De l’Homme/Section 6/Chapitre 10

SECTION VI
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 10 (p. 69-70).
◄  Chap. IX.
Chap. XI.  ►


CHAPITRE X.

Causes de la trop grande inégalité des fortunes des citoyens.

Dans les pays libres, et gouvernés par des lois sages, nul homme, sans doute, n’a le pouvoir d’appauvrir sa nation pour enrichir quelques particuliers. Cependant tous les citoyens n’y jouissent pas de la même fortune. La réunion des richesses s’y fait plus lentement ; mais enfin elle s’y fait.

Il faut bien que le plus industrieux gagne plus, que le plus ménager épargne davantage, et qu’avec des richesses déja acquises il en acquiere de nouvelles. D’ailleurs il est de héritiers qui recueillent de grandes successions ; il est des négociants qui, mettant de gros fonds sur leurs vaisseaux, font de gros gains ; parcequ’en toute espece de commerce c’est l’argent qui attire l’argent. Son inégale distribution est donc une suite nécessaire de son introduction dans un état (15).


(15) Dans un pays libre, la réunion des richesses nationales en un certain nombre de mains se fait lentement : c’est l’œuvre des siecles ; mais, à mesure qu’elle se fait, le gouvernement tend au pouvoir arbitraire, par conséquent à sa dissolution.

L’état de république est l’âge viril d’un empire ; le despotisme en est la vieillesse. Les riches ont-ils soudoyé une partie de la nation ? avec cette partie ils soumettent l’autre au despotisme aristocratique ou monarchique. Propose-t-on quelques lois nouvelles dans cet empire ? toutes sont en faveur des riches et des grands, aucune en faveur du peuple. L’esprit de législation se corrompt, et sa corruption annonce la chute de l’état.