De l’Allemagne/Première partie/V

Librairie Stéréotype (Tome 1p. 49-51).

CHAPITRE V.

De l’Allemagne méridionale.


Il étoit assez généralement reconnu qu’il n’y avoit de littérature que dans le nord de l’Allemagne, et que les habitants du midi se livroient aux jouissances de la vie physique, pendant que les contrées septentrionales goûtoient plus exclusivement celles de l’âme. Beaucoup d’hommes de génie sont nés dans le midi, mais ils se sont formés dans le nord. On trouve non loin de la Baltique les plus beaux établissements, les savants et les hommes de lettres les plus distingués ; et depuis Weimar jusqu’à Kœnigsberg, depuis Kœnigsberg jusqu’à Copenhague les brouillards et les frimas semblent l’élément naturel des hommes d’une imagination forte et profonde. Il n’est point de pays qui ait plus besoin que l’Allemagne de s’occuper de littérature ; car la société y offrant peu de charmes, et les individus n’ayant pas pour la plupart cette grâce et cette vivacité que donne la nature dans les pays chauds, il en résulte que les Allemands ne sont aimables que quand ils sont supérieurs, et qu’il leur faut du génie pour avoir beaucoup d’esprit.

La Franconie, la Souabe et la Bavière, avant la réunion illustre de l’académie actuelle à Munich, étoient des pays singulièrement lourds et monotones : point d’arts, la musique exceptée ; peu de littérature ; un accent rude qui se prêtoit difficilement à la prononciation des langues latines ; point de société ; de grandes réunions qui ressembloient à des cérémonies plutôt qu’à des plaisirs ; une politesse obséquieuse envers une aristocratie sans élégance ; de la bonté, de la loyauté dans toutes les classes ; mais une certaine roideur souriante qui ôte tout à la fois l’aisance et la dignité. On ne doit donc pas s’étonner des jugements qu’on a portés, des plaisanteries qu’on a faites sur l’ennui de l’Allemagne. Il n’y a que les villes littéraires qui puissent vraiment intéresser dans un pays où la société n’est rien et la nature peu de chose.

On auroit peut-être cultivé les lettres dans le midi de l’Allemagne avec autant de succès que dans le nord, si les souverains avoient mis à ce genre d’étude un véritable intérêt ; cependant, il faut en convenir, les climats tempérés sont plus propres à la société qu’à la poésie. Lorsque le climat n’est ni sévère ni beau, quand on vit sans avoir rien à craindre ni à espérer du ciel, on ne s’occupe guère que des intérêts positifs de l’existence. Ce sont les délices du midi ou les rigueurs du nord qui ébranlent fortement l’imagination. Soit qu’on lutte contre la nature, ou qu’on s’enivre de ses dons, la puissance de la création n’en est pas moins forte, et réveille en nous le sentiment des beaux-arts ou l’instinct des mystères de l’âme.

L’Allemagne méridionale, tempérée sous tous les rapports, se maintient dans un état de bien-être monotone, singulièrement nuisible à l’activité des affaires comme à celle de la pensée. Le plus vif désir des habitants de cette contrée paisible et féconde, c’est de continuer à exister comme ils existent ; et que fait-on avec ce seul désir ? il ne suffit pas même pour conserver ce dont on se contente.