Texte établi par Fides (p. 95-98).

Le culte à Marie
aux Anges Gardiens

Le culte qu’elle rendit à Marie se nuançait de diligence et de grâce. Comme elle eut l’occasion de le dire, c’est la dévotion mariale de Marguerite Bourgeoys et de ses Filles qui l’attira fortement à la Congrégation.

En apparence, nous avons un paradoxe. Celle-ci voit en Marie la femme « voyagère » qui court auprès d’Élisabeth, suit le Sauveur, chemine avec les apôtres, s’en va faisant le bien. Elle a constamment développé ces points dans ses instructions. À son exemple, les Filles séculières parcourraient la province pour enseigner. Par contre, Jeanne Le Ber conçoit Marie dans l’intimité du foyer. Elle la voit quiète et sage, préparant les repas, cousant les habits, essuyant la poussière, s’abandonnant au recueillement de son cœur. Elle avait à son mur, une image représentant « l’Intérieur de Marie » qu’elle reproduira dans la chasuble (de Notre-Dame), conservé encore au musée de l’église Notre-Dame.

Le paradoxe se résout si l’on saisit que l’une et l’autre imitaient deux aspects différents de la même personne qui avait fourni au Christ, comme le dit sainte Catherine de Sienne, la chair qui serait crucifiée. Ce fait n’entraîna pas dans ces femmes des sentiments d’inimitié. Bien au contraire, Marguerite Bourgeoys parle de la recluse, plus jeune qu’elle, avec beaucoup d’estime. Elle constate que l’autre représente un Ordre différent, très élevé aussi. Quant à Jeanne, elle aura l’occasion de rencontrer quelques religieuses de la Congrégation qui passent par des crises spirituelles. C’est alors qu’elle leur dira, avec volubilité, le bien qu’elle pense de la Congrégation de Notre-Dame et de sa fondatrice. Ses paroles indiquent qu’elle n’ignorait rien des idées de la sainte exprimées verbalement ou par écrit. Elle les tenait en haute considération. Elle en parlait avec tant de chaleur que les sœurs repartaient le cœur ardent.

Tous ces faits posent le problème historique des relations de Marguerite Bourgeoys et de Jeanne Le Ber. Les historiens de l’une et de l’autre ne nous les représentent guère l’une en face de l’autre, se parlant et se comprenant. Ils mentionnent quelques rencontres auprès du cadavre de Jeanne Le Moyne ou de Vincent Le Ber, quand Jeanne est déjà confinée dans son reclusoir et ne peut plus parler. On ne sait pas, de science certaine, si Marguerite enseigna elle-même à l’enfant. Puis, celle-ci part pour le monastère des Ursulines. Au retour, quand elle choisit sa vocation, pendant trois ans, rendit-elle visite à la Supérieure pour explorer la voie de la Congrégation, comme faisaient ses cousines et son amie, Marie Charly ? Sur ces points, aucun renseignement précis. Il reste que toutes deux vivaient dans le même temps, dans une ville ou, plutôt, un village qui ne comptait pas encore beaucoup d’habitants : quelques centaines d’abord, puis ensuite, quelques milliers. Elles se sont certainement vues, se sont parlé et plus d’une fois. Ainsi, à un baptême, Marguerite est la marraine et Jacques Le Ber, le parrain. Jeanne vit dans son ambiance, dans son sillage. Son rêve de s’attacher aux Religieuses séculières indique une connaissance précise de l’atmosphère de la communauté.

Église Notre-Dame de Pitié (rue Saint-Laurent, près de la rue Notre-Dame). Bâtie en 1856 sur l’emplacement de la cellule de Jeanne Le Ber et en souvenir de la sainte recluse. Démolie en 1912. Image de la Vierge, remise par Jeanne Le Ber à sa cousine Anne Barroy en 1711, lors de l’invasion du Canada par les Anglais. Jeanne y avait écrit une prière.

Chape brodée au fil d’or, d’argent et de soie par Jeanne Le Ber. Conservée
à la sacristie de la maison mère de la Congrégation de Notre-Dame.
Calice, ostensoir et ciboire donnés par Mlle Jeanne
Le Ber aux Sœurs de la Congrégation de Notre-Dame.

Elles vivent un peu plus de cinq ans dans le même édifice, rapprochées l’une de l’autre. Marguerite se sera dépouillée du rôle de Marthe pour vivre ses dernières années comme Marie. Quand elle viendra à la chapelle, elle devinera, derrière la grille, celle qui a été Marie toute sa vie. Étrange rapprochement qui s’est opéré sous l’égide de la Vierge.

Jeanne Le Ber avait une dévotion ardente aux Anges Gardiens. N’étaient-ils pas des êtres en adoration devant Dieu ? Elle fit venir de France plusieurs exemplaires d’un traité à leur sujet et les répandit autour d’elle.

Elle déclarait qu’ils l’aidaient dans ses travaux manuels. Dans une occasion particulière, elle fit dire à Sœur Trottier, une supérieure de la Congrégation, que son rouet s’était brisé. Celle-ci oublia. Plus tard, elle crut devoir s’excuser et annoncer qu’elle convoquait enfin le menuisier. La recluse répondit que ce n’était point nécessaire, que les Anges avaient déjà fait la réparation. Miracle ? On ne peut l’affirmer. Comme on ne peut dire non plus si les faits extraordinaires que raconte la jeune sœur, Marie Barbier, au sujet de Jésus Enfant, sont des miracles. On n’employa pas, en ces occasions, les rigoureuses méthodes de contrôle scientifique qui sont en vigueur aujourd’hui. Les savants ne s’étaient pas introduits en ces domaines. Mais aux lecteurs de ces vieilles chroniques, il semble bien que l’intervention du ciel se fit sentir à quelques reprises en ces débuts mystiques.

La recluse n’oublie pas non plus saint Jean-Baptiste, saint Jean l’Évangéliste, Marie-Madeleine qui pleura dans une grotte des années de dévoiement. Elle rejoint dans ses dévotions, celles des ermites de tous les temps et de tous les pays. Enfin, pour résumer toute cette piété, voici quelques paroles de son premier historien :

« … Elle sçavoit les psaumes et le nouveau testament presque par cœur dont elle pénétroit très bien le sens, elle avoit recueilli de Lécriture Les plus beaux passages qui parloient de la solitude, du silence, du mépris du monde et de ses fausses Maximes, on en voit un Écrit sur sa porte : c’est ici ma demeure pour les siècles des siècles jy demeurerai parce que je lay choisy ».

Par ces pratiques, elle entrait certainement dans la troupe des plus saintes recluses.