Découverte des mines du roi Salomon/Chapitre XII. Une assemblée lugubre


Traduction par C. Lemaire.
Hetzel (p. 180-199).


CHAPITRE XII

une assemblée lugubre


Sir Henry fut installé dans la hutte de Touala. La coupure qu’il avait à la joue nous inspirait des inquiétudes. Good avait aussi été très maltraité. Il avait voulu être témoin du duel entre les deux champions ; mais, après cet effort, le mal revint dans toute sa violence. J’étais le moins malheureux, et cependant j’étais littéralement brisé. Quand nous eûmes dépouillé nos cottes de mailles, nous nous aperçûmes que sous ce fer protecteur nous n’étions que meurtrissures et écorchures.

Nous formions vraiment un lamentable trio, sans courage pour parler ni pour manger. Heureusement Faoulata se fit notre providence ; de ses mains elle nous prépara un breuvage qui nous réconforta, et elle nous procura aussi un remède indigène dont les applications nous soulagèrent beaucoup. Good se fit apporter sa petite pharmacie ; il y trouva de quoi panser la blessure de sir Henry et la sienne. Nos derniers lambeaux de mouchoirs de poche servirent de bandages, et nous attendîmes le reste du temps, souvent le meilleur des médecins.

Nous essayâmes en vain de dormir. L’air était rempli des cris déchirants de ceux qui cherchaient et pleuraient leurs morts.

Vers le matin, les cris diminuèrent, puis s’éteignirent. On n’entendait plus qu’un cri sauvage tout près de notre hutte. C’était Gagoul, qui, seule, pleurait le roi mort. Je m’assoupis d’un sommeil agité de rêves terribles ; tantôt je me voyais sous le couteau du Koukouana qui, le matin, m’avait fait voir trente-six chandelles ; tantôt c’était Touala qui tombait à mes pieds et je me voyais couvert de son sang. Quand je me réveillai, je trouvai le pauvre Good plus malade encore que je ne l’avais craint. La blessure de tolla qu’il avait à la jambe, était large et profonde ; il avait perdu beaucoup de sang, et la fièvre l’avait pris. Bientôt il se mit à divaguer d’une façon de mauvais augure.

Ignosi et Infadous nous rendirent visite de bon matin. Par ordre du nouveau roi, le pourtour de notre hutte fut évacué, afin qu’aucun bruit ne troublât notre malade. Good fut plusieurs jours entre la vie et la mort, et celle-ci me paraissait beaucoup plus probable que la guérison. Après une semaine de repos, sir Henry fut remis ; mais l’état de Good empirait. Faoulata, qui s’était d’office établie garde-malade, ne nous permettait pas de faire grand’chose. Elle prétendait que nos mouvements trop brusques et trop fréquents agitaient le malade ; elle croyait mieux faire, et, en réalité, la garde-malade diplômée des hôpitaux n’est ni plus attentive ni plus patiente que ne le fut cette admirable fille. Je la voyais souvent triste et pensive, ne quittant pas le malade de vue, lui prodiguant tous ses soins. Un matin, je m’avançai pour voir comment Good avait passé la nuit ; pâle, sans mouvement, il était étendu sur sa couche de peaux.

« Mort ! Oh ! c’est donc fini, » m’écriai-je dans un sanglot.

Faoulata me repoussa :

« Il dort, » dit-elle.

Il dormait ! Il était sauvé ! Effectivement, il se remit bien vite, à compter de ce jour-là, et, grâce à la vigueur de sa nature, la convalescence ne fut pas longue. Nous attribuâmes tous sa guérison à la reconnaissance de la jeune Africaine.

Un jour j’allai voir Ignosi. Je le trouvai au milieu de son grand Indeba (conseil) ; il avait vraiment l’air d’un roi. Si grand, si digne, si fier, le bandeau n’avait jamais ceint une tête plus royale. Il était roi pour tout de bon et se prenait au sérieux. Il avait réorganisé les troupes et reformé un régiment de Gris ; chacun des soldats survivants de l’ancien régiment avait été promu officier. Ignosi préparait une grande fête pour se montrer au peuple, et il ne négligeait aucun moyen d’affermir son trône.

« Ignosi, lui dis-je, as-tu oublié ta promesse à propos des diamants ? À quoi en sommes-nous ?

— Je n’ai pas oublié, dit Ignosi en souriant. Voici ce que j’ai pu recueillir. La grande route que tu connais conduit à trois pics, et dans l’intérieur de l’un d’eux se trouve une grotte où nos rois sont déposés après leur mort. Là, se trouve aussi une chambre de trésors qu’on dit avoir été autrefois trouvés et amassés par un roi blanc. Le seul être qui en sache le secret c’est la vieille Gagoul. Une de ses aïeules a conduit, semble-t-il, un blanc dans cet endroit ; mais il n’a tiré aucun profit de son expédition puisqu’il est mort.

— C’est José da Sylvestra, dont nous avons trouvé les misérables restes.

— Justement ! je vais faire venir Gagoul, et, si vous le voulez, je lui donnerai l’ordre de vous conduire dans cette chambre. »

Ignosi appela un chef :

« Amène Gagoul ! » dit-il.

Un instant après, Gagoul, récalcitrante et furieuse, était amenée, soutenue par deux soldats.

« Laissez-la, » dit le roi.

Abandonnée à elle, la vieille s’affaissa à terre comme un paquet de chiffons, ses deux yeux noirs allant méchamment de l’un à l’autre de nous.

« Que me veux-tu, roi Ignosi ? siffla-t-elle en colère. Prends garde à toi ; la sorcière Gagoul est la mère des arts magiques !

— Vieille hyène, je n’ai pas peur de toi ! Tu aurais dû, pour commencer, sauver Touala, ton bien-aimé. Je t’ai fait venir pour savoir de toi le secret de la chambre aux pierres brillantes.

— Ah ! ah ! ricana la mégère, vous voudriez bien les avoir ces pierres, blancs aux mains avides ! Mais je ne dirai rien ! Ces pâles démons pourront s’en aller comme ils sont venus, les mains vides. Je sais le secret, je suis la seule qui le sache, et je ne le dirai pas !

— Oh ! je te ferai bien parler, dit tranquillement Ignosi.

— Toi, tu me feras parler ? ô roi, ta puissance peut être grande ; mais elle ne saurait arracher la vérité aux lèvres d’une femme !

— Je l’en arracherai ! répondit Ignosi aussi calme que Gagoul était furieuse.

— Tu ne me feras pas parler !

— Tu vas parler, Gagoul ! ou mourir !

— Mourir ? Moi mourir ? Jamais ! Personne n’oserait porter la main sur moi.

— J’oserai, moi !

— Non, tu n’oserais pas !

— Ne t’y fie pas, Gagoul, mère du vice ! Tu ne tiens sans doute plus à la vie, toi qui es si vieille, si laide ! À quoi bon la vie, quand on n’a plus qu’un corps comme le tien ?

— À quoi bon ? Tu parles comme un enfant ! Tu ne sais donc pas que plus on vit, plus on a l’âme chevillée au corps ? Les jeunes peuvent mourir ; à peine ont-ils pris connaissance de l’existence, ils n’y sont pas attachés ; mais quand on a vécu longtemps, on ne peut plus quitter la lumière.

— Tais-toi ! dit Ignosi. Veux-tu conduire ces seigneurs blancs où je t’ai dit, oui ou non ?

— Non ! » dit-elle résolument.

Ignosi la toucha de sa lance.

« Alors, tu vas mourir à l’instant ! »

Elle lut la résolution sur la figure d’Ignosi ; elle vit qu’il ne la craignait pas et ne l’épargnerait pas.

« Je t’obéirai, Ignosi, dit-elle. Mais sache que personne n’entre dans cette chambre sans qu’une fatalité s’attache à lui. Il y a longtemps, un blanc s’y aventura, mal lui en prit ! il n’a pas revu son pays ! La femme qui l’a conduit s’appelait Gagoul ; c’était moi, ou peut-être ma mère ! quand on vit si longtemps, on oublie !

« Oui, nous irons, ce sera un beau voyage ; nous verrons le long du chemin les corps des morts. Les vautours auront déjà dévoré les yeux de leur proie ! »

Quelques jours après cette entrevue, nous étions en route pour la montagne mystérieuse. Nous étions partis du matin, nous cheminions sur la route de Salomon. Infadous nous escortait avec quelques hommes. Faoulata s’était vouée à notre service. La sorcière était portée sur un brancard. Au bout de quelques heures, nous atteignions notre but. Le spectacle était imposant. Trois énormes pics s’élevaient, l’un à droite, l’autre à gauche de nous. Celui du milieu formait comme le sommet de l’angle. La route se terminait là.

Les sommets de ces monts étaient couverts de neige ; et, tout en bas, les bruyères empourpraient les pentes. Tout à coup, nous nous trouvâmes devant une excavation aux parois inclinées, qui avait environ cent mètres de profondeur et un kilomètre de tour.

Sir Henry et Good se demandèrent ce que pouvait être ce grand trou.

« Vous ne reconnaissez donc pas ? dis-je.

— Mais… rien du tout, dit sir Henry.

— Alors vous n’avez jamais vu les mines de diamants de Kimberley ? Voyez ! dis-je, voici les couches de graphite et de houille, encore bien distinctes entre les broussailles. Je suis bien sûr que, si nous descendions, nous trouverions encore des restes de roc savonneux… Tenez, voyez-vous ces dalles brisées ? elles ont servi au lavage, quand la mine était exploitée. Il semble qu’un ruisseau a dû couler par ici. Ce sont des mines de diamants, c’est certain. »

Le chemin bifurquait et entourait le puits. Nous nous hâtions, pressés par notre curiosité. Trois figures se dressaient devant nous, tournées vers l’entrée du chemin, comme si elles le gardaient. C’étaient des colosses et nous comprîmes que c’étaient eux que les Koukouanas désignaient sous le nom de Silencieux.

En approchant, nous distinguâmes la grandeur et la majesté de ces colosses. Ils avaient environ sept mètres de haut et étaient assis, à vingt pas l’un de l’autre. Deux représentaient des hommes, l’autre une femme. Sur les piédestaux étaient sculptés des caractères indéchiffrables. La statue de femme était fort belle et d’un aspect sévère ; les injures du temps en avaient endommagé les traits. De chaque côté de la tête, on voyait encore les restes d’un croissant.

Les deux autres statues, qui étaient drapées, avaient d’affreuses figures. Celle de droite avait l’aspect d’un démon ; l’autre avait une contenance sereine, mais d’un calme effrayant, comme celui des dieux de l’antiquité, qui voient le mal sans s’en émouvoir. Ces trois figures, assises dans leur solitude, contemplant éternellement la plaine, inspiraient une terreur involontaire. Je me demandais ce qu’étaient ces trois Silencieux, comme on les appelle ici.

« Peut-être, dis-je à mes compagnons, sont-ce là ces dieux de la Phénicie : Astaroth, déesse des Sidoniens, Kemosch, dieu des Moabites, et Milcolm, l’idole des Ammonites, dont l’Histoire Sainte nous parle comme ayant été adorés par Salomon.

« Il y a sans doute quelque chose de vrai là-dedans, dit sir Henry qui avait étudié. L’Astaroth des Hébreux était l’Astarté des Phéniciens, et nous savons qu’à cette époque, les Phéniciens étaient les plus grands voyageurs du monde. Astarté était représentée avec les pointes d’un croissant, et cette statue a certainement été ornée d’un croissant. Ce sont peut-être les Phéniciens qui sont venus ici extraire des trésors. Qui sait ? »

Nous examinions encore ces statues énigmatiques, quand Infadous, les saluant de sa lance, s’approcha pour nous dire que Gagoul était à notre disposition, si nous voulions entrer tout de suite dans la caverne.

Il était près de onze heures ; notre curiosité était si vive que nous ne voulûmes même pas attendre de prendre notre repas. Un petit panier contenant une gourde d’eau et de la viande séchée devait nous faire patienter avec la faim, au cas où nous nous attarderions un peu à l’intérieur. Faoulata voulut porter ces provisions elle-même.

Dès que Gagoul fut hors de son hamac, elle nous jeta un mauvais regard et dit en ricanant :

« Vous êtes bien pressés, chefs blancs, d’aller au-devant du mal ! Venez ! Venez donc ! »

Devant nous s’élevait une muraille de granit ; c’était la base du pic. La vieille, appuyée sur son bâton, s’y dirigea en sautillant. Nous la suivîmes jusqu’à une petite porte solidement voûtée, qui avait l’air de l’ouverture d’une galerie de mine.

Gagoul s’arrêta.

« Êtes-vous prêts, grands chefs blancs ? dit-elle en se tournant vers nous. J’attends vos ordres pour obéir au roi et vous montrer où sont amassés les trésors.

— Va ! lui dis-je.

— Fortifiez vos cœurs, car vous allez voir des choses terribles. Viens-tu avec nous, Infadous, toi qui as trahi ton maître ? »

Infadous fronça le sourcil.

« Non, dit-il, il ne m’est pas permis d’entrer. Mais toi, veille sur ces hommes ; ta vie dépend de la leur, et, s’il leur arrive le moindre mal par ta faute, tu le payeras cher, toute sorcière que tu es !

— Garde tes menaces, Infadous ! Tu as toujours été prompt à parler. Tu te tais encore, et c’était hier, que tu menaçais ta mère ! Mais j’exécute les ordres du roi. J’ai vu beaucoup de souverains ; longtemps je leur ai obéi, puis ce sont eux qui m’ont obéi. Je vais les revoir ici. Allons, entrons ! »

Sans plus de préliminaires, elle s’engagea sous cette petite voûte, et nous la suivîmes. Le passage était obscur, mais assez large pour deux personnes de front. Gagoul, de sa voix aiguë, nous guidait, et nous avancions comme à regret, tout craintifs et pleins de pressentiments fâcheux. Lorsque nous eûmes fait une cinquantaine de pas, le passage s’élargit ; un instant après, nous nous trouvâmes dans un endroit étrange.

Imaginez-vous la plus vaste cathédrale du monde, haute de trente mètres, en forme de dôme, vaguement éclairée par le haut et soutenue dans toute sa longueur par de gigantesques piliers translucides qu’on aurait pris pour de la glace. Quelques-uns de ces piliers de spath avaient plus de six mètres de diamètre et s’élançaient jusqu’à la voûte. D’autres étaient en formation. Ces derniers reposaient sur le sol comme des fragments de temple grec, tandis qu’une colonne, descendant directement au-dessus, devait, avec le temps, rencontrer celle qui montait du sol.

Nous entendions tomber les gouttes d’eau qui venaient s’aplatir avec un petit bruit d’éclaboussure. Il y en avait qui se renouvelaient toutes les deux ou trois minutes. Quel temps il avait fallu pour former ces colonnes ! C’était presque incalculable.

Pour en donner une idée, j’ajouterai que nous vîmes un pilier commencé où se trouvait une grossière esquisse de momie. Elle était à la hauteur où les badauds de tous les temps et de tous les pays ont l’habitude d’essayer de s’immortaliser aux frais des chefs-d’œuvre de l’art et de la nature, c’est-à-dire à un mètre et demi du sol. Il y avait probablement au moins trois mille ans que le mineur avait dessiné sa momie, et la colonne n’avait encore que deux mètres et demi ! L’accroissement était donc d’un mètre en trois mille ans, ou environ trois centimètres par siècle.

Ces stalactites et ces stalagmites n’étaient pas toutes pareilles entre elles ; c’était, sans doute, lorsque, pour une cause quelconque, la goutte d’eau avait été dérangée. Les unes étaient semblables à des animaux fantastiques, d’autres à des chaires de cathédrale tout ouvrées. Les parois de cette salle merveilleuse étaient ornées d’arabesques comme la gelée en laisse sur les vitres, et, sur les côtés, on voyait d’autres petites salles comme des chapelles dans une église, les unes assez grandes, d’autres fort petites, de véritables miniatures.

Nous n’eûmes pas le temps d’examiner à loisir ce lieu admirable. J’aurais voulu savoir si cette grotte avait servi dans les temps anciens et à quel usage ; mais Gagoul, familière avec toutes ces beautés, était pressée d’en finir au plus vite. Elle partit, et nous dûmes la suivre. Elle nous mena dans une grotte au fond de laquelle était une porte, carrée au sommet, comme le sont les portails des temples égyptiens.

« Êtes-vous prêts à pénétrer dans l’asile de la mort ? dit notre guide, avec l’intention évidente de nous effrayer.

— Va toujours, vieille sorcière ! »

Nous tâchions de faire semblant d’aller allègrement de l’avant ; au fond, nous n’étions rassurés ni les uns ni les autres. Faoulata seule manifestait ses craintes, en se serrant contre Good.

« Allons, passez, Quatremain, dit sir Henry, en me poussant le premier : les aînés en avant ! Ne faites donc pas attendre madame ! »

Je ne sus aucun gré à sir Henry de sa politesse, et je me trouvai dans une salle plus sombre, où, au premier abord, je ne distinguai rien. Je ne fus pas longtemps à voir clair. Dans toute la longueur de la salle s’étendait une table blanche massive, autour de laquelle étaient rangées des figures de grandeur naturelle. Sur la table était un objet brun… et, quand je le reconnus, je fis un mouvement pour m’esquiver. Mais sir Henry, qui me suivait, m’attrapa au collet. Sans sa poigne de fer je ne serais pas resté dans cette salle, et tous les diamants de Salomon ne m’y auraient pas fait rentrer.

Sir Henry commença à y voir à son tour, et il me lâcha pour essuyer la sueur qui coulait sur son front.

Gagoul se délectait.

À l’extrémité de cette table était un colossal squelette humain d’au moins cinq mètres. Une de ses mains osseuses s’appuyait sur la table, dans l’attitude d’un homme qui se dresse ; l’autre était levée et tenait une longue épée blanche, prête à s’abaisser. Le squelette, penché en avant, avec son crâne luisant, ses orbites vides, ses mâchoires entr’ouvertes et grimaçantes, avait l’air de se tourner vers nous comme pour nous parler.

« Qu’est-ce que ceci ? dit Good, indiquant l’assemblée attablée.

— Et ceci ? dit sir Henry s’approchant de l’objet qui se détachait sombre sur la table blanche.

— Ah ! ah ! ricana la sorcière, je vous l’ai dit : ça porte malheur d’entrer ici ! Approche, Incoubou, brave au combat, regarde celui que tu as tué. »

Elle tira sir Henry par l’habit, pour l’approcher de la table.

Sir Henry recula avec une exclamation d’horreur.

Assis sur cette table, nu, la tête sur ses propres genoux, était le roi Touala. Oui, c’était lui dans toute sa laideur personnelle, avec la laideur de la mort en plus. Le corps était enduit de quelque chose de visqueux qui rendait l’aspect du cadavre plus hideux encore. J’entendis un léger bruit : tip ! tip ! tip ! et je compris. C’était une goutte d’eau silicieuse qui tombait sur le corps de Touala, et Touala était en train de devenir stalagmite.

Ces figures rangées autour de la table étaient des cadavres pétrifiés.

Impossible de rien imaginer de plus horrible que cette réunion de rois morts, aux traits presque effacés, et siégeant sous leurs linceuls de silice, autour de cette table inhospitalière, avec cette Mort gigantesque pour amphitryon. Il y en avait là vingt-sept, et le dernier était le père d’Ignosi.

C’est ainsi que les Koukouanas conservent leurs rois, et cette coutume doit remonter loin.

Le squelette qui tient le haut de la table est de beaucoup antérieur. Il doit sans doute son origine au même statuaire que les trois Silencieux. C’est une véritable œuvre d’art. Good, qui a fait de l’anatomie, dit que, comme squelette, il n’y manque rien.

J’imagine qu’on a placé là ce squelette, pour effrayer les maraudeurs attirés dans ce lieu par la connaissance des trésors qui y sont enfermés.