Découverte de la Terre/Première partie/Chapitre VI/I

J. Hetzel (1p. 137-150).

CHAPITRE VI

Jean de Béthencourt (1339-1425).

I

Le chevalier normand. — Ses idées de conquête. — Ce que l’on savait des Canaries.— Cadix. — L’archipel des Canaries. — La Gracieuse. — Lancerote. — Fortaventure. — Lobos. — Jean de Béthencourt retourne en Espagne. — Révolte de Berneval. — Entrevue de Jean de Béthencourt et du roi Henri III. — Gadifer visite l’archipel Canarien. — La Grande-Canarie. — L’île de Fer. — L’île de Palme.

Ce fut vers l’an 1339 que naquit dans le comté d’Eu, en Normandie, Jean de Béthencourt, baron de Saint-Martin-le-Gaillard. Ce Jean de Béthencourt était de bonne maison, et, s’étant distingué dans la guerre et la navigation, il devint chambellan de Charles VI. Mais il avait le goût des découvertes, et, fatigué du service de la cour pendant la démence du roi, peu heureux d’ailleurs dans son ménage, il résolut de quitter son pays et de s’illustrer par quelque aventureuse conquête. L’occasion s’offrit à lui, et voici à quel propos.

Il existe sur la côte africaine un groupe d’îles nommées îles Canaries, qui portèrent autrefois le nom d’îles Fortunées. Juba, fils d’un roi de Numidie, les aurait explorées, dit-on, vers 776 de Rome. Au moyen âge, suivant certaines relations des Arabes, des Génois, des Portugais, des Espagnols, des Biscaïens, visitèrent en partie ce groupe intéressant. Enfin, en 1393, un seigneur espagnol, Almonaster, commandant une expédition, opéra un débarquement à Lancerote, l’une des Canaries, et rapporta, avec un certain nombre de prisonniers, des productions qui attestaient la grande fertilité de cet archipel.

Ce fait donna l’éveil au chevalier normand. La conquête des Canaries l’allécha, et, en homme pieux, il résolut de convertir les Canariens à la foi catholique. C’était un seigneur valeureux, intelligent, adroit, riche en ressources. Il quitta son hôtel de Grainville-la-Teinturière, en Caux, et se rendit à La Rochelle. Là, il fit la rencontre du bon chevalier Gadifer de la Salle, qui s’en allait à l’aventure. Jean de Béthencourt raconta ses projets d’expédition à Gadifer. Gadifer lui demanda de tenter la fortune en sa compagnie. Il y eut entre eux « moult de belles paroles », trop longues à raconter, et l’affaire fut conclue.

Cependant, Jean de Béthencourt avait réuni son armée. Il possédait de bons navires suffisamment garnis de gens et de victuailles. Gadifer et lui mirent à la voile, et, après avoir été contrariés par les vents au passage de l’île de Ré, et plus encore par les dissensions qui éclataient fréquemment entre les chefs et les équipages, ils arrivèrent au port de Vivero, sur la côte de la Galice, puis à la Corogne. Là, Jean de Béthencourt et ses gentilshommes demeurèrent huit jours. Les Français eurent quelques difficultés avec un certain comte d’Écosse, qui se montra désobligeant à leur égard, mais tout se borna à un échange de paroles. Le baron reprit la mer, doubla le cap Finistère, suivit la côte portugaise jusqu’au cap Saint-Vincent, et arriva au port de Cadix, où il fit un assez long séjour. Là, il eut encore maille à partir avec des marchands génevois qui l’accusaient d’avoir pris leur navire, et il dut même se transporter à Séville, où le roi Henri III lui rendit justice en le déchargeant de toute plainte. Jean de Béthencourt revint donc à Cadix et trouva une partie de son équipage en pleine mutinerie. Ses matelots, effrayés des dangers de l’expédition, ne voulaient pas continuer le voyage ; mais le chevalier français, gardant les courageux et renvoyant les lâches, fit appareiller, et, quittant le port, il gagna la haute mer.

Le navire du baron fut retenu pendant trois jours par des calmes, qu’il appelle « la bonace » ; puis, le temps se relevant, il atteignit en cinq jours une des petites îles du groupe des Canaries, la Gracieuse, et enfin une île plus importante, Lancerote, dont la longueur est de 44 kilomètres et la largeur de 16. ayant à peu près la grandeur et la forme de l’île de Rhodes. Lancerote est riche en pâturages et en bonnes terres de culture, très propices à la production de l’orge. Les fontaines et les citernes, très-nombreuses, y fournissent une eau excellente. La plante tinctoriale nommée l’orseille y croît en abondance. Quant aux habitants de cette île, dont la coutume est d’aller à peu près nus, ils sont grands, bien faits, et leurs femmes, vêtues de houppelandes de cuir qui traînent jusqu’à terre, sont belles et honnêtes.

Jean de Béthencourt, avant que ses projets de conquête fussent dévoilés, aurait voulu s’emparer d’un certain nombre de Canariens. Mais il ne connaissait pas le pays, et l’opération était difficile. Il alla donc mouiller à l’abri d’un îlot de l’archipel, situé plus au nord, et, assemblant son conseil de gentilshommes, il leur demanda leur avis sur ce qu’il convenait de faire. Le conseil émit l’opinion qu’il fallait à tout prix, par ruse ou séduction, prendre des gens du pays. La fortune favorisa le brave chevalier. Le roi de l’île, Guadarfia, se mit en relation avec lui, et jura obéissance, comme ami, non comme sujet. Jean de Béthencourt fit construire un chastel, ou mieux un fort, dans la prairie sud-ouest de l’île, y laissa quelques hommes sous le commandement de Berthin de Berneval, homme de bonne diligence, et il partit avec le reste de sa troupe pour conquérir l’île d’Erbanie, qui n’est autre que Fortaventure.

Gadifer conseilla d’opérer un débarquement de nuit, ce qui fut fait ; puis il prit le commandement d’une petite troupe d’hommes, et, pendant huit jours, il courut l’île sans pouvoir rencontrer un seul de ses habitants, qui s’étaient réfugiés dans les montagnes. Gadifer, manquant de vivres, dut revenir, et il gagna l’îlot de Lobos, situé entre Lancerote et Fortaventure. Mais, là, son chef marinier se révolta contre lui, et ce ne fut pas sans difficulté que Gadifer revint avec le baron au fort de l’île Lancerote.

Jean de Béthencourt résolut alors de retourner en Espagne, afin de ramener des approvisionnements et un nouveau contingent d’hommes d’armes, car il ne pouvait plus compter sur son équipage. Il laissa donc le commandement général des îles à Gadifer ; puis, prenant congé de toute la compagnie, il fit voile vers l’Espagne sur un navire appartenant à Gadifer.

On se rappelle que Jean de Béthencourt avait nommé Berthin de Berneval commandant du fort de l’île de Lancerote. Ce Berneval était un ennemi personnel de Gadifer. Le chevalier normand était à peine sorti que Berneval chercha à corrompre ses compagnons, et il parvint à entraîner un certain nombre d’entre eux, particulièrement des Gascons, à se révolter contre le gouverneur. Celui-ci, ne soupçonnant en aucune façon la conduite de Berneval, s’occupait de faire la chasse aux loups marins sur l’îlot de Lobos, en compagnie de son ami Remonnet de Levéden et de plusieurs autres. Ce Remonnet, ayant été envoyé à Lancerote pour y faire des vivres, n’y trouva plus Berneval, qui avait abandonné l’île avec ses complices, pour se rendre à un port de l’île Gracieuse, où un patron de nef, trompé par ses promesses, avait mis son navire à sa disposition.

De l’île Gracieuse, le traître Berneval revint à Lancerote, et mit le comble à sa scélératesse en simulant une alliance avec le roi de l’île et les Canariens. Le roi, ne pensant pas qu’un officier du seigneur de Béthencourt, en qui il avait toute confiance, pût le tromper, vint avec vingt-quatre de ses sujets se mettre entre les mains de Berneval. Celui-ci, quand ils furent endormis, les fit lier et conduire au port de l’île Gracieuse. Le roi, se voyant indignement trahi, rompit ses liens, délivra trois de ses hommes et parvint à s’enfuir ; mais ses infortunés compagnons demeurèrent prisonniers, et furent livrés par Berneval à des larrons espagnols qui les menèrent vendre en terre étrangère.

A cette infamie Berneval en joignit d’autres. Ainsi, par son ordre, ses compagnons s’emparèrent du navire que Gadifer avait envoyé au fort de Lancerote pour lui rapporter des vivres. Remonnet voulut se battre contre ces traîtres ; mais lui et les siens étaient en trop petit nombre. Leurs supplications ne purent même empêcher la bande de Berneval, et Berneval en personne, de piller et détruire les approvisionnements, les outils et les armes que Jean de Béthencourt avait réunis au fort de Lancerote. Puis, les insultes ne furent pas épargnées au gouverneur, et Berneval s’écria : « Je veux bien que Gadifer de la Salle sache que, s’il était aussi jeune que moi, je l’irais tuer ; mais, parce qu’il ne l’est pas, par aventure, je m’en dispenserai. S’il me monte un peu à la tête, je l’irai faire noyer en l’île de Lobos, et il y péchera aux loups marins ! »

Cependant, Gadifer et dix de ses compagnons, sans vivres et sans eau, étaient en danger de périr dans l’île de Lobos. Heureusement, les deux chapelains du fort de Lancerote, s’étant rendus au port de l’île Gracieuse, parvinrent à attendrir un patron de nef, déjà outré de la trahison de Berneval. Ce patron leur donna un de ses compagnons, nommé Ximénès, qui revint au fort de Lancerote. Là se trouvait une fragile nacelle que Ximénès chargea de vivres ; puis, s’embarquant avec quatre fidèles de Gadifer, il se hasarda à gagner l’îlot de Lobos, distant de quatre lieues, en franchissant « le plus horrible passage de tous ceux qui sont dans cet endroit de la mer. »

Cependant, Gadifer et les siens étaient en proie aux plus terribles tortures de la faim et de la soif. Ximénès arriva à temps pour les empêcher de succomber. Gadifer, ayant appris la trahison de Berneval, s’embarqua dans la nacelle pour revenir au fort de Lancerote. Il était outré de la conduite de Berneval envers les pauvres Canariens, auxquels le seigneur de Béthencourt et lui avaient juré protection. Non ! jamais il n’aurait pensé que ce traître eût osé faire et machiner ce qu’il avait fait, lui que l’on regardait comme l’un des plus « suffisants » de la compagnie.

Pendant ce temps, que faisait Berneval ? Après avoir trahi son seigneur, il trahissait ses compagnons qui l’avaient aidé à accomplir ses forfaits ; il faisait mettre à terre douze d’entre eux, et partait dans l’intention de rejoindre en Espagne Jean de Béthencourt, et de lui faire approuver sa conduite en lui racontant les choses à sa façon. Il avait donc intérêt à se défaire de témoins gênants, et il les abandonna. Ces malheureux eurent d’abord la pensée d’implorer la générosité du gouverneur, et ils se confessèrent au chapelain, qui les encouragea dans cette pensée. Mais ces pauvres gens, craignant la vengeance de Gadifer, s’emparèrent d’un bateau, et, dans un moment de désespoir, ils s’enfuirent vers la terre des Maures. Le bateau fit côte sur la Barbarie. Dix de ceux qu’il portait se noyèrent, et les deux autres tombèrent entre les mains des païens, qui les retinrent en esclavage.

A l’époque où ces événements se passaient à l’île Lancerote, Jean de Béthencourt, montant le navire de Gadifer, arrivait à Cadix. Là, il prit d’abord des mesures de rigueur contre les hommes de son équipage enclins à la révolte, et il fit emprisonner les principaux d’entre eux. Puis, il envoya son navire à Séville, où se trouvait alors le roi Henri III ; mais le bâtiment périt dans le Guadalquivir, au grand dommage de Gadifer.

Jean de Béthencourt, étant arrivé à Séville, y reçut un certain Francisque Calve, qui était rapidement venu des Canaries, et qui offrait d’y retourner avec des approvisionnements pour le gouverneur. Mais le baron de Béthencourt ne voulut pas prendre de décision à cet égard avant d’avoir vu le roi.

Sur ces entrefaites, Berneval arriva avec ses principaux complices et quelques Canariens qu’il avait gardés avec l’intention de les vendre comme esclaves. Ce traître espérait bien faire tourner sa trahison à son profit et surprendre la bonne foi de Jean de Béthencourt ; mais il avait compté sans un certain Courtille, trompette de Gadifer, qui se trouvait avec lui. Ce brave soldat dénonça les fourberies de Berneval, et, sur sa dénonciation, ces fourbes furent enfermés dans la prison de Cadix. Courtille fit connaître aussi la situation des Canariens retenus à bord. Le chevalier normand, ne pouvant quitter Séville au moment où il allait obtenir une audience du roi, donna l’ordre que ces insulaires fussent traités avec égards. Mais, pendant ces pourparlers, le navire qui les portait fut conduit en Aragon, et là ces pauvres gens furent vendus comme esclaves.

Cependant, Jean de Béthencourt avait été introduit en présence du roi de Castille, et, après lui avoir raconté les résultats de son expédition : « Sire, dit-il, je viens vous demander secours, c’est qu’il vous plaise me donner congé de conquérir à la foi chrétienne des îles qui s’appellent les îles Canaries, et pour ce que vous êtes roi et seigneur de tout le pays à l’environ, et le plus proche roi chrétien, je suis venu requérant votre grâce qu’il vous plaise me recevoir à vous en faire hommage. »

Le roi, très-joyeux, reçut à hommage le chevalier normand. Il lui donna la seigneurie des îles Canaries, et en outre le cinquième des marchandises qui desdites îles viendraient en Espagne. De plus, il lui fit présent de vingt mille maravédis, environ quinze mille francs, pour acheter des approvisionnements destinés à ravitailler le gouverneur Gadifer, et il lui attribua le droit de battre monnaie au pays de Canarie.

Très malheureusement, ces vingt mille maravédis furent confiés à un homme de peu de foi, qui s’enfuit en France en emportant le don du roi de Castille.

Cependant, Jean de Béthencourt obtint encore de Henri III un navire bien gréé, monté par quatre-vingts hommes d’équipage, et approvisionné de vivres, d’armes et d’outils. Jean de Béthencourt, fort reconnaissant de la générosité du roi, écrivit à Gadifer le récit de tout ce qu’il avait fait, son extrême irritation, et son « ébahissement » en apprenant la conduite de ce Berneval en qui il avait confiance, et il lui annonça le prochain départ du navire donné par le roi de Castille.

Pendant ce temps, des événements assez graves se passaient à l’île Lancerote. Le roi Guadarfia, blessé des procédés du traître Berneval à son égard, s’était révolté, et quelques-uns des compagnons de Gadifer avaient été tués par les Canariens. Gadifer était résolu à exiger la punition des coupables, quand un parent du roi, l’indigène Ache, vint lui proposer de s’emparer de Guadarfia et de le détrôner à son profit. Cet Ache n’était qu’un fourbe qui, après avoir trahi son roi, se proposait de trahir les Normands et de les chasser du pays.. Gadifer, ne soupçonnant pas ses mauvaises intentions et voulant venger la mort des siens, accepta les propositions d’Ache, et, quelque temps après, la veille de la Sainte-Catherine, le roi, surpris, était conduit au fort, où il fut enchaîné.

Quelques jours après, Ache, nouvellement proclamé souverain de l’île, attaqua les compagnons de Gadifer, et il en blessa plusieurs mortellement. Mais, dans la nuit qui suivit, Guadarfia, étant parvenu à s’échapper, s’empara d’Ache à son tour et il le fit incontinent lapider et brûler.

Le gouverneur, très-irrité des scènes violentes qui se renouvelaient chaque jour, prit la résolution de tuer tous les hommes du pays, et de ne conserver que les femmes et les enfants pour les faire baptiser. Mais ce fut à cette époque qu’arriva le navire expédié par Jean de Béthencourt, et d’autres soins réclamèrent Gadifer. Ce navire, outre ses quatre-vingts hommes et l’approvisionnement dont il était chargé, apportait une lettre par laquelle, entre autres choses, Jean de Béthencourt mandait à Gadifer qu’il avait fait hommage au roi de Castille des îles Canaries, ce dont le gouverneur ne fut point réjoui, car il pensait bien avoir sa part desdites îles. Mais il dissimula son mécontentement et fit bon accueil aux nouveaux arrivants.

Le débarquement des vivres et des armes se fit aussitôt, et Gadifer s’embarqua sur le navire, afin d’aller explorer les îles voisines. Il était accompagné de Remonnet et de plusieurs autres, et emmenait deux Canariens pour lui servir de guides.

Gadifer arriva sans encombre à l’île de Fortaventure. Quelques jours après son débarquement, il partit avec trente-cinq hommes, afin d’explorer le pays ; mais bientôt la plus grande partie de sa troupe l’abandonna, et treize compagnons seulement, dont deux archers, restèrent avec lui. Gadifer continua cependant son exploration. Après avoir passé à gué un fort cours d’eau, il entra dans un magnifique vallon ombragé par huit cents palmiers. Puis, s’étant reposé et restauré, il reprit sa route en gravissant une longue côte.

Là apparurent une cinquantaine d’indigènes qui, entourant la petite troupe, menacèrent de l’exterminer. Gadifer et ses compagnons firent bonne contenance et parvinrent à mettre leurs ennemis en fuite, et ils purent vers le soir regagner leur navire, emmenant quatre femmes prisonnières.

Le lendemain, Gadifer quitta Fortaventure et vint aborder à la Grande-Canarie, dans un grand port entre Teldès et Argonnez. Cinq cents indigènes vinrent au-devant de lui, mais sans faire de démonstrations hostiles ; ils échangèrent contre des hameçons et de la ferraille des productions du pays, telles que des figues et du sangdragon, substance résineuse tirée du dragonnier, dont l’odeur balsamique est fort agréable. Seulement, ces Canariens se tenaient en garde contre les étrangers, car ils avaient eu à se plaindre des gens du capitaine Lopez, qui, vingt ans auparavant, avaient fait irruption dans l’île, et ils ne permirent point à Gadifer de descendre à terre.

Le gouverneur dut donc appareiller sans avoir exploré la Grande-Canarie, et il se dirigea vers l’île de Fer ; après l’avoir seulement côtoyée, son navire arriva de nuit à l’île de Gomère, sur laquelle brillaient les feux des indigènes. Quand le jour fut venu, quelques-uns des compagnons de Gadifer voulurent débarquer ; mais les Gomérytes, très redoutables par leur adresse et leur intrépidité, coururent sus aux Castillans, qui furent obligés de se rembarquer en toute hâte.

Gadifer, très-mécontent de l’accueil que lui faisaient ces sauvages Canariens, résolut de tenter encore une fois la fortune à l’île de Fer. Il partit donc et arriva de jour à cette île. Là, il put débarquer sans obstacle, et il resta pendant vingt-deux jours dans cette relâche.

L’île était magnifique en sa partie centrale. Plus de cent mille pins la hérissaient. Des ruisseaux, clairs et abondants, l’arrosaient en maint endroit. Les cailles pullulaient, et l’on trouvait en abondance des porcs, des chèvres et des brebis.

De cette île hospitalière, les conquérants passèrent à l’île de Palme, et ils mouillèrent dans un port situé à droite d’une importante rivière. Cette île était la plus avancée du côté de l’Océan. Couverte de pins et de dragonniers, arrosée par de bonnes rivières, revêtue d’excellents herbages, elle pouvait se prêter à toute espèce de cultures. Ses habitants, grands et robustes, bien faits, avaient les traits gracieux et la peau très-blanche.

Gadifer demeura peu de temps en cette île ; ses matelots firent de l’eau pour leur retour, et en deux nuits et deux jours, après avoir côtoyé les autres îles de l’archipel sans y débarquer, ils arrivèrent au fort de Lancerote. Ils avaient été absents trois mois. Pendant ce temps, leurs compagnons, toujours en guerre avec les indigènes, avaient fait un grand nombre de prisonniers, et les Canariens, démoralisés, venaient de jour en jour se rendre à leur merci et implorer la consécration du baptême. Gadifer, enchanté de ces résultats, fit partir un de ses gentilshommes pour l’Espagne, afin de rendre compte à Jean de Béthencourt de l’état actuel de la colonie canarienne.