De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/14

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 28-30).


CHAPITRE XIV.
Qu’il faut éviter les jugemens temeraires.

ARrêtez les yeux sur vous-même, & gardez vous de censurer les actions d’autrui.

Tous ceux qui s’amusent à examiner la vie du prochain, perdent leur temps & leur peine, se trompent le plus souvent, & s’exposent legerement à beaucoup de pechez ; au lieu qu’en s’examinant eux-mêmes, ils s’occupent utilement.

Nous avons accoûtumé de juger des choses selon la disposition ou nous sommes. Car l’amour propre nous offusque la raison, & nous empêche de bien juger.

Si nous n’avions que Dieu seul en vûë dans tous nos desseins, nous ne nous fâcherions pas, comme nous faisons, si-tôt qu’on le contredit.

Souvent il se trouve ou dans nous ou hors de nous, je ne sçai quoy qui nous charme & nous aveugle.

Plusieurs dans tout ce qu’ils font se cherchent eux-mêmes, sans qu’ils s’en apperçoivent.

Ils paroissent doux lors que tout se fait, selon qu’ils le pensent & qu’ils le souhaitent : mais si les choses vont autrement qu’ils ne le desirent, ils en témoignent à l’heure même du chagrin & de la tristesse.

La diversité des sentimens cause d’ordinaire de grandes disputes, & des divisions entre les amis, entre les concitoyens, & même entre les Religieux & les personnes devotes.

On ne quitte que mal aisément ce qu’on s’est rendu comme naturel par l’accoûtumance : & il est tres-difficile que l’esprit humain aille au delà de ses propres vûës.

Si vous vous fiez davantage sur vôtre raisonnement & sur votre adresse que sur la conduite de Jesus-Christ, vous ne parviendrez qu’avec peine, ou pour mieux dire, vous ne parviendrez jamais à un haut point de spiritualité.

Car Dieu demande de nous une obéissance aveugle, & que par la force de l’amour, nous nous mettions au dessus de toute raison humaine.