De Mazas à Jérusalem/4/Bien fol est qui s’y fie

Chamuel (p. 181-183).
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IV. — Le grand trimard


BIEN FOL EST QUI S’Y FIE


Des individus pénétrèrent, armés, galonnés, bruyants.

Le parloir où le consul indigène me signifiait l’arrestation se transformait en poste de police.

Le missionnaire et l’aumônier restaient là, silencieux, gênés — à titre de témoins requis. Je les félicitai du rôle. L’hôpital — subventionné peut-être ? — se prêtait au guet-apens…

Des cavas et des drogmans, sorte de janissaires des consuls, en uniforme de parade, vinrent à moi pour me fouiller.

On me prit argent et papiers, lettres d’amis, notes de voyage ; on m’arracha ma sacoche et cela si brutalement que la patience un instant m’échappa : je repoussai d’une gifle un drogman.

La bagarre qui s’ensuivit fut cruelle pour mes habits, pour mon chapeau qu’on défonça ; j’y perdis aussi une pleine poignée de cheveux. À travers les jardins de l’hospice, les gens du consulat me traînèrent jusqu’à un pavillon où je fus enfermé dans une chambre solidement grillagée.

Le singulier diplomate au jargon joyeux vint me narguer derrière les barreaux : j’avais grand tort de n’être pas satisfait. La France est puissante en Orient. Tout ça était régulier. J’étais arrêté en vertu des bonnes Capitulations.

— Capitulations, rappelez-vous… un traité de la Sublime Porte avec le grand François Ier.

Je restai quinze jours dans ma cellule, gardé à vue. Ce local avait été choisi parce qu’on le jugeait plus sûr que la prison même.

J’étais flatteusement entouré d’un luxe de précautions.

Non loin de ma chambre les janissaires avaient monté leur tente et je les entendais jusqu’à très tard dans la nuit psalmodier leur chant monotone, et je voyais toujours l’un d’eux passant et passant devant ma fenêtre, armé d’un luisant cimeterre.

Parfois dans les allées du jardin, sous les palmiers, j’apercevais une cornette blanche vite disparue. On eût dit de grands oiseaux effarouchés par le regard.

Les journées étaient toutes les mêmes, longues et sans l’illusion de lendemains meilleurs. Mon sort apparaissait trop clairement. Un prochain navire m’emporterait sans plus de formes.

C’était une extradition.

Extradé pour délit de presse ! À cause de François Ier !!

Et c’était en perspective la mère-patrie qui me rouvrait ses bras — ses bras en portes de prison.