De l’Homme/Section 8/Chapitre 7

SECTION VIII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 10 (p. 235-237).
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CHAPITRE VII.

Des moyens inventés par les oisifs contre l’ennui.

En France, par exemple, mille devoirs de société inconnus aux autres nations y ont été inventés par l’ennui. Une femme se marie ; elle accouche : un oisif l’apprend ; il s’impose à tant de visites ; va tous les jours à la porte de l’accouchée, parle au Suisse, remonte dans son carrosse, et va s’ennuyer ailleurs.

De plus, cet oisif se condamne chaque jour à tant de billets, à tant de lettres de compliments, écrits avec dégoût, et lus de même.

L’oisif voudroit éprouver à chaque instant des sensations fortes : elles seules peuvent l’arracher à l’ennui. À leur défaut, il saisit celles qui se trouvent à sa portés. Je suis seul ; j’allume du feu : le feu fait compagnie. C’est pour éprouver sans cesse de nouvelles sensations que le Turc et le Persan mâchent perpétuellement, l’un son opium, l’autre son bétel.

Le sauvage s’ennuie-t-il ? il s’assied près d’un ruisseau, et fixe les yeux sur le courant. En France, le riche, pour la même raison, se loge chèrement sur le quai des Théatins. Il voit passer les bateaux ; il éprouve de temps en temps quelques sensations. C’est un tribut de trois ou quatre mille livres que l’oisif paie tous les ans à l’ennui, et dont l’homme occupé eût pu faire présent à l’indigence. Or, si les grands, les riches, sont si fréquemment et si fortement attaqués de la maladie de l’ennui, nul doute qu’elle n’ait une grande influence sur les mœurs nationales.