De l’Homme/Section 10/Chapitre 4

SECTION X
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 12 (p. 88-91).
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CHAPITRE IV.

Idée générale sur l’éducation physique.

L’objet de cette espece d’éducation est de rendre l’homme plus fort, plus robuste, plus sain, par conséquent plus heureux, plus généralement utile à sa patrie, c’est-à-dire plus propre aux divers emplois auxquels peut l’appeler l’intérêt national.

Convaincus de l’important de l’éducation physique, les Grecs honoroient la gymnastique (4) ; elle faisoit partie de l’instruction de leur jeunesse. Ils l’employoient dans leur médecine, non seulement comme un remede préservatif, mais encore comme un spécifique pour fortifier tel ou tel membre affoibli par une maladie ou un accident.

Si l’éducation physique est négligée chez presque tous les peuples européens, ce n’est pas que les gouvernements s’opposent directement à la perfection de cette partie de l’éducation ; mais ces exercices, passés de mode, n’y sont plus encouragés.

Point de loi qui dans les colleges défende la construction d’une are où les éleves d’un certain âge pourroient s’exercer à la lutte, à la course, au saut, apprendroient à voltiger, nager, jeter le ceste, soulever des poids, etc. Or, dans cette arene, construite à l’imitation de celle des Grecs, qu’on décerne des prix aux vainqueurs, nul doute que ces prix ne rallument bientôt dans la jeunesse le goût naturel qu’elle a pour de tels jeux. Mais peut-on à-la-fois exercer le corps et l’esprit des jeunes gens ? Pourquoi non ? Qu’on supprime dans les colleges ces congés pendant lesquels l’enfant va chez ses parents s’ennuyer ou se distraire de ses études, et qu’on alonge ses récréations journalieres, cet enfant pourra chaque jour consacrer sept ou huit heures à des études sérieuses, quatre ou cinq à des exercices plus ou moins violents : il pourra à-la-fois fortifier son corps et son esprit.

Le plan d’une telle éducation n’est pas un chef-d’œuvre d’invention ; il ne s’agit pour l’exécuter que de réveiller sur cet objet l’attention des parents. Une bonne loi produiroit cet effet. C’en est assez sur la partie physique de l’éducation. Je passe à la morale ; c’est sans contredit la moins connue.


(4) Si les exercices violents fortifient non seulement le corps, mais encore le tempérament, c’est peut-être qu’ils retardent dans l’homme le besoin trop prématuré de certains plaisirs. Ce ne sont point les reproches d’une mere, ni les sermons d’un curé, mais la fatigue, qui seule attiédit les desirs fougueux de l’adolescence. Plus un jeune homme transpire et dépense d’esprits animaux dans des exercices de corps et d’esprit, moins son imagination s’échauffe, moins il sent le besoin d’aimer.