on a peu de consideration pour vous, ne vous en affligez point : mais gemissez seulement de ce que vous ne vous gouvernez pas avec toute la sagesse convenable à un fidéle serviteur de Dieu, & à un parfait Religieux.

Il est souvent moins utile & moins sûr d’avoir beaucoup de douceurs en cette vie que d’en avoir peu, principalement si elle ne vont qu’à satisfaire les sens.

Pour ce qui regarde les consolations divines, si vous en êtes privé tout-à-fait, ou que vous en receviez rarement, c’est vous-même qui en êtes cause ; c’est que vous en cherchez de vaines & d’exterieures ; c’est en un mot que vous n’avez pas encore l’esprit de componction & de penitence.

Reconnoissez que vous meritez que Dieu vous afflige, & non pas qu’il vous console.

Une ame touchée d’un vif regret de ses fautes, ne trouve rien de délicieux, rien que d’amer dans le monde.

Il se presente toûjours à un homme spirituel assez de raisons pour gemir & pour pleurer.

Car soit qu’il jette les yeux sur luy-même ou sur le prochain, il voit qu’en ce monde nul n’est exempt de tribulation. Et plus il considere ses miseres, plus son affliction s’augmente.

Ce nous est un grand sujet de douleur & de componction que la multitude de nos pechez & de nos vices, où nous sommes tellement plongez qu’il nous est comme impossible de nous élever à la contemplation des choses celestes.

Si au lieu de vous promettre une vie longue, vous songiez souvent que la mort est proche, vous travailleriez sans doute avec plus d’ardeur à vous amender.

Je crois aussi qu’il n’y auroit point d’austéritez capables de vous faire peur, point de travaux ny de tourmens que vous ne souffrisiez volontiers si vous vous representiez vivement les peines de l’enfer ou celles du purgatoire.

Mais comme rien de tout cela ne vous entre dans l’esprit, & que vous aimez encore les douceurs de cette vie, ce n’est pas merveille que vous viviez dans une grande tiédeur, & une extrême paresse.

Ce qui fait ordinairement que la chair se plaint, c’est que l’esprit est foible.

Demandez donc humblement à Dieu l’esprit de componction, & dites-luy avec le Prophete : Donnez moy, Seigneur pour nourriture le pain de larmes, et pour breuvage mes larmes mêmes avec mesure.