D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme/8


VIII

L’ÉDUCATION DE L’ŒIL

Un progrès par génération. — Les peintres conspués sont les éducateurs. — Obstacles que rencontrent les coloristes. — Faute d’éducation, le public est insensible à l’harmonie et a peur de toute belle couleur. — C’est l éclat et non la facture des néo-impressionnistes qui choque.

1. Pourquoi donc la division, qui peut se prévaloir d’avantages que n’assurent pas les autres techniques, a-t-elle rencontré tant d’hostilité ? C’est qu’en France, on est rebelle à toute nouveauté d’art et, non seulement insensible, mais hostile à la couleur. (Songeons que notre guide national, le Joanne, au lieu de renseigner simplement, éprouve le besoin d’exciter le touriste au rire et à l’incompréhension devant les admirables colorations des Turner du South Kensington Muséum.)

Or, on avait contre l’art néo-impressionniste ce double grief : il constituait une innovation, et les tableaux exécutés selon sa technique brillaient d’un éclat inaccoutumé.

Il est inutile qu’on dresse ici la liste de tous les peintres très novateurs qui ont été conspués en ce siècle et qui ont ensuite imposé leur vision particulière. Ces injustices, cette lutte, ces triomphes, c’est l’histoire de l’art.

On conteste d’abord toute manifestation nouvelle ; puis, lentement, on s’habitue, on admet. Cette facture qui choquait, on en perçoit la raison d’être, cette couleur qui provoquait des clameurs semble puissante et harmonieuse. L’inconsciente éducation du public et de la critique s’est faite, au point qu’ils se mettent à voir les choses de la réalité telles que s’est plu à les figurer le novateur : sa formule, hier honnie, devient leur critérium. Et, en son nom, l’effort original qui se manifestera ensuite sera bafoué, jusqu’au jour où il triomphera, lui aussi. Chaque génération s’étonne après coup de son erreur, et récidive.

Vers 1850, on écrivait ceci au sujet des tableaux de Corot — car, oui, le doux Corot froissait le goût du public :

« Comment M. Corot peut-il voir la nature telle qu’il nous la représente ?… C’est en vain que M. Corot voudrait nous imposer sa façon de peindre les arbres, ce ne sont pas des arbres, c’est de la fumée. Pour notre part, dans nos promenades, il ne nous a jamais été donné de voir des arbres ressemblant à ceux de M. Corot. »

Et vingt-cinq ans plus tard, lorsque Corot a triomphé, on l’invoque pour nier Claude Monet :

« Monet voit tout en bleu ! Terrains bleus, herbe bleue, arbres bleus. Beaux arbres de Corot, pleins de mystère et de poésie, voilà ce qu’on a fait de vous ! On vous a trempés dans le baquet de bleu d’une blanchisseuse ! »

Une même génération ne fait pas deux fois l’effort nécessaire pour s’assimiler une façon de voir nouvelle. Les détracteurs de Delacroix ont dû céder à ses partisans. Mais ces derniers n’ont pas compris les coloristes qui lui succédaient, les impressionnistes. Ceux-ci à leur tour ont triomphé, et aujourd’hui les amateurs des Monet, des Pissarro, des Renoir, des Guillaumin abusent de la réputation de bon goût que ce choix leur a acquise pour réprouver le néo-impressionnisme.

Il faut plus qu’un quart de siècle pour qu’une évolution d’art soit admise. Delacroix lutte de 1830 à 1863 ; Jongkind et les impressionnistes, de 1860 à 1890. Vers 1886, apparaît le néo-impressionnisme, développement normal des recherches précédentes et qui, d’après cette tradition, a donc droit encore à quelques années de luttes et de travail avant que soit agréé son apport. Parfois même l’intérêt financier se coalisera avec l’ignorance pour entraver un mouvement novateur et gênant. Gustave Geffroy l’a bien dit :

« Les producteurs dont la raison sociale est cotée, et tous ceux qui vivent de cette production consacrée par le succès, forment une association, avouée ou tacite, contre l’art de demain. »

2. C’est surtout lorsqu’elle tend vers la lumière ou vers la couleur qu’une innovation se heurte à des mauvaises volontés. Les changements de thème de la peinture, corrélatifs aux variations de la mode littéraire, sont facilement admis par ces mêmes gens qu’effarouche le moindre éclat nouveau. Les déformations des Rose-Croix n’ont certes pas provoqué l’hilarité autant que les locomotives bleues de M. Monet ou les arbres violets de M. Cross. Rarement un dessin, une statue excitent la colère d’un public incompréhensif : une audace de couleurs, toujours.

Toute couleur pure et franche choque ; on n’aime que la peinture plate, lisse, assourdie et terne. Que, sous prétexte d’ombre, la moitié d’une figure soit couverte de bitume ou de brun, le public l’admet volontiers, mais non de bleu ou de violet. Pourtant les ombres participent toujours de ce bleu ou de ce violet qui lui répugnent, et non des teintes excrémentielles qui ont son agrément. La physique optique, elle aussi, le dirait.

Il y a en effet une science de la couleur, facile et simple, que chacun devrait apprendre et dont la connaissance éviterait tant de sots jugements. Elle peut se résumer en dix lignes qu’on devrait enseigner aux enfants de l’école primaire, à la première heure de la première leçon du cours le plus élémentaire de dessin.

Charles Blanc déplore cette ignorance du public — et toujours au sujet de Delacroix :

« Bien des gens supposent que le coloris est un pur don du ciel et qu’il a des arcanes incommunicables. C’est une erreur : le coloris s’apprend comme la musique. De temps immémorial, les Orientaux en ont connu les lois, et ces lois se sont transmises de génération en génération depuis les commencements de l’histoire jusqu’à nous. — De même que l’on fait des musiciens, au moins corrects et habiles, en enseignant le contre-point, de même on peut former des peintres à ne pas commettre des fautes contre l’harmonie, en leur enseignant les phénomènes de la perception simultanée des couleurs.
------ « Les éléments du coloris n’ont pas été analysés et enseignés dans nos écoles, parce qu’on regarde en France comme inutile d’étudier les lois de la couleur, d’après ce faux adage qui court les bancs : « On devient dessinateur ; on naît coloriste. »
------ «… Les secrets du coloris ! Pourquoi faut-il appeler secrets, des principes que tous les artistes devraient savoir et qu’on aurait dû enseigner à tous ! »

Les Artistes de mon temps : Eugène Delacroix.

Ces lois de la couleur peuvent en quelques heures s’apprendre. Elles sont contenues dans deux pages de Chevreul et de Rood. L’œil guidé par elles n’aurait plus qu’à se perfectionner. Mais, depuis Charles Blanc, la situation n’a guère changé. On n’a rien fait pour propager cette éducation spéciale. Les disques de Chevreul, dont l’usage amusant pourrait prouver à tant d’yeux qu’ils ne voient pas et leur apprendre à voir, ne sont pas encore adoptés pour les écoles primaires, malgré tant d’efforts dans ce sens qu’a faits le grand savant.

C’est cette simple science du contraste qui forme la base solide du néo-impressionnisme. Hors d’elle, pas de très belles lignes, ni de parfaites couleurs. Si nous constatons chaque jour les services qu’elle peut rendre à l’artiste, en dirigeant et fortifiant son inspiration, nous cherchons encore le dommage qu’elle lui peut causer. Dans la préface de son livre, Rood en montre toute l’importance :

« Nous nous sommes efforcé aussi de présenter d’une manière simple et intelligible les faits essentiels dont dépend nécessairement l’emploi artistique des couleurs. — La connaissance de ces faits ne pourra pas, bien entendu, transformer le premier venu en artiste ; mais elle pourra jusqu’à un certain point empêcher des gens du monde, des critiques, et même des peintres de parler ou d’écrire sur la couleur d’une manière vague, inexacte et quelquefois irrationnelle. Nous irons plus loin encore, et nous dirons que la connaissance réelle des faits élémentaires sert souvent à signaler aux débutants l’existence de difficultés qui sont presque insurmontables, ou peut-être encore, lorsqu’ils sont embarrassés, à leur révéler la nature probable de l’obstacle qui les arrête ; en un mot une certaine introduction élémentaire épargne aux travailleurs des efforts inutiles. »

Il ne s’agit pas, en effet, pour être coloriste, de poser des rouges, des verts, des jaunes, à côté les uns des autres, sans règle ni mesure. Il faut savoir ordonner ces divers éléments, sacrifier les uns pour faire valoir les autres. Bruit et musique ne sont pas synonymes. La juxtaposition de couleurs, si intenses qu’elles soient, sans observation du contraste, c’est du coloriage et non du coloris.

3. Un des grands blâmes adressés aux néo-impressionnistes, c’est qu’ils sont trop savants pour des artistes : empêtrés dans leurs recherches, ils ne peuvent exprimer librement leurs sensations, dit-on.

Répondons que le moindre tisserand oriental en sait autant qu’eux. Ces notions qu’on leur reproche ne sont guère compliquées. Les néo-impressionnistes ne sont pas trop savants. Mais ne pas connaître les lois du contraste et de l’harmonie, c’est être trop ignorant.

Pourquoi donc la possession de ces règles de beauté annulerait-elle leurs sensations ? Un musicien, parce qu’il sait que le rapport 3/2 est un rapport d’harmonie, et un peintre, parce qu’il n’ignore pas que l’orangé forme avec le vert et le violet une combinaison ternaire, en sont-ils moins des artistes susceptibles d’être émus et capables de nous émouvoir ? Théophile Silvestre l’a dit : « Ce savoir presque mathématique, au lieu de refroidir les œuvres, en augmente la justesse et la solidité. »

Les néo-impressionnistes ne sont pas esclaves de la science. Ils la manient au gré de leur inspiration : ils mettent ce qu’ils savent au service de ce qu’ils veulent. Peut-on reprocher à de jeunes peintres de ne pas avoir négligé cette partie essentielle de leur art ? quand on voit qu’un génie comme Delacroix a dû s’astreindre à cette étude des lois de la couleur et y a pu trouver profit, ainsi que le reconnaît Charles Blanc en cette note :

« C’est pour avoir connu ces lois, pour les avoir étudiées à fond, après les avoir par intuition devinées, qu’Eugène Delacroix a été un des plus grands coloristes des temps modernes. »

4. Le public se soucie beaucoup plus du sujet d’un tableau que de son harmonie. Comme le constate Ernest Chesneau :

« Les mieux doués, parmi ceux qui forment le public des expositions, ne paraissent pas soupçonner qu’il est nécessaire de cultiver ses sens pour atteindre à la pleine jouissance des plaisirs intellectuels dont les sens ne sont que des organes sans doute, mais les organes essentiels. On ne se doute pas assez qu’il faut avoir le regard juste pour comprendre et juger — je veux dire goûter — la peinture, la statuaire ou l’architecture, autant que l’oreille juste pour goûter la musique. — Suivant jusqu’au bout la comparaison, qui est rigoureuse, ajoutons que le regard comme l’oreille, même naturellement justes, ont besoin d’une éducation progressive pour pénétrer dans toutes leurs délicatesses l’art des sons et l’art des couleurs. »
« La Chapelle des Saints-Anges à Saint-Sulpice. »
(L’Art — Tome xxviii.)aint-Sulpice. »

Même, la plupart des peintres sont insensibles au charme de la ligne et de la couleur. Ils sont rares, les artistes qui pensent, avec Ruskin : « La dégradation est aux couleurs ce que la courbure est aux lignes », et, avec Delacroix : « Il y a des lignes qui sont des monstres, deux parallèles. » Les peintres de notre temps ont d’autres préoccupations que ces principes de beauté. Nous pouvons affirmer qu’il n’en est pas un sur cent qui se soit donné la peine d’étudier cette partie primordiale de son art. Gavarni déclare, à propos des tableaux du maître :

« C’est du barbouillage de paravent… Ça tient du torche-cul et du papier de tenture ; puis là-dessus des gens qui viennent parler au bourgeois du supernaturalisme de ça !… Nous sommes vraiment dans le Bas-Empire du verbe, dans le pataugement de la couleur. »

Et les Goncourt écrivent (la Peinture à l’Exposition de 1855) :

« Delacroix à qui a été refusée la qualité suprême des coloristes, l’harmonie. »

La plupart des critiques, en effet, ne peuvent guère, faute d’éducation technique, se rendre compte de l’accord de deux teintes ou du désaccord de deux lignes. Ils jugent plutôt par le sujet, la tendance, le genre, sans se préoccuper du côté « peintre ». Ils font de la littérature à propos de tableaux, non de la critique d’art. — Citons cette note de Delacroix : « Oculos habent et non vident, veut dire : De la rareté des bons juges en peinture. » Lui qui disait : « Voici plus de trente ans que je suis livré aux bêtes », il avait assez souffert de l’ignorance du public et de la critique pour se rendre bien compte des difficultés que rencontrent les coloristes. Dans son Journal, il écrit :

« Je sais bien que cette qualité de coloriste est plus fâcheuse que recommandable… Il faut des organes plus actifs et une sensibilité plus grande pour distinguer la faute, la discordance, le faux l’apport des lignes et des couleurs. »

Et, sur le même sujet, il écrit à Baudelaire (8 octobre 1861) :

« Ces effets mystérieux de la ligne et de la couleur que ne sentent, hélas ! que peu d’adeptes… Cette partie musicale et arabesque… n’est rien pour bien des gens, qui regardent un tableau comme les Anglais regardent une contrée quand ils voyagent. »

Cette haine ou cette indifférence pour la couleur, dont Delacroix vivant a tant souffert, n’en supporte-t-il pas encore les conséquences ? Il nous semble qu’on est bien insoucieux de ses œuvres. Qu’on se rappelle ce public si froid devant son exposition à l’École des Beaux-Arts, et qui se ruait, enthousiaste, à celle de Bastien-Lepage, ouverte en même temps, à côté, à l’hôtel de Chimay. Et jamais, dans les longues stations que nous avons faites, à Saint-Sulpice, devant les décorations de la Chapelle des Saints-Anges, nous n’avons été troublé par un visiteur.

Eugène Véron, le biographe de Delacroix, a bien noté cette persistante injustice :

« Faut-il en conclure que les multitudes qui se pressent à ces expositions soient enfin arrivées à comprendre son génie ? On n’a pour s’en assurer qu’à comparer la réserve des visiteurs et leur silence embarrassé, en face des toiles de Delacroix, aux cris d’oiseaux que poussent les femmes quand, au Salon ou aux expositions des cercles, elles se trouvent en face de quelque toile des soi-disant maîtres actuels de l’École française. Voilà de l’admiration franche et sincère. A-t-on jamais rien vu de pareil aux expositions de Delacroix ? Cela n’a rien d’extraordinaire : c’est le contraire qui serait extraordinaire. »

5. Devant la peinture de Delacroix, ce qui exaspérait tant de gens, c’était moins la fureur de son romantisme que ses hachures et sa couleur intense ; devant la peinture des impressionnistes, c’était la nouveauté de leurs virgules et de leurs colorations. Et, dans l’apport des néo-impressionnistes, ce qui a dérouté, c’est — plus encore que la division de la touche — l’éclat insolite de leurs toiles. À l’appui de cette proposition, citons un cas topique. Les tableaux de M. Henri Martin, dont la facture est absolument empruntée au néo-impressionnisme, trouvent grâce devant le public, la critique, les commissions municipales et l’État. Chez lui le point ne choque pas, et pourtant il est inutile — donc gênant —, puisque, de couleur grise, terne et rabattue, il ne procure pas de bénéfices de luminosité ou de coloration de nature à faire passer sur les inconvénients possibles du procédé. Représenté par lui, le pointillisme est admis au Luxembourg, à l’Hôtel de Ville, tandis que le grand Seurat, instaurateur de la division et créateur de tant d’œuvres calmes et grandes, est encore méconnu (en France du moins, car l’Allemagne, mieux avertie, a su acquérir les Poseuses et d’autres toiles importantes que nous verrons quelque jour au musée de Berlin).

Peut-être, les années aidant, le public complétera-t-il son éducation : espérons en des temps où il sera plus sensible à l’harmonie, où il ne redoutera plus la puissance d’une couleur, où il en goûtera calmement la beauté, et constatera que les plus vives colorations d’un peintre sont timides au prix des colorations dont se pare la nature. Du moins un grand progrès a-t-il été fait grâce aux maîtres impressionnistes. Tels spectateurs qui s’étonnaient ou protestaient autrefois devant des tableaux impressionnistes reconnaissent maintenant que les Monet, les Pissarro se mêlent en parfaite harmonie aux Delacroix, aux Corot, aux Rousseau, aux Jongkind, dont ils sont le développement.

De même, le public reconnaîtra peut-être un jour que les néo-impressionnistes auront été les représentants actuels de la tradition coloriste, dont Delacroix et les impressionnistes furent en leur temps les champions. Quels peintres peuvent, à plus juste titre, se réclamer de ces deux patronages ? Ni ceux qui peignent noir, blanc ou gris, ni ceux dont le coloris rappelle « le tas de vieux légumes pourris », signalé par Ruskin comme le suprême degré de laideur que puisse atteindre la couleur, ni ceux qui peignent à teintes plates. Car ces procédés sont sans relations avec les principes des maîtres que les néo-impressionnistes revendiquent.

Il est peut-être facile de peindre plus lumineux que les néo-impressionnistes, mais en décolorant ; ou plus coloré mais en assombrissant. Leur couleur est située au milieu du rayon qui, sur un cercle chromatique, va du centre — blanc — à la circonférence — noir. Et cette place lui assure un maximum de saturation, de puissance et de beauté. Un temps viendra, où l’on trouvera soit à tirer un meilleur parti des couleurs dont le peintre dispose actuellement, soit à employer de plus belles matières ou de nouveaux procédés — comme, par exemple, la fixation directe des rayons lumineux sur des subjectiles sensibilisés ; mais, il faut le constater, ce sont les néo-impressionnistes qui ont su tirer des ressources actuelles le résultat à la fois le plus lumineux et le plus coloré : à côté d’une de leurs toiles et malgré les critiques qu’elle peut d’ailleurs encourir, tout tableau, si grandes que soient ses qualités d’art, paraîtra sombre ou décoloré.

Bien entendu, nous ne faisons pas dépendre le talent d’un peintre du plus ou moins de luminosité et de coloration de ses tableaux ; nous savons qu’avec du blanc et du noir on peut faire des chefs-d’œuvre et qu’on peut peindre coloré et lumineux sans mérite. Mais si cette recherche de la couleur et de la lumière n’est pas l’art tout entier, n’en est-elle pas une des parties importantes ? N’est-il pas un artiste, celui qui s’efforce de créer l’unité dans la variété par les rythmes des teintes et des tons et qui met sa science au service de ses sensations ?

6. Se rappelant la phrase de Delacroix : « La peinture lâche est la peinture d’un lâche », les néo-impressionnistes pourront être fiers de leur peinture austère et simple. Et si, mieux que la technique, c’est la passion qui fait les artistes, ils peuvent être confiants : ils ont la passion féconde de la lumière, de la couleur et de l’harmonie.

En tout cas, ils n’auront pas refait ce qui avait été fait déjà ; ils auront eu le périlleux honneur de produire un mode nouveau, d’exprimer un idéal personnel. Ils pourront évoluer, mais toujours sur les bases de la pureté et du contraste dont ils ont trop bien compris l’importance et le charme pour y jamais renoncer. Peu à peu débarrassée des entraves du début, la division, qui leur a permis d’exprimer leurs rêves de couleur, s’assouplit et se développe, promettant encore de plus fécondes ressources.

Et si parmi eux ne se manifeste pas déjà l’artiste qui, par son génie, saura imposer cette technique, ils auront du moins servi à lui simplifier la tâche. Ce coloriste triomphateur n’a plus qu’à paraître : on lui a préparé sa palette.

1899. Paris, Saint-Tropez.