Paul Ollendorff (Tome 3p. 230-232).
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C’est ainsi qu’entre tous ces gens un souffle de vie nouvelle passait. Il y avait là-haut, dans la mansarde du cinquième, un foyer de large et puissante humanité, dont les rayons pénétraient lentement la maison.

Mais Christophe ne s’en apercevait point. C’était bien lent pour lui.

— Ah ! soupirait-il, si l’on pouvait faire fraterniser tous ces braves gens, de toute foi, de toute classe, qui ne veulent pas se connaître ! N’y a-t-il aucun moyen ?

— Que veux-tu ? dit Olivier, il faudrait une tolérance mutuelle et une force de sympathie, qui ne peuvent naître que de la joie intérieure, — joie d’une vie saine, normale, harmonieuse, — joie d’un utile emploi de son activité, du sentiment que ses efforts ne sont pas perdus, que l’on sert à quelque chose de grand. Pour cela, il faudrait un pays qui se portât bien, une patrie qui fût dans une période de grandeur, ou — (ce qui vaut mieux encore) — d’acheminement vers la grandeur. Et il faudrait aussi — (les deux vont ensemble) — un pouvoir qui sût mettre en œuvre toutes les énergies de la nation, un pouvoir intelligent et fort, qui fût au-dessus des partis. Or il n’est de pouvoir au-dessus des partis que celui qui tire sa force de soi, et non de la multitude, celui qui n’essaie pas de s’appuyer sur des majorités anarchiques, comme aujourd’hui où il se fait le chien couchant des médiocres, mais qui s’impose à tous par les services rendus : général victorieux, dictature de Salut public, suprématie de l’intelligence… Que sais-je ? Cela ne dépend pas de nous. Il faut que l’occasion naisse, et aussi les hommes qui sachent la saisir ; il faut du bonheur et du génie. Attendons et espérons ! Les forces sont là : forces de la foi, de la science, du travail, de la vieille France et de la France nouvelle, de la plus grande France… Quelle poussée ce serait, si le mot était dit, le mot magique qui lancerait toutes ces forces unies ! Ce mot, naturellement, ce n’est ni toi, ni moi, qui pouvons le dire. Qui le dira ? La victoire, la gloire ?… Patience ! L’essentiel, c’est que tout ce qui est fort dans la race se recueille, ne se détruise pas soi-même, ne se décourage pas avant l’heure. Bonheur et génie ne viennent qu’aux peuples qui ont su les mériter par des siècles de patience stoïque, de labeur et de foi.

— Qui sait ? dit Christophe. Ils viennent souvent plus tôt qu’on ne croit, — au moment où on les attend le moins. Vous tablez trop sur les siècles. Préparez-vous. Ceignez vos reins. Ayez toujours vos souliers à vos pieds et votre bâton en votre main… Car vous ne savez pas si le Seigneur ne passera point devant la porte, cette nuit.