De l’Homme/Section 4/Chapitre 7

SECTION IV
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 8 (p. 251-252).
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CHAPITRE VII.

De la justice.

La justice est la conservatrice de la vie, de la liberté des citoyens. Chacun veut jouir de ses diverses propriétés. Chacun aime donc la justice dans les autres, et veut qu’ils soient justes à son égard. Mais qui lui feroit desirer de l’être à l’égard des autres ? Aime-t-on la justice pour la justice même, ou pour la considération qu’elle procure ?

L’homme s’ignore si souvent lui-même, on apperçoit tant de contradiction entre sa conduite et ses discours[1], que, pour le connoître, c’est dans ses actions et dans sa nature même qu’il le faut étudier.


  1. En morale, comme en religion, il est peu de vertueux, et beaucoup d’hypocrites. Mille gens se parent de sentiments qu’ils n’ont ni ne peuvent avoir. Comparera-t-on leur conduite avec leurs discours ? on ne voit en eux que des frippons qui veulent faire des dupes. On doit en général se méfier de la probité de quiconque affiche des mœurs trop austeres, et se donne pour Romain. Il en est qui se montrent réellement vertueux au moment que la toile se leve et qu’ils vont jouer un grand rôle sur la scene de ce monde ; mais, dans le déshabillé, combien en est-il qui conservent la même honnêteté, et soient toujours justes ?

    Ce qui m’assure de l’amour des premiers Romains pour la vertu, c’est la connoissance de leurs lois et de leurs mœurs. Sans cette connoissance, la vertu des Romains modernes me feroit suspecter celle des premiers ; et je dirois, comme