De l’Homme/Section 10/Chapitre 3

SECTION X
Œuvres complètes d’Helvétius, De l’HommeP. Didottome 12 (p. 84-88).
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CHAPITRE III.

Avantages de l’éducation publique sur la domestique.

Le premier de ces avantages est la salubrité du lieu où la jeunesse peut recevoir ses instructions. Dans l’éducation domestique, l’enfant habite la maison paternelle ; et cette maison, dans les grandes villes, est souvent petite et mal-saine. Dans l’éducation publique, au contraire, cette maison, édifiée à la campagne, peut être bien aérée. Son vaste emplacement permet à la jeunesse tous les exercices propres à fortifier son corps et sa santé.

Le second avantage est la rigidité de la regle. La regle n’est jamais aussi exactement observée dans la maison paternelle que dans une maison d’instruction publique. Tout dans un college est soumis à l’heure. L’horloge y commande aux maîtres, aux domestiques ; elle y fixe la durée des repas, des études, et des récréations ; l’horloge y maintient l’ordre. Sans ordre, point d’études suivies. L’ordre alonge les jours ; le désordre les raccourcit.

Le troisieme avantage est l’émulation qu’elle inspire. Les principaux moteurs de la premiere jeunesse sont la crainte et l’émulation. L’émulation est produite par la comparaison qu’on fait de soi avec un grand nombre d’autres. De tous les moyens d’exciter l’amour des talents et des vertus, ce dernier est le plus sûr. Or, l’enfant n’est point, dans la maison paternelle, à portée de faire cette comparaison, et son instruction en est d’autant moins bonne.

Le quatrieme avantage est l’intelligence des instituteurs. Parmi les hommes, par conséquent parmi les peres, il en est de stupides et d’éclairés. Les premiers ne savent quelle instruction donner à leurs fils. Les seconds le savent ; mais ils ignorent la maniere dont ils doivent leur présenter leurs idées pour leur en faciliter la conception : c’est une connoissance pratique qui, bientôt acquise dans les colleges, soit par sa propre expérience, soit par une expérience traditionnelle, manque souvent aux peres les plus instruits.

Le cinquieme avantage de l’éducation publique est sa fermeté. L’instruction domestique est rarement mâle et courageuse. Les parents, uniquement occupés de la conservation physique de l’enfant, craignent de le chagriner ; ils cedent à toutes ses fantaisies, et donnent à cette lâche complaisance le titre d’amour paternel[1].

Tels sont les divers moyens qui feront toujours préférer l’instruction publique à l’instruction particuliere. La premiere est la seule dont on puisse attendre des patriotes. Elle seule peut lier fortement dans la mémoire des citoyens l’idée du bonheur personnel à celle du bonheur national. Je ne m’étendrai pas davantage sur ce sujet.

Mais, avant d’aller plus loin, il faut, je pense, faire connoître au lecteur quelles sont les diverses parties de l’instruction sur lesquelles le législateur doit porter sa principale attention. Je distinguerai à cet effet deux sortes d’éducation ; l’une physique, l’autre morale.




  1. Point de mere qui ne prétende aimer éperdument son fils. Mais, par ce mot aimer, si l’on entend s’occuper du bonheur de ce fils, et par conséquent de son instruction, presque aucune qu’on ne puisse accuser d’indifférence. Le degré d’intérêt mis à telle ou telle chose doit toujours se mesurer sur le degré de peine prise pour s’en instruire.