Dans l’Inde affamée
Revue des Deux Mondes5e période, tome 13 (p. 241-273).
◄  01
DANS L’INDE AFFAMÉE

II[1]


VIII. — CHEZ UN PRINCE RADJPOUTE

Le landau correctement attelé, qui est venu par ordre du roi d’Odeypoure me prendre dans la « maison du voyageur, » monte au galop les rampes sablées, que bordent des balustres et des massifs de roses. C’est sur la rive du lac, sur le rocher où les palais s’arrangent en amphithéâtre. Des éléphans de marbre émergent çà et là des feuillages et des fleurs. Sur la pente rapide, aux tournans brusques, on se sent enlevé sans effort par l’élan des deux bêtes vigoureuses, et très vite s’élargit le champ de la vue ; très vite le bois charmant se déploie, et le lac bleu, avec ses îlots qui sont d’autres palais, tandis que semble s’élever avec nous la muraille de forêts et de montagnes qui fait comme une mystérieuse toile de fond derrière toutes les choses d’Odeypoure.

Ce Maharajah, prince de Meswar, chez lequel je me rends aujourd’hui, descend de la plus ancienne et de la plus haute en dignité de toutes les familles royales du pays radjpoute ; il est des suryabans de la race solaire : bien des siècles et des siècles avant que fussent sorties de l’ombre nos plus vieilles familles princières d’Europe, ses ancêtres levaient des armées pour conquérir des royaumes ou pour délivrer des reines captives[2].

Le héros déifié Rama, père de la race solaire, ainsi qu’il est dit dans le Ramayana, eut deux fils, dont l’aîné fonda Lahore. Les arrière-descendans du second, vers le milieu du IIe siècle, étendirent leur domination sur les peuples radjpoutes ; cependant, lors du grand sac des barbares du Nord, en 524, tous les princes de cette famille furent massacrés, excepté la reine, qui accomplissait un pèlerinage ; elle était enceinte et se cacha dans une caverne, où elle mourut en donnant le jour à un fils. De pieux brahmes recueillirent l’enfant ; mais il fut difficile à garder, car son sang royal le poussait aux exercices sauvages des Bhils de la montagne ; ceux-ci bientôt le choisirent pour chef, et l’un de leurs guerriers, se coupant un doigt, le marqua au front avec son sang, en signe de royauté. L’an 723 enfin, les descendans de ce fils de la caverne s’établirent ici même comme souverains ; leur lignée n’a cessé d’y régner depuis cette époque, et aujourd’hui encore, après treize siècles, l’usage s’est conservé à Odeypoure de faire marquer de sang au front chaque nouveau roi, par la main farouche d’un Bhil, en mémoire de cette rude origine.

Le landau s’arrête dans une cour intérieure, plantée de palmiers et de cyprès, où me reçoit un officier de la maison royale, en robe blanche.

Comme chez tous les princes de l’Inde, il y a plusieurs palais ; celui que l’on me montre d’abord est moderne, avec des salons européens, des glaces, des dressoirs chargés d’argenterie, des billards, — et tout cela, dans cette ville si indienne, est stupéfiant d’imprévu.

Mais le Maharajah préfère la vieille demeure de ses ancêtres ; c’est là qu’une audience de lui me sera donnée, et il est l’heure de s’y rendre.

D’abord nous traversons quantité de jardinets et de couloirs silencieux. Et puis soudain, au sortir d’une haute porte ogivale à battans de cuivre, voici une foule, des clameurs, d’assourdissantes musiques : nous sommes dans une immense cour, un carrousel pour les combats d’éléphans ; d’un côté, le vieux palais domine de toute sa majestueuse façade blanche, ornée de sculptures archaïques, de faïences bleues, et de soleils d’or ; de l’autre, il y a contre la muraille une série de loges, où des éléphans entravés, tout en se dandinant, mâchent des herbages ; au milieu, trois ou quatre cents hommes de farouche allure, — montagnards, Bhils arrivés pour la fête du Dieu, — tenant des bâtons qu’ils frappent les uns contre les autres, s’exercent à une danse guerrière, que leur jouent des musettes, des trompes, des tamtams énormes et des cymbales de bronze ; sur une terrasse, des femmes par centaines se penchent pour les voir danser, et c’est une exposition de beautés aux yeux sombres, aux gorges admirables sous des mousselines.

Pour arriver jusqu’au souverain, combien de couloirs il me faut traverser encore ! Combien de cours, où de grands orangers fleurissent et embaument, entre des arcades de marbre blanc ! Et tant de vestibules, encombrés de babouches qui traînent ! Des hommes à long sabre, assis dans tous les coins. Et des passages resserrés en souricière, et des petits escaliers obscurs, du vieux temps, aux marches roides et glissantes, si étroits qu’ils inquiettent, taillés dans l’épaisseur des murs ou de la pierre vive. Toujours des gardes, dans l’ombre, toujours des babouches par terre, et, çà et là, des divinités horribles, du fond de leur niche nous regardant passer. A une porte enfin, après que nous sommes montés très haut dans l’échafaudage des roches et des salles superposées, l’officier qui me guide s’arrête respectueusement, dit à voix basse : « C’est ici qu’est Son Altesse, » et me laisse entrer seul.

Une galerie blanche, aux arcades de marbre, donnant sur une très vaste terrasse blanche ; par terre, une toile blanche, neigeuse ; pas un garde ; pas un meuble non plus, rien — que deux chaises dorées, pareilles, l’une près de l’autre, dans cette petite solitude immaculée, fraîche, un peu aérienne. Et je reconnais là, seul, debout et la main tendue, le cavalier pour qui l’autre soir les fakirs du bois arrangeaient leur visage : il est vêtu d’une simple robe blanche, avec un collier de saphirs.

Maintenant, nous nous sommes cérémonieusement assis sur les légères chaises dorées, et, derrière nous, se tient un interprète arrivé sans bruit, qui met devant sa bouche, chaque fois qu’il parle, une serviette de soie blanche, pour empêcher son haleine d’aller vers son souverain, — précaution inutile du reste, car les dents sont claires et le souffle pur.

Ce prince silencieux, que je sais difficilement accessible, possède le charme et la grâce ; une exquise courtoisie, jointe à certaine forme particulière de timidité que je n’ai jamais rencontrée que chez de très grands seigneurs. D’abord, il daigne s’informer si je suis bien traité dans son pays, si les chevaux que l’on m’a envoyés de sa part me plaisent, et la voiture : banalités par où commence notre conversation, qui est forcément hésitante, car des Mondes de conceptions et d’hérédités différentes nous séparent. Mais ensuite, quand il est question des choses d’Europe, et des pays d’où je viens, et de la Perse où j’irai bientôt, j’entrevois combien de pensées, curieuses sans doute pour l’un et pour l’autre, nous aurions pu échanger, s’il n’y avait entre nous tant de barrières...

Cependant, on vient avertir le prince que c’est l’heure de sa chevauchée du soir, dans le bois charmant qu’habitent les trois fakirs. Il doit contourner cette fois les eaux du lac, jusqu’à la maison où s’assemblent chaque jour les sangliers ; des serviteurs l’attendent, avec de grands parasols asiatiques, pour l’abriter sur les terrasses, le maintenir à l’ombre jusqu’en bas où ses barons et ses chevaliers sont déjà en selle, prêts à le suivre.

Avant de me congédier, il veut bien donner l’ordre de me montrer le palais inachevé qu’il fait construire, et de préparer ensuite une barque pour me mener dans les vieux palais des îles.


A notre époque où tout s’en va, il se trouve donc encore dans l’Inde des princes pour construire des demeures purement indiennes, comme en imaginaient leurs ancêtres, dans les temps magnifiques.

Très haut perché, ce nouveau palais, sur une esplanade circulaire qui s’avance en promontoire vers le lac. Une suite de salles blanches, de kiosques blancs, — tout en festons, en dentelles de grès ou de marbre, — orientés de façon à regarder sous ses différens aspects ce lac royal, où l’on descend par de majestueux escaliers flanqués d’éléphans de pierre, et dont les eaux s’entourent de hautes montagnes laissées sauvages, feutrées de forêts. A l’intérieur, des mosaïques de verre et de porcelaine courent sur toutes les murailles ; dans telle salle, des branches de roses, dont chaque fleur est composée de vingt porcelaines différentes ; dans une autre, des plantes d’eau, des nénuphars, avec des hérons et des martins-pêcheurs. De patiens mosaïstes sont encore là, taillant par myriades les petites parcelles colorées, ou bien, accroupis, combinant par terre des feuillages et des pétales. Une chambre vient d’être achevée ; sur ses murs d’un vert mousse, rien que de grands lotus roses, — dont le dessin très archaïque fait songer à ce que nous appelons chez nous l’art nouveau ; au milieu est un lit en cristal, avec des rideaux en satin du même vert que les murs, et des matelas en velours du même rose que les lotus.


Au pied d’un vieux petit temple brahmanique, tout déjeté sous les arbres et prêt à crouler au fond de l’eau, je prends place dans la barque où l’on m’attendait, et les rameurs m’emmènent vers les îles. Il fait grand vent, toujours ce vent qui se lève le soir, qui promène sur tout le pays Radjpoute la poussière et la mort, mais qui devient frais et pur, ici, sur ce lac, et ne soulève autour de nous que de minuscules vagues bleues.

D’abord la plus petite des deux îles, où le palais n’a guère que cent ans. Comme tout cela est muré, séquestré, même au milieu de ces eaux profondes, qui déjà pourtant semblaient assez isolantes ! Des petits jardins, très enclos entre des murs en mosaïque, et envahis aujourd’hui par une végétation de cimetière ; des fouillis de ronces, de longues herbes folles, et surtout de roses trémières fleuries partout, en quenouilles géantes. Un dédale de petits appartemens étranges, bas et sombres, ornés de mosaïques ou de peintures qui s’effacent ; il en est d’orientés dans toutes les directions, pour que l’on ait, à chaque moment de la journée, l’ombre et la fraîcheur, et pour que l’on puisse rêver tantôt devant les parterres mélancoliques et sans vue, tantôt devant les grands lointains sauvages, les forêts à tigres, ou bien encore devant les blancs palais de féerie, bâtis sur la rive plus prochaine. Oh ! qui dira ce qu’elles ont étouffé de drames ou de traînantes agonies, les petites chambres de l’île, les petites chambres aujourd’hui abandonnées, lentement détruites par l’humidité du lac, la moisissure et le salpêtre ?... Dans des niches du mur, en pleine pénombre sépulcrale, il y a des bibelots scellés sous des vitres, de pauvres choses venues d’Europe et qui devaient être précieuses, ici, il y a cent ans : porcelaines vieillottes, bonshommes de Saxe en habit Louis XVI, fleurs artificielles dans des petits vases Empire... Quelles reines, quelles jeunes princesses défuntes, avaient reçu ces frêles cadeaux, les avaient enfermés avec tant de sollicitude, et, en s’en allant, les ont laissés là ?...

Dans la grande île, où nous abordons ensuite, les palais, construits par un glorieux souverain, ont environ trois siècles ; ils sont plus vastes et somptueux, mais aussi plus délabrés. Le monumental escalier de débarquement, aux marches blanches à demi plongées dans l’eau, est orné de grands éléphans de pierre qui semblent s’être alignés au bord du lac pour regarder les barques venir. Les jardins de mélancolie sont cloîtrés comme dans l’îlot voisin, mais entre des murailles plus ouvragées, entre de plus patientes mosaïques ; on y retrouve le palmier à grandes palmes du Sud, qui ne croît plus ici à l’état sauvage, mais reste un arbre de luxe autour des habitations de princes ; et l’air y est délicieusement embaumé par des bosquets d’orangers dont les pétales s’épandent sur le sol, sur les feuilles mortes, comme une couche de givre. Quand nous pénétrons là, il est déjà tard, le soleil est très descendu derrière ces montagnes si hautes et si abruptes qui font sur le lac tomber le crépuscule avant l’heure. C’est l’instant du coucher des perruches : elles ont élu domicile sur les branches de ces orangers jalousement enfermés ; on les voit arriver du bois charmant par bandes, par petits nuages verts, — bien plus verts que les feuilles languissantes, car, même ici au bord de l’eau, tout commence à jaunir, sans parler de la teinte hivernale qu’ont prise les forêts d’alentour. Et le vent de sécheresse et de famine souffle de plus en plus fort, augmentant l’inquiétude triste du soir, dans cette île, dans ces ruines...


IX. — LA BELLE VILLE DE CAMAÏEU ROSE

Cent lieues plus loin vers le Nord. Depuis Odeypoure, les déserts succédaient aux déserts. La terre semblait maudite[3]. Sous une couche de cendre blanchâtre, comme semée par quelque éruption volcanique immense, tout ce qui avait été jungles, villages ou cultures se confond en une même teinte morne Et enfin voici, après tant de désolations, une ville qui paraît en pleine activité ‘orientale et charmante. Les avenues qui viennent aboutir à ses hauts remparts crénelés, à ses portes ogivales, sont peuplées de cavaliers en robe blanche, de femmes en longs voiles jaunes ou rouges, de chars à bœufs, de files de chameaux en harnais de fête : des couleurs et de la vie, comme aux temps d’abondance.

Mais qu’est-ce que c’est que tout ce sinistre déballage de haillons, au pied des remparts ? Il y a des formes humaines cachées là-dessous... Qu’est-ce que c’est que tous ces gens par terre ? Des hommes ivres, des malades ? — Ah ! des êtres desséchés, des ossemens, des momies ! — Pourtant non, cela remue encore ; les paupières battent et les yeux regardent ! En voici même qui se dressent, tout chancelans, sur de longs os en guise de jambes...

La première porte franchie, il en apparaît une autre, découpée dans une muraille intérieure qui est peinte en rose jusqu’à la pointe de ses créneaux, — en rose de ruban, avec un semis de fleurs blanches imitant le dessin régulier des indiennes. Et, sur l’épaisse poussière, des tas humains sont là encore, noirâtres et comme vautrés dans de la cendre, plus affreux devant le rose charmant et les bouquets de ce mur. On dirait des squelettes sur lesquels de la basane serait collée ; les ossature s’indiquent avec une précision horrible ; les rotules et les coude font de grosses boules, comme des nœuds sur des bâtons, et les cuisses, qui n’ont qu’un os, sont plus minces que les bas de jambe, qui en ont deux. Il y en a de groupés par famille, et il y en a d’isolés qu’on abandonne ; les uns agonisent, étendus en croix ; les autres se tiennent encore accroupis, immobiles et stupides, avec des yeux de fièvre et des lèvres retirées sur des dents longues. Dans un coin, une vieille femme sans chair, probablement seule au monde, pleure, en silence, sur des guenilles.


Quand enfin, au sortir de ces doubles portes, l’intérieur de la ville se découvre, c’est une surprise et un enchantement. Avoir une grande ville rose, entièrement rose, du même rose et semée des mêmes bouquets blancs, ses maisons, ses remparts, ses palais, ses temples, ses tours et ses miradors, quel étonnant caprice de souverain ! On dirait qu’on a tendu tous les murs d’une même vieille indienne à fleurs, on dirait une ville en vieux camaïeu du XVIIIe siècle ; cela diffère de tout ce qu’on avait vu ailleurs, cela arrive à des effets de complète et charmante invraisemblance.

Des rues d’un kilomètre de long, alignées au cordeau, larges comme deux fois nos boulevards et bordées de hauts palais dont la fantaisie orientale a varié les façades à l’infini. Nulle part plus extravagante superposition de colonnades, d’arceaux festonnés, de tours, de balcons, de miradors. Tout cela pareillement rose, tout cela d’une même teinte d’étoffe ou de fleur ; et la moindre moulure, la moindre arabesque, relevée d’un filet blanc. Sur les parties sculptées, on dirait qu’on a cloué des passementeries blanches, tandis que, sur les parties plates, reprend l’éternel camaïeu avec ses mêmes bouquets surannés.

Et tout le long de ces rues s’agitent des foules, dans un immense éblouissement de couleurs.

Des marchands par milliers, ayant par terre leurs étalages d’étoffes, de cuivres et d’armes, encombrent les deux côtés des trottoirs, tandis que parmi eux se démènent les femmes, aux voiles bariolés de grands dessins fantasques et aux bras nus cerclés d’anneaux jusqu’à l’épaule.

Au milieu de la chaussée, le défilé est continuel, de cavaliers aux armes d’argent sur des selles éclatantes, de lourds chariots traînés par des zébus aux cornes peintes, de chameaux attachés en longue file, d’éléphans en robe dorée dont on a barbouillé la trompe de mille dessins. Passent aussi des dromadaires, que montent deux personnages l’un derrière l’autre, et qui vont au trot léger, le cou tendu, comme des autruches à la course ; passent des fakirs entièrement nus, poudrés à blanc de la tête aux pieds ; passent des palanquins et des chaises à porteurs : tout l’Orient des féeries, processionnant à grand spectacle, dans l’inimaginable cadre de camaïeu rose.

Et des gens promènent en laisse, pour leur donner l’habitude du monde, les panthères apprivoisées du Roi, qui marchent sournoises et comiques, coiffées de petits bonnets brodés, avec une rosette sous le menton, posant l’une après l’autre leurs pattes de velours avec des précautions infinies, comme par peur de casser des œufs. Pour plus de sûreté, on les tient aussi par leur queue annelée, et quatre serviteurs encore les suivent en cortège.

Mais il y a aussi des rôdeurs bien lugubres, — des échappés de sarcophage, dans le genre des êtres qui gisent là-bas aux portes des remparts... Ils ont osé entrer dans la belle ville couleur de fleur, ceux-là, et y traîner leurs ossemens :... Il y en a même beaucoup plus qu’on n’eût dit au premier abord. Ceux qui errent, chancelans et les yeux hagards, ne sont pas seuls ici : sur les pavés, parmi les marchands, parmi les gais étalages, se dissimulent d’horribles paquets de haillons et de squelettes, qui obligent les passans à se détourner pour ne pas marcher dessus... Et ces fantômes-là, ce sont les paysans des plaines d’alentour. Depuis qu’il ne pleut plus, ils ont lutté contre la destruction du sol, et les longues souffrances les ont préparés à ces maigreurs sans nom. A présent, c’est fini. Le bétail est mort, parce qu’il n’y avait plus d’herbe, et on en a vendu la peau à vil prix. Quant aux champs qu’on ensemençait, ce ne sont plus que des steppes de terre émiettée et brûlée, où rien ne saurait germer. On a vendu aussi, pour acheter de quoi manger, les hardes qu’on avait pour se couvrir, les anneaux d’argent qu’on portait aux bras et aux chevilles. On a maigri pendant des mois. Et puis la faim est venue pour tout de bon, la faim torturante, et bientôt les villages se sont remplis de l’odeur des cadavres.

Manger ! Ils voulaient manger, ces gens, voilà pourquoi ils étaient venus vers la ville. Il leur semblait qu’on aurait pitié, qu’on ne les laisserait pas mourir, car ils avaient entendu dire qu’on amassait ici des grains et des farines comme pour un siège, et que tout le monde mangeait dans ces murs.

En effet, les chars à bœufs, les files de chameaux apportent, à toute heure, les sacs de riz et d’orge, commandés au loin par le Roi, et cela s’empile dans les greniers, ou même sur les trottoirs, par peur de la famine envahissante qui menace de tous côtés la belle ville rose. Mais cela s’achète, et il faut de l’argent. Le Roi, il est vrai, en fait distribuer aux pauvres qui habitent sa capitale. Quant à secourir aussi les paysans qui agonisent par milliers dans les plaines d’alentour, on n’y suffirait plus, et, de ceux-là, on détourne la tête. Donc, ils errent par les rues, autour des lieux où l’on mange, dans l’espoir encore de quelques grains de riz qu’on pourrait leur jeter, et puis vient l’heure pour eux de se coucher n’importe où, le front à même le pavé, pour mourir...


En ce moment, il s’agit de décharger sur un trottoir, devant des greniers sans doute trop remplis, une centaine de sacs de grains que des chameaux apportent, et il faut pour cela déranger trois petits enfans-squelettes, de cinq à dix ans, tout nus, qui reposaient ensemble à la place choisie.

— Ce sont trois frères, explique une voisine ; les parens qui les avaient amenés sont morts (de faim, c’est sous-entendu) ; alors ils sont là, ils restent là, ils n’ont plus personne.

Et elle paraît le trouver tout naturel, cette créature, qui pourtant n’a pas l’air d’une méchante femme !... Mon Dieu, qu’est-ce donc que ce peuple ? Et comment sont faites les âmes de ces gens, qui pour rien au monde ne tueraient un oiseau, mais qui ne se révoltent pas de ce qu’on laisse devant leur porte mourir les petits enfans.

Le plus petit des trois paraît le plus près de finir. Il est sans mouvement, il n’a plus la force de chasser les mouches collées au bord de ses paupières closes ; on dirait que son ventre a été vidé comme celui d’une bête à faire cuire ; et les os de son frêle bassin ont percé la peau, à force de traîner sur les pavés de la rue.

Allons, il faut déménager, pour laisser la place à ces sacs de grains que l’on apporte. Le plus grand se relève, prend tendrement à son cou le pauvre tout petit, emmène par la main le second qui peut marcher encore, et ils s’en vont, en silence.

Cependant les yeux du tout petit se sont un instant rouverts. Oh ! ce regard d’innocent martyr ! Tout ce qu’il exprime d’angoisse, de reproche, d’étonnement d’être si malheureux, si abandonné et de tant souffrir :... Mais ils se referment vite, les yeux mourans ; les mouches reviennent s’y coller, et la pauvre petite tête retombe sur l’épaule maigre de l’aîné qui l’emporte.

Un peu chancelant, mais sans une larme, sans un murmure, adorable de résignation et de dignité enfantine, il emmène ses frères, ce petit aîné qui se sent chef de famille. Puis, après avoir regardé s’il est assez loin pour ne plus gêner personne, il les recouche avec des précautions infinies, la tête sur les pierres, et s’étend aussi près d’eux.

Au carrefour central, où les plus belles rues viennent aboutir, le luxe si particulier de cette ville arrive à ses plus étranges effets. Roses jusqu’à l’extrême pointe, sortes de grands ifs roses à fleurs blanches, les pyramides des temples brahmaniques, qui se dressent dans le ciel de poussière, parmi des tourbillons d’oiseaux noirs. Rose et semée de fleurs blanches, la façade du palais du Roi, qui dépasserait en hauteur nos façades de cathédrales, et qui est la répétition, la superposition d’une centaine de kiosques pareils, ayant chacun les mêmes colonnades, les mêmes grillages, les mêmes petits dômes compliqués, — avec, tout en haut, des oriflammes aux couleurs du royaume, que le vent desséchant fait claquer dans l’air. Roses à bouquets blancs, les palais, les maisons, qui de tous côtés s’alignent en fuite vers les lointains poudreux des rues.

La foule est là plus parée de bijoux, plus animée, à ce carrefour, plus bruyante, dans toute la diversité de ses couleurs de fête. Plus nombreux aussi, les rôdeurs de la faim, — les pauvres petits enfans surtout, car au milieu de cette place on fait cuire en plein vent des gâteaux de riz, des galettes au sucre et au miel, et cela les attire ; on ne leur en donne pas, bien entendu, mais ils demeurent quand même, tout tremblans de faiblesse sur leurs petites jambes, et les yeux dilatés dans la fiévreuse convoitise des pâtisseries.

Du reste, elle augmente d’heure en heure, l’invasion des affamés ; c’est comme une marée funèbre, qui monterait de la campagne vers la ville, et les chemins dans la plaine sont jalonnés de ceux qui meurent avant d’arriver aux portes.

En face d’un marchand de bracelets, qui mange des crêpes toutes chaudes, une femme vient de s’arrêter suppliante, un spectre de femme, serrant sur ses mamelles sèches et sur ses os de poitrine un petit nourrisson-squelette. — Non, il ne donnera rien, le marchand, et même il dédaigne de regarder. — Alors elle s’affole, la mère au sein tari dont le petit va mourir, et ses dents se desserrent pour un long cri de louve. Elle est jeune et sans doute elle était jolie ; sa jeunesse s’indique encore sur ses joues ravagées : seize ans peut-être, c’est presque une enfant... Elle vient de comprendre à la fin que personne n’aura pitié et qu’elle est condamnée ; alors elle prolonge son cri sans espoir, par besoin de hurler, comme font les bêtes aux abois, — tandis que près d’elle passent tranquillement, de leur pas sourd, de gros éléphans dodus, qui mangent à présent du fourrage venu de très loin et coûtant très cher.

Et, au-dessus de la clameur des foules, il y a la clameur des corbeaux, sur les toits et dans l’air assemblés par milliers. Cet éternel ensemble de croassemens qui, dans l’Inde, domine tous les autres bruits terrestres, s’enfle ici en crescendo, arrive à un vrai délire : les temps de famine, quand on commence à sentir partout l’odeur de la mort, sont des temps d’abondance et de joie pour les corbeaux, les vautours et les mouches.


Cependant les crocodiles du Roi vont prendre leur repas, au fond des jardins murés.

C’est tout un monde, ce palais du Roi, avec ses dépendances sans fin, ses écuries d’éléphans ; et, pour arriver au lac artificiel où les crocodiles habitent, il faut franchir encore tant de hautes portes hérissées de fer, tant de cours grandes comme les cours du Louvre, bordées de farouches bâtimens aux fenêtres grillées — et aux murailles roses, il va sans dire, avec semis de fleurs blanches ! Dans ces quartiers, il y a foule aujourd’hui, et on y fait des appels ; c’est jour de solde pour les soldats, et ils attendent tous, un peu sauvages et souvent superbes, tenant des lances ou des étendards ; on les paye en lourdes pièces d’autrefois, monnaies rondes en argent, ou monnaies en bronze de forme carrée.

Dans une salle de marbre, aux colonnes et aux arceaux ciselés, un vélum de velours pourpre est tendu sur un métier gigantesque, et une dizaine de brodeurs travaillent à le couvrir de fleurs d’or en haut-relief : une robe neuve, pour l’un des éléphans favoris.

Les jardins, à force de laborieux arrosage, sont encore à peu près verts, surprenans comme une oasis au milieu de ce pays brûlé ; d’ailleurs, vastes comme des parcs et tristement exquis entre leurs murailles crénelées de cinquante pieds de haut : des allées droites à la mode ancienne et pavées de marbre ; des cyprès, des palmiers, beaucoup de roses, et des petits bois d’orangers qui embaument l’air ; partout des fauteuils de marbre pour se reposer à l’ombre, des kiosques de marbre pour les danses de bayadères, et des bassins de marbre pour les bains princiers. Des paons, des singes, — et même, sous les orangers, des chacals en maraude montrant leur museau furtif.

Enfin, le grand étang, enfermé lui aussi dans de terribles murs et à demi desséché par deux ou trois années sans pluie. Là, sur les vases, sommeillent les énormes crocodiles centenaires, semblables à des rochers ; mais un vieil homme tout blanc arrive et se met à chanter, sur les marches d’un escalier qui descend dans l’eau, à chanter, chanter, d’une voix claire de muezzin, avec de grands gestes de bras pour appeler. Alors ils s’éveillent, les crocodiles, d’abord lents et paresseux, bientôt effroyables de rapidité et de souplesse, et ils s’approchent à la hâte, nageant en compagnie de grosses tortues voraces qui ont comme eux entendu l’appel et veulent manger aussi. Tout cela vient former cercle au pied des marches où le vieillard se tient, assisté de deux serviteurs portant des corbeilles de viandes. Les gueules visqueuses et livides s’ouvrent, prêtes à engloutir, et on y jette des quartiers de chèvre, des gigots crus, des poumons, des entrailles.


Mais dehors, dans les rues, personne n’appelle, avec des chants de muezzin, les affamés pour leur donner la pâture. Les nouveaux venus rôdent encore, tendant la main, frappant leur ventre plat si quelqu’un les regarde ; les autres, qui ont perdu l’espoir d’un secours, gisent n’importe où, sous les pieds, parmi la foule et les chevaux.

Au croisement de deux avenues de palais et de temples roses, sur une de ces places qu’encombrent les marchands, les cavaliers, les femmes drapées de mousselines et couvertes d’anneaux d’or, un étranger, un Français, vient d’arrêter sa voiture, près d’un tas sinistre de décharnés qui ne bougent plus, et il s’est baissé pour mettre des pièces de monnaie dans leurs mains inertes.

Alors, soudainement, c’est comme la résurrection de toute une tribu de momies ; les têtes se dressent de dessous les haillons qui couvraient les figures ; les yeux regardent, puis les formes squelettales se remettent debout : « Quoi ! on fait l’aumône ! Il y a quelqu’un qui donne ! On va pouvoir acheter à manger. » Le macabre réveil se propage en traînée subite jusqu’à d’autres tas qui gisaient plus loin, dissimulés derrière des promeneurs, derrière des piles d’étoffes ou des fourneaux de pâtissier. Et tout cela grouille, surgit et s’avance : masques de cadavres dont les lèvres recroquevillées laissent voir trop les dents, yeux caves aux paupières mangées par les mouches, mamelles qui pendent comme des sacs vides sur les cercles du thorax, ossatures qui se heurtent avec des bruits de morceaux de bois. Et l’étranger, en une minute, est entouré d’une ronde de cimetière, pressé, griffé par des mains déjà terreuses, aux grands ongles, qui cherchent à lui arracher son argent, — tandis que les pauvres yeux, au contraire, demandent pardon, remercient et supplient...

Et puis, silencieusement, cela s’effondre. Un des spectres, qui chancelait de faiblesse, s’est accroché au spectre voisin, qui a chancelé à son tour, et la chute s’est communiquée de proche en proche, sans un cri, sans une résistance, tous les épuisés se cramponnant les uns aux autres et tombant ensemble, comme de lamentables marionnettes, comme s’abattent des quilles, puis roulant dans la poussière, évanouis, et ne se relevant plus...

A cet instant, une musique s’approche et on perçoit un bourdonnement nouveau de la foule : c’est un cortège qui arrive, un cortège religieux annonçant une solennité pour demain dans les temples de Brahma. Alors, un des gardes chargés de faire faire place empoigne une vieille affamée qui, dans sa chute, les bras en croix, le visage dans la poussière, avait dépassé l’alignement permis, et il la rejette sur le trottoir, meurtrie et gémissante.

Voici donc le beau cortège qui passe. Un éléphant noir ouvre la marche, peinturluré d’or jusqu’au bout de la trompe ; derrière vient la musique, au pas de procession, jouant, avec des musettes et des cuivres, un air lugubre en mode mineur.

Puis, quatre éléphans gris s’avancent de front, portant des éphèbes costumés en dieux, coiffés de hautes tiares de perles, qui lancent des poudres colorées et parfumées sur le peuple. Ils semblent lancer des nuages, tant ces poudres sont ténues et légères ; leurs éléphans, qui en reçoivent de première main, en sont teintés bizarrement, l’un de violet, l’autre de jaune, l’autre de vert et l’autre de rouge. Ils lancent à pleine poignée, les sourians éphèbes, et la foule se colore à leur gré, robes, turbans et visages. Même des petits enfans à l’agonie, des petits squelettes de la famine, qui regardaient d’en bas, couchés sur le dos, reçoivent une charge de poudre rouge embaumée de santal ; le geste de leurs mains affaiblies a été trop lent pour les préserver, et ils en ont plein les yeux.


C’est maintenant la brusque tombée du jour ; le camaïeu rose à bouquets blancs commence de pâlir partout à la fois, sous un ciel couleur de pervenche, tellement saturé de poussière que la lune argentée y paraît blême. Les tourbillons d’oiseaux noirs s’abattent ensemble pour dormir, sur les corniches des palais roses, ils s’alignent innombrables, pigeons et corbeaux, à se toucher, formant de longs cordons sombres. Mais des vautours et des aigles s’attardent en l’air et planent encore. Et les singes libres, qui habitent sur les maisons, se poursuivent, très agités à l’heure du couchage, hauts sur pattes et queue relevée, petites silhouettes étranges qui courent au bord des toits.

En bas, les larges chaussées se dépeuplent, — car les cités orientales ne connaissent point de vie nocturne.

Une des tigresses que l’on apprivoise et qui va rentrer au palais se coucher, bien repue, le bonnet de côté, et pour l’heure bonne personne, est assise au coin d’une rue sur son derrière, entre ses serviteurs assis de même, y compris celui qui toujours la tient par la queue. Ses yeux énigmatiques, d’un vert pâle de jade, fixent un groupe de petits enfans de la famine, qui halettent par terre, à deux pas d’elle.

Les marchands se hâtent de replier leurs étoffes multicolores, de ramasser dans des corbeilles leurs cuivres brillans, leurs plateaux et leurs vases. Ils regagnent leurs demeures, découvrant peu à peu les groupes de décharnés qui gisaient parmi leurs gais étalages. Ces derniers vont demeurer seuls ; pendant la nuit, ils seront les maîtres du pavé.

Ils s’isolent, les groupes agonisans ; autour d’eux, le vide se fait et les révèle plus nombreux. Bientôt on ne verra plus que leurs formes cadavériques et leurs guenilles, dont le sol restera jonché.

Hors des murs, dans la campagne désolée, tous les arbres sans vie se peuplent prodigieusement, à cette heure crépusculaire. Les aigles, les vautours ou les paons magnifiques s’y groupent par famille, formant des épaisseurs au milieu des branchages légers qui n’ont plus de feuilles ; leurs cris du jour peu à peu s’apaisent, finissent en appels intermittens, de plus en plus espacés. Les voix geignantes des paons sont celles qui persistent le plus avant dans le soir, et bientôt les chacals lugubres commencent à y répondre


Dix heures : très tard pour cette ville où tout s’arrête presque avec le jour. La campagne, alentour, est devenue infiniment silencieuse. Dans les lointains, on dirait du brouillard ; mais c’est de la poussière encore, puisque tout est desséché. Sur le sol poudré à blanc, tombe la lumière blanche de la lune, et sur les arbres morts, sur les cactus couverts de cendre, avec le refroidissement soudain de la nuit, cela donne l’illusion de la neige et de l’hiver. Il va faire froid pour les petits mourans, qui sont tout nus à râler par terre.

En dedans des murs, c’est le silence comme au dehors. A part des musiques assourdies, qui se font çà et là au cœur des temples brahmaniques, on n’entend plus rien. Par les hauts escaliers de ces temples, que gardent des éléphans de pierre, montent ou descendent quelques derniers groupes en vêtemens blancs ; ailleurs, plus personne, et les rues sont vides, — les longues rues droites, qui paraissent plus larges et plus immenses, sans passans ni cortèges. Dans le calme nocturne, la ville de camaïeu rose, rose encore sous le rayonnement lunaire, semble avoir agrandi le décor de ses palais et de ses miradors dentelés.

Mais, sur les chaussées, à côté de ces sacs de grains amoncelés par peur de la famine, et surveillés par des gardiens à bâtons, restent aux mêmes places les tas noirâtres, haletant sous des loques, les tas macabres, la foule effondrée des meurt-de-faim. On voit aussi, de distance en distance, des petites niches, des petites guérites de pierre qui, pendant le jour, disparaissaient dans la foule ; chacune d’elles abrite un dieu, l’horrible Ganesa au visage d’éléphant, ou bien Çiva, prince de la Mort, et chaque idole a sa guirlande de fleurs, et aussi sa lanterne qui brûlera jusqu’au jour.

C’est presque informe et indéfinissable, ces tas couverts de haillons, qui font toutes ces taches noires dans le gris rose de la ville enchantée ; mais il en sort de temps à autre une toux, un gémissement ou un râle ; parfois aussi des os de bras se relèvent et s’agitent, secouent fiévreusement les guenilles, — ou bien ce sont des os de jambe, réunis par une grosse rotule saillante... Pour ceux-là qui sont par terre, qu’importe le jour bruyant, ou la nuit tranquille, ou le radieux matin, puisqu’il n’y a plus d’espérance, puisque personne n’aura pitié, puisqu’il faut rester où la tête alourdie est tombée, et attendre là, sur le même pavé, la grande crispation qui finira tout...


X. — TERRASSES POUR TENIR CONSEIL AU CLAIR DE LUNE

La pleine lune encore pâle, suspendue dans le ciel crépusculaire, n’a pas commencé d’épandre sa lumière morte sur le nouvel amas de ruines qui s’en va dévalant à mes pieds. Le soleil, bien qu’il ait disparu depuis une heure derrière les montagnes d’alentour, continue d’éclairer d’une lueur jaunissante. Et j’attends la nuit, seul, dans un lieu pompeux et farouche, au sommet des terrasses d’une ancienne demeure de rois, sorte d’immense nid d’aigle qui fut jadis empli de richesses, inabordable et redouté, mais qui est vide aujourd’hui, à la garde de quelques serviteurs, au milieu d’une grande ville abandonnée.

Je suis déjà très haut dans l’air ; si je me penche sur les granits luxueusement ciselés qui servent de balustres à ces terrasses, je surplombe des abîmes, — au fond desquels gisent des débris de maisons, de temples, de mosquées, de splendeurs. Je suis très haut dans l’air, et cependant je suis dominé de tous côtés ; les rochers qui portent ce palais s’abritent au centre d’un cirque de montagnes plus élevées encore, et, autour de moi, de grandes cimes en pierres rougeâtres, presque verticales, minces et comme tranchantes, sont couronnées de remparts qui suivent la ligue du faîte extrême, et dont les créneaux eu dents de scie se découpent cruellement sur le ciel jaune. Cette muraille en l’air, bâtie à coups de blocs cyclopéens sur des pointes à peine accessibles, et enfermant un cercle de plusieurs lieues, est une de ces œuvres du passé dont l’audace et l’énormité nous confondent ; tout cela monte trop haut, se tient debout avec trop de confiance, et donne un peu le vertige à regarder. Pour cette ville, depuis longtemps défunte, et pour ce palais de rois qui est sous mes pieds, on avait imaginé une clôture sans pareille, on avait transformé en forteresse toute la chaîne des sommets enveloppans. Et il n’y a qu’une seule coupée donnant accès dans le cirque défendu, une espèce de grande fissure naturelle, là-bas, par où l’on aperçoit les lointains d’un désert qui semble passé au feu.

Pour venir ici, je suis parti, au déclin du jour, de Jeypore, qui, depuis deux siècles[4], a remplacé comme capitale cette ville d’Amber, ces ruines dont me voici entouré.

Je suis parti avec des guides et des chevaux mis à ma disposition par le Maharajah de la belle ville rose, — successeur des rois qui habitaient jadis ce palais d’Amber, ces terrasses où je viens de monter. J’avais hâte de sortir de cette Jeypore, d’échapper à son charme de féerie et à son horreur dantesque, hâte d’arriver dans la campagne, où au moins tout est fini et où c’est le silence de la mort.

Cependant, je savais quel passage de plus grande épouvante il me faudrait encore traverser aussitôt que j’aurais franchi les portes des remparts : quelque chose comme un champ de bataille longtemps après la déroute ; quelque chose comme une jonchée de cadavres longuement desséchés au soleil, mais des cadavres qu’on entendrait souffler, des cadavres qui remueraient, et qui parfois seraient capables de se lever, de me poursuivre, de m’attraper avec leurs pauvres mains terreuses, dans une soudaine exaltation de prière...

Et, en effet, j’ai trouvé tout cela qui m’attendait.

Dans le charnier, aujourd’hui, il y avait beaucoup de vieilles femmes, paquets de haillons et d’os, aïeules abandonnées, dont tous les descendans étaient morts, de faim sans doute, et qui s’étaient couchées là avec résignation pour laisser venir leur tour ; elles ne demandaient rien, celles-là, elles ne bougeaient pas ; seulement leurs yeux grands ouverts exprimaient l’infini morne de la désespérance. Et des corbeaux, au-dessus d’elles, perchés sur les branches des arbres morts, ne les perdaient pas de vue, attendant qu’il fût l’heure.

Mais il y avait surtout, et plus encore que les autres jours, des enfans. Oh ! leurs petites figures, comme étonnées de tant de misère et d’abandon, qui vous regardaient d’en bas avec une expression d’appel !... On mettait pied à terre, on s’arrêtait aux plus décharnés, ne pouvant s’arrêter à tous, car ils étaient légion... Petites têtes affaiblies, petites têtes emmanchées sur de frêles squelettes qui ne pouvaient plus les porter ; on les soulevait doucement, et elles retombaient, confiantes, dans vos mains, les têtes enfantines, en refermant les paupières, comme pour dormir là, sous votre protection. Parfois, on devinait bien que le secours offert arrivait trop tard ; mais souvent aussi les innocens fantômes se remettaient debout, et avec la pièce de monnaie qu’on leur avait donnée, se traînaient chez les marchands de riz pour acheter à manger.

Mon Dieu ! cela coûterait si peu de chose, ce qu’il faudrait à ces petits-là pour ne pas mourir[5] !

Au sortir de ces portes roses, deux lieues de ruines, avant d’arriver au vrai désert de la campagne ; dans des jardins d’arbres morts, une suite interminable de coupoles, de temples, de kiosques en pierre ajourée, où n’habitent plus que des tribus de singes, des corbeaux et des vautours. — Et il en va de même aux environs de toutes les villes de ce pays ; la terre, pleine de sépultures, y est encombrée toujours par le prodigieux déchet des civilisations antérieures.

Plus aucune trace de champs cultivés, il va sans dire, et, dans les villages infestés de mouches, plus personne.

Quand ensuite nous avons atteint la base des montagnes, la région des pierres rougeâtres, on eût dit qu’il y avait des brasiers partout ; même à l’ombre, chaque bouffée du vent sec, chargé de poussière, causait une brûlure au visage. Pour végétation, par ici, plus rien autre que de grands cactus morts, restés debout ; toutes les roches étaient hérissées de leurs bâtons épineux. Et mes deux guides chevauchaient le bouclier au flanc, la lance droite, tels autrefois des soldats de Bahadur ou d’Akbar,

Le soleil de cinq heures du soir éclaboussait nos yeux, lorsque enfin nous avons aperçu devant nous cette brèche étroite qui donne accès dans la vallée close d’Amber ; une porte redoutable ferme l’unique passage, après lequel, tout de suite, l’ancienne capitale nous est apparue.

Par des rampes dallées, où nos chevaux glissaient, nous sommes montés au palais des rois, au palais de grès et de marbre qui trône orgueilleusement sur les rochers, commandant toutes les autres ruines.

D’abord, à l’entrée, à l’un des premiers tournans de la route ascendante, nous rencontrions un temple noir et sinistre, dont le sol est souillé d’éternelles taches de sang, et qui exhale une puanteur de bête morte, de vieille boucherie ; au fond, dans une niche, réside la très horrifique Dourga, toute petite et presque informe, l’air d’un gnome malfaisant blotti sous les plis d’une loque rouge ; et un tamtam aussi large qu’une tour est posé à ses pieds. — Là, depuis des siècles, on n’a cessé d’égorger chaque matin, dès l’aube, un bouc, au bruit du tamtam énorme, pour en offrir à la Déesse le sang tiède, dans un vase de bronze, et, sur un plateau, la tête cornue. Comment a-t-elle pu s’introduire dans le panthéon brahmanique, à titre d’épouse du dieu de la mort, la Dourga, la terrifiante Kali, si altérée de sang que, même en ce pays où, depuis des millénaires, il est défendu de tuer, on lui faisait naguère encore des sacrifices humains à cette place ? D’où sort-elle, avec son manteau rouge, de quels temps antérieurs et de quelle nuit ?...

A différens étages de la route, on a ouvert devant nous des portes de bronze, lourdement cloutées. Et puis nous avons quitté nos chevaux pour continuer à pied l’ascension, par des cours, des escaliers, des jardins.

Des salles en marbre, aux piliers trapus, décorées avec un goût minutieux et barbare ; les voûtes, jadis patiemment revêtues de mosaïques en verroteries, en parcelles de miroir, y restent encore étincelantes par places, sous la moisissure et le salpêtre, comme des parois de cavernes à stalactites, et les portes en bois de santal sont incrustées d’ivoire. Des piscines, très haut perchées, recelant encore un peu d’eau précieuse ; des bains creusés dans le roc, pour les dames du harem. Et, au centre de tout, un jardin suspendu, très muré, sur lequel s’ouvrent des appartemens sombres, qui furent ceux des princesses, des reines, de toutes les belles cloîtrées ; des orangers de cent ans y embaumaient l’air, quand j’y suis passé tout à l’heure pour monter aux plus hautes terrasses ; mais le vieux gardien se plaignait amèrement des singes, qui, paraît-il, s’y croient les maîtres aujourd’hui et ne se gênent point pour y cueillir toutes les oranges.

Maintenant donc, j’attends la nuit, seul, sur ces terrasses extrêmes : les rois les avaient fait construire et entourer de somptueux balustres pour y tenir des assemblées, y donner des audiences au clair de lune, et j’ai voulu connaître ce lieu à son heure, sous cette lune qui dans un instant rayonnera.

Le coucher des oiseaux, aigles, vautours, paons, tourterelles et martinets, vient de finir, et, dans le palais abandonné, cela laisse un redoublement de silence. Le soleil, qui m’était depuis longtemps caché par les si hautes montagnes, vient sans doute de s’éteindre, car, sur une esplanade au-dessous de moi, des gardiens, des musulmans, qui connaissent toujours avec précision l’heure sainte du Moghreb, s’orientent à présent vers la Mecque et se prosternent pour la prière du soir.

En même temps, un bruit caverneux monte soudain jusqu’à moi, d’en bas, du sanctuaire ensanglanté : c’est aussi l’heure de la prière brahmanique, et le tamtam prélude, le tamtam de la déesse-gnome au manteau rouge.

Il prélude à grands coups sourds, et c’était le signal attendu pour une orgie de sons féroces ; des musettes gémissantes le suivent aussitôt, et des cymbales de fer, et une trompe, qui beugle tout le temps sur deux notes, en appel lugubre indéfiniment répété ; cela m’arrive comme de dessous terre ; cela s’enfle et se défigure en traversant, pour s’élever jusqu’aux terrasses, tant de salles superposées, qui sont vides et sonores. Et tout à coup, du haut de l’air, répond un carillon de cloches ; c’est un petit temple de Çiva qui sonne ainsi à pleine volée ; il est perché là-bas sur une des cimes coupantes qui m’entourent ; il est adossé à cette muraille aérienne dont les créneaux se profilent maintenant comme les dents d’un peigne noir, sur le jaune du ciel pâlissant.

Je ne prévoyais pas tant de bruit dans ces ruines ; mais, aux Indes, la désuétude des villes, le délabrement des sanctuaires n’arrêtent point le cours des rites sacrés : les dieux continuent d’être servis, même au milieu des régions les plus délaissées...

Depuis quelques minutes, je levais la tête vers le petit temple carillonnant. Et lorsque je jette ensuite les yeux à terre, je frémis presque en y reconnaissant mon ombre, très nette, très subitement dessinée ; d’instinct, je me retourne, comme pour voir si on ne vient pas d’allumer derrière moi, en surprise, quelque lampe de clarté étrange, ou si quelque projecteur électrique ne m’envoie pas ses rayons blêmes. — Mais non, c’est la grande lune ronde, la lune des audiences royales, que j’avais oubliée et qui déjà, sans transition, commence de remplir son office, tant le jour a vite fait de mourir, en ces climats. D’autres ombres, des ombres immobiles de choses, se sont au même moment précisées partout, alternant avec des lueurs spectrales. La lune, sur la terrasse des audiences lunaires, épand sa majesté blanche...

Je descendrai quand aura cessé la musique sauvage ; elle me gêne, cette musique-là, pour traverser seul à cette heure tant d’escaliers étroits, tant de couloirs, tant de salles dans ce palais qui, la nuit, doit être livré aux singes et aux fantômes.

Et c’est très long, très long. Cela me laisse le temps de voir s’allumer toutes les étoiles.

Combien ce lieu est à la fois dominateur et secret ! Et quels princes du rêve étaient ces souverains, pour avoir imaginé ici des assemblées lunaires !

Au bout d’une demi-heure cependant, les coups de tamtam s’apaisent et s’espacent, les beuglemens aussi de la trompe sacrée ; cela se traîne, cela s’alanguit, — avec par instans des reprises désespérées, mais de plus en plus courtes ; on dirait que cela agonise, — et cela meurt, comme d’épuisement. Le silence enfin revient, et, tout en bas, au fond de la vallée que remplissent les ruines d’Amber, on commence de distinguer la petite voix flûtée et lugubre des chacals.

Il n’y a pas de vraie obscurité, dans les escaliers et les salles du palais, quand je redescends. Tout y est imprégné de blancheurs de lune, de blancheurs bleuâtres ; par les petites fenêtres dentelées, entrent les rayons d’argent, qui dessinent sur les dalles la découpure charmante des ogives, ou bien font revivre les mosaïques éteintes, sur des pans de murailles que l’on croirait ce soir semés de gemmes ou de gouttelettes d’eau. Et dans le jardin saturé de parfums de fleurs, les plus hautes branches des orangers, quand je passe, s’emplissent de mouvement et de bruit, au réveil éperdu des singes.

Devant les premières portes, en bas, où l’air semble tout à coup surchauffé après la quasi-fraîcheur des terrasses, mes guides m’attendent, déjà en selle et la lance au poing. Et nous repartons, en tranquille chevauchée nocturne, pour cette Jeypore que je quitterai définitivement demain matin. Je renonce à connaître la ville de Beckanire, où je comptais aller, à une centaine de lieues plus loin, mais où je sais à présent que l’horreur atteint son comble et que les rues sont pleines de morts. Non, j’en ai assez vu, hélas ! et je rebrousse chemin vers les pays moins désolés où le voisinage de la mer de Bengale entretient encore la vie.


XI. — LA VILLE DE GRÈS AJOURÉ

Au pays de la famine, que je quitte pour regagner les bords du golfe de Bengale, ma dernière étape est dans la ville du roi de Gwalior[6], la ville sculptée, la ville toute en dentelle blanche, célèbre dans l’Inde pour la magnificence et la fantaisie de ses ciselures sur pierre. C’est presque trop joli, tout ce qu’on voit, trop travaillé, trop ajouré ; on dirait des maisons de parade, qui seraient en fin cartonnage découpé à l’emporte-pièce ; mais elles sont en grès dur et leur luxe délicat n’est point fragile. Les milliers de petites colonnes, encadrant les porches festonnés ou les fenêtres frangées de stalactites, ont des chapiteaux qui imitent des feuillages, et des bases en forme de calice de fleur. Une quantité extravagante de loggias, de moucharabiehs, — toujours en ce grès des carrières voisines, — se superposent et débordent sur la rue. Au pays de Gwalior, si l’on veut faire un grillage de balcon, ou une persienne pour rendre les belles dames invisibles, on prend une grande plaque de grès, amincie comme une planche, et on y découpe des arabesques finement exquises ; une fois en l’air, cela ressemble à de frêles boiseries, ou même cela simule des légèretés de papier. Et tout est peint à la chaux, blanc comme neige, avec çà et là, sur les murailles, d’éclatantes peinturlures représentant des fleurs, des promenades d’éléphans, des cortèges de dieux.

Dès qu’on entre dans la ville féerique, le cauchemar de la famine est déjà presque oublié, malgré la désolation des campagnes, la désolation qui de jour en jour augmente et s’approche ; les gens sont riches, ici, pour acheter des graines ; les gens ont de l’eau encore pour entretenir les jardins, et on vend les roses roses à pleins paniers sur les places, pour les parfums ou les parures.

C’est une ville de Brahma, et cependant les turbans y règnent comme en pays de Mahomet ; — des turbans très particuliers, il est vrai, qui s’enroulent toujours sur une forme rigide et qui, suivant les castes et les situations, varient à l’infini. Les uns ressemblent à une conque marine, les autres à un chaperon Louis XI, à un escoffion, ou encore à un bicorne aux longues ailes relevées. Ils sont en soie écarlate, fleur de pêcher, aurore, jaune soufre ou vert céladon ; comme à Hyderabad, leurs nuances fraîches éclatent sur la blancheur des foules et la blancheur des rues. — Quant au signe de Çiva sur les fronts, il devient ici une sorte de papillon blanc, très soigneusement peint : deux ailes, éployées de chaque côté d’une boule rouge ; tandis que le signe fourchu de Vichnou demeure pareil à ce qu’il était dans le sud de l’Hindoustan.

C’est une ville de cavaliers, qui partout galopent, caracolent sur des bêtes fières, aux harnais dorés ; on y monte aussi beaucoup à éléphant, et les chameaux y processionnent en files nombreuses, et les mulets n’y font point défaut, non plus que les petits ânes, aux pelures grises tirant sur le rose.

Les voitures y sont de la plus diverse extravagance. Il y a les toutes petites, de louage, en cuivre étincelant, avec un toit aussi pointu qu’un dôme de pagode, qui vont comme collées à la croupe de leur cheval, et tout le temps assaillies de ruades. Il y a celles qui roulent avec une lenteur majestueuse, traînées par deux gros zébus indolens, qu’une barre de bronze maintient écartés à un mètre l’un de l’autre, de manière à encombrer toute la rue ; invariablement elles sont en forme d’avant de trirème, en forme d’éperon de navire très orné, mais d’éperon tout à fait aigu, sur lequel les voyageurs sont assis à la file et à califourchon. Les plus grandes enfin, à l’usage des belles qui font leur mystérieuse, ont la tournure d’un œuf de quelque oiseau monstre ; toutes rondes, et jalousement enveloppées d’étoffes rouges, elles se traînent aussi sans hâte ; par l’entre-bàillement d’une draperie, de temps en temps on en voit sortir un beau bras de chair ambrée, avec des cercles d’or, ou bien un pied nu, aux doigts chargés de bagues. Ensuite, il y a des litières de toutes les formes, sur lesquelles on promène de jeunes seigneurs en robe de soie orange ou de soie mauve, les yeux allongés à l’antimoine et les oreilles ornées de diamans ; ou bien de vieux nabahs sévèrement vêtus d’un fourreau en velours violet, en velours pourpre, sur lequel s’épand une barbe couleur de neige ou teinte en vermillon.

Et on se salue beaucoup, le long des jolies rues en dentelle, des jolies rues en tulle de pierre blanche, car on est très courtois, à Gwalior.

C’est assurément dans les hautes castes de ce pays que la beauté des races ariennes atteint son maximum de perfection et de finesse, en des pâleurs à peine plus bistrées que celles des Iraniens. Oh ! les admirables yeux, les presque trop régulières et exquises figures des promeneuses qui passent en groupes d’un coloris éclatant, drapées à la romaine dans des mousselines claires !

Comme on est loin, ici, de l’Inde des grandes palmes, des nudités de bronze et des longues chevelures épandues !

Ces mousselines du Radjpoutan, où l’on s’enveloppe de la tête aux pieds, ont des dessins savamment barbares ; les couleurs y sont toujours jetées comme des taches, comme des cernes sans contours. Telle femme a choisi pour son voile du vert mousse semé de larges cernes roses ; une autre, qui chemine en sa compagnie, est en jaune d’or taché de bleu lapis et de bleu turquoise, ou bien en lilas avec des marbrures jaune orange. La légèreté des tissus, les rayons de soleil qui traversent, la transparence des ombres, font jouer tout cela comme les feux du prisme. Et, parfois, au milieu de ces nuances de fleurs et de matin, passe une autre belle vêtue comme une fée de la nuit, apportant la surprise de voiles tout noirs, zébrés de longues raies d’argent.

L’amusement des couleurs prend une telle importance pour les gens de Gwalior, qu’il y a des rues entières où l’on ne s’occupe qu’à teindre les mousselines, à y semer des taches harmonieuses. Cela se fait en présence des passans, qui s’arrêtent pour regarder, pour exprimer leur avis. Et, quand une pièce est achevée, on l’étend sur les balcons ajourés, ou bien on la confie à deux enfans qui, la prenant chacun par un bout, s’en vont la promener au soleil pour qu’elle sèche. Le quartier des teinturiers a l’air en perpétuelle fête, avec toutes ces étoffes légères, jetées en vélum sur les maisons, ou promenées à la main, flottant comme des banderoles.

On rencontre par la ville des cortèges de noce, qui s’avancent d’une allure lente, précédés par des tambourins et des musettes, le marié à cheval, et à labri d’un immense parasol que des serviteurs balancent au-dessus de sa tête. On rencontre des cortèges de mort, qui courent à toutes jambes, le cadavre ligoté empaqueté d’étoffes, secoué par le trot des gens qui le portent à l’épaule, et suivi d’une horde essoufflée qui hurle comme les chiens à la lune. Aux coins des rues, des fakirs, barbouillés de cendres, se tordent épileptiquement dans la poussière, et prient comme s’ils agonisaient. Sur la grande place du marché, entourée de temples et de kiosques en fines découpures, les femmes, aux voiles de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, assaillent les marchands de tapis, de soieries, de fruits, de galettes et de graines ; on n’aperçoit nulle part ces horreurs cadavériques, toujours étalées chez nous, — poissons fétides, entrailles ou lambeaux de chair, — puisque le peuple de Brahma ne mange d’aucune chose ayant vécu ; et ce qui se vend surtout, ce sont les roses roses, sans tige, apportées en monceaux, pour servir à composer des essences, ou simplement à faire des colliers.

Des portiques très blancs, surmontés de miradors en grès ajouré, donnent accès dans l’immense quartier royal : ce sont des palais, tout neigeux de blancheur et entourés de parterres de roses blanches, parmi de grands arbres languissans qui gardent en avril leurs teintes d’arrière-automne ; ce sont des parcs solitaires, qui se dessèchent de jour en jour, sans que le roi ait le pouvoir de l’empêcher ; ce sont des petits lacs, aujourd’hui taris, avec, sur les bords, des kiosques merveilleusement ciselés, où la cour venait prendre le frais, au temps où il y avait de la pluie, de l’eau et des feuillées épaisses.

Dans les allées quasi automnales où, à force de soins, les roses de bordure fleurissent encore, des paons se promènent, et des singes plaintifs, qui ont l’air de s’inquiéter de toute cette soif de la terre, de toute cette détresse envahissante.

Le roi de Gwalior, en ce moment, s’est retiré sur la cime des rochers voisins, pour essayer d’échapper à la fièvre qui le ronge. Je suis cependant autorisé de sa part à entrer, et les portes s’ouvrent.

Des salles meublées à l’européenne ; des dorures, des brocarts, des lustres de Baccarat : on se croirait au Palais-Bourbon ou à l’Elysée. Mais, au milieu de ce luxe banal des appartemens, on sent quand même l’Inde, qui est là derrière les murs tendus de soie ; on sent la mélancolie de ces parcs, effeuillés au printemps, et l’angoisse de ce pays qui souffre. Quant au jeune seigneur, qui m’a introduit là et qui me guide avec une grâce élégante, c’est un personnage de féerie, vêtu de blanc et coiffé d’un chaperon de soie rose : aux oreilles, des perles, et deux rangs de grosses émeraudes en collier. Comme visage, il rappelle ces princes invraisemblablement jolis, que représentaient les vieilles miniatures indiennes ou persanes : des yeux déjà trop grands, allongés par des fards, un nez trop fin, une trop soyeuse moustache noire, et trop de sang vermeil aux joues, formant tache rosée sous l’ambre transparent de la peau.

Les palais funéraires des anciens rois de Gwalior occupent, de l’autre côté de la ville, tout un silencieux quartier. Au milieu de jardins, ce sont des temples en grès ou en marbre, dont les pyramides ont forme de cyprès colossal, de grand if de cimetière.

De tous ces mausolées, qui dressent leurs tours pointues vers le ciel, le plus somptueux est celui où dort, depuis peu d’années, le précédent Maharajah. Le grès et le marbre blanc y sont travaillés avec magnificence, et, au fond, à la place très sacrée, est assise une vache en marbre noir, un des symboles les plus vénérés du brahmanisme. On vient à peine de le finir, ce tombeau royal, et déjà les oiseaux l’ont envahi. Hiboux, tourterelles et perruches nichent par tribus dans la pyramide, dont les escaliers sont semés de plumes vertes ou grises. La pyramide est très haute, et, du sommet, la ville, sous le tournoiement des corbeaux et des aigles, apparaît toute, avec ses maisons en dentelle, ses palais, ses jardins mourans, les grands ifs de pierre de ses temples. Ses environs, ainsi qu’il arrive toujours dans l’Inde, sont encombrés de ruines : anciens Gwalior, anciens quartiers, anciens palais, abandonnés au cours des siècles, à la suite de fantaisies ou de guerres. Un côté de l’horizon est occupé par une de ces citadelles de Titans comme on en construisait partout dans ces pays, aux âges héroïques, alors que les nobles peuples hindous, non encore domestiqués par l’étranger, vivaient d’une vie libre, belliqueuse et superbe : une lieue de remparts, de donjons et de vieux palais farouches, couronnent là-bas des rochers abrupts, de plus de cent mètres de haut. Enfin se déroulent les lointains extrêmes, d’une nuance de cendre et de feuille rousse ; et ces forêts mortes, ces jungles mortes, aperçues dans le recul effacé des derniers plans, jettent leur menace silencieuse à la ville encore insouciante et gaie, annoncent que la famine s’approche.


Sur un éléphant du roi, le dernier soir, et en compagnie d’un aimable personnage de la cour, j’ai fait ma promenade d’adieu dans la ville du grès ajouré, à l’heure moins chaude où les femmes aux mousselines peintes, aux mousselines argentées, prennent l’air sur les balcons précieux.

On reconnaissait mon compagnon et le costume des deux coureurs qui nous précédaient ; alors on saluait beaucoup.

Le long des rues étroites, le dos de l’énorme bête — un éléphant femelle, dans la soixante-quinzième année de sa vie, — nous mettait à la hauteur des premiers étages, à toucher les moucharabiehs délicats, les galeries sculptées où rêvaient les belles, et toutes s’inclinaient en portant les deux mains au front.

A un carrefour, des nattes avaient été tendues pour enclore, jusqu’à hauteur d’homme, une partie de la place ; mais nous passions assez haut montés pour voir par-dessus la fermeture légère. Et c’était une fête de mariage que l’on avait ainsi installée dans la rue, devant la maison des époux, jugée trop petite ; quantité de jeunes femmes très parées, aux voiles pailletés d’or, se tenaient là assises en cercle pour écouter des musiciens et des chanteurs.

Sur la place du marché, que de saints ! Les humbles marchands et les pauvres se courbaient en révérences profondes. Les beaux cavaliers se bornaient à un signe de tête, chacun retenant son cheval — que toujours un éléphant terrorise — et qui ruait ou se cabrait, chavirant des mannequins de roses. Même des troupes de bébés, même d’adorables petites filles de cinq ou six ans, aux yeux très peints, s’arrêtaient pour porter gravement les mains au front, et leur gentil salut comique nous arrivait de tout en bas, de presque dessous notre bête monstre, — qui du reste posait ses pieds l’un devant l’autre avec des précautions maternelles, pour ne pas leur faire de mal.

Et je me rappelle, au tournant d’une rue à peine assez large, où nos flancs rasaient les murs, une secousse, un brusque arrêt : la tête d’un autre éléphant plus énorme encore, un mâle avec de longs ivoires, apparaissait, arrivant en sens inverse, juste en face de nous... Une minute d’indécision ! Vraiment on eût dit qu’ils se consultaient avec courtoisie, les deux colosses, — d’ailleurs commensaux dans les mêmes écuries royales et devant beaucoup se connaître. L’autre, enfin, fit trente pas en arrière, entra à reculons dans une cour, et nous passâmes, frôlés par sa trompe.


XII. — LA MONTAGNE DES ROIS

L’heure méridienne approche, resplendissante et morne, sur les désolations de l’Inde. Calmement, l’éléphant monte ; par une rampe, taillée en des proportions surhumaines, il s’élève au flanc d’une montagne encombrée de ruines, qui est comme une immense nécropole de dieux, de temples et de palais.

En montant, il zigzague sur la route, pour rendre l’ascension plus douce ; toute sa masse dandinante me berce d’ondulations molles, et chacun de ses pas donne le sentiment de sa lourdeur de colosse, par l’écrasis de poussière qui se fait sous son pied large. Cependant sa marche feutrée est à peine bruyante et, dans le silence absolu des entours, on n’entend guère que le son grave des deux cloches d’argent pendues à ses côtés, qui sonnent un carillon mélancolique, à intervalle mineur. Parfois aussi un grand fouettement de plumes, dans l’air immobile et chaud : un vautour, un aigle passe.

La montée est raide, au flanc des roches verticales. Du côté du vide, un mur épais et bas, aux créneaux de forteresse, se découpe sur les lointains grisâtres, estompés de poussière et d’éblouissemens de soleil. Du côté de la montagne, on est dominé par des choses cyclopéennes ; cent mètres de granit à pic, avec un couronnement de châteaux, de donjons comme les hommes de nos jours n’oseraient ni ne pourraient plus en construire ; en levant la tête, on aperçoit, sur une longueur infinie, ces prodigieux palais des anciens âges, en style inconnu, qui, depuis des siècles, tout au bord de l’abîme, se tiennent debout sans vertige, avec leurs guérites surplombantes et leurs miradors. Par-dessus la forteresse naturelle qu’était déjà cette montagne, des dynasties de rois dont nous n’imaginons plus l’existence ont fait pendant plus de mille ans entasser les blocs sur les blocs pour se créer là-haut d’imprenables repaires. Vraiment les manoirs et châteaux forts de nos petits hobereaux d’Occident font sourire, à côté de ces ruines écrasantes dont l’Inde est partout surchargée.

L’éléphant monte lourdement, au carillon de ses deux cloches monotones et douces. Le soleil vertical dessine sous lui son ombre ballottante et reproduit en noir par terre le balancement de sa trompe. Deux hommes, qui par étiquette nous précèdent, grimpent comme en somnolence, tenant en main de longues cannes de parade à pomme argentée. Des portes, à différentes altitudes, coupent ce chemin, par lequel nous nous élevons avec une lenteur orientale ; il va sans dire, ce sont de terribles portes, surmontées de donjons à meurtrières ; et des soldats de Gwalior les gardent, sans doute parce que leur roi habite en ce moment là-haut, parmi les débris du passé grandiose. Les lointains élargissent autour de nous leur cercle vague ; la nuance des arbres desséchés s’y fond en grisaille, sous l’espèce de brouillard de cendre suspendu dans l’air ; l’horizon gris se perd dans le ciel gris, saturé de poussière étincelante, et les grands oiseaux de proie se lassent de tourbillonner depuis le matin au-dessus de tout cela, qui sent la soif, l’épuisement et la mort.

Une réverbération torride émane des rochers ; il n’y a aucun souffle dans l’atmosphère ; voici que les oiseaux mêmes s’endorment, vaincus par la torpeur méridienne ; aigles et vautours replient leurs ailes, se posent et nous regardent passer. L’allure de l’éléphant engourdit l’esprit peu à peu, comme un continuel bercement de gondole ; les yeux se ferment éblouis, et, bientôt, au milieu de cet ensemble de choses grises, où le rouge même des granits s’atténue sous la poussière des années sans eau, je ne perçois plus guère que les premiers plans, les objets qui éclatent devant moi tout proches. C’est d’abord un turban doré, une nuque brune, un dos drapé de blanc, une petite lance acérée : le cornac hindou, accroupi à la Bouddha sur le front de la bête et tenant en main l’arme directrice. Ensuite c’est un peu du drap écarlate de la têtière, et ce sont les deux gigantesques oreilles roses, tigres de noir, qui s’agitent en continuel mouvement d’éventail, pour écarter les taons et les mouches.

Il monte, l’éléphant, infatigable, docile et calme, meurtrissant la route sous ses pieds lourds. A côté de lui, au flanc des roches, de gros blocs arrondis, qui déjà lui ressemblaient, ont été plus ou moins retaillés à son image, par des hommes d’on ne sait quelle époque perdue dans la nuit ; de vagues bas-reliefs représentent des trompes, des têtes à longues défenses, ou parfois des croupes, à peine dégagées de la masse primitive. Il y a aussi maintenant des inscriptions en plusieurs langues disparues, et beaucoup de dieux sculptés à même la montagne, dans des niches, — œuvres des Pals ou des Jaïnas, qui furent les premiers habitans de ce lieu formidable.

En bas, dans la plaine brûlante, sous l’espèce de buée de cendre qui flotte, les ruines de l’ancien Gwalior commencent de se découvrir ; et aussi les blancheurs du nouveau, — que les Indiens appellent dédaigneusement Lachkar (le campement), — ses grands ifs de pierre, les tours de ses temples brahmaniques. Il est midi. Du feu blanc descend sur nos têtes, les granits surchauffés ont un rayonnement de fournaise. Aigles, vautours et corbeaux dorment, hébétés de silence et de chaleur.

Et, montant toujours, nous arrivons au pied de ces palais terrifians, qui sont assis au bord du vide et qui prolongent en hauteur la crête de la montagne. Les façades à tourelles ont une magnificence incomparable, bâties dans toute leur étendue par assises régulières, en monstrueux blocs toujours égaux, et ornées d’une profusion de mosaïques, en émail bleu, vert et or, représentant toutes sortes de personnages et de bêtes. C’étaient jadis les demeures des puissans rois de Gwalior, qui, jusqu’au XVIe siècle, vécurent là perchés, et inaccessibles.

Une dernière porte colossale, revêtue d’émaux bleu-de-lapis, que gardent encore des soldats du Maharajah, nous donne enfin accès sur ce plateau du sommet qui a presque une lieue de long ; qui est entièrement entouré de remparts ; qui est réputé la position la plus imprenable de toute l’Inde occidentale ; qui depuis les temps historiques n’a cessé d’être un objet de convoitise pour les rois guerriers ; qui a vu d’étonnantes batailles ; dont l’histoire emplirait des volumes, — et qui n’est plus qu’une haute solitude couverte de palais, de tombeaux, de temples et d’idoles de toutes les civilisations et de tous les âges. Nulle part dans notre Europe on ne trouverait un lieu qui puisse lui être comparé, un si tragique musée des grandeurs disparues.

Devant le premier palais orné d’émail, qui est aussi le moins farouchement archaïque et le moins détruit, l’éléphant s’agenouille, nous mettons pied à terre, et nous entrons.

Il a cinq cents ans à peine, celui-ci ; mais ses soubassemens cyclopéens datent des rois Pals, dont la dynastie fut régnante à Gwalior depuis le IIIe siècle jusqu’au Xe siècle de notre ère. Des salles trapues, formidables, plafonnées en blocs de granit. Le silence particulier des ruines, une pénombre subite et, pour nous qui venons du brûlant dehors, un peu de fraîcheur. Il ne reste du luxe d’autrefois que la profusion des sculptures et les merveilleux émaux des murailles, représentant des bêtes ailées, des phénix, des paons, aux plumes vertes ou bleues, d’un coloris éclatant et inaltérable dont le secret est perdu. La vision du monde extérieur ne pénétrait dans ce palais qu’à travers des plaques de granit, scellées dans la maçonnerie et percées de petits trous : telles étaient les fenêtres où venaient rêver les belles captives, et où sans doute les rois s’installaient pour observer les nuages, les lointains de la plaine, les armées, les batailles. Toute la façade qui regarde l’abîme, — et qui n’a pas moins de cent pieds de haut sur trois cents pieds de long, — toutes les salles, toutes les chambres, solides comme des casemates, ne respirent que par ces plaques ajourées, qui ne pouvaient s’ouvrir ni pour la fuite, ni pour le suicide, ni pour l’amour ; qui sont oppressantes plus que les barreaux de fer de nos prisons. Et partout, sous les dalles, des escaliers sournois descendent dans des caves, des souterrains, des oubliettes ; on ne sait jusqu’à quelle profondeur la montagne est creusée de puits perdus et de galeries noires.

D’autres palais, à côté de celui-là, se succèdent, de plus en plus barbares. L’un, construit en blocs plus lourds encore, et qui date des rois Pals. Un autre qui est du temps des Jaïnas, presque informe aujourd’hui et confondu avec le rocher, n’ayant que de toutes petites fenêtres percées en triangle, comme des meurtrières.

Ailleurs, ce grand plateau fortifié est couvert de temples dont la diversité seule raconterait toutes les phases du brahmanisme ; il est percé de citernes, en cas de siège, assez grandes pour approvisionner indéfiniment des milliers d’hommes ; il est tout planté de statues et de tombeaux.

Dans un temple Jaïna. dont les dieux furent mutilés jadis par les soldats du Grand-Mogol, je m’arrête à songer, à comparer avec les monumens religieux de notre antiquité chrétienne... nos églises, même les plus belles, sont faites de petites pierres inégales, collées au ciment. Ici au contraire, les blocs énormes, choisis et tous réguliers, ajustés, emboîtés les uns dans les autres avec une précision d’horlogerie, tiennent d’eux-mêmes par leur exactitude et par leur masse, forment un ensemble presque éternel...


Maintenant j’ai repris place, avec mes Indiens, sur le dos de la bête lente et berceuse, et, au son des mêmes cloches argentines, avec la même tranquillité, nous redescendons par l’autre versant de la montagne, dans un gouffre de rochers rouges qui bientôt jettent sur nos têtes un peu d’ombre. Nous croisons des cavaliers qui montaient, mais dont les chevaux se cabrent et s’affolent, et un dromadaire qui fait brusque volte-face, en laissant tomber sa charge : même en ce pays de l’éléphant, il est peu d’animaux qui s’habituent à passer près de lui sans terreur.

Cette gorge, par laquelle nous descendons, est peuplée de géans de pierre[7] ; elle est la demeure des colosses des Tirthankars, taillés à même la montagne, debout ou assis, dans des niches, dans des cavernes. Il en est de vingt pieds de haut, complètement nus et presque obscènes dans les détails de leur nudité. D’un côté à l’autre de la vallée, ils se regardent, et nous cheminons au milieu d’eux.

Mais l’armée iconoclaste du Grand-Mogol est passée, au XVIe siècle, par cette route, entre les mêmes personnages, brisant à ceux-ci la tête, à ceux-là le sexe ou les mains, et tous sont mutilés[8].

Il nous semble à présent en apercevoir de nouveaux, là-bas, à travers la chaude poussière dont tout le pays s’embrume... Dans d’autres vallées, qui se découvrent devant nous, dans d’autres rochers, la peuplade immobile se continue ; nous ne la voyons pas finir. Il y a comme de la cendre en suspens dans l’air, et toujours, partout, des éblouissemens de soleil ; la chaleur nous endort, et aussi le tranquille carillon de nos deux cloches ; à mesure que nous descendons, tout se voile de plus en plus, et c’est en demi-sommeil que nous continuons notre marche oscillante, au milieu des géans, dont la notion peu à peu se déforme dans notre esprit...


PIERRE LOTI.

  1. Voyez la Revue du 1er janvier.
  2. L’expédition de Ceylan, relatée dans le Ramayana.
  3. Pendant son séjour aux Indes, M. Pierre Loti, ému de la détresse des populations radjpoutes, avait envoyé directement, de Jeypore, au Figaro, ses impressions sur la famine, dans l’espoir de réveiller la pitié publique et de provoquer des secours. Son article d’alors avait été reproduit dans plusieurs journaux, surtout en Angleterre ; cependant il nous a paru si fâcheux de tronquer l’ensemble de l’œuvre, que nous n’avons pas hésité à réimprimer ces quelques pages. En faveur de l’intention charitable, nos lecteurs pardonneront sans doute à M. Pierre Loti, et, au nom de leur intérêt même, à la rédaction de la Revue.
  4. Jeypore fut fondée en 1728.
  5. La nourriture frugale d’un Indien coûte à peu près trois sous par jour !
  6. A environ 80 lieues dans l’est de Jeypore.
  7. Les plus grandes de ces statues sont celles de Parvasnath et celle du Tirthankar Adinath, fondateur de la religion Jaina ; elles ne remontent guère au delà du XVe siècle.
  8. Mutilations ordonnées par l’empereur Babar, en 1527.