Démétrius (Delrieu)/Acte V
ACTE V.
Scène PREMIÈRE.
On m’observe ! on me suit ! on se tait à ma vue !
Dans ce palais, errante, inquiète, éperdue,
Je te cherche ; ah ! comment m’informer de ton sort ?
Le plus léger soupçon est l’arrêt de ta mort.
Renfermons dans mon cœur l’intérêt qui me touche.
Tu péris, si ton nom s’échappe de ma bouche !
Quand nous marchons tous deux entourés d’ennemis,
Pour moi je ne crains rien, pour toi seul je frémis ;
Cher époux ! de ta mort l’épouvantable image
M’assiége, me poursuit et glace mon courage !
Dieux ! pour me le ravir me l’avez-vous rendu ?
Au fond de ce palais quel bruit ai-je entendu ?
Quels cris ! ils ont jeté la terreur dans mon âme.
Cher prince !
Scène II.
Si vous délibérez, il y va de vos jours.
Suivez-moi : de mon bras acceptez le secours.
Que devient Pharasmin ? qu’est devenu mon père ?
Ah ! ne songez qu’àn vous ; fuyez loin de ma mère !
Fuyez, n’attendez pas qu’elle vienne en ces lieux
À d’infâmes bourreaux vous livrer à mes yeux.
Pour vous, pour Pharasmin le tribunal s’assemble.
Si vous osez rester, vous périssez ensemble.
Ma sœur, vers votre père osez suivre mes pas !
Venez.
Et Pharasmin ? ne l’abandonnez pas.
Que pourrai-je pour lui ? Par l’ordre de la reine
Chargé d’indignes fers, au conseil on l’entraîne.
Sauvez, sauvez ses jours ! je suis à vos genoux !
Qui ? moi ! j’hésiterais entre un Sarmate et vous ?
N’hésitez pas !…
Qu’entends-je ? achevez ! quel mystère !
Ils vont assassiner votre roi, votre frère !
Démétrius ?
Sauvez-le ! Son danger m’arrache son secret.
Ô mon frère ?… Ô mon roi ! quel parti dois-je prendre ?
Est-ce ma mère ou vous que mon bras doit défendre ?
Est-ce vous ou la reine ?… Ô nature ! ô devoir !…
Démétrius périr ?… Ses juges vont me voir !
Suivez-moi ! du conseil je préviendrai le crime,
Ma sœur, ou je serai sa première victime !
Scène III.
Le conseil vous attend.
Moi ?
Vous ! Suivez mes pas.
Vous, seigneur, demeurez !
Barbare ! dût la reine ordonner mon supplice,
Contre elle, contre toi, je défends Stratonice !
Avant que de mes bras tu puisses l’arracher,
Sur mon corps expirant il te faudra marcher !
Ah ! pour elle et pour toi redoute ma vengeance,
Perfide !
Scène IV.
Pharasmin est-il en ma puissance ?
Oui, reine ! vers le camp il dirigeait ses pas.
Il se défend en vain ; je désarme son bras,
Je le saisis : de fers je le charge moi-même.
Par votre ordre conduit au tribunal suprême,
De gardes entouré, près de subir son sort,
Il attend son arrêt : qu’ordonnez-vous ?
L’ingrat, le téméraire a trahi ma vengeance !
Avec Démétrius il est d’intelligence !
Ce mystère odieux est enfin dévoilé.
Le coupable est connu ; le crime est révélé ;
Je sais tout !… (Ah ! j’admire un tel excès d’audace !)
Je sais de Proculus quel péril nous menace !…
Apprenez qu’en secret ennemi de l’état,
Abusant à la fois sa reine et le sénat,
Dans les prisons de Rome (ô perfidie ! ô crime !)
Pharasmin, pour me perdre, a sauvé la victime !
Celui dont il osait attester le trépas,
Démétrius, est libre ; il est dans mes états !
Reine ! qu’ai-je entendu ? Démétrius respire ?
Et pour lui sur ces bords un inconnu conspire ?
Quel est cet inconnu ? Je vais vous étonner ;
Mais quand tout est à craindre on doit tout soupçonner.
Si l’ingrat Pharasmin trahit votre vengeance,
Avec Démétrius s’il est d’intelligence,
Celui dont il osait attester le trépas,
Jusque dans ce palais a pu suivre ses pas.
Que dis-je ? Ah ! je frémis de son audace extrême.
Si vous aviez reçu Démétrius lui-même ?
Si, pour venger son père, en vous perçant le sein,
Le traître eût emprunté le nom de Pharasmin ?
Démétrius ?… Proscrit, aux lieux qui l’ont vu naître,
Sans crainte à mes regards eût-il osé paraître ?
Non : il a vu le camp soulevé contre moi :
Il se serait nommé s’il était fils de roi.
Loin d’apaiser un trouble utile à son audace,
Il en eût profité pour régner en ma place…
Pharasmin n’est qu’un traître : il doit subir son sort.
Il va périr !
Reine, que Proculus ici le reconnaisse.
À ses yeux, devant vous, ordonnez qu’il paraisse.
Moi ! que je m’abandonne à des soins superflus ?
On le reconnaîtra quand il ne sera plus !…
Allez !…
Scène V.
Je verrai dans ton sang ma vengeance assouvie,
Perfide !… Il va périr, et je ne sais enfin
Si je dois soupçonner ou Rome ou Pharasmin.
Si j’en crois Proculus, seul, inconnu, mais libre,
Démétrius ! vers moi tu fuis des bords du Tibre.
Si j’en crois Pharasmin, tu reçus d’un licteur…
Ah ! Rome de ta mort serait-elle l’auteur ?
D’un prince tel que toi quand Rome se délivre,
Pour me perdre à mon tour te fait-elle revivre ?
Contre moi Pharasmin sert-il Valérius ?
Ai-je à craindre à la fois Rome et Démétrius ?
Tout ici m’est suspect, et mon inquiétude
Des soupçons opposés accroît l’incertitude !
Scène VI.
Mes ordres sont remplis ? le Sarmate n’est plus ?
Ne songez plus à lui ! craignez Démétrius !…
Le peuple vous assiége !… Une foule rebelle
Combat avec fureur votre garde fidelle.
Reine, vers ce palais j’ai vu de tous côtés
Accourir des soldats contre vous révoltés.
Nicanor les commande : il s’avance à leur tête !
Nicanor ?
Il a sauvé sa fille ; et, le fer à la main,
Il court au tribunal arracher Pharasmin !…
Tremblez que jusqu’à vous se frayant un passage…
Moi, trembler ? le péril redouble mon courage !
Mon fils combat pour moi ; le front ceint de lauriers,
Il va près de sa reine amener ses guerriers !
Vous comptez sur son bras ? de son frère complice,
L’ingrat vers Nicanor a conduit Stratonice.
Mon fils ? qu’osez-vous dire ?
Pour sauver le Sarmate, il vole au tribunal !
Mon fils ! ta perfidie aura sa juste peine !
Tremble, odieux sujet ! je suis encor ta reine !
Allez ! et qu’à l’instant il paraisse à mes yeux !
Scène VII.
Qui porte jusqu’à moi ses pas audacieux ?
Ton vainqueur !
Tu vas trouver la mort !
Je te laisse la vie !
De ta témérité viens recevoir le prix,
Perfide !… À moi, soldats !
Cesse enfin de compter sur leur obéissance.
Tu n’as plus de sujets, tu n’as plus de puissance !
Le ciel, le juste ciel, de tes crimes lassé,
T’annonce par ma voix que ton règne est passé !
Gardes ! délivrez-moi de l’aspect d’un rebelle !
Soldats ! connaissez mieux votre reine cruelle !
Apprenez que sa main, ô crime ! ô trahison !
Au sein de son époux a versé le poison !
Apprenez que toujours fatale à ma famille,
Voulant sacrifier moi, mon fils et ma fille,
Elle a, pour accomplir ses infâmes desseins,
À Rome et dans sa cour payé des assassins !
Syriens ! adorez l’éternelle puissance
Qui punit les forfaits et venge l’innocence !
Ce prince par nos vœux si long-temps appelé,
Ce proscrit que j’ai cru loin de nous immolé,
Ce fils des demi-dieux du Tygre et de l’Euphrate,
Démétrius enfin, sous le nom d’un Sarmate,
Comme un vil meurtrier allait être jugé.
En ce péril pressant le ciel l’a protégé ;
Et, faisant par ma voix éclater sa justice,
Apaise Séleucus et poursuit Laodice.
Démétrius au camp est par moi proclamé.
Devant le tribunal Proculus l’a nommé !
Guerriers ! n’en doutez plus. Il vient ! il va paraître !
Il triomphe !… L’Asie a reconnu son maître !
Pour lui frayer au trône un facile chemin,
Le Dieu qui lui prêtait le nom de Pharasmin,
A préservé sa vie et guidé son courage.
Il va régner en paix sur cet heureux rivage :
Partout on le bénit ; partout on n’entend plus
Que ce cri solennel : « Vive Démétrius ! »…
Va ! fuis ! De ton époux n’insulte plus la cendre :
De son trône sanglant son fils te fait descendre !
Son fils ?… Démétrius !
Il s’avance entouré des mages ; des soldats.
Scène VIII.
Voilà ton roi ! voilà le vengeur de l’empire !
Le crime enfin succombe, et l’univers respire !
Le ciel, qui contre toi combat en sa faveur,
Rompt les fers de l’Asie et lui rend son sauveur !
Son sauveur ?… Dieux !
Tremblez ! ils m’ont livré l’infâme Héliodore !
Pour sauver mon empire ils ont guidé mes pas.
Pour venger votre époux, quand ils arment mon bras,
Je devrais, empressé de servir leur justice,
D’une reine coupable ordonner le supplice.
De vos assassinats je vous devrais le prix…
Démétrius en vous respecte votre fils.
Le crime à votre front attacha ma couronne ;
L’équité me la rend. Vivez ! je vous pardonne.
Moi ? Vivre, quand mon sceptre est tombé dans tes mains ?…
Tremble ! redoute encor le glaive des Romains !
Ils demandent ta tête ; elle sera frappée !
Puissent-ils, poursuivant leur victime échappée,
Jusque dans ce palais prompts à la ressaisir,
Dans ton sang odieux se baigner à loisir !
Puisse Valérius, livrant sur ce rivage
Aux flammes tes cités, ton peuple à l’esclavage,
Sur ta race abhorrée assouvir ses fureurs !
Règne ! sois satisfait. Tu triomphes ; je meurs !
Scène IX.
Ah ! ma mère ! elle expire !
Ô justice éternelle !
Je tarirai les pleurs que vous versez sur elle.
Vivez pour partager la puissance avec moi.
Mes sujets douteront qui de nous deux est roi !…
Peuple ! mages ! guerriers ! comptez sur ma clémence.
Vos malheurs sont finis : mon empire commence.
Loin de vous la discorde est bannie à jamais.
J’apporte à mon pays une éternelle paix !