De l’Esprit/Discours 2/Chapitre 14

DISCOURS II
Œuvres complètes d’Helvétius. De l’EspritP. Didottome 2 (p. 204-236).
Chap. XV.  ►


CHAPITRE XIV

Des vertus de préjugés, et des vrais vertus


Je donne le nom de vertus de préjugé à toutes celles dont l’observation exacte ne contribue en rien au bonheur public ; telles sont la chasteté des vestales, les austérités de ces fakirs insensés dont l’Inde est peuplée ; vertus qui, souvent indifférentes, et même nuisibles à l’état, font le supplice de ceux qui s’y vouent. Ces fausses vertus sont, dans la plupart des nations, plus honorées que les vraies vertus, et ceux qui les pratiquent en plus grande vénération que les bons citoyens.

Personne de plus honoré dans l’Indoustan que les bramines[1] : on y adore jusqu’à leurs nudités[2] ; on y respecte aussi leurs pénitences, et ces pénitences sont réellement affreuses[3] : les uns restent toute leur vie attachés à un arbre ; les autres se balancent sur les flammes ; ceux-ci portent des chaînes d’un poids énorme ; ceux-là ne se nourrissent que de liquides ; quelques uns se ferment la bouche d’un cadenas ; et quelques autres s’attachent une clochette au prépuce : il est d’une femme de bien d’aller en dévotion baiser cette clochette ; et c’est un honneur aux peres de prostituer leurs filles à des fakirs.

Entre les actions ou les coutumes auxquelles la superstition attache le nom de sacrées, une des plus plaisantes, sans contredit, est celles des Juibus, prêtresses de l’île Formose. « Pour officier dignement, et mériter la vénération des peuples, elles doivent, après des sermons, des contorsions et des hurlements, s’écrier qu’elles voient leurs dieux. Ce cri jeté, elles se roulent par terre, montent sur le toit des pagodes, découvrent leur nudité, se claquent les fesses, lâchent leur urine, descendent nues, et se lavent en présence de l’assemblée[4]. »

trop heureux encore les peuples chez qui du moins les vertus de préjugé ne sont que ridicules ; souvent elles sont barbares[5]. Dans la capitale du Cochin, l’on éleve des crocodiles ; et quiconque s’expose à la fureur de ces animaux, et s’en fait dévorer, est compté parmi les élus. Au royaume de Martemban, c’est un acte de vertu, le jour qu’on promene l’idole, de se précipiter sous les roues du chariot, ou de se couper la gorge à son passage : qui se voue à cette mort est réputé saint, et son nom est à cet effet inscrit dans un livre.

Or, s’il est des vertus, il est aussi des crimes de préjugé. C’en est un pour un bramine d’épouser une vierge. Dans l’île Formose, si, pendant les trois mois qu’il est ordonné d’aller nud, un homme est couvert du plus petit morceau de toile, il porte, dit-on, une parure indigne d’un homme. Dans cette même île, c’est un crime aux femmes enceintes d’accoucher avant l’âge de trente-cinq ans. Sont-elles grosses ? elles s’étendent aux pieds de la prêtresse, qui, en exécution de la loi, les y foule jusqu’à ce qu’elles soient avortées.

Au Pégu, lorsque les prêtres ou magiciens ont prédit la convalescence ou la mort d’un malade[6], c’est un crime au malade condamné d’en revenir. Dans sa convalescence, chacun le fuit et l’injurie. S’il eût été bon, disent les prêtres, Dieu l’eût reçu en sa compagnie.

Il n’est peut-être point de pays où l’on n’ait pour quelques uns de ces crimes de préjugé plus d’horreur que pour les forfaits les plus atroces et les plus nuisibles à la société.

Chez les Giagues, peuple anthropophage qui dévore ses ennemis vaincus, on peut sans crime, dit le P. Cavazi, piler ses propres enfants dans un mortier, avec des racines, de l’huile et des feuilles ; les faire bouillir, en composer une pâte dont on se frotte pour se rendre invulnérable : mais ce seroit un sacrilege abominable que de ne pas massacrer au mois de mars, à coups de bêche, un jeune homme et une jeune femme devant la reine du pays. Lorsque les grains sont mûrs, la reine, entourée de ses courtisans, sort de son palais, égorge ceux qui se trouvent sur son passage, et les donne à manger à sa suite. Ces sacrifices, dit-elle, sont nécessaires pour appaiser les mânes de ses ancêtres, qui voient avec regret des gens du commun jouir d’une vie dont ils sont privés : cette foible consolation peut seule les engager à bénir la récolte.

Au royaume de Congo, d’Angole et de Matamba, le mari peut sans honte vendre sa femme, le pere son fils, le fils son pere. Dans ces pays on ne connoît qu’un seul crime[7] ; c’est de refuser les prémices de sa récolte au Chitombé, grand-prêtre de la nation. Ces peuples, dit le P. Labat, si dépourvus de toutes vraies vertus, sont très scrupuleux observateurs de cet usage. On juge bien qu’uniquement occupé de l’augmentation de ses revenus c’est tout ce que leur recommande le Chitombé[8] : il ne desire point que ces negres soient plus éclairés ; il craindroit même que des idées trop saines de la vertu ne diminuassent et la superstition et le tribut qu’elle lui paye.

Ce que j’ai dit des crimes et des vertus de préjugé suffit pour faire sentir la différence de ces vertus aux vraies vertus, c’est-à-dire à celles qui sans cesse ajoutent à la félicité publique, et sans lesquelles les sociétés ne peuvent subsister.

Conséquemment à ces deux différentes especes de vertu, je distinguerai deux différentes especes de corruption de mœurs : l’une que j’appellerai corruption religieuse, et l’autre corruption politique. Cette distinction m’est nécessaire : 1°. parce ue je considere la probité philosophiquement, et indépendamment des rapports que la religion a avec la société ; ce que je prie le lecteur de ne pas perdre de vue dans tout le cours de cet ouvrage : 2°. pour éviter la contradiction perpétuelle qui se trouve chez les nations idolâtres entre les principes de la religion et ceux de la politique et de la morale. Mais, avant d’entrer dans cet examen, je déclare que c’est en qualité de philosophe, et non de théologien, que j’écris ; et qu’ainsi je ne prétends, dans ce chapitre et les suivants, traiter que des vertus purement humaines. Cet avertissement donné, j’entre en matiere ; et je dis qu’en fait de mœurs on donne le nom de corruption religieuse à toute espece de libertinage, et principalement à celui des hommes avec les femmes. Cette espece de corruption, dont je ne suis point l’apologiste, et qui est sans doute criminelle puisqu’elle offense Dieu, n’est cependant point incompatible avec le bonheur d’une nation. Différents peuples ont cru et croient encore que cette espece de corruption n’est pas criminelle. Elle l’est sans doute en France, puisqu’elle blesse les lois du pays ; mais elle le seroit moins si les femmes étoient communes, et les enfants déclarés enfants de l’état : ce crime alors n’auroit politiquement plus rien de dangereux. En effet, qu’on parcoure la terre, on la voit peuplée de nations différentes, chez lesquelles ce que nous appelons le libertinage, non seulement n’est pas regardé comme une corruption de mœurs, mais se trouve autorisé par les lois et même consacré par la religion.

Sans compter, en Orient, les serrails qui sont sous la protection des lois ; au Tunquin, où l’on honore la fécondité, la peine imposée par la loi aux femmes stériles, c’est de chercher et de présenter à leurs époux des filles qui leur soient agréables. En conséquence de cette législation, les Tunquinois trouvent les Européens ridicules de n’avoir qu’une femme ; ils ne conçoivent pas comment parmi nous des hommes raisonnables croient honorer Dieu par le vœu de chasteté ; ils soutiennent que, lorsqu’on le peut, il est aussi criminel de ne pas donner la vie à qui ne l’a pas que de l’ôter à ceux qui l’ont déjà[9].

C’est pareillement sous la sauvegarde des lois que les Siamoises, la gorge et les cuisses à moitié découvertes, portées dans les rues sur des palanquins, s’y présentent dans des attitudes très lascives. Cette loi fut établie par une de leurs reines nommée Tirada, qui, pour dégoûter les hommes d’un amour plus déshonnête, crut devoir employer toute la puissance de la beauté. Ce projet, disent les Siamoises, lui réussit. Cette loi, ajoutent-elles, est d’ailleurs assez sage : il est agréable aux hommes d’avoir des desirs, aux femmes de les exciter. C’est le bonheur des deux sexes, le seul bien que le ciel mêle aux maux dont il nous afflige : et quelle ame assez barbare voudroit encore nous le ravir[10] ?

Au royaume de Batimena[11], toute femme, de quelque condition qu’elle soit, est, par la loi, et sous peine de la vie, forcée de céder à l’amour de quiconque la desire ; un refus est contre elle un arrêt de mort.

Je ne finirois pas si je voulois donner la liste de tous les peuples qui n’ont pas la même idée que nous de cette espece de corruption de mœurs : je me contenterai donc, après avoir nommé quelques uns des pays où la loi autorise le libertinage, de citer quelques uns de ceux où ce même libertinage fait partie du culte religieux.

Chez les peuples de l’île Formose, l’ivrognerie et l’impudicité sont des actes de religion. « Les voluptés, disent ces peuples, sont les filles du ciel, des dons de sa bonté ; en jouir c’est honorer la divinité, c’est user de ses bienfaits. Qui doute que le spectacle des caresses et des jouissances de l’amour ne plaise aux dieux ? Les dieux sont bons, et nos plaisirs sont pour eux l’offrande la plus agréable de notre reconnoissance. » En conséquence de ce raisonnement, ils se livrent publiquement à toute espece de prostitution[12].

C’est encore pour se rendre les dieux favorables qu’avant de déclarer la guerre la reine des Giagues fait venir devant elle les plus belles femmes et les plus beaux de ses guerriers, qui, dans des attitudes différentes, jouissent en sa présence des plaisirs de l’amour. Que de pays, dit Cicéron, où la débauche a ses temples ! Que d’autels élevés à des femmes prostituées[13] ! Sans rappeller l’ancien culte de Vénus, de Cotytto, les Banians n’honorent-ils pas, sous le nom de la déesse Banany, une de leurs reines « qui, selon le témoignage de Gemelli Carreri, laissoit jouir sa cour de la vue de toutes ses beautés, prodiguoit successivement ses faveurs à plusieurs amants, et même à deux à-la-fois. »

Je ne citerai plus à ce sujet qu’un seul fait rapporté par Julius Firmicus Maternus, pere du deuxieme siecle de l’église, dans un traité intitulé : De errore profanarum religionum. « L’Assyrie, ainsi qu’une partie de l’Afrique, dit ce pere, adore l’air sous le nom de Junon ou de Vénus vierge. Cette déesse commande aux éléments ; on lui consacre des temples : ces temples sont desservis par des prêtres qui, vêtus et parés comme des femmes, prient la déesse d’une voix languissante et efféminée, irritent les desirs des hommes, s’y prêtent, se targuent de leur impudicité, et, après ces plaisirs préparatoires, croient devoir invoquer la déesse à grands cris, jouer des instruments, se dire remplis de l’esprit de la divinité, et prophétiser. »

il est donc une infinité de pays où la corruption des mœurs, que j’appelle religieuse, est autorisée par la loi, ou consacrée par la religion.

Que de maux, dira-t-on, attachés à cette espece de corruption ! Mais ne pourroit-on pas répondre que le libertinage n’est politiquement dangereux dans un état que lorsqu’il est en opposition avec les lois du pays, ou qu’il se trouve uni à quelque autre vice du gouvernement ? En vain ajouteroit-on que les peuples où regne ce libertinage sont le mépris de l’univers. Mais, sans parler des Orientaux, et des nations sauvages ou guerrieres qui, livrées à toutes sortes de voluptés, sont heureuses au dedans et redoutables au dehors, quel peuple plus célebre que les Grecs ? peuple qui fait encore aujourd’hui l’étonnement, l’admiration et l’honneur de l’humanité. Avant la guerre du Péloponnese, époque fatale à leur vertu, quelle nation et quel pays plus fécond en hommes vertueux et en grands hommes ? On sait cependant le goût des Grecs pour l’amour le plus déshonnête. Ce goût étoit si général, qu’Aristide, surnommé le Juste, cet Aristide qu’on étoit las, disoient les Athéniens, d’entendre toujours louer, avoit cependant aimé Thémistocle. Ce fut la beauté du jeune Stésiléus, de l’île de Céos, qui, portant dans leur ame les desirs les plus violents, alluma entre eux les flambeaux de la haine. Platon étoit libertin. Socrate même, déclaré par l’oracle d’Apollon le plus sage des hommes, aimoit Alcibiade et Archelaüs. Il avoit deux femmes, et vivoit avec toutes les courtisanes. Il est donc certain que, relativement à l’idée qu’on s’est formée des bonnes mœurs, les plus vertueux des Grecs n’eussent passé en Europe que pour des hommes corrompus. Or cette espece de corruption de mœurs se trouvant en Grece portée au dernier excès, dans le temps même que ce pays produisoit de grands hommes en tout genre, qu’il faisoit trembler la Perse, et jetoit le plus grand éclat, on pourroit penser que la corruption des mœurs à laquelle je donne le nom de religieuse n’est point incompatible avec la grandeur et la félicité d’un état.

Il est une autre espece de corruption de mœurs, qui prépare la chûte d’un empire, et en annonce la ruine : je donnerai à celle-ci le nom de corruption politique.

Un peuple en est infecté lorsque le plus grand nombre des particuliers qui le composent détachent leurs intérêts de l’intérêt public. Cette espece de corruption, qui se joint quelquefois à la précédente, a donné lieu à bien des moralistes de les confondre. Si l’on ne consulte que l’intérêt politique d’un état, cette derniere seroit peut-être la plus dangereuse. Un peuple, eût-il d’ailleurs les mœurs les plus pures, s’il est attaqué de cette corruption, est nécessairement malheureux au dedans, et peu redoutable au dehors. La durée d’un tel empire dépend du hasard, qui seul en retarde ou en précipite la chûte.

Pour faire sentir combien cette anarchie de tous les intérêts est dangereuse dans un état, considérons le mal qu’y produit la seule opposition des intérêts d’un corps avec ceux de la république ; donnons aux bonzes, aux talapoins, toutes les vertus de nos saints : si l’intérêt du corps des bonzes n’est point lié à l’intérêt public ; si, par exemple, le crédit du bonze tient à l’aveuglement des peuples ; ce bonze, nécessairement ennemi de la nation qui le nourrit, sera, à l’égard de cette nation, ce que les Romains étoient à l’égard du monde ; honnêtes entre eux, brigands par rapport à l’univers. Chacun des bonzes eût-il en particulier beaucoup d’éloignement pour les grandeurs, le corps n’en sera pas moins ambitieux ; tous ses membres travailleront, souvent sans le savoir, à son agrandissement ; ils s’y croiront autorisés par un principe vertueux[14]. Il n’est donc rien de plus dangereux dans un état qu’un corps dont l’intérêt n’est pas attaché à l’intérêt général.

Si les prêtres du paganisme firent mourir Socrate, et persécuterent presque tous les grands hommes, c’est que leur bien particulier se trouvoit opposé au bien public, c’est que les prêtres d’une fausse religion ont intérêt de retenir les peuples dans l’aveuglement, et pour cet effet de poursuivre tous ceux qui peuvent l’éclairer : exemple quelquefois imité par les ministres de la vraie religion, qui, sans le même besoin, ont souvent eu recours aux mêmes cruautés, ont persécuté, déprimé les grands hommes, se sont faits les panégyristes des ouvrages médiocres, et les critiques des excellents[15].

Quoi de plus ridicule, par exemple, que la défense faite dans certains pays d’y faire entrer aucun exemplaire de l’Esprit des lois ? ouvrage que plus d’un prince fait lire et relire à son fils. Ne peut-on pas, d’après un homme d’esprit, répéter à ce sujet qu’en sollicitant cette défense les moines en ont usé comme les Scythes avec leurs esclaves ? Ils leur crevoient les yeux pour qu’ils tournassent la meule avec moins de distraction.

Il paroît donc que c’est uniquement de la conformité ou de l’opposition de l’intérêt des particuliers avec l’intérêt général que dépend le bonheur ou le malheur public, et qu’enfin la corruption religieuse de mœurs peut, comme l’histoire le prouve, s’allier souvent à la magnanimité, à la grandeur d’ame, à la sagesse, aux talents, enfin à toutes les qualités qui forment les grands hommes.

On ne peut nier que des citoyens tachés de cette espece de corruption de mœurs n’aient souvent rendu à la patrie des services plus importants que les plus séveres anachoretes. Que ne doit-on pas à la galante Circassienne, qui, pour assurer sa beauté, ou celle de ses filles, a la premiere osé les inoculer ? Que d’enfants l’inoculation n’a-t-elle pas arrachés à la mort ! Peut-être n’est-il point de fondatrice d’ordre de religieuses qui se soit rendue recommandable à l’univers par un aussi grand bienfait, et qui par conséquent ait autant mérité de sa reconnoissance.

Au reste, je crois devoir encore répéter à la fin de ce chapitre que je n’ai point prétendu me faire l’apologiste de la débauche ; j’ai seulement voulu donner des notions nettes de ces deux différentes especes de corruption de mœurs, qu’on a trop souvent confondues, et sur lesquelles on semble n’avoir eu que des idées confuses. Plus instruits du véritable objet de la question, on peut en mieux connoître l’importance, mieux juger du degré de mépris qu’on doit assigner à ces deux différentes sortes de corruption, et reconnoître qu’il est deux especes différentes de mauvaises actions ; les unes qui sont vicieuses dans toutes formes de gouvernement, et les autres qui ne sont nuisibles, et par conséquent criminelles, chez un peuple que par l’opposition qui se trouve entre ces mêmes actions et les lois du pays.

Plus de connoissance du mal doit donner aux moralistes plus d’habileté pour la cure. Ils pourront considérer la morale d’un point de vue nouveau, et d’une science vaine faire une science utile à l’univers.


  1. Les bramines ont le privilège exclusif de demander l’aumône. Ils exhortent à la donner, et ne la donnent pas.
  2. « Pourquoi, disent ces bramines, devenus hommes, aurions-nous honte d’aller nuds, puisque nous sommes sortis nuds et sans honte du ventre de notre mère ? ».

    Les Caraïbes n’ont pas moins de honte d’un vêtement que nous en aurions de la nudité. Si la plupart des sauvages couvrent certaines parties de leur corps, ce n’est point en eux l’effet d’une pudeur naturelle, mais de la délicatesse, de la sensibilité de certaines parties, et de la crainte de se blesser en traversant les bois et les halliers.

  3. Il est, au royaume de Pégu, de anachorètes, nommés Santons ; ils ne demandent jamais rien, dussent-ils mourir de faim. On prévient, à la vérité, tous leurs desirs. Quiconque se confesse à eux ne peut être puni, quelque crime qu’il ait commis. Ces santons logent à la campagne dans des troncs d’arbres. Après leur mort on les honore comme des dieux.
  4. Voyages de la compagnie des Indes hollandaises.
  5. Les femmes de Madagascar croient aux heures, aux jours heureux ou malheureux. C’est un devoir de religion, lorsqu’elles accouchent dans les heures ou jours malheureux, d’exposer leurs enfants aux bêtes, de les enterrer, ou de les étouffer.

    Dans un des temples de l’empire du Pégu on éleve des vierges. Tous les ans, à la fête de l’idole, on sacrifie une de ces infortunées. Le prêtre, en habits sacerdotaux la dépouille, l’étrangle, arrache son cœur, et le jette au nez de l’idole. Le sacrifice fait, les prêtres dînent, prennent des habits d’une forme horrible, et dansent devant le peuple. Dans les autres temples du même pays on ne sacrifie que des hommes. On achete pour cet effet un esclave, beau, bien fait. Cet esclave, vêtu d’une robe blanche, lavé pendant trois matinées, est ensuite montré au peuple. Le quarantieme jour les prêtres lui ouvrent le ventre, arrachent son cœur, barbouillent l’idole de son sang, et mangent sa chair comme sacrée. « Le sang innocent, disent les prêtres, doit couler en expiation des péchés de la nation ; d’ailleurs il faut bien que quelqu’un aille près du grand dieu le faire ressouvenir de son peuple ». Il est bon de remarquer que les prêtres ne se chargent jamais de la commission.

  6. Lorsqu’un Giague est mort on lui demande pourquoi il a quitté la vie. Un prêtre, contrefaisant la voix du mourant, répond qu’il n’a pas assez fait de sacrifices ses ancêtres. Ces sacrifices font une partie considérable du revenu des prêtres.
  7. Au royaume de Lao, les talapoins, prêtres du pays, ne peuvent être jugés que par le roi lui-même. Ils se confessent tous les mois. Fideles à cette observance, ils peuvent d’ailleurs commettre impunément mille abominations. Ils aveuglent tellement les princes, qu’un talapoin convaincu de fausse monnoie fut renvoyé absous par le roi. Les séculiers, disoit-il, auroient dû lui faire de plus grands présents. Les plus considérables du pays tiennent à grand honneur de rendre aux talapoins les services les plus bas. Aucun d’eux ne se vêtiroit d’un habit qui n’eût pas été quelque temps porté par un talapoin.
  8. Ce chitombé entretient jour et nuit un feu sacré dont il vend les tisons fort cher. Celui qui les achete se croit à l’abri de tout accident. Ce grand-prêtre ne reconnoît aucun juge. Lorsqu’il s’absente pour visiter les pays de sa domination, l’on est obligé, sous peine de mort, de garder la continence. Les negres sont persuadés que s’il mouroit de mort naturelle cette mort entraînerait la ruine de l’univers. Aussi le successeur désigné l’égorge-t-il dès qu’il est malade.
  9. Chez les Gingues, lorsqu’on apperçoit dans une fille les marques de la fécondité, l’on fait une fête. Lorsque ces marques disparoissent on fait mourir ces femmes, comme indignes d’une vie qu’elles ne peuvent plus procurer.
  10. Un homme d’esprit disoit à ce sujet qu’il faut sans contredit défendre aux hommes tout plaisir contraire au bien général ; mais qu’avant cette défense il falloit, par mille efforts d’esprit, tâcher de concilier ce plaisir avec le bonheur public. « Les hommes, ajoutoit-il, sont si malheureux, qu’un plaisir de plus vaut bien la peine qu’on essaie de le dégager de ce qu’il peut avoir de dangereux pour un gouvernement ; et peut-être seroit-il facile d’y réussir, si l’on examinoit dans ce dessein la législation des pays où ces plaisirs sont permis. »
  11. Christianisme des Indes, liv. IV, page 308.
  12. Au royaume de Thibet, les filles portent au cou les dons de l’impudicité, c’est-à-dire les anneaux de leurs amants. Plus elles en ont, et plus leurs noces sont célèbres.
  13. À Babylone, toutes les femmes, campées près le temple de Vénus, devaient une fois en leur vie obtenir par une prostitution expiatoire la rémission de leurs péchés. Elles ne pouvoient se refuser au desir du premier étranger qui vouloit purifier leur ame par la jouissance de leur corps. On prévoit bien que les belles et les jolies avoient bientôt satisfait à la pénitence ; mais les laides attendoient quelquefois long-temps l’étranger charitable qui devoit les remettre en état de grâce.

    Les couvents des bonzes sont remplis de religieuses idolâtres : on les y reçoit en qualité de concubines. En est-on las, on les renvoie, et on les remplace. Les portes de ces coureurs sont assiégées par ces religieuses, qui, pour y être admises, offrent des présents aux bonzes, qui les reçoivent comme une faveur qu’ils accordent.

    Au royaume de Cochin, les bramines, curieux de faire goûter aux jeunes mariées les premiers plaisirs de l’amour, font accroire au roi et au peuple que ce sont eux qu’on doit charger de cette sainte œuvre. Quand ils entrent quelque part, les pères et les maris les laissent avec leurs filles et leurs femmes.

  14. Dans la vraie religion même, il s’est trouvé des prêtres qui, dans les temps d’ignorance, ont abusé de la piété des peuples pour attenter aux droits du sceptre.
  15. Voici comme s’exprime au sujet de M. de Montesquieu le P. Millot, jésuite, dans un discours couronné par l’académie de Dijon, sur la question, Est-il plus utile d’étudier les hommes que les livres ? « Ces règles de conduite, ces maximes de gouvernement, qui devroient être gravées sur le trône des rois, et dans le cœur de quiconque est revêtu de l’autorité, n’est-ce pas à une profonde étude des hommes que nous les devons ? Témoin cet illustre citoyen, cet organe, ce juge des lois, dont la France et l’Europe entiere arrosent le tombeau de leurs larmes, mais dont elles verront toujours le génie éclairer les nations, et tracer le plan de la félicite publique ; écrivain immortel, qui abrégeoit tout, parce qu’il voyoit tout ; et qui vouloir faire penser, parce que nous en avons besoin bien plus que de lire. Avec quelle ardeur, quelle sagacité, avoit-il étudié le gente humain ! Voyageant comme Solon, méditant comme Pythagore, conversant comme Platon, lisant comme Cicéron, peignant comme Tacite, toujours son objet fut l’homme, son étude fut celle des hommes ; il les connut. Déjà commencent à germer les semences fécondes qu’il jeta dans les esprits modérateurs des peuples et des empires. Ah ! recueillons-en les fruits avec reconnoissance, etc. » Le P. Millot ajoute dans une note : « Quand un auteur d’une probité reconnue, qui pense fortement, et qui s’exprime toujours comme il pense, dit en termes formels, La religion chrétienne, qui ne semble avoir d’autre objet que la félicité de l’autre vie, fait encore notre bonheur dans celle-ci ; quand il ajoute, en réfutant un paradoxe dangereux de Bayle, Les principes du christianisme, bien gravés dans le cœur, seroient infiniment plus forts que ce faux honneur des monarchies, ces vertus humaines des républiques, et cette crainte servile des états despotiques, c’est-à-dire plus forts que les trois principes du gouvernement politique établis dans l’Esprit des lois ; peut-on accuser un tel auteur, si l’on a lu son ouvrage, d’avoir prétendu y porter des coups mortels au christianisme ? »

    (On laisse cette note, quoiqu’elle ne se trouve ni dans l’édition originale, ni dans le manuscrit de l’auteur.)