De Paris à Bucharest/Chapitre 55


LV

AU MONASTÈRE D’ARGIS.


Légende de l’église d’Argis. — Arrivée à Argis. — L’évêque. — Le Père Athanase. — Le carême et le cognac. — Ce que permet la règle. — Description de l’église d’Argis.

En approchant d’Argis, je lus la touchante légende que se sont transmise les générations au sujet de la construction de son église.

Je la retrouvai plus loin, encore très-vivace, dans la croyance populaire.

Quoiqu’on ne doive guère demander à une légende autre chose que l’expression poétique de la manière d’être d’un peuple à l’époque qu’elle semble peindre, je dois avertir que la ballade qu’on va lire consacrerait une erreur de plus de deux cent cinquante ans, si on acceptait Rodolphe le Noir (Négru Voda, le Noir Voïvode) comme le principal personnage qu’elle met en scène. La ville d’Argis fut fondée par lui vers 1250, mais l’église n’a été achevée, on vient de le lire, qu’en 1518, et on n’y voit pas trace de deux âges aussi différents d’architecture.

LA LÉGENDE DE L’ÉGLISE D’ARGIS[1].

Le long de l’Argis, sur un beau rivage, passe Négru Voda avec ses compagnons, neuf maîtres maçons et Manol dixième, à tous supérieur. Ensemble ils vont choisir, au fond de la vallée, un bel emplacement pour un monastère.

Voici qu’en chemin ils font rencontre d’un jeune berger jouant de la flûte, jouant des doïnas. En l’apercevant, le prince lui dit :

« Gentil bergeret joueur de doïnas, tu as remonté le cours de l’Argis avec ton troupeau ; tu as descendu le cours de l’Argis avec tes moutons ; n’aurais-tu pas vu, par où tu passas, un mur délaissé et non achevé dans le vert fouillis des noisetiers ?

— Oui, prince, j’ai vu par où j’ai passé un mur délaissé et non achevé ; et mes chiens se sont élancés hurlant la mort comme en un désert. »

Le prince, à ces mots, devient tout joyeux et repart soudain, allant droit au mur avec ses maçons, neuf maîtres maçons et Manol dixième, à tous supérieur.

« Voici le vieux mur, ici je choisis un emplacement pour un monastère. Or, vous, mes maçons, mes maîtres maçons, jour et nuit en hâte mettez-vous à l’œuvre, afin de bâtir, d’élever ici un beau monastère sans pareil au monde ; vous aurez richesse et rang de boyards ! ou sinon, par Dieu ! je vous fais murer, murer tout vivants dans les fondements. »

Les maçons en hâte tendent leurs ficelles, prennent leurs mesures et creusent le sol. Bientôt ils bâtissent, bâtissent un mur ; mais tout le travail du jour dans la nuit s’écroule ; le second jour, de même ; le troisième, de même ; le quatrième, de même ; les efforts sont vains, car tout le travail du jour dans la nuit s’écroule.

Le prince étonné leur fait des reproches, puis, dans sa colère, de nouveau menace de les murer tous dans les fondements.

Les maçons se remettent à l’œuvre et travaillent en tremblant et tremblent en travaillant, tout le long d’un jour d’été, d’un grand jour, jusqu’au soir.

Voilà que Manol quitte ses outils, se couche et s’endort et fait un rêve étrange ; puis soudain se lève et dit ces paroles :

« Vous, mes compagnons, neuf maîtres maçons, savez-vous quel rêve j’ai fait en dormant ?

« Une voix du ciel m’a dit clairement que tous nos travaux iront s’écroulant, jusqu’à ce qu’ensemble nous jurions ici de murer dans le mur la première femme, épouse ou sœur, qui apparaîtra demain à l’aurore, apportant des vivres pour l’un d’entre nous.

« Donc, si vous voulez achever de bâtir ce saint monastère, monument de gloire, jurons tous ensemble de garder le secret, jurons d’immoler, de murer dans le mur, la première femme, épouse ou sœur, qui apparaîtra demain à l’aurore. »

Voici qu’à l’aurore Manol s’éveille et, en s’éveillant, il grimpe aussitôt, d’abord sur la haie, puis il monte encore sur l’échafaudage, et regarde au loin les champs et la route. Mais qu’aperçoit-il ? que voit-il venir ? C’est sa jeune épouse, la Flora des champs !

Elle s’approchait et lui apportait des mets à manger et du vin à boire. Manol la voit ; lors sa vue se trouble et, saisi d’effroi, il tombe à genoux, joint les mains et dit :

« Ô Seigneur, mon Dieu ! répands sur la terre une pluie écumante qui trace des ruisseaux et creuse des torrents ; que les eaux se gonflent pour inonder la plaine et forcent ma femme de rebrousser chemin. »

Dieu prend pitié et, à sa prière, assemble les nuages qui dérobent le ciel ; soudain il en tombe une pluie écumante qui trace des ruisseaux et coule en torrents ; mais elle ne peut arrêter l’épouse, qui toujours avance, traverse les eaux et toujours approche. Manol la voit et son cœur en gémit : il s’incline encore, joint les mains et dit :

« Ô Seigneur, mon Dieu ! déchaîne un grand vent au loin sur la terre qui torde les platanes, dépouille les sapins, renverse les montagnes, et force ma femme de s’en retourner loin de la vallée. »

Dieu prend pitié et, à sa prière, déchaîne un grand vent du ciel sur la terre. Le vent souffle, siffle, il tord les platanes, dépouille les sapins, renverse les montagnes ! Mais il ne peut encore arrêter l’épouse qui toujours avance, fait de longs circuits, mais toujours approche, approche, ô malheur ! du terme fatal.

Pourtant les maçons, neuf maîtres maçons, éprouvent à sa vue un frisson de joie, tandis que Manol, la douleur dans l’âme, la prend dans ses bras, grimpe sur le mur, l’y dépose, hélas ! et lui parle ainsi :

« Reste, ma fière amie, reste ainsi sans crainte, car nous voulons rire, pour rire te murer. »

La femme le croit et rit de bon cœur, tandis que Manol, fidèle à son rêve, soupire et commence a bâtir le mur.

La muraille monte et couvre l’épouse jusqu’à ses chevilles, jusqu’à ses genoux ; mais elle, la pauvrette, a cessé de rire, et saisie d’effroi se lamente ainsi :

« Manoli, Manol, ô maître Manol, assez de ce jeu, car il est fatal ! Manoli, Manol, ô maître Manol, le mur se resserre et brise mon corps ! »

Manoli se tait et bâtit toujours, le mur monte encore et couvre l’épouse jusqu’à ses chevilles, jusqu’à ses genoux et jusqu’à ses hanches, et jusqu’à son sein. Mais elle, ô douleur ! pleure amèrement et se plaint toujours :


Manoli, Manol,
Ô maître Manol !
Assez de ce jeu,
Car je vais être mère.
Manoli, Manol,
Le mur se resserre
Et tue mon enfant ;
Mon sein souffre et pleure
Des larmes de lait.

Mais Manol se tait
Et bâtit toujours,
Le mur monte encore
Et couvre l’épouse
Jusqu’à ses chevilles,
Jusqu’à ses genoux,
Et jusqu’à ses hanches,
Et jusqu’à son sein,
Et jusqu’à ses yeux,
Et jusqu’à sa tête,
Si bien qu’aux regards
Elle disparaît,
Et qu’à peine encore
On entend sa voix.
Gémir dans le mur :

Manoli, Manol,
Ô maître Manol !
Le mur se resserre
Et ma vie s’éteint.


Le long de l’Argis, par un beau rivage, Négru Voda vient faire ses prières au saint monastère, monument de gloire sans pareil au monde ; le grand prince arrive et en le voyant, devient tout joyeux et s’exprime ainsi :

« Vous les architectes, les maîtres maçons, déclarez ici la main sur le cœur, si votre science peut me construire un autre monastère, monument de gloire plus grand et plus beau. »

Les maîtres maçons, les dix architectes penchés sur le toit, se sentent à ces mots tout joyeux, tout fiers et répondent ainsi :

« Il n’existe pas ici, sur la terre, pareils à nous dix, dix maîtres maçons ; sachez qu’à nous dix nous pouvons construire un autre monastère plus grand et plus beau. »

Le prince à ces mots devient tout pensif ; puis avec un méchant rire, soudain il commande qu’on brise l’échelle et l’échafaudage et qu’on abandonne là-haut sur le toit, les pauvres maçons afin qu’ils expirent.

Mais eux à l’instant, sans perdre la tête, tiennent un conseil et se construisent des ailes volantes avec des planchettes, et puis les étendent et volent dans l’air. Mais hélas, ils tombent et après leur chute se changent en pierres.

Or quant à Manol, au maître Manol, juste au moment même où il prend l’élan, voilà qu’il entend sortir des murailles une voix chérie, faible et étouffée, qui pleure, gémit et se plaint ainsi :


Manoli, Manol,
Ô maître Manol !
Le mur froid m’oppresse,
Et mon corps se brise,
Et mon sein s’épuise,
Et ma vie s’éteint.


À ces mots touchants Manoli pâlit, son esprit se trouble, ses regards se voilent ; il voit tout tourner, ciel, terre et nuages, et du haut du toit il tombe soudain. La place où il tombe se creuse en fontaine, fontaine d’eau claire, amère et salée, eau mêlée de larmes, de larmes amères.


À Argis, la vallée est devenue si étroite que la rivière avec ses trois bras assez resserrés, semble la couvrir tout entière. La ville n’est qu’une longue rue à maisons de bois ; de chaque côté de cette rue, sur le bord de l’eau, et sur plusieurs collines, des cabanes entourées d’arbres sont dispersées au milieu de champs de maïs. Cette première capitale de la Valachie n’a gardé, de son passé, que son monastère, situé à un quart de lieu du bourg, et à un kilomètre de la route de Bucharest à Hermanstadt, sur une légère éminence de la rive gauche. Ses quatre tours aux dômes d’étain, dominent le paysage encadré par les profils sévères et anguleux des premiers escarpements des Carpathes qui ferment la vallée.

On entre à la kurtéa de Argis par une poterne ouverte sous une haute tour percée de meurtrières comme un donjon du moyen âge. On pénètre dans une première cour où sont les écuries et les remises, puis dans une seconde, formée par quatre bâtiments composant le monastère et au centre de laquelle est l’église.

Les monastères de Valachie sont des établissements hospitaliers avant tout : l’hospitalité s’y pratique avec une simplicité antique.

L’évêque que nous aperçûmes dès l’entrée, était assis sur un large balcon de pierre, abrité sous un dais de menuiserie légère, peint et doré, entouré de quatre ou cinq moines à longues barbes et à longs cheveux, vêtus de noir et gardant une immobilité et un silence respectueux.

Il nous reçut avec une majesté douce et, notre lettre d’introduction lue, dirigea lui-même notre installation dans un appartement très-confortable, mit à notre disposition un moine, en nous recommandant d’en user comme s’il était à nous, et, appuyé sur l’épaule d’un jeune novice beau comme une femme, retourna s’asseoir sur son divan pour y attendre de nouveaux hôtes.

À la vue de cette mise en scène, de ces costumes, de ces physionomies, de ces gestes d’une autre civilisation, j’avais éprouvé une sorte de stupéfaction qui devait se peindre naïvement sur ma figure : je voyais vivre devant moi un monde que je croyais mort et que je ne connaissais que par des miniatures byzantines sur lesquelles il semblait copié, j’étais presque craintif devant ces figures calmes jusqu’à la rigidité, à la démarche majestueuse, aux gestes austères que rien ne semblait troubler dans leur sainte méditation.

Le père Athanase, chargé par l’évêque de veiller à la satisfaction de nos désirs, ne me laissa pas longtemps sous le poids de cette respectueuse intimidation. Dès qu’il ne fut plus en présence de Sa Grandeur, sa bouche jusqu’alors modestement fermée, s’ouvrit largement, et il en sortit, en flots sans cesse renaissants, des assurances de bien venue, des appels de bénédictions célestes, et des offres de rafraîchissements. Son expression témoignait de tant de sincérité que j’acceptai tout.

Bon père Athanase ! quelle singulière tête il avait quand la présence de l’évêque ne la pétrifiait pas. Sa carnation jaune, ses cheveux noirs à reflets bleus, ses yeux blancs à paupières bistrées, ses pommettes saillantes, son front bas et fuyant, lui donnaient un peu la physionomie d’un jeune buffle. Sa mâchoire se projetait en avant, et son rire facile tirait si brusquement en arrière toute la peau de ses joues plates, en découvrant ses longues dents déchaussées, que je m’imaginais voir sous ses rides, la ficelle qui déterminait cette grimace


Fontaine près du monastère d’Argis. — Dessin de Lancelot.


de gaieté à laquelle le haut de la face ne participait que dans les grandes occasions. Son esprit me parut à la hauteur de sa physionomie et je mis toute mon attention à l’étude de l’un et de l’autre. Il assista religieusement aux trois repas que nous fîmes à Argis et, tout en dirigeant le service, digne d’une hospitalité épiscopale, causait de tout avec une loquacité et une complaisance qu’aucune question ne trouvait en défaut ; ses gestes multipliés et frétillants correspondaient à la vivacité de ses paroles : tout en nous recommandant affectueusement certains plats, le poulet au raisin de Corinthe ou le piment enragé à la maître d’hôtel ; tout en nous versant lui-même, trouvant que les serviteurs n’y mettaient pas assez d’empressement, le vin justement vanté de Dragas’han, il nous mit au courant du dogme de l’Église grecque et de la pratique de ses quatre grands carêmes dont l’un commençait.

Il nous parla de la France avec un enthousiasme flatteur, mais fort ignorant. L’Empereur égale dans son esprit, comme organisateur et réformateur saint Bazile et saint Jean Chrysostome. En faveur de sa glorieuse campagne d’Italie, il lui pardonnait d’avoir été si longtemps à introduire en France la sanctification de l’Immaculée-Conception.

Il nous parla, aussi longuement de l’Impératrice dont l’image est parvenue jusqu’à lui ; il nous dépeignit sa beauté avec des roulements d’yeux et des sourires à longues dents qui le faisaient ressembler à une hyène faisant des gentillesses pour avoir un morceau de sucre. Il s’agitait dans sa longue et large robe noire avec des ondulations et des frétillements d’anguille, et termina sa poétique période par un éclat de rire qui lui sortit du nez scandé comme un bruyant hennissement. Nous lui offrîmes de boire, à la santé de l’auguste objet de son admiration, un verre d’excellent cognac dont nous avions provision en lui exprimant la crainte que le carême ne s’opposât à cette libation ; il en but deux en nous disant : « La règle commande au moine de jeûner, mais elle lui permet de boire. »

L’église d’Argis est, dans son plan, ainsi que par la disposition de ses quatre tours qui se touchent presque, son élévation trapue, et la simplicité de ses profils à grandes saillies heurtées, l’exacte reproduction d’une châsse byzantine. Il semble que l’architecte ait pris pour modèle un de ces charmants bijoux d’orfévrerie émaillée, ornés de pierres précieuses, et qu’il se soit plu à en reproduire toutes les capricieuses recherches de détails et jusqu’aux puériles difficultés d’exécution ; ce qu’on voit par exemple, dans le dessin des ouvertures étroites contournées en spirale des deux petites tours.

Aux corniches qui sont lourdes et massives, on reconnaît quelques détails empruntés au style arabe.

Quoique riche et variée, l’ornementation en général est composée de motifs dus à des combinaisons de lignes géométriques où prédominent le cercle et le carré.

Les moines disent que les différents sujets d’ornementation, aiguilles portant la triple croix au sommet des tours, couronnes autour des dômes, patères saillantes, entre les fausses arcades, encadrements des fenêtres, cordons et corniches, sont au nombre de trois cent soixante-cinq et qu’on ne trouve dans aucun détail un agencement de lignes répété ailleurs.

Ces moines patients aiment-ils à se distraire de leurs graves méditations par la comparaison bien difficile de ces légères ciselures, dont quelques-unes sont tellement compliquées et fines comme des dentelles qu’elles échappent à toute perception nette ? Ont-ils vraiment contemplé une à une ces trois cent soixante-cinq inspirations d’un pieux artiste, semées comme autant de prières sur les murs du temple que la prière doit toujours habiter ?


Un four à Argis. — Dessin de Lancelot.


Je ne sais. Cette prodigieuse variété n’ajouterait rien d’ailleurs à la grâce naïve de l’édifice.

Ce qui me paraît merveilleux, c’est l’isolement de cette œuvre qui semble ne pas avoir emprunté le secours d’artistes étrangers. On ne se rend pas compte de l’existence d’une école d’architecture déjà avancée, à une époque où les autres arts et les sciences étaient pour ainsi dire inconnus. La construction, du reste, en est patiente et soignée plus que savante. La nef carrée et le chœur en croix massive supportent par la seule épaisseur de leurs murailles les tours et les coupoles appareillées avec la plus grande simplicité. À l’intérieur, les murs sont couverts de peinture sur fond d’or. Les sujets apocalyptiques et les figures de saints sont traités dans cette manière byzantine qui fait moins de cas des apparences de la vie que de la richesse des costumes et de l’éclat des accessoires. Le portrait de Nagu-Bassaraba, de proportions gigantesques et dépassant de la tête tous les saints, comme il convient à un si zélé bâtisseur de monastères, occupe la place d’honneur ; il est vêtu d’un riche costume hongrois, tout brodé d’or et de perles et porte au front une couronne étincelante de pierreries. Le seul détail vrai peut-être dans cette figure aux traits pétrifiés, serait la longue chevelure blonde qui lui tombe sur les épaules.

Le chœur est séparé de la nef et fermé par le catapetazma (voile du sanctuaire), lambris sculpté à jour peint de couleurs éclatantes où l’or domine et encadre les images de la Vierge et du Christ. Il est percé de trois portes. Celle du milieu qui conduit au sanctuaire n’est franchie que par le prêtre officiant, les deux autres servent aux acolytes. On sait que dans le rite grec l’hostie n’est pas consacrée à la vue des assistants. Au moment de l’élévation, le prêtre, suivi de ses deux acolytes, fait le tour de l’église, rentre dans le sanctuaire, dépose l’hostie sur l’autel et disparaît derrière le voile qui se referme.

Du haut des voûtes pendent des lustres de cuivre doré, dont les nombreuses lumières font scintiller, dans le chœur et dans la nef, les reliquaires, les châsses et les saintes images aux figures peintes et aux vêtements d’orfévrerie. La lumière du jour pénètre à peine par les étroites ouvertures des coupoles, ou en filtrant au travers des étroites meurtrières des murs latéraux.

Tout le charme de l’église d’Argis est dans le style de son ornementation, emprunté aux miniatures byzantines, seules sources où maître Manol a puisé.

Le goût de cette ornementation n’est pas moins familier aux femmes roumaines, qui ne doivent l’avoir connu que par l’imagerie byzantine. On le retrouve surtout chez les paysannes.

Autour de l’église se groupent les bâtiments du cloître, les cellules assez peu confortables des moines, les salles de réceptions et les logements des hôtes qui témoignent de l’hospitalité la plus généreuse ; en face une chapelle moderne couverte extérieurement d’horribles fresques à figures plus grotesques que mystiques. Devant l’église est un petit monument d’une élégance hardie qui porte, suspendue à sa voûte, la barre de fer plate, sur laquelle on sonne les offices, à l’aide d’un marteau.

En dehors de l’enceinte du monastère on voit aussi une petite construction assez ancienne et assez délabrée, du soubassement de laquelle jaillit par trois bouches étroites une eau limpide et fraîche. Est-ce la fontaine de la légende qui donne de l’eau salée mêlée de larmes amères ? J’en bus et la trouvai douce. Des femmes y emplissaient leurs donices et des canards s’ébattaient dans le ruisseau qui s’en échappe et court entre les pierres jusqu’à l’Argis avec un murmure plus gai que triste.

Dans la partie du village, cachée sous les arbres au bord de l’eau, je vis un four de boulanger qui me parut un modèle de simplicité, moins encore cependant qu’une maison de forgeron tzigane qui ne serait qu’un affreux terrier sans les branchages qui l’enveloppent et l’abritent avec un soin où l’on devine une voluptueuse recherche de l’ombre.

  1. Traduction de Bazile Alexandre.