De l’Esprit/Discours 3/Chapitre 16

DISCOURS III
Œuvres complètes d’Helvétius. De l’EspritP. Didottome 4 (p. 138-163).
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CHAPITRE XVI

À quelle cause on doit attribuer l’indifférence de certains peuples pour la vertu.


Pour savoir si c’est de la nature ou de la forme particuliere des gouvernements, que dépend l’indifférence de certains peuples pour la vertu, il faut d’abord connoître l’homme ; pénétrer jusques dans l’abyme du cœur humain ; se rappeler que, né sensible à la douleur et au plaisir, c’est à la sensibilité physique que l’homme doit ses passions, et à ses passions qu’il doit tous ses vices et toutes ses vertus.

Ces principes posés, pour résoudre la question ci-dessus proposée, il faut examiner ensuite si les mêmes passions, modifiées selon les différentes formes de gouvernement, ne produiroient point en nous les vices et les vertus contraires.

Qu’un homme soit assez amoureux de la gloire pour y sacrifier toutes ses autres passions : si, par la forme du gouvernement, la gloire est toujours le prix des actions vertueuses, il est évident que cet homme sera toujours nécessité à la vertu, et que, pour en faire un Léonidas, un Horatius Coclès, il ne faut que le placer dans un pays et dans des circonstances pareilles.

Mais, dira-t-on, il est peu d’hommes qui s’élevent à ce degré de passion. Aussi, répondrai-je, n’est-ce que l’homme fortement passionné qui pénetre jusqu’au sanctuaire de la vertu. Il n’en est pas ainsi de ces hommes incapables de passions vives, et qu’on appelle honnêtes. Si, loin de ce sanctuaire, ces derniers cependant sont toujours retenus par les liens de la paresse dans le chemin de la vertu, c’est qu’ils n’ont pas même la force de s’en écarter.

La vertu du premier est la seule vertu éclairée et active : mais elle ne croît, ou du moins ne parvient à un certain degré de hauteur, que dans les républiques guerrieres ; parce que c’est uniquement dans cette forme de gouvernement que l’estime publique nous éleve le plus au-dessus des autres hommes, qu’elle nous attire plus de respects de leur part, qu’elle est le plus flatteuse, le plus desirable, et le plus propre enfin à produire de grands effets.

La vertu des seconds, entée sur la paresse, et produite, si je l’ose dire, par l’absence des passions fortes, n’est qu’une vertu passive, qui, peu éclairée, et par conséquent très dangereuse dans les premieres places, est d’ailleurs assez sûre. Elle est commune à tous ceux qu’on appelle honnêtes gens, plus estimables par les maux qu’ils ne font pas que par les biens qu’ils font.

À l’égard des hommes passionnés que j’ai cités les premiers, il est évident que le même desir de gloire qui dans les premiers siecles de la république Romaine en eût fait des Curtius et des Décius, en devoit faire des Marius et des Octaves dans ces moments de troubles et de révolutions où la gloire étoit, comme dans les derniers temps de la république, uniquement attachée à la tyrannie et à la puissance. Ce que je dis de la passion de la gloire, je le dis de l’amour de la considération, qui n’est qu’un diminutif de l’amour de la gloire, et l’objet des desirs de ceux qui ne peuvent atteindre à la renommée.

Ce desir de la considération doit pareillement produire en des siecles différents des vices et des vertus contraires. Lorsque le crédit a le pas sur le mérite, ce desir fait des intrigants et des flatteurs ; lorsque l’argent est plus honoré que la vertu, il produit des avares qui recherchent les richesses avec le même empressement que les premiers Romains les fuyoient lorsqu’il étoit honteux de les posséder : d’où je conclus que, dans des mœurs et des gouvernements différents, le même desir doit produire des Cincinnatus, des Papyrius, des Crassus et des Séjans.

À ce sujet je ferai remarquer en passant quelle différence on doit mettre entre les ambitieux de gloire et les ambitieux de places ou de richesses. Les premiers ne peuvent jamais être que de grands criminels ; parce que les grands crimes, par la supériorité des talents nécessaires pour les exécuter, et le grand prix attaché au succès, peuvent seuls en imposer assez à l’imagination des hommes pour ravir leur admiration ; admiration fondée en eux sur un desir intérieur et secret de ressembler à ces illustres coupables. Tout homme amoureux de la gloire est donc incapable de tous les petits crimes. Si cette passion fait des Cromwels, elle ne fait jamais des Cartouches. D’où je conclus que, sauf les positions rares et extraordinaires où se sont trouvés les Sylla et les César, dans toute autre position ces mêmes hommes, par la nature même de leurs passions, fussent restés fideles à la vertu ; bien différents en ce point de ces intrigants et de ces avares que la bassesse et l’obscurité de leurs crimes met journellement dans l’occasion d’en commettre de nouveaux.

Après avoir montré comment la même passion qui nous nécessite à l’amour et à la pratique de la vertu peut, en des temps et des gouvernements différents, produire en nous des vices contraires, essayons maintenant de percer plus avant dans le cœur humain, et de découvrir pourquoi, dans quelque gouvernement que ce soit, l’homme, toujours incertain dans sa conduite, est, par ses passions, déterminé tantôt aux bonnes, tantôt aux mauvaises actions ; et pourquoi son cœur est une arêne toujours ouverte à la lutte du vice et de la vertu.

Pour résoudre ce problême moral il faut chercher la cause du trouble et du repos successif de la conscience, de ces mouvements confus et divers de l’ame, et enfin de ces combats intérieurs que le poëte tragique ne présente avec tant de succès au théâtre que parce que les spectateurs en ont tous éprouvé de semblables : il faut se demander quels sont ces deux moi que Pascal et quelques philosophes indiens ont reconnu en eux[1].

Pour découvrir la cause universelle de tous ces effets il suffit d’observer que les hommes ne sont point mus par une seule espece de sentiment ; qu’il n’en est aucun d’exactement animé de ces passions solitaires qui remplissent toute la capacité d’une ame ; qu’entraîné tour-à-tour par des passions différentes, dont les unes sont conformes et les autres contraires à l’intérêt général, chaque homme est soumis à deux attractions différentes, dont l’une le porte au vice, et l’autre à la vertu. Je dis chaque homme, parce qu’il n’y a point de probité plus universellement reconnue que celle de Caton et de Brutus, parce qu’aucun homme ne peut se flatter d’être plus vertueux que ces deux Romains. Cependant le premier, surpris par un mouvement d’avarice, fit quelques vexations dans son gouvernement ; et le second, touché des prieres de sa fille, obtint du sénat, en faveur de Bibulus son gendre, une grace qu’il avoit fait refuser à Cicéron son ami, comme contraire à l’intérêt de la république. Voilà la cause de ce mêlange de vice et de vertu qu’on apperçoit dans tous les cœurs, et pourquoi sur la terre il n’est point de vice ni de vertu pure.

Pour savoir maintenant ce qui fait donner à un homme le nom de vertueux ou de vicieux, il faut observer que, parmi les passions dont chaque homme est animé, il en est nécessairement une qui préside principalement à sa conduite, et qui dans son ame l’emporte sur toutes les autres.

Or, selon que cette derniere y commande plus ou moins impérieusement, et qu’elle est, par sa nature ou par les circonstances, utile ou nuisible à l’état, l’homme plus souvent déterminé au bien ou au mal reçoit le nom de vertueux ou de vicieux. J’ajouterai seulement que la force de ses vices ou de ses vertus sera toujours proportionnée à la vivacité de ses passions, dont la force se mesure sur le degré de plaisir qu’il trouve à les satisfaire. Voilà pourquoi, dans la premiere jeunesse, âge où l’on est plus sensible au plaisir et capable de passions plus fortes, l’on est, en général, capable de plus grandes actions.

La plus haute vertu, comme le vice le plus honteux, est en nous l’effet du plaisir plus ou moins vif que nous trouvons à nous y livrer.

Aussi n’a-t-on de mesure précise de sa vertu qu’après avoir découvert, par un examen scrupuleux, le nombre et les degrés de peines qu’une passion telle que l’amour de la justice ou la gloire peuvent nous faire supporter. Celui pour qui l’estime est tout et la vie n’est rien subira, comme Socrate, plutôt la mort que de demander lâchement la vie. Celui qui devient l’ame d’un état républicain, que l’orgueil et la gloire rendent passionné pour le bien public, préfere, comme Caton, la mort à l’humiliation de voir lui et sa patrie asservis à une autorité arbitraire. Mais de telles actions sont l’effet du plus grand amour pour la gloire. C’est à ce dernier terme qu’atteignent les plus fortes passions, et à ce même terme que la nature a posé les bornes de la vertu humaine.

En vain voudroit-on se le dissimuler à soi-même ; on devient nécessairement l’ennemi des hommes lorsqu’on ne peut être heureux que par leur infortune[2]. C’est l’heureuse conformité qui se trouve entre notre intérêt et l’intérêt public, conformité ordinairement produite par le desir de l’estime, qui nous donne pour les hommes ces sentiments tendres dont leur affection est la récompense. Celui qui pour être vertueux auroit toujours ses penchants à vaincre seroit nécessairement un malhonnête homme. Les vertus méritoires ne sont jamais des vertus sûres[3]. Il est impossible dans la pratique de livrer, pour ainsi dire, tous les jours des batailles à ses passions sans en perdre un grand nombre.

Toujours forcé de céder à l’intérêt le plus puissant, quelque amour qu’on ait pour l’estime, on n’y sacrifie jamais des plaisirs plus grands que ceux qu’elle procure. Si, dans certaines occasions, de saints personnages se sont quelquefois exposés au mépris du public, c’est qu’ils ne vouloient pas sacrifier leur salut à leur gloire. Si quelques femmes résistent aux empressements d’un prince, c’est qu’elles ne se croient pas dédommagées par sa conquête de la perte de leur réputation : aussi en est-il peu d’insensibles à l’amour d’un roi, presque aucune qui ne cede à l’amour d’un roi jeune et charmant, et nulle qui pût résister à ces êtres bienfaisants, aimables et puissants, tels qu’on nous peint les sylphes et les génies, qui, par mille enchantements, pourroient à-la-fois enivrer tous les sens d’une mortelle.

Cette vérité, fondée sur le sentiment de l’amour de soi, est non seulement reconnue, mais même avouée des législateurs.

Convaincus que l’amour de la vie étoit en général la plus forte passion des hommes, les législateurs n’ont en conséquence jamais regardé comme criminel, ou l’homicide commis à son corps défendant, ou le refus que feroit un citoyen de se vouer, comme Décius, à la mort, pour le salut de sa patrie.

L’homme vertueux n’est donc point celui qui sacrifie ses plaisirs, ses habitudes et ses plus fortes passions, à l’intérêt public, puisqu’un tel homme est impossible[4] ; mais celui dont la plus forte passion est tellement conforme à l’intérêt général, qu’il est presque toujours nécessité à la vertu. C’est pourquoi l’on approche d’autant plus de la perfection et l’on mérite d’autant plus le nom de vertueux, qu’il faut, pour nous déterminer à une action malhonnête ou criminelle, un plus grand motif de plaisir, un intérêt plus puissant, plus capable d’enflammer nos desirs, et qui suppose par conséquent en nous plus de passion pour l’honnêteté.

César n’étoit pas sans doute un des Romains les plus vertueux : cependant, s’il ne put renoncer au titre de bon citoyen qu’en prenant celui de maître du monde, peut-être n’est-on pas en droit de le bannir de la classe des hommes honnêtes. En effet, parmi les hommes vertueux, et réellement dignes de ce titre, combien est-il d’hommes qui, placés dans les mêmes circonstances, refusassent le sceptre du monde, sur-tout s’ils se sentoient, comme César, doués de ces talents supérieurs qui assurent le succès des grandes entreprises ? Moins de talent les rendroit peut-être meilleurs citoyens ; une médiocre vertu, soutenue de plus d’inquiétude sur le succès, suffiroit pour les dégoûter d’un projet si hardi. C’est quelquefois un défaut de talent qui nous préserve d’un vice ; c’est souvent à ce même défaut qu’on doit le complément de ses vertus.

On est, au contraire, d’autant moins honnête qu’il faut pour nous porter au crime des motifs de plaisirs moins puissants. Tel est, par exemple, celui de quelques empereurs de Maroc qui, uniquement pour faire parade de leur adresse, enlevent d’un seul coup de sabre, en se mettant en selle, la tête de leur écuyer.

Voilà ce qui différencie de la maniere la plus nette, la plus précise, et la plus conforme à l’expérience, l’homme vertueux de l’homme vicieux : c’est sur ce plan que le public feroit un thermometre exact ; où seroient marqués les divers degrés de vice ou de vertu de chaque citoyen, si, perçant au fond des cœurs, il pouvoit y découvrir le prix que chacun met à sa vertu. L’impossibilité de parvenir à cette connoissance l’a forcé à ne juger des hommes que par leurs actions ; jugement extrêmement fautif dans quelques cas particuliers, mais en total assez conforme à l’intérêt général, et presque aussi utile que s’il étoit plus juste.

Après avoir examiné le jeu des passions, expliqué la cause du mêlange de vices et de vertus qu’on apperçoit dans tous les hommes, avoir posé la borne de la vertu humaine, et fixé enfin l’idée qu’on doit attacher au mot vertueux, on est maintenant en état de juger si c’est à la nature ou à la législation particuliere de quelques états qu’on doit attribuer l’indifférence de certains peuples pour la vertu.

Si le plaisir est l’unique objet de la recherche des hommes, pour leur inspirer l’amour de la vertu il ne faut qu’imiter la nature : le plaisir en annonce les volontés, la douleur les défenses ; et l’homme lui obéit avec docilité. Armé de la même puissance, pourquoi le législateur ne produiroit-il pas les mêmes effets ? Si les hommes étoient sans passions, nul moyen de les rendre bons : mais l’amour du plaisir, contre lequel se sont élevés des gens d’une probité plus respectable qu’éclairée, est un frein avec lequel on peut toujours diriger au bien général les passions des particuliers. La haine de la plupart des hommes pour la vertu n’est donc pas l’effet de la corruption de leur nature, mais de l’imperfection de la législation[5]. C’est la législation, si je l’ose dire, qui nous excite au vice, en y amalgamant trop souvent le plaisir. Le grand art du législateur est l’art de les désunir, et de ne laisser aucune proportion entre l’avantage que le scélérat retire du crime, et la peine à laquelle il s’expose. Si parmi les gens riches, souvent moins vertueux que les indigents, on voit peu de voleurs et d’assassins, c’est que le profit du vol n’est jamais, pour un homme riche, proportionné au risque du supplice. Il n’en est pas ainsi de l’indigent : cette disproportion se trouvant infiniment moins grande à son égard, il reste, pour ainsi dire, en équilibre entre le vice et la vertu. Ce n’est pas que je prétende insinuer ici qu’on doive mener les hommes avec une verge de fer. Dans une excellente législation, et chez un peuple vertueux, le mépris, qui prive un homme de tout consolateur, qui le laisse isolé au milieu de sa patrie, est un motif suffisant pour former des ames vertueuses. Toute autre espece de châtiment rend l’homme timide, lâche et stupide. L’espece de vertu qu’engendre la crainte des supplices se ressent de son origine ; cette vertu est pusillanime et sans lumiere : ou plutôt la crainte n’étouffe que des vices, et ne produit point de vertus. La vraie vertu est fondée sur le desir de l’estime et de la gloire, et sur l’horreur du mépris, plus effrayant que la mort même. J’en prends pour exemple la réponse que le Spectateur anglais fait faire à Pharamond par un soldat duelliste à qui ce prince reprochoit d’avoir contrevenu à ses ordres : « Comment, lui répondit-il, m’y serois-je soumis ? Tu ne punis que de mort ceux qui les violent, et tu punis d’infamie ceux qui y obéissent. Apprends que je crains moins la mort que le mépris. »

Je pourrois conclure de ce que j’ai dit que ce n’est point de la nature, mais de la différente constitution des états, que dépend l’amour ou l’indifférence de certains peuples pour la vertu ; mais, quelque juste que fût cette conclusion, elle ne seroit cependant pas assez prouvée, si, pour jeter plus de jour sur cette matiere, je ne cherchois plus particuliérement dans les gouvernements, ou libres ou despotiques, les causes de ce même amour ou de cette même indifférence pour la vertu. Je m’arrêterai d’abord au despotisme ; et, pour en mieux connoître la nature, j’examinerai quel motif allume dans l’homme ce desir effréné d’un pouvoir arbitraire, tel qu’on l’exerce dans l’Orient.

Si je choisis l’Orient pour exemple, c’est que l’indifférence pour la vertu ne se fait constamment sentir que dans les gouvernements de cette espece. En vain quelques nations voisines et jalouses nous accusent-elles déjà de ployer sous le joug du despotisme oriental : je dis que notre religion ne permet pas aux princes d’usurper un pareil pouvoir ; que notre constitution est monarchique et non despotique ; que les particuliers ne peuvent en conséquence être dépouillés de propriété que par la loi, et non par une volonté arbitraire ; que nos princes prétendent au titre de monarque, et non à celui de despote ; qu’ils reconnoissent des lois fondamentales dans le royaume ; qu’ils se déclarent les peres et non les tyrans de leurs sujets. D’ailleurs le despotisme ne pourroit s’établir en France qu’elle ne fût bientôt subjuguée. Il n’en est pas de ce royaume comme de la Turquie, de la Perse, de ces empires défendus par de vastes déserts, et dont l’immense étendue, suppléant à la dépopulation qu’occasionne le despotisme, fournit toujours des armées au sultan. Dans un pays resserré comme le nôtre, et environné de nations éclairées et puissantes, les ames ne seroient pas impunément avilies. La France, dépeuplée par le despotisme, seroit bientôt la proie de ces nations. En chargeant de fers les mains de ses sujets, le prince ne les soumettroit au joug de l’esclavage que pour subir lui-même le joug des princes ses voisins. Il est donc impossible qu’il forme un pareil projet.


  1. Dans l’école de Védantam, les brachmanes de cette secte enseignent qu’il y a deux principes ; l’un positif, qui est le moi ; l’autre négatif, auquel ils donnent le nom de maya, c’est-à-dire du moi, c’est-à-dire erreur. La sagesse consiste à se délivrer du maya, en se persuadant, par une application constante, qu’on est l’être unique, éternel, infini. La clef de la délivrance est dans ces paroles, Je suis l’être suprême.
  2. Secundum id quod amplius nos delectat operemur necesse est, dit S. Augustin.
  3. Dans le harem, ce n’est point aux vertus méritoires, mais à l’impuissance, que le grand-seigneur donne ses femmes garder.
  4. S’il est des hommes qui semblent avoir sacrifié leur intérêt à l’intérêt public, c’est que l’idée de vertu est, dans une bonne forme de gouvernement, tellement unie à l’idée de bonheur, et l’idée de vice la l’idée de mépris, qu’emporté par un sentiment vif, dont on n’a pas toujours l’origine présente, on doit faire par ce motif des actions souvent contraires à son intérêt.
  5. Si les voleurs sont aussi fideles aux conventions faites entre eux que les honnêtes gens, c’est que le danger commun qui les unit les y nécessite. C’est par ce même motif qu’on acquitte si scrupuleusement les dettes du jeu, et qu’on fait si impudemment banqueroute à ses créanciers. Or, si l’intérêt fait faire aux coquins ce que la vertu fait faire aux honnêtes gens, qui doute qu’en maniant habilement le principe de l’intérêt un législateur éclairé ne pût nécessiter tous les hommes à la vertu ?