De l’Homme/Section 8/Chapitre 20

SECTION VIII
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 11 (p. 75-77).
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CHAPITRE XX.

De l’impression des arts d’agrément sur l’opulent oisif.

Un riche est-il par ses emplois nécessité à un travail que l’habitude lui rend agréable ? un riche s’est-il fait des occupations ? il peut, comme l’homme d’une fortune médiocre, facilement échapper à l’ennui. Mais où trouver des riches de cette espece ? Quelquefois en Angleterre, où l’argent ouvre la carriere de l’ambition. Par-tout ailleurs, la richesse, compagne de l’oisiveté, est passive dans presque tous ses amusements. Elle les attend des objets environnants ; et peu de ces objets excitent en elle des sensations vives. De telles sensations ne peuvent d’ailleurs ni se succéder rapidement, ni se renouveler chaque instant. La vie de l’oisif s’écoule donc dans une insipide langueur.

En vain le riche a rassemblé près de lui les arts d’agrément ; ces arts ne peuvent lui procurer sans cesse des impressions nouvelles, ni le soustraire long-temps à son ennui. Sa curiosité est sitôt émoussée, l’oisif est si peu sensible, les chefs-d’œuvre des arts font sur lui des impressions si peu durables, qu’il faudroit pour l’amuser lui en présenter sans cesse de nouveaux. Tous les artistes d’un empire ne pourroient à cet égard subvenir à ses besoins.

Il ne faut qu’un moment pour admirer : il faut un siecle pour faire des choses admirables. Que de riches oisifs, sans éprouver de sensations agréables, passent journellement sous ce magnifique portail du vieux Louvre que l’étranger contemple avec étonnement !

Pour sentir la difficulté d’amuser un riche oisif, il faut observer qu’il n’est pour l’homme que deux états ; l’un où il est passif, l’autre où il est actif.