II


De toute antiquité, les femmes ont eu de la prédilection pour les sots. Alcibiade, Socrate et Platon ont été sacrifiés par elles aux fats de leur temps. Turenne, la Rochefoucauld, Racine et Molière ont été trahis par leurs maîtresses pour des sots notoires. Au siècle passé, toutes les bonnes fortunes ont été réservées aux petits abbés. Nos contemporaines, s’autorisant de ces illustres exemples, continuent à idolâtrer les descendants de ceux qu’adoraient leurs grand’-mères.

Nous n’entendons point blâmer un penchant qui paraît incurable : nous voulons seulement le motiver.

Pour peu que l’on soit observateur et qu’on ait vu le monde, on sait que la sottise est, presque toujours, un gage de succès. Malheureusement, ne jouit pas qui veut des avantages de la sottise. La sottise est plus qu’une supériorité ordinaire : c’est un don, c’est une grâce, c’est une marque divine. On naît sot : on ne le devient pas.

Toutefois, comme l’esprit et comme le génie, la sottise naturelle se fortifie et s’étend par l’usage que l’on en fait. Elle reste à peu près stationnaire chez le pauvre diable, qui a rarement l’occasion de l’appliquer ; mais chez les hommes que la fortune ou la position sociale met de bonne heure en contact avec le monde, elle prend promptement des proportions démesurées. C’est ce concours de la sottise innée et de la sottise acquise qui produit la plus redoutable espèce de sots, les sots que l’académicien Trublet appelle les sots accomplis, les sots de toutes pièces, les sots à l’apogée de la sottise.

Le sot est béni du ciel, parce qu’il est sot ; et, parce qu’il est sot, quelque carrière qu’il embrasse, il est sûr de réussir. Il ne sollicite pas les places ; il les prend en vertu du droit qui lui est propre : Nominor leo. Il ignore ce que c’est que d’être rebuté ou honni : où qu’il arrive, il est fêté comme le convive qu’on attend.

Que pourrait-on lui opposer comme obstacle ? Il met tant d’énergie dans le choc, tant d’ensemble dans les efforts, tant de sécurité dans le résultat ! C’est la roche détachée qui roule, court, bondit et fait son chemin toute seule, précipitée par sa propre masse.

Le sort lui sourit tout particulièrement auprès des femmes. Jamais une femme n’a résisté à un sot. Jamais un homme d’esprit n’a eu impunément un sot pour rival. Pourquoi ?… Hélas ! est-il besoin de le demander ? En affaires d’amour, le parallèle à établir entre le sot et l’homme d’esprit n’est-il pas tout à la confusion de ce dernier ?