De l’Homme/Section 6/Chapitre 11

SECTION VI
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 10 (p. 70-72).
◄  Chap. X.
Chap. XII.  ►


CHAPITRE XI.

Des moyens de s’opposer à la réunion trop rapide des richesses en peu de mains.

Il est des moyens d’opérer en partie cet effet par de bonnes lois sur les testaments et sur les successions. Il est encore d’autres moyens, qu’il seroit trop long de discuter, et qui m’écarteroient trop du but que je me propose.

Mais peut-on, dans un pays où l’argent a cours, se promettre de maintenir toujours un juste équilibre entre les fortunes des citoyens ? Peut-on empêcher qu’à la longue les richesses ne s’y distribuent d’une maniere très inégale, et qu’enfin le luxe ne s’y introduise et ne s’y accroisse ? Ce projet est impossible. Le riche, fourni du nécessaire, mettra toujours le superflu de son argent à l’achat des superfluités (16). Des lois somptuaires réprimeroient-elles en lui ce desir ? alors le riche n’ayant plus le libre usage de son argent, l’argent lui en paroîtroit moins desirable ; il feroit moins d’efforts pour en acquérir. Dans tout pays où l’argent a cours, peut-être l’amour de l’argent, comme je le prouverai ci-après, est-il un principe de vie et d’activité dont la destruction entraîneroit celle de l’état

Considérons l’état différent de deux nations chez lesquelles l’argent a ou n’a pas cours.


(16) Rien de plus contradictoire que les opinions des moralistes. Conviennent-ils de la nécessité et de l’utilité du commerce en certains pays ? ils veulent en même temps y introduire une austérité de mœurs incompatible avec l’esprit commerçant. En France, le moraliste qui le matin recommande les riches manufactures aux soins du gouvernement déclame le soir contre le luxe, les spectacles, et les mœurs de la capitale.

Mais quel est l’objet du gouvernement lorsqu’il perfectionne ses manufactures, lorsqu’il étend son commerce ? C’est d’attirer chez lui l’argent de ses voisins. Qui doute que les mœurs, les amusements de la capitale, ne concourent à cet effet ; que les spectacles, les actrices, les dépenses qu’elles font et font faire aux étrangers, ne soient une des parties les plus lucratives du commerce de Paris ?