De l’égalité des races humaines/Conclusion

CONCLUSION.


Άγαπα̃τε α̉λλήλους…
(Saint Jean, ch. XIII).
Tous les hommes sont l’homme.
(Victor Hugo).


Après avoir passé en revue tous les arguments que l’on pourrait mettre en avant pour soutenir la doctrine de l’inégalité des races humaines, il semble qu’aucun ne résiste au plus simple examen. Sans doute, y en a-t-il plusieurs que nous avons involontairement omis, dans cette course attristante, à travers les erreurs et les préjugés répandus depuis si longtemps dans un grand nombre d’esprits qu’il leur est impossible de revenir à des conceptions plus logiques et plus justes. Cependant quand on a marché beaucoup, ayant gravi bien des sommets et franchi bien des précipices, il arrive un moment où l’on éprouve le besoin de s’arrêter et de respirer. Parvenu à une certaine hauteur, on s’aperçoit qu’on a parcouru un assez long espace et, embrassant du regard tout le trajet accompli, on contemple avec un soulagement délicieux les étapes de la route. On est convaincu que des sentiers obscurs restent encore inexplorés ; mais l’ensemble du panorama suffit largement pour offrir à l’esprit toute la netteté désirable dans l’appréciation du terrain où l’on a établi ses investigations. Tel est le sentiment que j’éprouve, en fermant la série des discussions qu’il fallait entamer sur les diverses notions scientifiques qu’une fausse interprétation semblait rendre favorables à la thèse de l’inégalité des races humaines.

En récapitulant toutes les objections qui ruinent, pour ainsi dire, dans leur fondement essentiel tous les systèmes de hiérarchisation qu’on a essayé d’instituer parmi les divers groupes de l’humanité, il est permis d’affirmer que l’égalité naturelle existe entre toutes les races. Cette égalité ne cesse de se vérifier que lorsqu’un degré supérieur d’évolution vient apporter à l’une d’entre elles un développement et des aptitudes auxquels ne sont pas encore parvenues les autres. Mais comme pour empêcher qu’on n’oublie complètement l’infériorité originelle de celles qui ont atteint les plus hauts sommets de la civilisation, on rencontrera non-seulement dans les fastes du passé, mais actuellement, sur divers points du globe, une foule de leurs congénères vivant dans un état qui en dénonce visiblement la complexion ancestrale.

Dans les commencements, toutes les races d’hommes qui couvrent aujourd’hui la surface de notre planète furent également ignorantes et chétives, immorales et laides ; mais à mesure qu’elles ont évolué, elles se sont améliorées, en transmettant à leurs descendants des facultés destinées à se perfectionner avec le travail des générations successives. L’hérédité physique et morale est l’élément conservateur qui fixe chaque conquête dans la famille, dans le canton et dans la contrée ; ces conquêtes, s’ajoutant les unes aux autres, amènent jusqu’aux nues des êtres partis de la poussière. Tous n’arrivent pas par les mêmes sentiers ni en même temps. Pourtant qui oserait dire que telle organisation ethnique est supérieure à telle autre, quand on sait quel laps de temps il a fallu, avec le concours des milieux et les accidents favorables, pour que les plus civilisées d’entre les races humaines parvinssent à s’affiner au point où nous les voyons maintenant ? « Art, poésie, science, moralité, toutes ces manifestations les plus élevées de l’humanité, dit M. Ribot, sont pareilles à une plante coûteuse et délicate, qui a germe tard et n’a porté des fruits que grâce au travail prolongé d’innombrables générations… L’idéal, ne s’est pas développé d’un seul coup ; il s’est dévoilé peu à peu[1]. »

L’évolution sociale explique donc seule les différences de complexion morale et intellectuelle qui existent entre les diverses portions de l’humanité. Peut être pourrait-on penser que l’organisation physique et interne de certaines races leur constitue une supériorité spéciale, même dans leur marche évolutive ; mais serait-ce raisonnable de s’arrêter à une supposition gratuite, quand la nature des climats et les circonstances historiques rendent suffisamment compte de la promptitude avec laquelle ont évolué ces races privilégiées ? Pour se renfermer dans une seule race et en Europe, toutes les nations blanches se sont-elles montrées également aptes à l’accomplissement de certains progrès, dans la même période historique ? Ne voit-on pas au contraire la plupart de ces nations considérées comme nulles, il y a à peine deux siècles, occuper actuellement des places éminentes ; tandis que d’autres, souverainement influentes au XVIe ou au XVIIe siècles, ont perdu tout leur ancien prestige ?

En étudiant les faits avec toute l’impartialité que comporte l’excellence de la matière, il a été démontré d’ailleurs que la race noire, que l’on a prétendu être la plus inférieure de l’humanité, est douée d’une faculté d’expansion morale et intellectuelle aussi active qu’aucune autre. Doit-on persévérer dans les erreurs du passé, malgré toutes les lumières qui jaillissent de la science moderne pour nous éclairer et nous indiquer la vérité ? L’autorité de quelques savants suffira-t-elle pour consacrer des opinions erronées, qui n’ont duré à travers tant de siècles qu’à l’aide de légendes et de préjugés, que l’on aurait honte d’affirmer dans l’ère de liberté et de progrès qui fleurit actuellement ? Non ! mille fois non ! Au-dessus des préventions et des préjugés des savants, il y a la science ; au-dessus des erreurs systématiques des historiens, il y a l’histoire ; la philosophie est plus forte, plus convaincante que tous les philosophes. Il est bon que les faiseurs de systèmes et les fondateurs de doctrines y réfléchissent. Le monde ne reste pas stationnaire. Les nations, les races, en se coudoyant sur le théâtre de l’histoire, passent sans cesse et reviennent sur la scène avec des rôles différents ; mais dans la grande harmonie de la destinée humaine, aucun de ces rôles n’est absolument inutile. Les acteurs sont tous égaux en dignité ; dans une transformation perpétuelle, chacun prend et quitte les premières places. Cela continuera ainsi jusqu’au jour où ils pourront se suppléer indistinctement, sans effort ni froissement, dans la fonction capitale qui est de soutenir le flambeau intellectuel, qui éclaire le monde moral et immatériel comme le soleil éclaire le monde physique et matériel.

La race noire aura-t-elle un jour à jouer un rôle supérieur dans l’histoire du monde, en reprenant le flambeau qu’elle a tenu sur les bords du Nil et dont toute l’humanité s’est éclairée dans les premiers vagissements de la civilisation ? Je crois avoir prouvé que rien ne lui manque pour y parvenir. Tout indique, en effet, qu’il lui est réservé d’accomplir une nouvelle transformation d’où sortira le plus beau rayonnement du génie humain. À ses premiers pas dans la carrière de la civilisation et de la liberté, elle a donné l’exemple d’une telle précocité dans le développement de toutes les sortes d’aptitudes, que l’on a droit d’espérer en elle et d’affirmer les hautes destinées qu’elle est appelée à réaliser.

Mais, dira-t-on, elle arrive trop tard. Déjà toutes les places sont prises. La civilisation vieille d’années et de gloire n’attend plus de surprise. Edison, aux États-Unis, Renard et Krebs, en France, d’autres en Angleterre, en Allemagne, en Italie, par toute l’Europe, ont accompli tant de merveilles, que le monde s’est accoutumé aux inventions superbes, aux trouvailles curieuses. La science marche et élargit sans cesse son champ d’investigation. Il semble bien démontré que ceux qui ne se pressent pas n’auront rien à faire. Car bientôt tous les problèmes seront résolus, toutes les questions élucidées, toutes les vérités de l’ordre matériel ou moral seront trouvées, étiquetées, classées, comme dans un vaste casier. On n’aura besoin que d’un index géant, pour ne jamais plus être embarrassé en rien, ni réduit à l’impuissance devant aucune force naturelle ou surnaturelle !…

Par bonheur, les choses n’en viendront à ce point, si tant est qu’on y doive aboutir, que lorsque la surface entière de la terre sera peuplée d’une humanité aussi sage, aussi éclairée qu’on la suppose être, dans ce que nous appelons les hommes supérieurs, lesquels ne se comptent que par vingtaine dans un siècle. D’ici là, il y a du chemin à faire. La route de la civilisation longue, immense, sans bornes, s’étend à l’infini devant nous. Dans deux siècles, nos arrière-petits fils nous trouveront plus arriérés que nous ne le disons des hommes du XVIIe siècle, si avancés comparativement à ceux du XVe siècle, sortant avec peine du chaos tumultueux du régime féodal. « Nous ne sommes en réalité qu’au seuil de la civilisation, dit Sir John Lubbock. Loin de manifester un symptôme d’épuisement, la tendance au développement des connaissances — et ajoutons de la puissance de l’homme — semble s’être manifestée dernièrement avec plus de rapidité que jamais. Il y a bien des choses auxquelles on n’a pas encore songé dans notre philosophie, bien des découvertes destinées à immortaliser ceux qui les feront et à procurer à la race humaine des avantages que nous ne sommes pas peut-être en état d’apprécier. Nous pouvons dire encore, avec notre illustre compatriote, Sir Isaac Newton, que nous avons été simplement comme des enfants, jouant sur le bord de la mer et ramassant çà et là un caillou plus lisse ou un coquillage plus joli que les autres, tandis que le grand océan de la vérité s’étend inexploré devant nous[2]. »

Ces idées magnifiques, empreintes d’une splendeur qui ravit et éblouit l’esprit, sont à la fois justes et profondes. Non, il ne sera jamais trop tard pour qu’un individu ou une race fasse son apparition dans le monde de la lumière, dans le domaine de la science. La race noire qui doit évoluer sans cesse et franchir à pas précipités toutes les étapes qu’il faut traverser pour atteindre à la civilisation, telle qu’elle se montre dans toute l’exubérance de sa floraison européenne, n’a pas à se décourager dans cette voie ascensionnelle où il lui faut monter et monter toujours ! Pour elle, aucune désespérance n’est légitime, aucune lassitude justifiée. Il faut que, de jour en jour, elle renforce le sentiment, la conviction de son égalité avec toutes les autres races humaines répandues sur notre planète. Croire à l’égalité, c’est s’engager moralement à la prouver par les faits et les résultats, au prix de tous les efforts. Elle y répondra. Ainsi, une nouvelle période de gloire poindra pour elle. Splendide sera le rôle qu’elle aura à jouer dans le monde. Sa grande part d’action, dans l’épanouissement du progrès, sera surtout de développer le sens de la justice avec beaucoup plus de force et, en même temps, beaucoup plus de délicatesse que les races blasées et au cœur sec qui ont surgi en Europe ou qui ont poussé dans les plaines de l’empire du Milieu et de la Tartarie.

Sans doute, cette race nigritique qui a souffert mille martyres, qui a été huée, conspuée, méprisée par les uns ; brutalisée, systématiquement exterminée par les autres, pourrait laisser germer en son sein je ne sais quelle foudroyante colère, avec le rêve d’en écraser un jour ses contempteurs ou ses anciens oppresseurs. Mais la générosité l’emportera. Plus on a souffert, mieux on est préparé pour comprendre et pratiquer la justice. Et, vraiment, on ne sait combien magnifique paraîtra aux yeux du philosophe et du penseur cette famille d’hommes sortis de la plus profonde misère intellectuelle et morale, ayant grandi sous l’influence dépressive de tous les préjugés coalisés ; mais engendrant en ces cas mêmes une fleur de vertu faite de courage viril et d’ineffable bonté, deux qualités qui tendent à la fois à promouvoir et à tempérer la justice !

Le courage ! il n’y a plus personne qui le conteste aux noirs. Trop d’exemples sanglants ont émergé de l’histoire pour en convaincre les plus incrédules. Pourtant il faut que ce courage n’aille jamais jusqu’à la violence et ne dégénère point en brutalité. Ce que les détracteurs de la race nigritique leur refusent, ce n’est pas l’égalité matérielle. Au contraire, qu’on lise tous les ouvrages où la thèse de l’inégalité des races est soutenue avec une inconséquence étonnante mais unie à une rare ténacité, on verra toujours poindre l’intention de faire beaucoup plus belle la part qui échoit à la race noire, quant à la force brutale. Lors donc que, pour affirmer leur égalité ethnique et sociale, les fils de l’Afrique renoncent à d’autres procédés plus dignes et se complaisent, sans nécessité, à ravager, à brûler ou à tuer, ils ne font que prêter le flanc à une théorie fausse, mais dont l’influence malsaine fait exagérer à dessein chacune de leurs fautes. Pour réaliser l’égalité qui est un droit naturel et imprescriptible, puisque la science démontre qu’aucune race d’hommes ne possède des aptitudes supérieures à celles des autres, il faut à la race noire diriger sans cesse ses aspirations vers la conquête des forces morales et intellectuelles, les seules qui égalisent les hommes. Il faut qu’elle grandisse en intelligence et se moralise chaque jour davantage. Lumière et justice ! Voilà, pour elle, les deux conditions du triomphe ; car ce sont des armes infaillibles dans les luttes sociales, comme dans les luttes internationales.

La lumière aidera l’Éthiopien à lire dans le passé ; une Sage philosophie lui indiquera la part qu’on doit faire aux faits, aux suggestions passées et présentes, toutes les fois qu’il faut établir un jugement et adopter une règle de conduite. Au lieu de grandir avec la haine au cœur, il répandra à profusion ce trésor d’inépuisable affection, qui lui est si particulièrement départi par la nature que ceux qui ne connaissent pas les qualités riches et variées de son tempérament, pensent qu’il reste femme dans le déploiement même de toutes les aptitudes de la masculinité. En face des autres races, quand il voudra se remémorer les jours d’humiliation où, abusant de la force, on le courbait sous le joug de l’esclavage, tirant de ses sueurs l’or destiné à payer la luxure du colon transformé en Sybarite, il tâchera de remonter plus haut, jusqu’aux époques protohistoriques. Toutes les périodes du passé se déroulant devant sa pensée, il se rappellera alors qu’il fut un temps où les sauvages Tamahou, et les humbles Amoû, fils de Sheth et de Japheth, étaient également courbés sous la férule de ses ancêtres noirs. Durement on les menait aussi. Les monuments gigantesques qui font la gloire immortelle de l’Égypte ancienne ont été cimentés par la sueur des blancs d’Orient et d’Occident. L’humanité est une dans le temps comme dans l’espace : les injustices des siècles passés compensent donc celles des siècles présents.

Il arrive, cependant, une phase de l’évolution historique des peuples, où las de représailles, les hommes longtemps en lutte sentent le besoin d’une conciliation régénératrice, mieux adaptée à leurs intérêts matériels et moraux. Sans céder à aucune inspiration d’utopiste ou d’illuminé, je crois que toutes les nations et toutes les races marchent, sous une impulsion irrésistible, vers cet état statique. Depuis que la Révolution française, brisant avec les vieilles traditions, a rendu l’homme plus grand et plus digne à ses propres yeux qu’il ne l’avait jamais rêvé, une superbe éclosion d’esprit s’est produite partout. La noble France, en inscrivant le principe de l’égalité dans les tablettes immortelles ou sont gravés les droits de l’homme, avait donné le branle. Sa voix a traversé les monts et les mers ; elle a été entendue sur la surface du monde entier. Cette voix sera écoutée à toujours. Quand bien même toutes les légions de l’esprit ancien, scolastique et théologique, se coaliseraient pour affirmer que les hommes ne sont pas égaux, que les races ne sont pas égales, la parole révolutionnaire retentirait comme le clairon du dernier jour dans l’intelligence et le cœur de chacun. C’est elle qui doit mettre en activité la force évolutive que nous savons commune à toute l’humanité ; oui, c’est elle qui doit conduire toutes les races à la conquête de la science et de la civilisation, ces fleurs tardives, mais éternellement belles, que pousse l’arbre humain dans toutes ses branches et dans tous ses rameaux !

Tous les hommes sont frères.

Ce sont là des paroles d’or. On les répète sans cesse, depuis le jour où le Prophète de Nazareth, dans sa douceur évangélique, étendit sa main sur les grands et les petits dans une bénédiction commune. Celui qui, en son cœur, concevrait le moindre doute sur cette fraternité humaine qui est devenue une des croyances fondamentales des sociétés modernes, aurait honte de manifester tout haut l’obsession de sa conscience. Il craindrait, en s’inscrivant contre le principe de solidarité qui attache chaque homme à la destinée de tous les hommes, de froisser le sens moral de tous ceux qui l’entourent. Mais faut-il le dire ? Cette fraternité universelle est restée pour la majeure partie des peuples civilisés une pure comédie ; il semble que les convenances seules la maintiennent dans les idées courantes. C’est que, logiquement, on ne saurait concevoir la fraternité en l’absence de l’égalité. Une telle conception répugnerait souverainement à toutes les saines notions de la philosophie et du droit moderne. L’égalité des races démontrée par la science, affirmée par des faits chaque jour plus nombreux, plus éloquents et incontestables, sera donc la vraie base de la solidarité humaine. Car on ne cimente jamais une alliance sincère par une injustice patente ; encore moins pourrait-on y édifier un engagement moral, où les parties se sentent liées les unes envers les autres par les raisons les plus élevées et les plus nobles que l’on puisse imaginer dans la nature humaine.

Ce sera l’honneur du XIXe siècle d’avoir vu poindre cette ère de la vraie religion, où l’homme donnera la main à l’homme, partout, en tout et à toute heure, pour marcher ensemble vers l’épanouissement du bien, vers l’amélioration générale de notre espèce.

Les races, se reconnaissant égales, pourront se respecter et s’aimer. En effet, leurs aptitudes sont généralement les mêmes ; mais chacune d’elles trouvera dans son milieu un stimulant spécial pour la production spontanée de certaines qualités exquises du cœur, de l’esprit ou du corps. Cela suffira pour qu’elles aient toujours besoin de se compléter les unes par les autres ; pour qu’elles vivent toutes et se développent, florissantes, sous les latitudes qui leur sont propres. Elles pourront bien s’entr’aider dans l’exploitation de la nature, sans qu’il y en ait des supérieures et des inférieures dans l’œuvre du progrès universel, où l’ouvrier et le penseur devront se rencontrer côte à côte, parmi les noirs comme parmi les blancs. Avec l’abandon des idées de domination et de suprématie que les unes nourrissent à l’égard des autres, on se rapprochera davantage, on s’étudiera, on apprendra à se connaître. Dieu sait quelle source de sentiments généreux et purs sera ouverte par cette nouvelle existence ! Les contrastes mêmes, examinés sans prévention, paraîtront comme autant d’attraits ; car bien appréciés, les contrastes ne se repoussent pas, ils s’appètent au contraire. Qui ne s’en aperçoit, quand, la première surprise passée, deux personnes de races différentes et nettement tranchées, s’abordent enfin, se communiquent par la parole, cette faculté exclusivement humaine ? Plus on a été frappé de la différence extérieure et physique, plus on jouit de cette découverte agréable, à savoir que le fond général de l’humanité est identique et constant, dans tous les groupes ethniques ! Selon que le degré d’instruction et le genre d’éducation seront les mêmes, les mêmes idées, les mêmes réflexions surgiront en même temps, à la vue d’un objet ou à l’audition d’un fait. De cet échange de sentiments sort et ressort la vraie fraternité parmi les hommes.

Il est certain que dans l’alliance universelle des peuples et des races, il y a et il y aura toujours des groupes avancés et des groupes arriérés. Ce qui existe, en petit, dans chaque nation doit exister tout naturellement dans la communauté des nations. Mais au lieu de diviser les hommes en races supérieures et races inférieures, on les divisera plutôt en peuples civilisés et peuples sauvages ou barbares. Parmi les civilisés même, il y aura des nations de premier ordre et des nations de dernier ordre, avec de nombreux intermédiaires. En un mot, chaque communauté nationale pourra être étudiée et reconnue inférieure ou supérieure en civilisation, quand on considère le degré de son développement sociologique comparé à l’idéal que nous nous faisons de l’état civilisé ; mais il ne sera plus question de race. Ce dernier mot implique une certaine fatalité biologique et naturelle, qui n’a aucune analogie, aucune corrélation avec le degré dlaptitude que nous offrent les différentes agglomérations humaines répandues ? sur la surface du globe. Personne n’est à apprendre maintenant qu’il existe une foule de Nigritiens plus civilisés, plus intelligents et instruits que la plupart des Caucasiens. Les représentants de la race mongolique en fourniraient des exemples encore plus éclatants. Mais alors, n’est-ce pas faire un abus des termes que de parler de races supérieures et de races inférieures ? Cet abus a malheureusement enfanté les plus pénibles conceptions. Ignorants et savants viennent chaque jour y sacrifier leur intelligence ou leur bon sens ; et ainsi s’est créé lentement, subrepticement, le plus grand obstacle à l’expansion du sentiment de la solidarité humaine, qui est le meilleur stimulant du progrès et de la prospérité de notre espèce. Il faut absolument réagir contre cet obstacle passé à l’état de préjugé.

Puisse donc ce livre contribuer à répandre la lumière dans les esprits et rappeler tous les hommes au sentiment de la justice et de la réalité ! En y réfléchissant, peut-être bien des savants européens, convaincus jusqu’ici de la supériorité de leur sang, seront-ils surpris de constater qu’ils ont été le jouet d’une méchante illusion. La situation actuelle des choses, les mythes et les légendes dont on a bercé leur enfance et qui ont présidé à la première éclosion de leur pensée, les traditions dont leur intelligence a été continuellement nourrie, tout les entraînait invinciblement à une doctrine, à une croyance que les apparences semblent si bien justifier. Mais peuvent-ils persévérer dans une erreur dont le voile est déchiré, sans renoncer à l’exercice de la raison qui est le plus bel apanage de l’humanité ? Le préjugé, qui fait croire qu’une couleur plus ou moins blanche est un signe de supériorité, restera-t-il éternellement ancré dans les meilleures têtes, malgré tous les faits qui en trahissent la fausseté ? Cela ne saurait être. La raison ne perdra pas ses droits. Quand ils auront vu, comme dans un miroir, les suggestions extériorisées de leur propre entendement, ils les pèseront et les examineront. Je ne doute pas qu’ils ne s’empressent alors de rejeter des idées qui n’ont rien de conforme au tempérament intellectuel et moral de notre siècle.

Revenus à la vérité, ils reconnaîtront que les hommes sont partout doués des mêmes qualités et des mêmes défauts, sans distinction de couleur ni de forme anatomique. Les races sont égales ; elles sont toutes capables de s’élever aux plus nobles vertus, au plus haut développement intellectuel, comme de tomber dans la plus complète dégénération. À travers toutes les luttes qui ont accablé et accablent encore l’existence de l’espèce entière, il y a un fait mystérieux qui subsiste et se manifeste mystérieusement à notre esprit. C’est qu’une chaîne invisible réunit tous les membres de l’humanité dans un cercle commun. Il semble que, pour prospérer et grandir, il leur faut s’intéresser mutuellement les uns aux progrès et à la félicité des autres, cultivant de mieux en mieux les sentiments altruistes qui sont le plus bel épanouissement du cœur et de l’esprit de l’homme.

La doctrine de l’égalité des races humaines, apportant dernière consécration à ces idées rationnelles, devient ainsi une doctrine régénératrice et éminemment salutaire au développement harmonique de l’espèce ; car elle nous rappelle la plus belle pensée d’un grand génie : « Tous les hommes sont l’homme » et la plus douce parole d’un enseignement divin : « Aimez-vous les uns les autres ».


FIN.
  1. Th. Ribot, De l’hérédité, p. 390.
  2. John Lubbock, Prehistoric times, p. 615.