De l’Imitation de Jésus-Christ (Brignon)/Livre 1/13

Traduction par Jean Brignon.
Bruyset (p. 24-28).


CHAPITRE XIII.
Qu’il ne faut pas succomber aux tentations.

Tant que nous vivons sur la terre, nous ne pouvons être exempts de peines & de tentations.

La vie de l’homme, dit Job, est une guerre & une tentation continuelle[1].

On devroit donc se tenir toûjours sur les gardes, veiller & prier sans cesse, de crainte d’être surpris par le Tentateur qui ne dort jamais, & qui va partout cherchant quelqu’un pour le devorer[2]. Il n’y a personne si éminent en vertu, qui ne soir quelquefois tenté, & nous le serons infailliblement. Mais les tentations, quoy que rudes & fâcheuses, nous sont fort utiles, puisqu’elles servent souvent à nous humilier, à nous purifier, & à nous instruire.

Tous les Saints ont beaucoup souffert, & ils ont été éprouvez en toutes manieres, & ils en ont profité.

Mais ceux qui n’ont pû soûtenir la tentation, se sont perdus malheureusement.

Il n’y a point d’Ordre si saint, point de lieu si retiré, où l’on soit à couvert des tentations, & des miseres de cette vie.

Tout homme vivant peut être tenté, parce qu’étant né avec la concupiscence, il porte toûjours en luy-même la cause de la tentation.

A peine est-on délivré d’une tentation ou d’une affliction, qu’il en survient une nouvelle ; & depuis que l’homme est décheu de l’heureux état d’innocence, il a toûjours quelque occasion de souffrir.

Plusieurs voulant se soustraire à la tentation, en ont été dans la suite plus violemment combattus.

Ce n’est pas assez de fuir pour être victorieux. Ce qui nous fait triompher de nos ennemis, c’est la patience & l’humilité.

Ceux qui se contentent de fuir l’occasion du mal, sans en ôter le principe, ne feront pas grand progrès.

L’ennemi mêne n’en sera que plus hardi à les marquer, & il s’en trouveront plus mal.

Vous surmonterez beaucoup mieux cet ennemi par une longue patience avec le secours du Ciel, qu’en l’attaquant avec trop de force, & d’une maniere à vous tourmenter l’esprit.

Demandez souvent conseil dans la tentation, & ne traitez pas rudement ceux qui sont tentez mais consolez-les, & ayez pour eux la même douceur que vous voudriez que l’on eût pour vous.

Les plus dangereuses tentations viennent toutes de legereté d’esprit, & de manque de confiance en Dieu.

Car de même qu’un vaisseau sans gouvernail est poussé tantôt deçà & tantôt delà par les flots ; ainsi un esprit lâche & inconstant dans les bonnes resolutions, est sujet à être tenté en mille manieres.

Comme le fert se dépouille par le feu : de même le Juste s’éprouve par la tentation.

Souvent nous ne sçavons pas ce que nous pouvons ; mais la tentation nous fait sentir ce que nous sommes.

Il faut cependant prendre garde à nous sur tout aux approches de l’Ennemi. Car il est aisé de le vaincre lors qu’on va au devant de luy, & qu’on luy ferme la porte, si-tôt qu’on l’entend frapper.

C’est ce qui a fait dire à un ancien Poëte : Remediez au mal dès qu’il commence : car la medecine n’est plus de saison, quand le mal est inveteré.

On n’a d’abord qu’une simple idée de l’objet qui flatte les sens ; on se le dépeint ensuite vivement dans son imagination ; puis vient le plaisir, & le mouvement de la chair, qui est suivi du contentement de la volonté.

Ainsi l’ennemi entre pas à pas dans le cœur, & s’en rend tout-à-fait le maître ; parce qu’au commencement on a negligé de le repousser.

Plus nous tardons à lui resister, plus nos forces diminuent ; & plus les siennes augmentent par notre foiblesse.

Quelques-uns sont violemment : attaquez, lors qu’ils commencent à servir Dieu, & d’autres, apres l’avoir fort long-temps servi.

Plusieurs depuis le commencement jusques à la fin, n’ont presque jamais de repos. Il y en a qui ne sont que legerement éprouvez.

Tout cela se fait par l’ordre de la Sagesse & de la justice de Dieu, qui considerant l’état, la disposition, & le mérite des hommes, fait tout servir. au bien spirituel de ses Elûs.

Il ne faut pas perdre cœur quand nous sommes rudement tentez : mais il faut alors demander avec plus d’instance, que jamais le secours de Dieu, & esperer qu’il nous soûtiendra dans nos peines, qu’il nous fera même tirer avantage de la tentation[3], comme dit l’Apôtre, & qu’enfin il nous donnera des forces pour la surmonter.

Humilions-nous donc sous la main du Tout-Puissant, de quelque maniere qu’il luy plaise de nous affliger, puisqu’il sauve & releve les humbles de cœur.

C’est à ces sortes d’épreuves que l’on reconnoît combien une ame profite dans la voye de Dieu. C’est aussi par là qu’on croît en mérite, & qu’on signale la vertu.

Ce n’est pas faire grand chose que de montrer de la devotion & de la ferveur lorsqu’il n’y a rien à souffrir ; mais on doit attendre beaucoup d’un homme constant dans l’adversité.

Quelques uns resistent aux plus violentes tentations, & se laissent vaincre aux plus foibles & aux plus communes : & Dieu le permet ainsi, afin qu’étant humiliez, ils apprennent à ne se pas fier en leurs forces dans les grandes occasions, après avoir témoigné tant de foiblesse dans les plus petites.

  1. Job. 7. 1.
  2. I. Pet. 5. 8.
  3. I. Cor. 10. 13.