Découverte de la Terre/Deuxième partie/Chapitre premier/II

J. Hetzel (2p. 27-69).
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II

Fernand Cortès. — Son caractère. — Sa nomination. — Préparatifs de l’expédition et tentatives de Velasquez pour l’arrêter. — Débarquement à Vera Cruz. — Du Mexique et de l’empereur Montézuma. — La république de Tlascala. — Marche sur Mexico. — L’empereur prisonnier. — Défaite de Narvaez. — La Noche triste. — Bataille d’Otumba. — Second siége et prise de Mexico. — Expédition de Honduras. — Voyage en Espagne. — Expéditions dans l’océan Pacifique. — Second voyage de Cortès en Espagne. — Sa mort.

Velasquez n’avait pas attendu le retour de Grijalva pour expédier en Espagne les riches productions des contrées découvertes par celui-ci, et solliciter du conseil des Indes, ainsi que de l’évêque de Burgos, un surcroît d’autorité qui lui permît d’en tenter la conquête. En même temps, il préparait un nouvel armement proportionné aux dangers et à l’importance de l’entreprise qu’il méditait. Mais, s’il lui était relativement facile de rassembler le matériel et le personnel nécessaires, Velasquez, qu’un vieil écrivain nous représente comme peu généreux, crédule et porté au soupçon, eut plus de mal à lui trouver un chef. Ce dernier, en effet, devait réunir des qualités presque toujours incompatibles : un grand talent et un courage intrépide, sans lesquels il n’y avait pas de succès à espérer, en même temps assez de docilité et de soumission pour ne rien faire sans ordres et lui laisser, à lui qui ne courait aucun risque, la gloire de l’entreprise et de son succès. Les uns, braves et entreprenants, ne voulaient pas être réduits au rôle d’instruments ; les autres, plus dociles ou plus dissimulés, manquaient des qualités requises pour la réussite d’une si vaste entreprise ; ceux-ci, et c’étaient ceux qui venaient de faire campagne avec Grijalva, voulaient qu’on donnât à leur chef le commandement suprême ; ceux-là préféraient Agustin Bermudez ou Bernardino Velasquez. Pendant ces pourparlers, deux favoris du gouverneur, Andrès de Duero, son secrétaire, et Amador de Lares, contrôleur à Cuba, firent alliance avec un hidalgo nommé Fernando Cortès, à la condition de partager l’apport de celui-ci.

« Ils s’exprimèrent, dit Bernal Dias, en termes si bons et si mielleux, faisant de grands éloges de Cortès, assurant que c’était bien l’homme à qui convenait cet emploi, que ce serait un chef intrépide et certainement très-fidèle à Velasquez, dont il était le filleul, qu’ils le laissèrent convaincu, et Cortès fut nommé capitaine général. Et comme Andrès de Duero était le secrétaire du gouverneur, il s’empressa de formuler les pouvoirs par écrit, de bonne encre, bien amples au gré de Cortès, et il les lui apporta dûment signés. »

Ce n’était certainement pas l’homme que Velasquez aurait choisi, s’il avait pu lire dans l’avenir. Cortès était né en 1485, à Medellin, dans l’Estramadure, d’une famille ancienne mais peu fortunée. Après avoir étudié quelque temps à Salamanque, il retourna dans sa ville natale, dont le séjour, calme et paisible, ne pouvait longtemps convenir à son bouillant caractère et à son humeur capricieuse. Il partit bientôt pour l’Amérique, comptant, pour avancer, sur la protection de son parent Ovando, gouverneur de l’Española.

À son arrivée, Corlès occupa en effet plusieurs emplois honorables et lucratifs, sans compter qu’entre temps il prenait part aux expéditions dirigées contre les indigènes. Malheureusement, s’il s’initiait ainsi à la tactique indienne, il se familiarisait aussi avec ces actes de cruauté qui ont trop souvent souillé le nom castillan. En 1511, il accompagna Diego de Velasquez dans son expédition de Cuba et s’y distingua tellement, que, malgré certains dissentiments avec son chef, dissentiments complétement élucidés par les auteurs modernes, il reçut en récompense de ses services une large concession de terres et d’Indiens.

En peu d’années, grâce à son existence industrieuse, Cortès avait amassé trois mille castellanos, somme considérable pour sa position. Bien qu’il n’eût jamais, jusqu’alors, commandé en chef, son activité infatigable, qui avait succédé à la fougue désordonnée de la jeunesse, sa prudence bien connue, sa prud’homie, comme on disait autrefois, une grande rapidité de décision, enfin le talent, qu’on lui reconnaissait à un haut degré, de savoir gagner les cœurs par la cordialité de son caractère, telles furent les qualités qu’avaient fait valoir auprès de Velasquez ses deux protecteurs, Ajoutez à cela qu’il avait une belle prestance, une habileté prodigieuse dans tous les exercices du corps, et une force d’endurance rare, même parmi ces aventuriers habitués à tout souffrir.

Sa commission une fois reçue avec les marques de la reconnaissance la plus respectueuse, Cortès arbora à la porte de sa maison un étendard de velours noir brodé d’or, portant une croix rouge au milieu de flammes bleues et blanches, et au-dessous cette légende en latin : « Amis, suivons la croix, et si nous avons la foi, nous vaincrons par ce signe. » Il concentra dès lors toutes les ressources de son esprit ingénieux sur les moyens propres à faire réussir l’entreprise. Poussé par un enthousiasme que ne lui auraient jamais supposé ceux mêmes qui le connaissaient le mieux, non-seulement il consacra tout l’argent qu’il possédait à l’armement de sa flotte, mais encore il engagea ses propriétés, et il emprunta à ses amis des sommes considérables, qui lui servirent à l’achat de vaisseaux, de vivres, de munitions de guerre et de chevaux. En peu de jours, trois cents volontaires s’enrôlèrent, attirés par la renommée du général, alléchés par les risques et les profits vraisemblables de l’entreprise.

Mais Vélasquez, toujours soupçonneux et sans doute poussé par quelques envieux, faillit arrêter l’expédition à ses débuts. Averti par ses deux protecteurs que le gouverneur voulait lui enlever le commandement en chef, Cortès eut bientôt pris sa résolution. Bien que les équipages fussent incomplets et l’armement insuffisant, il réunit ses hommes et leva l’ancre dans la nuit. Velasquez, ainsi joué, dissimula sa colère, mais mit tout en œuvre pour arrêter celui qui venait de secouer toute dépendance avec tant de désinvolture.

À Macaca, Cortès compléta ses approvisionnements et vit se ranger sous sa bannière un grand nombre des compagnons de Grijalva : Pedro de Alvarado et ses frères, Christoval de Olid, Alonzo de Avila, Hernandez de Puerto-Carrero, Gonzalo de Sandoval et Bernal Dias del Castillo, qui devait écrire, de ces événements quorum pars magna fuit, une précieuse chronique. Puis il se dirigea vers la Trinité, port situé sur la côte méridionale de Cuba, où il prit de nouveaux approvisionnements. Pendant ce temps, le gouverneur Verdugo recevait des lettres de Velasquez, lui enjoignant d’arrêter Cortès, à qui le commandement de la flotte venait d’être retiré. Mais c’eût été un acte dangereux pour la sécurité de la ville, et Verdugo s’abstint. Afin de réunir de nouveaux adhérents, Cortès se rendit à la Havane, tandis que son lieutenant Alvarado gagnait par terre le port, où furent faits les derniers préparatifs. Malgré l’insuccès de sa première tentative, Velasquez expédia encore l’ordre d’arrêter Cortès ; mais le gouverneur Pedro Barba comprit sans peine l’impossibilité de l’exécuter au milieu de soldats qui auraient, suivant l’expression de Bernal Dias, volontiers donné leur vie pour Cortès.

Enfin, après avoir bien battu le rappel des volontaires et embarqué tout ce qui lui parut nécessaire, Cortès mit à la voile, le 18 février 1519, avec onze bâtiments, dont le plus fort jaugeait 100 tonneaux, 110 marins, 553 soldats, dont 13 arquebusiers, 200 Indiens de l’île et quelques femmes pour les travaux domestiques. Ce qui constituait la force de l’expédition, c’étaient ses dix pièces de canon, ses quatre fauconneaux pourvus d’abondantes munitions, et seize chevaux réunis à grand renfort d’argent. C’est avec ces moyens presque misérables et qu’il avait eu cependant tant de peine à rassembler, que Cortès allait entamer la lutte avec un souverain dont les domaines étaient plus étendus que tous ceux de la couronne d’Espagne, — entreprise dont les difficultés l’auraient sans doute fait reculer, s’il en avait pu entrevoir la moitié. Mais, il y a longtemps qu’un poëte l’a dit, la fortune sourit à ceux qui osent.

Après une violente tempête, l’expédition toucha à l’île de Cozumel, dont les habitants, soit par peur des Espagnols, soit par conviction de l’impuissance de leurs dieux, embrassèrent le christianisme. Au moment où la flotte quittait l’île, on eut la chance de recueillir un Espagnol nommé Jeronimo de Aguilar, depuis huit ans prisonnier des Indiens. Cet homme, qui avait parfaitement appris la langue maya, et qui avait autant de prudence que d’adresse, rendit bientôt les plus grands services comme interprète.

Cortès, après avoir doublé le cap Cotoche, descendit dans la baie de Campêche, dépassa Potonchan et remonta le rio Tabasco, dans l’espérance d’y être aussi bien reçu que l’avait été Grijalva et d’y récolter une aussi grande quantité d’or. Mais les dispositions des indigènes étaient entièrement changées, et l’on dut employer la violence. Malgré leur nombre et leur bravoure, les Indiens furent battus dans plusieurs actions, grâce à la terreur que leur inspirèrent les détonations des armes à feu et l’aspect des cavaliers montés, qu’ils prenaient pour des êtres surnaturels. Les Indiens perdirent beaucoup de monde dans ces combats, et les Espagnols eurent deux tués, quatorze hommes et plusieurs chevaux blessés ; on pansa ces derniers avec de la graisse d’Indien prise sur les morts. Enfin la paix fut conclue, et Cortès reçut des vivres, des habits de coton, un peu d’or et vingt femmes esclaves, parmi lesquelles était cette Marina, célébrée par tous les historiens de la conquête, qui devait rendre aux Espagnols tant de signalés services comme interprète.

Cortès continua sa course à l’ouest, cherchant un endroit propre au débarquement, mais il ne le trouva qu’à Saint-Jean d’Ulloa. À peine la flotte avait-elle jeté l’ancre, qu’un canot s’approcha sans crainte du vaisseau amiral. Grâce à Marina, qui était d’origine aztèque, Cortès apprit que les peuples de ce pays étaient sujets d’un grand empire dont leur province était une conquête récente. Leur monarque, appelé Moctheuzoma, mieux connu sous le nom de Montézuma, habitait Tenochtitlan ou Mexico, à soixante-dix lieues environ dans l’intérieur. Cortès fit part aux Indiens de ses intentions pacifiques, leur offrit quelques présents, et débarqua sur la plage torride et malsaine de Vera-Cruz. Les provisions affluèrent aussitôt. Mais, le lendemain du débarquement, Teutile, gouverneur de la province, envoyé par Montézuma, se trouva assez embarrassé pour répondre à Cortès, qui lui demandait de le conduire sans retard devant son maître : Il savait toutes les inquiétudes et les craintes qui hantaient l’esprit de l’empereur depuis l’arrivée des Espagnols. Cependant, il fit déposer aux pieds du général des étoffes de coton, des manteaux en plumes et des objets d’or, dont la richesse ne fit qu’exciter la cupidité des Européens. Alors, pour donner à ces pauvres Indiens une idée de sa puissance, Cortès fit manœuvrer ses soldats et tirer quelques pièces d’artillerie, dont les décharges les glacèrent de terreur. Pendant tout le temps qu’avait duré l’entrevue, des peintres avaient reproduit sur des étoffes de coton blanc les vaisseaux, les troupes et tout ce qui avait frappé leur vue. Ces dessins, fort habilement exécutés, devaient être envoyés à Montézuma.

Avant de commencer le récit des luttes héroïques qui allaient se succéder, il nous semble à propos de donner quelques détails sur cet empire du Mexique, qui, si puissant qu’il parût, renfermait cependant de nombreux ferments de décadence et de dissolution. Ce fut ce qui permit à cette poignée d’aventuriers d’en faire la conquête.

La partie de l’Amérique soumise à Montézuma portait le nom d’Anahuac, et s’étendait entre 14 et 20 degrés de latitude nord. Vers le milieu de cette région, qui présente des climats très-variés à cause des différences d’altitude, un peu plus près du Pacifique que de l’Atlantique, se développe, sur une circonférence de soixante-sept lieues et à 7,500 pieds au-dessus de la mer, une vaste cuvette dont le fond contenait alors plusieurs lacs, et qui est connue sous le nom de vallée de Mexico, du nom de la capitale de l’empire.

Comme on doit le penser, nous possédons bien peu de détails authentiques sur un peuple dont les annales écrites ont été brûlées par des « conquistadores » ignorants et par des moines fanatiques, qui supprimèrent avec acharnement tout ce qui pouvait rappeler les traditions religieuses et politiques de la race conquise.

Venus du nord au septième siècle, les Toltèques avaient débouché sur le plateau de l’Anahuac. C’était une race intelligente, adonnée à l’agriculture et aux arts mécaniques, sachant travailler les métaux, et qui construisit la plupart des édifices somptueux et gigantesques dont on retrouve partout les ruines dans la Nouvelle-Espagne.

Après quatre siècles de domination, les Toltèques disparurent du pays avec autant de mystère qu’ils y avaient pénétré. Ils furent remplacés un siècle plus tard par une tribu sauvage venue du nord-ouest, et bientôt suivie d’autres peuplades plus avancées, qui semblent avoir parlé la langue toltèque. Les plus célèbres de ces tribus sont les Aztecs et les Alcolhuès ou Tezcucans, qui s’assimilèrent avec facilité la teinture de civilisation demeurée dans le pays avec les derniers Toltèques. Quant aux Aztecs, après une série de migrations et de guerres, ils se fixèrent en 1326 dans la vallée de Mexico, où ils bâtirent leur capitale Ténochtitlan. Pendant un siècle, grâce à un traité d’alliance offensive et défensive entre les États de Mexico, de Tezcuco et de Tlacopan rigoureusement observé, la civilisation aztèque, d’abord renfermée dans les limites de la vallée, déborda et n’eut bientôt plus pour bornes que le Pacifique et l’Atlantique.

En peu de temps, ces peuples étaient arrivés à un degré de civilisation supérieur à celui de toutes les tribus du nouveau monde. Le droit de propriété était reconnu au Mexique, le commerce y était florissant, et trois sortes de monnaies assuraient le mécanisme de l’échange. La police était bien faite, et un système de relais, fonctionnant dans la perfection, permettait de transmettre rapidement les ordres du souverain d’un bout à l’autre de l’empire. Le nombre et la beauté des villes, la grandeur des palais, des temples et des forteresses dénotent une civilisation avancée, qui présente un singulier contraste avec les mœurs féroces des Aztecs. Rien de plus barbare et de plus sanguinaire que leur religion polythéiste. Les prêtres formaient une corporation très-nombreuse et jouissaient d’une grande influence, même dans les affaires exclusivement politiques. À côté de rites semblables à ceux des chrétiens, tels que le baptême et la confession, leur religion était un tissu des plus absurdes et des plus sanguinaires superstitions. C’est ainsi que les sacrifices humains, adoptés au commencement du quatorzième siècle, et d’abord assez rares, étaient bientôt devenus si fréquents qu’on évalue à vingt mille, année moyenne, le nombre des victimes immolées, et qui étaient pour la plupart fournies par les nations vaincues. Dans certaines circonstances, ce nombre fut même beaucoup plus élevé. C’est ainsi qu’en 1486, lors de l’inauguration du temple d’Huitzilopchit, soixante-dix mille captifs périrent en un seul jour.

Le gouvernement du Mexique était monarchique ; mais la puissance des empereurs, d’abord assez restreinte, s’était accrue avec les conquêtes et était devenue despotique. Le souverain était toujours choisi dans la même famille, et son avénement était marqué par de nombreux sacrifices humains.

L’empereur Montézuma appartenait à la caste sacerdotale, et son pouvoir en avait reçu de singuliers accroissements. À la suite de nombreuses guerres, il avait reculé les frontières et subjugué des nations qui accueillirent avec empressement les Espagnols, dont la domination leur paraissait devoir être moins pesante et moins cruelle que celle des Aztecs.

Il est parfaitement certain que si Montézuma fût tombé avec les forces considérables dont il disposait sur les Espagnols, lorsque ceux-ci occupaient la plage chaude et malsaine de Vera-Cruz, ils n’auraient pu, malgré la supériorité de leurs armes et de leur discipline, résister à un pareil choc. Ils auraient tous péri ou auraient été forcés de se rembarquer. Les destinées du nouveau monde eussent été complétement changées. Mais la décision, ce trait le plus saillant du caractère de Cortès, faisait entièrement défaut à Montézuma, qui ne sut à aucun moment prendre résolûment un parti.

Cependant, de nouveaux envoyés de l’empereur s’étaient rendus au camp espagnol, apportant à Cortès l’ordre de quitter le pays, et, sur le refus de ce dernier, tous rapports des indigènes avaient immédiatement cessé avec les envahisseurs. La situation se tendait. Cortès le comprit. Après avoir vaincu quelques hésitations qui s’étaient manifestées dans ses troupes, il fit jeter les fondations de la Vera-Cruz, forteresse qui devait lui servir de base d’opérations et de soutien pour un rembarquement possible. Il organisa ensuite une sorte de gouvernement civil, de junte, comme on dirait aujourd’hui, à laquelle il remit sa commission révoquée par Velasquez, et il se fit donner, au nom du roi, de nouvelles provisions avec les pouvoirs les plus étendus. Puis, il reçut les envoyés de la ville de Zempoalla qui venaient solliciter son alliance et sa protection contre Montézuma, dont ils supportaient le joug avec impatience.

C’était vraiment jouer de bonheur que de trouver de tels alliés dès les premiers jours du débarquement. Aussi, Cortès, ne voulant pas laisser échapper cette occasion, accueillit avec faveur les Totonaques, se rendit dans leur capitale, et, après avoir fait construire une forteresse à Quiabislan sur le bord de la mer, il les décida à refuser le payement de l’impôt. Il profita de son séjour à Zempoalla pour exhorter ces peuples à se convertir au christianisme, et renversa leurs idoles, comme il l’avait fait à Cozumel, pour leur prouver toute l’impuissance de leurs dieux.

Pendant ce temps, un complot se nouait dans son camp, et, persuadé que, tant qu’il resterait un moyen de regagner Cuba, il aurait à lutter contre la lassitude et le mécontentement de ses soldats, Cortès fit jeter à la côte tous ses navires sous le prétexte qu’ils étaient en trop mauvais état pour servir plus longtemps. C’était là un acte d’audace véritablement inouï, qui forçait ses compagnons à vaincre ou à mourir.

N’ayant alors plus rien à craindre de l’indiscipline de ses troupes, Cortès partit le 16 août de Zempoalla avec cinq cents soldats, quinze chevaux et six canons de campagne, sans compter deux cents Indiens porteurs, destinés à tous les travaux serviles.

Il atteignit bientôt les frontières de la petite république de Tlascala, dont les peuples, féroces, ennemis de toute servitude, étaient depuis longtemps en lutte avec Montézuma. Cortès se flattait que son intention, tant de fois proclamée, de délivrer les Indiens du joug mexicain jetterait les Tlascalans dans ses bras et en ferait ses alliés. Il leur demanda donc passage sur leur territoire pour gagner Mexico. Mais ses ambassadeurs furent retenus, et lorsqu’il s’avança dans l’intérieur du pays, il dut, pendant quatorze jours consécutifs, soutenir les attaques continuelles de jour et de nuit de plusieurs armées de 30,000 Tlascalans, qui déployèrent une bravoure et une opiniâtreté dont les Espagnols n’avaient pas encore vu d’exemple dans le nouveau monde.

Mais les armes de ces braves étaient trop primitives. Que pouvaient-ils avec des flèches et des lances armées d’obsidienne ou d’os de poisson, des pieux durcis au feu, des épées de bois, et surtout une tactique insuffisante. Lorsqu’ils s’aperçurent que, dans tous ces combats, qui avaient coûté la vie à un si grand nombre de leurs plus braves guerriers, pas un seul Espagnol n’avait été tué, ils prêtèrent à ces étrangers une nature supérieure, tout en ne sachant quelle opinion se faire d’hommes qui renvoyaient, les mains coupées, les espions surpris dans leur camp, et qui, après chaque victoire, non-seulement ne dévoraient pas les prisonniers comme l’auraient fait les Aztecs, mais encore les relâchaient chargés de présents et demandaient la paix.

Les Tlascalans se reconnurent donc vassaux de l’Espagne, et jurèrent de seconder Cortès dans toutes ses expéditions. De son côté, celui-ci devait les protéger contre leurs ennemis. Il n’était que temps d’ailleurs que la paix fût faite. Beaucoup d’Espagnols étaient blessés ou malades, tous étaient exténués de fatigue. Leur entrée triomphale à Tlascala, où ils furent accueillis comme des êtres surnaturels, ne tarda pas à leur faire oublier leurs souffrances.

Après vingt jours de repos dans cette ville, Cortès reprit sa marche vers Mexico avec une armée auxiliaire de six mille Tlascalans. Il se dirigea d’abord vers Cholula, considérée par les Indiens comme une ville sainte, sanctuaire et résidence chérie de leurs dieux. Montézuma était bien aise d’y attirer les Espagnols, soit qu’il comptât que les dieux vengeraient eux-mêmes la violation de leurs temples, soit qu’il pensât qu’une sédition et qu’un massacre fussent plus faciles à organiser dans cette ville populeuse et fanatique.

Mais Cortès avait été averti par les Tlascalans d’avoir à se défier des protestations d’amitié et de dévouement des Cholulans. Quoi qu’il en fût, il prit ses quartiers dans l’intérieur de la ville, car il y allait de son prestige de paraître n’avoir rien à redouter. Averti par les Tlascalans que les femmes et les enfants étaient éloignés, et, par Marina, qu’un corps considérable de troupes était concentré aux portes de la cité, que des chausse-trappes et des tranchées étaient creusées dans les rues, tandis que les terrasses se couvraient de pierres et de traits, Cortès prévint ses ennemis, fit saisir les principaux de la ville et organisa le massacre d’une population surprise et privée de ses chefs. Pendant deux jours entiers, les malheureux Cholulans furent en butte à tous les maux que purent inventer la rage des Espagnols et la vengeance des Tlascalans, leurs alliés. Six mille habitants égorgés, les temples brûlés et la ville à moitié détruite, c’était là un exemple terrible, bien fait pour terrifier Montézuma et ses sujets.

Aussi partout, sur les vingt lieues qui le séparaient de la capitale, Cortès fut-il reçu comme un libérateur. Il n’était pas un cacique qui n’eût à se plaindre du despotisme impérial, ce qui confirmait Cortès dans l’espoir qu’il aurait facilement raison d’un empire si divisé.

À mesure qu’ils descendaient des montagnes de Chalco, la vallée de Mexico, son lac immense, profondément découpé et entouré de grandes villes, cette capitale bâtie sur pilotis, ces champs si bien cultivés, tout cela se déroulait devant les yeux émerveillés des Espagnols.

Sans s’inquiéter des perpétuelles tergiversations de Montézuma, qui ne sut jusqu’au dernier moment s’il recevrait les Espagnols en amis ou en ennemis, Cortès s’engagea sur la chaussée qui conduit à Mexico au travers du lac. Déjà, il n’était plus qu’à un mille de la ville, lorsque des Indiens, qu’à leur costume magnifique on reconnaissait pour de hauts personnages, vinrent le saluer et lui annoncer la venue de l’empereur.

Montézuma parut bientôt, porté sur les épaules de ses favoris dans une sorte de litière ornée d’or et de plumes ; en même temps qu’un dais magnifique le protégeait contre l’ardeur du soleil.

À mesure qu’il avançait, les Indiens se prosternaient devant lui et se cachaient la tête, comme s’ils eussent été indignes de le contempler. Cette première entrevue fut cordiale, et Montézuma conduisit lui-même ses hôtes dans le quartier qu’il leur avait préparé. C’était un vaste palais, environné d’une muraille de pierre et défendu par des tours élevées. Cortès prit aussitôt ses dispositions de défense et fit braquer ses canons sur les avenues qui y conduisaient.

À la seconde entrevue, des présents magnifiques furent offerts au général ainsi qu’à ses soldats. Montézuma raconta que, suivant une antique tradition, les ancêtres des Aztecs seraient venus, dans le pays, sous la conduite d’un homme blanc et barbu comme les Espagnols. Après avoir fondé leur puissance, il s’était embarqué sur l’Océan, en leur promettant que ses descendants viendraient un jour les visiter et réformer leurs lois. S’il les recevait aujourd’hui, non comme des étrangers, mais comme des pères, c’est qu’il était persuadé de voir en eux les descendants de leur ancien chef et qu’il les priait de se regarder comme les maîtres de ses États.

Les jours suivants furent employés à visiter la ville, qui parut aux Espagnols plus grande, plus populeuse, plus belle qu’aucune autre de celles qu’ils avaient vues jusque-là en Amérique. Ce qui constituait sa singularité, c’étaient ces chaussées qui la mettaient en communication avec la terre ferme, chaussées coupées de place en place pour permettre un libre passage aux embarcations qui sillonnaient le lac. Sur ces ouvertures étaient jetés des ponts qui pouvaient être facilement détruits. Du côté de l’est, il n’y avait pas de chaussée, et l’on ne pouvait communiquer avec la terre ferme qu’au moyen de canots.

Cette disposition de Mexico n’était pas sans inquiéter Cortès, qui pouvait se voir tout d’un coup bloqué dans la capitale sans qu’il lui fût possible d’en sortir. Il résolut donc, pour prévenir toute tentative séditieuse, de s’assurer de l’empereur comme otage. Les nouvelles qu’il venait de recevoir lui fournissaient d’ailleurs un excellent prétexte : Qualpopoca, général mexicain, avait attaqué les provinces soumises aux Espagnols, blessé à mort Escalante et sept de ses soldats ; enfin la tête d’un prisonnier décapité, promenée de ville en ville, prouvait que les envahisseurs pouvaient être vaincus et n’étaient rien de plus que de simples mortels.

Cortès profita de ces événements pour accuser l’empereur de perfidie. Il prétendit que, s’il lui faisait bonne mine ainsi qu’à ses soldats, c’était afin de saisir l’occasion favorable de leur faire subir le même traitement qu’à Escalante, procédé indigne d’un souverain et bien différent de la confiance avec laquelle Cortès était venu le trouver. Si, d’ailleurs, les soupçons que tous les Espagnols avaient conçus n’étaient pas fondés, l’empereur avait un moyen bien simple de se justifier en faisant punir Qualpopoca. Enfin, pour empêcher le retour d’agressions qui ne pouvaient que nuire à la bonne harmonie et afin de prouver aux Mexicains qu’il ne nourrissait contre les Espagnols aucun mauvais dessein, Montézuma n’avait d’autre parti à prendre que de venir résider au milieu d’eux. L’empereur ne s’y décida pas facilement, cela se comprend de reste, mais il lui fallut céder à la violence et aux menaces. En annonçant à ses sujets sa nouvelle résolution, il dut plusieurs fois leur assurer qu’il se mettait librement et de son plein gré entre les mains des Espagnols et les calmer par ces paroles, car ils menaçaient de se jeter sur les étrangers.

Ce coup audacieux réussit à Cortès au delà de ses espérances, Qualpopoca, son fils et cinq des principaux artisans de la révolte furent saisis par les Mexicains, remis à un tribunal espagnol, à la fois juge et partie, qui les condamna et les fit brûler vifs. Non content d’avoir puni des hommes qui n’avaient fait qu’exécuter les ordres de leur empereur et s’étaient opposés les armes à la main à l’envahissement de leur pays, Cortès imposa une nouvelle humiliation à Montézuma en lui mettant les fers aux pieds, sous prétexte que les coupables l’avaient accusé au dernier moment.

Pendant six mois, le « conquistador » exerça au nom de l’empereur, réduit au rôle de roi fainéant, l’autorité suprême, changeant les gouverneurs qui lui déplaisaient, faisant rentrer les impôts, présidant à tous les détails de l’administration, envoyant, dans les différentes provinces de l’empire, des Espagnols chargés de reconnaître leurs productions et d’examiner avec un soin tout spécial les districts miniers et les procédés en usage pour la récolte de l’or.

Enfin, Cortès exploitait la curiosité que Montézuma montrait de voir des navires européens pour faire venir de Vera-Cruz des agrès et des apparaux, et pour construire deux brigantins destinés à assurer ses communications par le lac avec la terre ferme.

Enhardi partant de preuves de soumission et d’humilité, Cortès alla plus loin et exigea de Montézuma qu’il se reconnût le vassal et le tributaire de l’Espagne. Cet acte de foi et hommage fut accompagné, on le devine facilement, de riches et nombreux présents, ainsi que d’une forte contribution qui fut levée sans trop de difficulté. On en profita pour rassembler tout ce qui avait été extorqué en or et en argent aux Indiens, et le fondre, sauf certaines pièces qui furent conservées à cause de la beauté du travail. Le tout ne monta pas à plus de 600,000 pesos, soit 2,500,000 livres. Ainsi, quoique les Espagnols eussent mis en usage toute leur puissance, bien que Montézuma eût épuisé ses trésors pour les rassasier, le produit ne montait qu’à une somme dérisoire, bien peu en rapport avec l’idée que les conquérants s’étaient faite des richesses du pays.

Lorsqu’on eut mis à part le quint du roi, le quint pour Cortès, et qu’on eut distrait de quoi rembourser les sommes avancées pour les frais de l’armement, la part de chaque soldat ne s’éleva pas à cent pesos. Avoir éprouvé tant de fatigues, couru de si grands dangers et souffert tant de privations pour cent pesos, autant aurait valu rester à l’Española ! Si c’était à ce piètre résultat qu’aboutissaient les magnifiques promesses de Cortès, si le partage avait été fait avec justice, ce dont on n’était pas certain, il était dérisoire de rester plus longtemps dans un pays si misérable, alors que, sous un chef moins prodigue de promesses, mais plus généreux, on pouvait gagner des contrées riches en or et en pierreries, où de braves guerriers auraient trouvé une juste compensation à leurs misères. Ainsi murmuraient ces aventuriers avides ; les uns acceptèrent en maugréant ce qui leur revenait, les autres le refusèrent dédaigneusement.

Si Cortès avait réussi à convaincre Montézuma dans tout ce qui touchait à la politique, il n’en fut pas de même pour ce qui avait trait à la religion. Jamais il ne put le décider à se convertir, et lorsqu’il voulut renverser les idoles comme il l’avait fait à Zempoalla, il souleva une sédition qui n’aurait pas manqué de devenir très sérieuse, s’il n’avait pas aussitôt abandonné ses projets. Dès lors, les Mexicains, qui avaient souffert presque sans résistance l’emprisonnement et la soumission de leur monarque, résolurent de venger leurs dieux insultés et préparèrent une révolte générale contre les envahisseurs.

C’est au moment où les choses semblaient prendre une tournure moins favorable à l’intérieur que Cortès reçut, de Vera-Cruz, la nouvelle que plusieurs navires croisaient devant le port. Tout d’abord, il crut que cette flotte de secours était envoyée par Charles-Quint en réponse à la lettre qu’il lui avait adressée, le 16 juillet 1619, par Puerto Carrerro et Montejo. Il fut bientôt détrompé et apprit que cet armement, organisé par Diego Velasquez, qui avait su avec quelle facilité son lieutenant avait secoué tous les liens de dépendance envers lui, avait pour but de le déposséder, de le faire prisonnier et de l’envoyer à Cuba, où son procès serait fait rapidement.

Cette flotte, dont le commandement avait été remis à Pamphilo de Narvaez, ne comptait pas moins de dix-huit vaisseaux, portant quatre-vingts cavaliers, cent fantassins, dont quatre-vingts mousquetaires, cent vingt arbalétriers et douze pièces de canon.

Narvaez débarqua sans opposition près du fort San-Juan d’Ulloa. Mais, ayant sommé Sandoval, gouverneur de Vera-Cruz, de lui remettre la ville, celui-ci se saisit de ceux qui s’étaient chargés de cette insolente commission et les envoya à Mexico. Cortès les remit aussitôt en liberté et tira d’eux des informations circonstanciées sur les projets et les forces de Narvaez. Le danger qu’il courait personnellement était grand. Les troupes armées par Velasquez étaient plus nombreuses, mieux fournies d’armes et de munitions que les siennes ; en outre, ce qui l’inquiétait, ce n’était pas la perspective d’être condamné, mis à mort, c’était la crainte de voir perdre le fruit de tous ses efforts et du préjudice que ces dissensions allaient porter à sa patrie. La situation était critique. Après avoir mûrement réfléchi et pesé le pour et le contre du parti qu’il allait prendre, Cortès se détermina à combattre, malgré tout son désavantage, plutôt que de sacrifier ses conquêtes et les intérêts de l’Espagne.

Avant d’en venir à cette extrémité, Cortès dépêcha à Narvaez son chapelain Olmedo, qui fut très-mal reçu, et vit rejeter dédaigneusement toutes les propositions d’accommodement. Olmedo eut plus de succès auprès des soldats, qui le connaissaient pour la plupart et auxquels il distribua nombre de chaînes, d’anneaux d’or et de bijoux, très-propres à leur donner une haute opinion des richesses du conquérant. Mais Narvaez, qui en fut informé, ne voulut pas laisser plus longtemps ses troupes exposées à la séduction ; il mit à prix la tête de Cortès et de ses principaux officiers et s’avança à sa rencontre. Ce dernier était trop habile pour livrer bataille dans des conditions défavorables. Il temporisa, lassa Narvaez et ses troupes, qui rentrèrent à Zempoalla, et prit si bien ses mesures que, la surprise et la terreur d’une attaque nocturne compensant l’infériorité de ses forces, il fit prisonnier son adversaire et toutes ses troupes, et ne perdit lui-même que deux soldats.

Le vainqueur traita bien les vaincus, leur laissant le choix ou de se retirer à Cuba ou de partager sa fortune. Cette dernière perspective, appuyée de présents et de promesses, parut tellement séduisante aux nouveaux débarqués, que Cortès se vit à la tête de mille soldats, le lendemain du jour où il était sur le point de tomber entre les mains de Narvaez.

Ce brusque revirement de fortune fut puissamment secondé par l’habileté diplomatique de Cortès, qui se hâta de reprendre le chemin de Mexico. Les troupes qu’il y avait laissées sous le commandement d’Alvarado, à la garde de ses trésors et de l’empereur son prisonnier, étaient réduites aux dernières extrémités par les indigènes, qui avaient tué ou blessé un grand nombre de soldats et tenaient le reste étroitement bloqué, sous la menace permanente d’un assaut général. Il faut avouer, du reste, que la conduite imprudente et criminelle des Espagnols et notamment le massacre, pendant une fête, des citoyens les plus distingués de l’empire, avaient amené le soulèvement qu’ils redoutaient et qu’ils avaient voulu prévenir.

Après avoir été rejoint par deux mille Tlascalans, Cortès accourut à marches forcées vers la capitale, où il arriva heureusement, sans que les Indiens eussent rompu les ponts des chaussées et des digues qui reliaient Mexico à la terre ferme. Malgré l’arrivée de ce renfort, la situation ne s’améliora pas. Chaque jour, il fallait livrer de nouveaux combats et faire des sorties pour dégager les avenues des palais occupés par les Espagnols.

Cortès comprit alors la faute qu’il avait commise de venir s’enfermer dans une ville où il pouvait être forcé à tout instant, et d’où il lui était cependant si difficile de sortir. Il eut alors recours à Montézuma, qui pouvait, par son autorité et par le prestige dont il était encore entouré, apaiser le soulèvement, donner, en tout cas, un peu de répit aux Espagnols et préparer leur retraite. Mais, lorsque le malheureux empereur, devenu le jouet de Cortès, parut sur les murailles, revêtu de ses ornements royaux, et engagea ses sujets à cesser les hostilités, des murmures de mécontentement s’élevèrent, des menaces furent proférées ; les hostilités recommencèrent, et, avant que les soldats eussent eu le temps de le protéger de leurs boucliers, l’empereur fut percé de flèches et atteint à la tête d’une pierre qui le renversa.

À cette vue, les Indiens, épouvantés du crime qu’ils venaient de commettre, cessèrent à l’instant le combat et s’enfuirent dans toutes les directions. Quant à l’empereur, comprenant, mais trop tard, toute l’abjection du rôle que Cortès lui avait fait jouer, il arracha les appareils dont on avait bandé ses blessures, refusa toute nourriture et expira en maudissant les Espagnols.

Après un événement si funeste, on ne devait plus songer à entrer en accommodement avec les Mexicains, et il fallait à tout prix et rapidement se retirer d’une ville où l’on allait être bloqué et affamé. Cortès le comprit et s’y prépara en secret. Ses troupes étaient tous les jours serrées de plus près ; lui-même dut mainte fois mettre l’épée à la main et combattre comme un simple soldat. Solis raconte même, on ne sait d’après quelle autorité, que, dans un assaut donné à l’un des édifices qui dominaient le quartier des Espagnols, deux jeunes Mexicains, reconnaissant Cortès qui animait ses soldats de la voix, résolurent de se sacrifier pour faire périr l’auteur des calamités de leur patrie. Ils s’approchèrent de lui dans une posture suppliante, comme s’ils voulaient lui demander quartier, et, le saisissant au milieu du corps, ils l’entraînèrent vers les créneaux, par lesquels ils se précipitèrent, espérant l’entraîner avec eux. Mais, grâce à sa force et à son agilité exceptionnelles, Cortès put échapper à leur étreinte, et ces braves Mexicains périrent dans leur tentative généreuse et inutile pour le salut de leur pays.

La retraite une fois décidée, il s’agissait de savoir si on l’opérerait de jour ou de nuit. De jour, on pourrait mieux résister à l’ennemi, on verrait mieux les embûches préparées, on pourrait plus facilement prendre ses précautions pour rétablir les ponts rompus par les Mexicains. D’un autre côté, on savait que les Indiens attaquaient rarement après le coucher du soleil ; mais ce qui décida Cortès en faveur d’une retraite nocturne, c’est qu’un soldat, qui se mêlait d’astrologie, avait promis à ses camarades un succès assuré si l’on agissait la nuit.

On se mit donc en marche à minuit. Outre les troupes espagnoles, Cortès avait sous ses ordres les détachements de Tlascala, de Zempoalla et de Cholula, qui s’élevaient encore, malgré les pertes considérables qu’ils avaient éprouvées, à sept mille hommes. Sandoval commandait l’avant-garde ; Cortès était au centre avec les bagages, les canons, les prisonniers, parmi lesquels étaient un fils et deux filles de Montézuma ; Alvarado et Velasquez de Léon conduisaient l’arrière-garde. On avait eu soin de construire un pont volant qui devait être jeté sur les parties rompues de la chaussée. À peine les Espagnols avaient-ils débouché sur la digue qui menait à Tacuba et qui était la plus courte, qu’ils furent attaqués en tête, en flancs et en queue par des masses profondes d’ennemis, tandis qu’une innombrable flottille de canots faisait pleuvoir sur eux une grêle de pierres et de traits. Ahuris, aveuglés, les alliés ne savent auquel répondre. Le pont de bois s’enfonce sous le poids de l’artillerie et des combattants. Entassés sur une chaussée étroite, ne pouvant faire usage de leurs armes à feu, privés de leur cavalerie qui manque de champ, mêlés avec les Indiens qui les attaquent corps à corps, n’ayant plus la force de tuer, entourés de tous côtés, les Espagnols et leurs alliés cèdent sous le nombre toujours renouvelé des assaillants. Chefs et soldats, fantassins et cavaliers, Espagnols et Tlascalans sont confondus ; chacun se défend personnellement, sans souci de la discipline et du salut commun.

Tout semblait perdu, lorsque Cortès, avec une centaine d’hommes, parvient à franchir la coupure de la digue sur la masse des cadavres qui l’ont comblée. Il range ses soldats à mesure qu’ils arrivent, et, à la tête de ceux qui sont le moins grièvement blessés, il s’enfonce comme un coin dans la mêlée et parvient à dégager une partie des siens. Avant le jour, tout ce qui avait pu échapper au massacre de cette noche triste, comme fut désignée cette épouvantable nuit, se trouvait réuni à Tacuba. Ce fut les yeux pleins de larmes que Cortès passa la revue de ses derniers soldats, tous couverts de blessures, et qu’il se rendit compte des pertes sensibles qu’il avait essuyées ; 4,000 Indiens, Tlascalans et Cholulans, et presque tous les chevaux, étaient tués ; toute l’artillerie ainsi que les munitions et la plus grande partie des bagages étaient perdus ; plusieurs officiers de distinction, Velasquez de Léon, Salcedo, Morla, Lares et bien d’autres, étaient au nombre des morts ; un des plus dangereusement atteints était Alvarado ; pas un homme, fût-il officier ou soldat, qui n’eût une blessure.

On ne s’attarda pas à Tacuba, et l’on fit route au hasard dans la direction de Tlascala, où l’on ne savait pas d’ailleurs quel accueil on recevrait. Toujours harcelés par les Mexicains, les Espagnols durent encore livrer une grande bataille dans les champs d’Otumba à une multitude de guerriers que certains historiens évaluent à deux cent mille. Grâce aux quelques cavaliers qui lui restaient, Cortès put renverser tout ce qui se trouvait devant lui, et arriver jusqu’à une troupe de hauts personnages facilement reconnaissables à leurs panaches dorés et à leurs vêtements luxueux, parmi lesquels se tenait le général portant l’étendard. Avec quelques cavaliers Cortès fondit sur le groupe et fut assez heureux ou assez adroit pour renverser d’un coup de lance le général mexicain, qu’un soldat nommé Juan de Salamanca acheva d’un coup d’épée. À dater du moment où l’étendard disparut, la bataille fut gagnée, et les Mexicains, pris d’une terreur panique, abandonnèrent à la hâte le champ de bataille. « Jamais les Espagnols n’avaient couru plus grand danger, et sans l’étoile de Cortès, dit Prescott, pas un n’eût survécu pour transmettre à la postérité le récit de la sanglante bataille d’Otumba. » Le butin fut considérable et put dédommager en partie les Espagnols des pertes qu’ils avaient subies à leur sortie de Mexico, car cette armée était composée des principaux guerriers de la nation, qui, persuadés de leur succès infaillible, s’étaient parés de leurs plus riches ornements.

Le lendemain, les Espagnols entraient sur le territoire de Tlascala.

« J’appellerai maintenant l’attention des curieux lecteurs, dit Bernal Dias, sur ce fait que, lorsque nous revînmes à Mexico au secours d’Alvarado, nous formions un total de treize cents hommes, y compris les cavaliers au nombre de quatre-vingt-dix-sept, quatre-vingts arbalétriers, autant d’hommes d’escopette et plus de deux mille Tlascalans avec beaucoup d’artillerie. Notre seconde entrée à Mexico avait eu lieu le jour de la Saint-Jean de 1520, et notre fuite le 10 du mois de juillet suivant. Nous livrâmes la mémorable bataille d’Otumba le 14 de ce même mois de juillet. Et maintenant, je veux porter l’attention sur le nombre d’hommes qu’on tua, tant à Mexico, au passage des chaussées et des ponts, que dans les autres rencontres d’Otumba et sur les routes. J’affirme que, dans l’espace de cinq jours, on nous massacra 860 hommes, en y comprenant soixante-dix soldats qu’on nous tua dans le village de Rustepèque avec cinq femmes de Castille ; nous perdîmes en même temps douze cents Tlascalans. Il est encore à remarquer que, s’il mourut plus d’hommes de la troupe de Narvaez que de celle de Cortès, au passage des ponts, ce fut parce qu’ils se mirent en route chargés d’une quantité d’or dont le poids les empêcha de nager et de se tirer des tranchées. »

Les troupes de Cortès étaient réduites à quatre cent quarante hommes avec vingt chevaux, douze arbalétriers et sept hommes d’escopette sans une charge de poudre, tous blessés, boiteux ou estropiés des bras, c’est-à-dire au même nombre que lors de la première entrée à Mexico, mais avec cette différence considérable qu’aujourd’hui ils sortaient de la capitale en vaincus.

En entrant sur le territoire de Tlascala, Cortès recommanda à ses hommes, et particulièrement à ceux de Narvaez, de ne commettre aucune vexation à l’égard des indigènes, car il y allait du salut commun, et de ne pas irriter les seuls alliés qui leur restassent. Par bonheur, les craintes qu’on avait conçues sur la fidélité des Tlascalans furent vaines. L’accueil qu’ils firent aux Espagnols fut des plus sympathiques ; ils ne songeaient qu’à venger la mort de leurs frères massacrés par les Mexicains. Dans leur capitale, Cortès apprit encore la perte de deux détachements, mais ces échecs, si graves qu’ils fussent, ne le découragèrent pas. Il avait sous ses ordres des troupes aguerries, des alliés fidèles ; Vera-Cruz était intacte ; il pouvait encore une fois compter sur sa fortune.

Mais, avant d’entreprendre une nouvelle campagne et d’entamer un nouveau siége, il y avait des secours à demander et des préparatifs à faire. Cortès n’y manqua pas. Il dépêcha quatre navires à l’Española pour enrôler des volontaires et acheter des chevaux, de la poudre et des munitions ; en même temps, il fit couper dans les montagnes de Tlascala les bois nécessaires à la construction de douze brigantins qui devaient être transportés par pièces jusqu’au lac de Mexico, où ils seraient lancés au moment opportun.

Après avoir réprimé certaines tentatives de mutinerie qui se produisirent surtout parmi les soldats venus avec Narvaez, Cortès marcha de nouveau en avant et s’attaqua d’abord, avec l’aide des Tlascalans, à ceux de Tepeaca et d’autres provinces voisines, ce qui eut l’avantage de familiariser de nouveau ses troupes avec la victoire et d’aguerrir ses alliés.

Sur ces entrefaites, deux brigantins chargés de munitions et de renforts, adressés par Velasquez à Narvaez, dont il ignorait les mésaventures, tombèrent entre les mains de Cortès ; en même temps, un certain nombre d’Espagnols, envoyés par François de Garay, gouverneur de la Jamaïque, se joignirent à lui. Grâce à ces recrues, l’armée de Cortès se trouva composée, lorsqu’il se fut débarrassé de plusieurs partisans de Narvaez dont il était mécontent, de cinq cent cinquante fantassins, dont quatre-vingts mousquetaires, et de quarante cavaliers. C’est avec ce faible corps d’armée, soutenu par mille Tlascalans, qu’il reprit la route de Mexico, le 28 décembre 1520, six mois après avoir été forcé de l’abandonner.

Nous passerons assez rapidement sur toute cette campagne malgré l’intérêt qu’elle peut offrir ; mais elle eut pour théâtre des contrées déjà décrites, et ce n’est pas à proprement parler l’histoire de la conquête du Mexique que nous voulons tracer. Il nous suffira de dire qu’après la mort de Montézuma, son frère Quetlavaca, élevé au trône, avait pris pour résister toutes les mesures de précaution compatibles avec la science stratégique des Aztecs. Mais il mourut de la petite vérole, triste cadeau que les Espagnols avaient fait au nouveau monde, au moment où ses brillantes qualités de prévoyance et de bravoure allaient être le plus nécessaires. Il eut pour successeur Guatimozin, neveu de Montézuma, connu pour ses talents et sa valeur.

Dès qu’il entra sur le territoire mexicain, Cortès eut à combattre. Il s’empara cependant bientôt de Tezcuco, ville située à vingt milles de Mexico et baignée par le lac central, sur lequel les Espagnols voyaient flotter trois mois plus tard une flottille imposante. Pendant ce temps, une nouvelle conspiration, qui avait pour but l’assassinat de Cortès et de ses principaux officiers, avait été découverte et le principal coupable fut exécuté. D’ailleurs, à ce moment, tout semblait sourire à Cortès ; il venait d’apprendre l’arrivée de nouveaux secours à Vera-Cruz, et la plupart des villes sous la domination de Guatimozin se soumettaient à ses armes. Le siége véritable commença au mois de mai 1521 et se continua avec des alternatives de succès et de revers jusqu’au jour où les brigantins furent mis à l’eau. Les Mexicains ne craignirent pas de les attaquer ; quatre à cinq mille canots, chargés chacun de deux hommes, couvrirent le lac et vinrent assaillir les bateaux espagnols, sur lesquels étaient embarqués près de trois cents hommes. Ces neuf brigantins, qui portaient du canon, eurent bientôt dispersé ou coulé la flotte ennemie, qui leur laissa, depuis lors, le champ libre. Mais ce succès et certains autres avantages, remportés par Cortès, ne menaient pas à grand’chose, et le siége traînait en longueur. Aussi le général résolut-il d’emporter la ville de vive force. Malheureusement, l’officier chargé de protéger la ligne de retraite par les chaussées tandis que les Espagnols s’enfonçaient dans la ville, trouvant ce poste indigne de sa valeur, l’abandonna pour courir au combat. Guatimozin, instruit de la faute qui venait d’être commise, en tira aussitôt parti. Il attaqua de tous côtés les Espagnols avec un tel acharnement qu’il leur tua beaucoup de monde et que soixante-deux soldats tombèrent vivants entre ses mains. Cortès lui-même faillit être pris vivant et fut grièvement blessé à la cuisse. Pendant la nuit, le grand temple du dieu de la guerre fut illuminé en signe de triomphe, et les Espagnols entendirent avec une tristesse profonde résonner le grand tambour. Des positions qu’ils occupaient, ils purent assister aux derniers moments de leurs infortunés compatriotes prisonniers auxquels on ouvrit la poitrine pour en arracher le cœur, et dont les corps, précipités au bas des degrés, furent déchirés par les Aztecs, qui s’en disputèrent les morceaux pour en faire un horrible festin.

Cette épouvantable défaite fit traîner le siége en longueur jusqu’au jour où, les trois quarts de la ville étant pris ou détruits, Guatimozin fut obligé par ses conseillers de quitter Mexico et de gagner la terre ferme, où il comptait organiser la résistance. Mais, la barque qui le portait ayant été saisie, il fut fait prisonnier. Il devait montrer dans sa captivité bien plus de force de caractère et de dignité que son oncle Montézuma.

Dès lors, toute résistance cessa, et Cortès put prendre possession de la capitale à moitié détruite. Après une héroïque résistance pendant laquelle 120,000, disent les uns, 240,000 Mexicains, suivant les autres, avaient péri, après un siége qui n’avait pas duré moins de soixante-quinze jours, Mexico, et avec cette cité tout l’empire, succombait moins aux coups que lui avaient portés les Espagnols qu’à la vieille haine, à la révolte des peuples conquis et à la jalousie des États voisins, qui allaient bientôt regretter le joug dont ils s’étaient si délibérément délivrés.

À l’ivresse du succès succédèrent presque aussitôt chez les Espagnols le dépit et la rage. Les immenses richesses sur lesquelles ils avaient compté n’existaient pas ou avaient été jetées dans le lac.

Cortès, dans l’impossibilité de calmer les mécontents, se vit contraint de laisser mettre à la torture l’empereur et son premier ministre. Quelques historiens, et notamment Gomara, rapportent que, tandis que les Espagnols attisaient le feu au-dessous du gril sur lequel les deux victimes étaient étendues, ce dernier tourna la tête vers son maître et sembla lui demander de parler pour mettre fin à ses tortures ; mais Guatimozin aurait réprimé cet instant de faiblesse par cette seule phrase : « Et moi, suis-je à quelque plaisir ou au bain ? » réponse qui a été transformée poétiquement en : « Et moi. suis-je sur des roses ? »

Les historiens de la conquête se sont pour la plupart arrêtés à la prise de Mexico ; mais il nous reste à parler de quelques autres expéditions entreprises par Cortès dans des buts différents et qui sont venues jeter une lumière toute nouvelle sur certaines parties de l’Amérique centrale ; enfin, nous ne voulons pas abandonner ce héros, qui a joué un rôle si considérable dans le développement de la civilisation et dans l’histoire du nouveau monde, sans donner quelques détails sur la fin de sa vie.

Avec la capitale était, à proprement parler, tombé l’empire mexicain ; s’il y eut encore quelque résistance, notamment dans la province d’Oaxaca, elle fut isolée, et il suffit de quelques détachements pour réduire les derniers opposants, terrifiés par les supplices qu’on avait fait subir à ceux de Panuco qui s’étaient révoltés. En même temps, les peuples des contrées éloignées de l’empire envoyaient des ambassadeurs pour se convaincre de la réalité de ce merveilleux événement, la prise de Mexico, pour contempler les ruines de la ville abhorrée et faire leur soumission.

Cortès, enfin confirmé dans sa situation, après des incidents trop longs à raconter et qui lui avaient fait dire : « Il m’a été plus difficile de lutter contre mes compatriotes que contre les Aztecs, » n’avait plus qu’à organiser sa conquête. Il commença par établir le siége de sa puissance à Mexico, qu’il rebâtit. Il y attira les Espagnols en leur donnant des concessions de terres, et les Indiens en les laissant tout d’abord sous l’autorité de leurs chefs naturels, quoiqu’il les eût bientôt tous réduits, sauf les Tlascalans, à l’état d’esclaves par le vicieux système des repartimientos en usage dans les colonies espagnoles. Mais, si l’on est en droit de reprocher à Cortès d’avoir fait bon marché des droits politiques des Indiens, il faut reconnaître qu’il manifesta la plus louable sollicitude pour leur bien-être spirituel. C’est ainsi qu’il fit venir des franciscains qui, par leur zèle et leur charité, gagnèrent en peu de temps la vénération des indigènes et obtinrent en une vingtaine d’années la conversion complète de la population.

En même temps, Cortès expédiait dans l’État de Mechoacan des détachements, qui pénétraient jusqu’à l’océan Pacifique et visitaient à leur retour quelques-unes des riches provinces situées au nord. Il fondait des établissements dans toutes les parties du pays qui lui paraissaient avantageuses, à Zacatula sur les bords du Pacifique, à Coliman dans le Mechoacan, à Santesteban près de Tampico, à Medellin près de Vera-Cruz, etc.

Aussitôt après la pacification du pays, Cortès confiait à Christoval de Olid un armement considérable, afin d’établir une colonie dans le Honduras. En même temps, Olid devait explorer la côte méridionale de cette province et rechercher un détroit qui mit en communication l’Atlantique et le Pacifique. Mais, affolé par l’orgueil du commandement, Olid n’eut pas plus tôt atteint sa destination qu’il se déclara indépendant. Cortès dépêcha aussitôt un de ses parents pour arrêter le coupable, et partit lui-même, accompagné de Guatimozin, à la tête de cent cavaliers et de cinquante fantassins, le 12 octobre 1524. Après avoir traversé la province de Goatzacoalco, Tabasco et le Yucatan. au milieu de privations de tout genre, opérant une marche des plus pénibles dans des terrains marécageux ou mouvants, à travers un océan de forêts ondulantes, le détachement approchait de la province d’Aculan, lorsque fut révélée à Cortès une conspiration ourdie, prétendait-on, par Guatimozin et les principaux chefs indiens. Elle avait pour but de massacrer à la première occasion chefs et soldats, après quoi l’on continuerait de s’avancer sur le Honduras, on en détruirait les établissements et l’on reviendrait sur le Mexique, où, dans un soulèvement général, on n’aurait sans doute pas de peine à se défaire des envahisseurs. Guatimozin eut beau protester de son innocence, et l’on a tout lieu d’y croire, il fut pendu, ainsi que plusieurs nobles Aztecs, aux branches d’un ceyba qui ombrageait la route. « L’exécution de Guatimozin, dit Bernal Diaz del Castillo, fut très-injuste, et nous fûmes tous d’accord pour la blâmer. » Mais, « si Cortès n’avait consulté, au dire de Prescott, que son honneur et l’intérêt de sa renommée, il aurait dû le conserver, car il était le vivant trophée de sa victoire, comme on conserve l’or dans la doublure de son habit. »

Enfin les Espagnols atteignirent Aculan, ville florissante où ils se refirent dans d’excellents quartiers, et l’on reprit la direction du lac de Peten, dont les populations se convertirent facilement au christianisme. Nous ne nous étendrons pas sur les souffrances et les misères qui assaillirent l’expédition dans ces contrées peu peuplées, jusqu’à San-Gil de Buena-Vista sur le Golfo Dolce, où Cortès, après avoir appris l’exécution d’Olid et le rétablissement de l’autorité centrale, s’embarqua pour revenir au Mexique.

À la même époque, il confiait à Alvarado le commandement de trois cents fantassins, cent soixante cavaliers et quatre canons, avec un corps d’Indiens auxiliaires. Alvarado s’avança au sud du Mexique, à la conquête du Guatemala. Il réduisit les provinces de Zacatulan, Tehuantepec, Soconusco, Utlatlan, fonda la ville de Guatemala la Vieja et fut nommé par Charles-Quint, pendant un voyage qu’il fit plus tard en Espagne, gouverneur des pays qu’il avait conquis.

Moins de trois ans après la conquête, un territoire de plus de quatre cents lieues de long sur l’Atlantique et de cinq cents sur le Pacifique était donc soumis à la couronne de Castille et jouissait, à bien peu d’exceptions près, d’une parfaite tranquillité.

Rentré à Mexico après l’inutile expédition de Honduras qui avait consommé presque autant de temps et causé presque d’aussi grandes souffrances aux Espagnols que la conquête du Mexique, Cortès reçut, peu de jours après, l’avis de son remplacement provisoire et l’invitation de se rendre en Espagne pour se disculper. Il ne se pressa pas d’obtempérer à cet ordre, espérant qu’il serait révoqué ; mais ses calomniateurs infatigables, ses ennemis acharnés, tant en Espagne qu’au Mexique, le chargèrent de telle sorte qu’il se vit dans l’obligation d’aller présenter sa défense, exposer ses griefs et réclamer hautement l’approbation de sa conduite.

Cortès partit donc, accompagné de son ami Sandoval, de Tapia et de plusieurs chefs aztecs, parmi lesquels était un fils de Montézuma. Il débarqua à Palos en mai 1528. À la même place où Christophe Colomb avait pris terre trente-cinq ans auparavant, et il fut accueilli avec le même enthousiasme et les mêmes réjouissances que le découvreur de l’Amérique. Il s’y rencontra avec Pizarre, alors au début de sa carrière et qui venait solliciter l’appui du gouvernement espagnol. Puis, il partit pour Tolède, où se trouvait la cour. L’annonce seule de son retour avait produit dans l’opinion un revirement complet. Ses prétendus projets de révolte et d’indépendance se trouvaient démentis par cette arrivée inopinée. Charles-Quint comprit sans peine que le sentiment public se révolterait à la pensée de punir un homme qui avait ajouté à la couronne de Castille son plus beau fleuron. Le voyage de Cortès ne fut qu’un triomphe continuel au milieu d’un concours inouï de population. « Les maisons et les rues des grandes villes et des villages, rapporte Prescott, étaient remplies de spectateurs impatients de contempler le héros dont le bras venait en quelque sorte de conquérir seul un empire à l’Espagne, et qui, pour emprunter le langage d’un vieil historien, marchait dans la pompe et la gloire, non d’un grand vassal, mais d’un monarque indépendant. »

Après lui avoir accordé plusieurs audiences et donné de ces marques particulières de faveur qui sont, par les courtisans, qualifiées de considérables, Charles-Quint daigna accepter l’empire que Cortès lui avait conquis et les présents magnifiques qu’il lui apportait. Mais il crut avoir tout fait pour le récompenser en lui donnant le titre de marquis della Valle de Oajaca et la charge de capitaine général de la Nouvelle-Espagne, sans lui restituer toutefois le gouvernement civil, pouvoir qui lui avait été attribué autrefois par la junte de Vera-Cruz. Puis Cortès, ayant épousé la nièce du duc de Béjar, d’une des premières familles de Castille, accompagna jusqu’au port l’empereur qui se rendait en Italie ; mais, bientôt las de cette vie frivole, si peu en rapport avec les habitudes actives de son existence passée, il reprit, en 1530, le chemin du Mexique, où il débarqua à Villa-Rica.

Cortès essuya tout d’abord quelques tracasseries de la part de l’Audience qui avait exercé le pouvoir en son absence et qui avait inauguré les poursuites contre lui, et il se trouva en conflit avec la nouvelle junte civile au sujet des affaires militaires. Bientôt dégoûté, le marquis della Valle se retira à Cuernavaca dans ses immenses propriétés, où il s’occupa d’agriculture. On lui doit l’introduction de la canne à sucre, du mûrier, l’encouragement de la culture du chanvre et du lin, et l’élève en grand des moutons mérinos.

Mais cette vie paisible, exempte d’aventures, n’était pas pour plaire longtemps à l’esprit entreprenant de Cortès. En 1532 et en 1533, il équipa deux escadres, qui allèrent faire dans le N.-O. du Pacifique un voyage de découvertes. La dernière parvint à l’extrémité méridionale de la péninsule californienne sans avoir obtenu le résultat qu’il se flattait d’obtenir : la découverte d’un détroit unissant le Pacifique à l’Atlantique. Lui-même n’eut pas plus de succès en 1536 dans la mer Vermeille. Enfin, trois ans plus tard, une dernière expédition, dont il avait confié le commandement à Ulloa, pénétra jusqu’au fond du golfe, puis, longeant la côte extérieure de la péninsule, remonta jusqu’au 29e degré de latitude. Là, le chef de l’expédition renvoya à Cortès un de ses bâtiments, tandis que lui-même s’enfonçait dans le nord ; mais on n’en entendit plus parler.

Telle fut l’issue malheureuse des expéditions de Cortès, qui, sans lui rapporter un ducat, ne lui coûtèrent pas moins de trois cent mille castellanos d’or. Elles eurent pour résultat cependant, de faire connaître la côte de l’océan Pacifique depuis la baie de Panama jusqu’au Colorado. On fit le tour de la presqu’île de Californie et l’on put ainsi reconnaître que cette prétendue île faisait partie du continent. Les replis de la mer Vermeille ou de Cortès, comme les Espagnols l’appelèrent à juste titre, furent soigneusement explorés, et l’on reconnut qu’au lieu d’avoir l’issue qu’on lui supposait au nord, cette mer n’était qu’un golfe profondément creusé dans le continent.

Ces expéditions de découvertes, Cortès n’avait pu les armer sans entrer en conflit avec le vice-roi, don Antonio de Mendoza, que l’empereur avait envoyé au Mexique, nomination blessante pour le marquis della Valle. Fatigué de ces tracasseries continuelles, indigné de voir ses prérogatives de capitaine général, sinon absolument méconnues, du moins toujours discutées, Cortès partit encore une fois pour l’Espagne. Mais ce voyage ne devait guère ressembler au premier. Vieilli alors, dégoûté, trahi par la fortune, le « conquistador » n’avait plus rien à attendre du gouvernement. Il ne devait pas tarder à le comprendre. Un jour, il fendit la presse qui entourait le coche de l’empereur et monta sur l’étrier de la portière. Charles-Quint, feignant de ne pas le reconnaître, demanda quel était cet homme. « C’est, répondit fièrement Cortès, celui qui vous a donné plus d’États que vos pères ne vous ont laissé de villes. » Puis, la faveur publique s’était détournée du Mexique, qui n’avait pas rendu ce qu’on en avait espéré, et tous les esprits étaient alors tendus vers les richesses merveilleuses du Pérou. Accueilli, cependant, avec honneur par le conseil suprême des Indes, Cortès exposa ses griefs ; mais les débats s’éternisèrent, et il ne put obtenir aucune satisfaction. En 1541, lors de la désastreuse expédition de Charles-Quint contre Alger, Cortès, dont les conseils n’avaient pas été écoutés et qui servait comme volontaire, perdit trois émeraudes sculptées d’une grosseur merveilleuse, joyaux qui auraient payé la rançon d’un empire. À son retour, il reprit ses sollicitations avec aussi peu de succès. Il éprouva un tel chagrin de cette injustice et de ces déceptions répétées, que sa santé en fut gravement atteinte. Il mourut loin du théâtre de ses exploits, le 10 novembre 1547, à Castilleja de la Cuesta, au moment où il se disposait à retourner en Amérique.

« C’était un chevalier errant, dit Prescott. De toute cette glorieuse troupe d’aventuriers que l’Espagne du XVIe siècle lança dans la carrière des découvertes et des conquêtes, il n’y en eut pas de plus profondément imbu de l’esprit des entreprises romanesques que Fernand Cortès. La lutte lui plaisait, et il aimait à aborder une entreprise par son côté le plus difficile… »

Cette passion pour le romanesque aurait pu réduire le conquérant du Mexique au rôle d’un vulgaire aventurier ; mais Cortès fut certainement un profond politique et un grand capitaine, si l’on doit donner ce nom à l’homme qui accomplit de grandes actions par son seul génie. Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire, qu’une si grande entreprise ait été menée à bonne fin avec des moyens aussi insuffisants. On peut vraiment dire que Cortès a conquis le Mexique avec ses seules ressources.

Son influence sur l’esprit de ses soldats était le résultat naturel de leur confiance dans son habileté, mais on doit l’attribuer aussi à ses manières populaires, qui le rendaient éminemment propre à conduire une bande d’aventuriers. Lorsqu’il fut parvenu à un plus haut rang, si Cortès déploya plus de pompe, ses vétérans, du moins, continuèrent à jouir de la même intimité près de lui. En terminant ce portrait du « conquistador », nous nous associerons pleinement à ce que dit l’honnête et véridique Bernal Diaz : « Il préférait son nom de Cortès à tous les titres qu’on pouvait lui adresser, et il avait de bonnes raisons pour cela, car le nom de Cortès est aussi fameux de nos jours que celui de César parmi les Romains ou d’Annibal parmi les Carthaginois. » Le vieux chroniqueur termine par un trait qui peint bien l’esprit religieux du XVIe siècle : « Peut-être ne devait-il recevoir sa récompense que dans un meilleur monde, et je le crois pleinement ; car c’était un honnête cavalier, très-sincère dans ses dévotions à la Vierge, à l’apôtre saint Pierre et à tous les saints. »