De Mazas à Jérusalem/3/Ta-ra-ra-boum-de-hay !

Chamuel (p. 88-95).
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III. — Villégiature anglaise


TA-RA-RA-BOUM-DE-HAY !


Il existe des braves gens qui en veulent encore aux Anglais parce qu’ils ont brûlé Jeanne d’Arc. S’il y eut des compatriotes à nous dans l’affaire et particulièrement un évêque, ce mauvais Français était bien digne d’être Anglais :

— Tous les Anglais sont des Cauchons !

Les derniers fidèles de la vierge de Domrémy l’affirment d’un ton convaincu. Ils vont trop loin évidemment. Mais, ma foi, j’aime mieux leur fervente exagération que les « all right » à perpétuité des énervants anglomanes.

Lors des récentes élections, la plupart des journaux français vantaient l’exemplaire spectacle qu’elles offraient en Angleterre. Des adversaires acharnés du parlementarisme eux-mêmes sucraient leur plume pour dépeindre les steeple-chases courus sur les hippodromes électoraux de la Grande-Bretagne.

On appelait ça des élections loyales !

Or, plus dégradante comédie ne s’était sans doute jouée jamais :

On voyait en tous sens, par les villes, les voitures enrubannées conduites par des cochers à la boutonnière fleurie de rosettes multicolores ; ces carrioles de fête allaient à domicile chercher les électeurs — un à un. Et l’électeur descendait, prenait place dans la charrette ou dans le cab, ayant à sa droite, ayant à sa gauche les raccoleurs d’un candidat. C’était la libre marche aux urnes. Le doux électeur disparaissait presque, cahoté entre les deux compères encombrants qui le sermonnaient ; il se laissait conduire résigné pour le vote… et vraiment non, nulle part, le pauvre peuple souverain n’avait dû faire si triste mine.

Ici les aspirants députés qui finissent toujours par mener leurs électeurs en bateau, les promènent d’abord en voiture. C’est dans les mœurs. On sera bien forcé d’en convenir : le pays a moins de préjugés que l’on n’en conserve à Loches par exemple où, pour un pareil motif, un candidat fut disqualifié.

Il est à propos de souligner que ce candidat s’appelait Wilson — encore un nom anglais.

Si tout cela ne paraît pas bien grave, il y a mieux.

Les révolutionnaires qui, sur la foi de la traditionnelle hospitalité, viennent à Londres, tombent dans une souricière…

Les symptômes sont probants.

La « sirène », avec ses libertés jurées, attire les proscrits et les incite à ne plus prendre le souci de se tenir sur leurs gardes. Ils viennent le visage découvert. On les accueille. L’expulsion est inconnue ! Oui, mais l’espionnage est constant. On suit les réfugiés, on s’enquiert de leur adresse, de leurs occupations. Les révolutionnaires sont comme parqués dans l’île ; on les tient sous la surveillance et comme à la disposition — il y a entente avec le continent.

Ce sera peut-être demain le coup de filet !

Il faut s’attendre aux pires procédés de la part d’un peuple où l’esprit du négoce est tellement développé qu’il doit admettre instinctivement toutes les compromissions lucratives.

Le libéralisme des institutions n’est qu’un mot : on a le droit de se reposer le dimanche, on n’a pas celui de travailler à sa guise ; et c’est ainsi, dans les moindres détails, un éternel trompe-l’œil.

J’admire la philosophie de ces exilés qui répètent :

— Puisque nous sommes à l’étranger, ne nous occupons pas de ce qui s’y passe ; ne compromettons pas notre refuge. Tenons-nous tranquilles.

Ce raisonnement-là sonne faux. Si nous avions voulu rester muets nous ne serions pas ici. Nous avons quitté les cités où nous aimions vivre parce qu’avant tout il nous plaisait de dire à voix haute nos révoltes. Nous n’avons pas changé depuis. Et nous continuerons à dénoncer les vilenies par les pays où le sort… et les gendarmes nous conduiront.

À cette heure c’est l’Angleterre, parlons donc de l’hypocrisie.

Ne prétend-on pas que la liberté individuelle est chose sacrée, que le home est inviolable ?

Voyons un peu :

Pas plus tard que la semaine passée, au milieu de la nuit, une maison de Campton Street est envahie par vingt individus, revolver au poing. Ces hommes ne sont pas, comme on pourrait le croire, des pauvres diables nécessiteux, ce sont des malfaiteurs vulgaires — des policiers. Ils ont escaladé des toits, brisé des vitres et en file indienne, ils dégringolent maintenant par une fenêtre donnant sur les escaliers. Le propriétaire réveillé en sursaut bondit de son lit en criant :

— Qui va là ?

Pas de réponse. Les agents se répandent à tous les étages, défoncent les portes à coups d’épaule, terrorisant les locataires surpris dans leur sommeil. Ils pénètrent d’autorité dans la chambre d’une femme malade. Rien ne les arrête. L’habitation est bientôt sens dessus dessous de la cave au grenier. Les envahisseurs perquisitionnent, fouillent dans les meubles, lisent les lettres qu’ils trouvent. Et quand enfin le chef de bande daigne s’expliquer :

— Nous pensions que vous cachiez quelqu’un, dit-il, quelqu’un que nous recherchons. Bonne nuit ! nous nous serons trompés de maison…

Le lendemain matin les personnes dont le domicile a été si outrageusement violé s’en vont trouver le magistrat. Les juges anglais, c’est entendu, sont l’impartialité même — on en demande pour l’exportation. Au moins les plaignants seront vengés :

— Est-ce possible cela, chez nous ? s’écrie l’honnête magistrat. C’est indécent, c’est shocking. Le home doit être respecté ? Justice sera rendue… Quel dommage que je ne puisse rien.

— Comment ?

— Ce n’est pas de ma compétence. Cependant vous ne manquerez pas d’obtenir satisfaction. Adressez-vous à la police.

— Mais c’est elle précisément…

— C’est elle que ça regarde.

Dans la journée en effet un inspecteur de la sûreté se présenta à Campton Street. Il était muni de pleins pouvoirs et venait pour arranger les choses — les choses sacrées !

Comme le temps est de la monnaie, son discours fus très concis :

— Voici vingt-cinq francs, Monsieur, vous êtes payé — n’en parlons plus…

… Et les journaux ont fait le silence. Nulle protestation ne s’est élevée. Les citoyens de la libre Albion gardent leur part de complicité.

La bonne foi de ces insulaires n’est, à présent, plus discutable. Lorsqu’ils détaillent leurs principes ils font l’effet de danser la gigue.

C’est la vertu nationale.

Ta-ra-ra boum-de-hay ! Ta-ra-ra-boum-de-hay ! Qu’on chante le refrain populaire — le refrain qui ne veut rien dire.

La vieille renommée anglaise ne signifie pas davantage.