Dans la bruyère/Les Alréennes

Dans la bruyèreH. Caillères ; Muses Santones (p. 109-111).

LES ALRÉENNES


À Ludovic Gastard


Je n’oublierai jamais les belles de l’Alrée :
Les unes, à genoux se penchant sur les eaux,
Font claquer leur battoir et leur langue acérée
Avec un tapage d’oiseaux.

Les autres, dans Auray, la vieille cité forte,
Regardent en rêvant vers l’horizon de mer,
Et laissent s’envoler, assises sur la porte,
Leur fraîche haleine au vent amer.


Oh ! tentantes à voir, si roses et si blanches,
Quand, par la lande en fleurs et par les sentiers verts,
Elles vont à la messe en robes des dimanches,
Leur petit bonnet de travers !

Oh ! douces à baiser, mignonnes, délicates,
Lorsque, se blottissant au fond du lit joyeux
Avec les mouvements câlins des jeunes chattes,
Elles ouvrent tout grands leurs yeux !

Le bleu des mers a mis la profondeur du rêve
Dans leur vague regard quelque part arrêté ;
Leur chant rythmique et doux semble un bruit de la grève
Pendant les belles nuits d’été.

À ces frêles enfants, à ces douces rêveuses
Que berça la rumeur des landes et des flots,
Il faut, pour les charmer, les grosses mains nerveuses
Et le front brun des matelots.


Pour que leur petit cœur de leurs lèvres s’envole,
Comme un gai papillon grisé par le printemps,
Îl faut un gars solide ayant pour auréole
La verdeur de ses dix-huit ans ;

Qui porte crânement, au pardon du village,
Une ceinture rouge avec un béret bleu,
Et revienne déjà de quelque long voyage,
Bronzé par le soleil de feu.


Je n’oublierai jamais les belles de l’Alrée !
Et pour rester longtemps et doucement étreint
Entre ces beaux bras blancs, sur cette chair nacrée,
Je voudrais me faire marin !