De l’Allemagne/Première partie/III

Librairie Stéréotype (Tome 1p. 34-39).

CHAPITRE III.

Les femmes.


La nature et la société donnent aux femmes une grande habitude de souffrir, et l’on ne sauroit nier, ce me semble, que de nos jours elles valent, en général, mieux que les hommes. Dans une époque où le mal universel est l’égoïsme, les hommes, auxquels tous les intérêts positifs se rapportent, doivent avoir moins de générosité, moins de sensibilité que les femmes ; elles ne tiennent à la vie que par les liens du cœur, et lorsqu’elles s’égarent, c’est encore par un sentiment qu’elles sont entraînées : leur personnalité est toujours à deux, tandis que celle de l’homme n’a que lui-même pour but. On leur rend hommage par les affections qu’elles inspirent, mais celles qu’elles accordent sont presque toujours des sacrifices. La plus belle des vertus, le dévouement, est leur jouissance et leur destinée ; nul bonheur ne peut exister pour elles que par le reflet de la gloire et des prospérités d’un autre ; enfin, vivre hors de soi-même, soit par les idées, soit par les sentiments, soit surtout par les vertus, donne à l’âme un sentiment habituel d’élévation.

Dans les pays où les hommes sont appelés par les institutions politiques à exercer toutes les vertus militaires et civiles qu’inspire l’amour de la patrie, ils reprennent la supériorité qui leur appartient ; ils rentrent avec éclat dans leurs droits de maîtres du monde : mais lorsqu’ils sont condamnés de quelque manière à l’oisiveté, ou à la servitude, ils tombent d’autant plus bas qu’ils devoient s’élever plus haut. La destinée des femmes reste toujours la même, c’est leur âme seule qui la fait, les circonstances politiques n’y influent en rien. Lorsque les hommes ne savent pas, ou ne peuvent pas employer dignement et noblement leur vie, la nature se venge sur eux des dons mêmes qu’ils en ont reçus ; l’activité du corps ne sert plus qu’à la paresse de l’esprit ; la force de l’âme devient de la rudesse et le jour se passe dans des exercices et des amusements vulgaires, les chevaux, la chasse, les festins qui conviendroient comme délassement, mais qui abrutissent comme occupations. Pendant ce temps les femmes cultivent leur esprit, et le sentiment et la rêverie conservent dans leur âme l’image de tout ce qui est noble et beau.

Les femmes allemandes ont un charme qui leur est tout-à-fait particulier, un son de voix touchant, des cheveux blonds, un teint éblouissant ; elles sont modestes, mais moins timides que les anglaises ; on voit qu’elles ont rencontré moins souvent des hommes qui leur fussent supérieurs, et qu’elles ont d’ailleurs moins à craindre des jugements sévères du public. Elles cherchent à plaire par la sensibilité, à intéresser par l’imagination ; la langue de la poésie et des beaux-arts leur est connue ; elles font de la coquetterie avec de l’enthousiasme, comme on en fait en France avec de l’esprit et de la plaisanterie. La loyauté parfaite qui distingue le caractère des Allemands rend l’amour moins, dangereux pour le bonheur des femmes, et peut-être s’approchent-elles de ce sentiment avec plus de confiance, parce, qu’il est revêtu de couleurs romanesques, et que le dédain et l’infidélité y sont moins à redouter qu’ailleurs.

L’amour, est une religion en Allemagne, mais une religion poétique qui tolère trop volontiers tout ce que la sensibilité peut excuser. On ne sauroit le nier, la facilité du divorce dans les provinces protestantes porte atteinte à la sainteté du mariage. On y change aussi paisiblement d’époux que s’il s’agissait d’arranger les incidents d’un drame, le bon naturel des hommes et des femmes fait qu’on ne mêle point d’amertume à ces faciles ruptures ; et comme il y a chez les Allemands plus d’imagination que de vraie passion, les événements les plus bizarres s’y passent avec une tranquillité singulière ; cependant c’est ainsi que les mœurs et le caractère perdent toute consistance ; l’esprit paradoxal ébranle les institutions les plus sacrées, et l’on n’y a sur aucun sujet des règles assez fixes.

On peut se moquer avec raison des ridicules de quelques femmes allemandes qui s’exaltent sans cesse jusqu’à l’affectation, et dont les doucereuses expressions effacent tout ce que l’esprit et le caractère peuvent avoir de piquant et de prononcé ; elles ne sont pas franches, sans pourtant être fausses ; seulement elles ne voient ni ne jugent rien avec vérité, et les événements réels passent devant leurs yeux comme de la fantasmagorie. Quand il leur arrive d’être légères, elles conservent encore la teinte de sentimentalité qui est en honneur dans leur pays. Une femme allemande disoit avec une expression mélancolique : « Je ne sais à quoi cela tient, mais les absents me passent de l’âme. » Une Française auroit exprimé cette idée plus gaiement, mais le fond eût été le même.

Ces ridicules qui font exception n’empêchent pas que parmi les femmes allemandes il y en ait beaucoup dont les sentiments soient vrais et les manières simples. Leur éducation soignée et la pureté d’âme qui leur est naturelle rendent l’empire qu’elles exercent doux et soutenu ; elles vous inspirent chaque jour plus d’intérêt pour tout ce qui est grand et généreux, plus de confiance dans tous les genres d’espoir, et savent repousser l’aride ironie qui souffle un vent de mort sur les jouissances du cœur. Néanmoins on trouve très-rarement chez les Allemandes la rapidité d’esprit qui anime l’entretien et met en mouvement toutes les idées ; ce genre de plaisir ne se rencontre guère que dans les sociétés de Paris les plus piquantes et les plus spirituelles. Il faut l’élite d’une capitale française pour donner ce rare amusement : partout ailleurs on ne trouve d’ordinaire que de l’éloquence en public, ou du charme dans l’intimité. La conversation, comme talent, n’existe qu’en France ; dans les autres pays elle ne sert qu’à la politesse, à la discussion ou à l’amitié : en France, c’est un art auquel l’imagination et l’âme sont sans doute fort nécessaires, mais qui a pourtant aussi, quand on le veut, des secrets pour suppléer à l’absence de l’une et de l’autre.