Découverte de grands lacs africains
DÉCOUVERTE DE GRANDS LACS AFRICAINS.
Il y a trois ans, le public qui s’intéresse aux découvertes géographiques apprit avec un grand étonnement que des missionnaires protestants, établis non loin de Zanzibar, avaient découvert, à dix degrés de la côte, une immense mer intérieure de plus de 400 lieues de long, sur une largeur indéterminée. Ils ne l’avaient pas vue, mais voici ce qui les avait menés à cette combinaison. Les ports de Pangain, à l’embouchure de la rivière de ce nom, de Bagamoyo, juste en face de Zanzibar, de Quiloa et de Kisango, jadis possessions portugaises, sont les quatre principales stations de la côte de Zanguebar et de celle de Mozambique, du 5° au 14° de latitude sud. Or, toutes les caravanes qui partent de ces quatre points aboutissent, après un voyage plus ou moins long, à des masses d’eau énormes : de quoi les savants missionnaires de Rabat Mpia conclurent assez logiquement que toutes ces masses d’eau n’en faisaient qu’une, et ils la nommèrent Vniamesi. La nouvelle mer prit possession de toutes nos nouvelles cartes. Cependant quelques géographes protestèrent, et déjà l’année précédente un voyageur, dont les connaissances scientifiques n’étaient pas égales au courage, mais qui a rendu à la science des services trop vite oubliés, feu M. Brun-Rollet, avait deviné sur sa carte de l’Afrique orientale, d’après des renseignements recueillis dans le pays, et même d’après les premières informations des mêmes missionnaires, trois lacs distincts, dont le plus septentrional était coupé par l’équateur ; mais, ébranlé sans doute par la contradiction, il supprima la partie inférieure de sa carte, et on va voir s’il eut raison.
L’an dernier, deux vaillants voyageurs, qui avaient déjà fait leurs preuves en matière d’excursions africaines et autres, MM. Burton et Speke, officiers de l’armée de l’Inde, se mettaient en route sous les auspices de la Société géographique de Londres et sous la protection du sultan de Zanzibar, prince arabe de Maskate qui donne un fort heureux démenti à ceux qui prétendent que le génie arabe est antipathique à la marine. Ils s’arrêtèrent à peine à Zanzibar, qui eût pu, s’ils n’avaient pas été sous l’empire d’une préoccupation absorbante, mériter un examen plus approfondi. C’est une ville à peu près arabe, et qui se présente fort gracieusement du côté de la mer, ses constructions les plus importantes, palais, consulats, etc., s’élevant de ce côté : elle est bâtie sur une grande île basse, boisée, avec quelques villages souchelis bordant le rivage. Nos Européens partirent du petit port de Kaolay, remontèrent la rive gauche du petit fleuve Kingani, et passèrent, sinistre augure ! à Ndeje, où avait péri, en 1843, le brave officier français Maisan, parti comme eux à la recherche de la mer intérieure. Ce n’est pas sans émotion que l’auteur de cette notice a lu à Londres, sur l’esquisse originale de nos voyageurs, l’annotation qui accompagne ce nom Ndeje, où le pauvre Maisan fut assassiné. En quittant la vallée du Kingani, ils montèrent un plateau coupé de nombreux ruisseaux, et, après une marche de plusieurs semaines, ils purent descendre le bassin de la rivière Malagarazi jusqu’à la ville de Kaouele, capitale du pays d’Ujidji dont elle porte quelquefois le nom. Ils avaient trouvé partout un pays parcouru et commercialement exploité par les Arabes zanzibariens sujets du sultan, et l’influence de ce souverain leur ménagea partout un accueil amical de la part de ses sujets. Une embarcation que leur prêta (en les rançonnant audacieusement) un petit chef du pays, leur permit d’explorer le lac, et de se convaincre qu’il était bien distinct de deux petites caspiennes qui l’avoisinaient au nord-est et au sud-est. Ainsi Brun-Rollet avait entrevu la vérité. Il y a mieux : l’immense forêt que les voyageurs anglais figurent, sans la nommer, au sud-est du lac d’Ujidji, existe dans la carte du voyageur sarde sous le nom de Mileilimi, et avec l’indication de sept journées de marche.
M. Speke visita en détail un petit archipel situé presque en face de Kabogo, et composé de trois îles, Kabiza, Kasenge, Kivira, formant un royaume microscopique dont le souverain reçut la visite de notre voyageur. La première des trois est l’île marchande, et a un marché au poisson très-fréquenté : la population se livre surtout à la pêche, mais l’agriculture semble dominer dans la partie nord. Kasenge est la plus grande, et la résidence du roi : un étroit canal la sépare seul de la terre ferme. L’horizon est fermé à l’ouest par un rideau de collines.
La fameuse île Kavogo, dont parle la relation d’Erhardt (1856), où réside l’Esprit du lac auquel on fait des sacrifices, est évidemment une de ces trois îles, qui sont, nous l’avons dit, en face de Kabogo. Speke vérifia par lui-même l’exactitude de ce que disaient les indigènes à Erhardt sur les tempêtes du lac, car, à la hauteur du petit pont Mgiti, il en essuya une qui le força à se réfugier dans cette rade. Il trouva du reste partout un pays d’une fertilité exubérante, de belles forêts, des cultures et une richesse prodigieuse du règne animal.
Cela fait, MM. Burton et Speke retournèrent sur leurs pas jusqu’à Kazeh, ville en partie arabe d’où partent plusieurs routes de caravanes dans diverses directions : et comme M. Burton était très-souffrant malgré sa constitution athlétique, son compagnon se dirigea seul vers le nord, à la recherche du lac Ukereoné, d’où il supposait que sortait le Nil. Il traversa un pays ondulé, arriva au bord d’une rivière qu’il descendit, puis d’une baie en forme de gaine de poignard, semée de petites îles qu’en souvenir de sa carrière militaire il appela provisoirement Archipel du Bengale : enfin il longea les rives méridionales du lac en se dirigeant au levant et remonta successivement une ville (Mbanza) et quelques villages. Malheureusement il ne put se procurer d’embarcation, et dut renoncer à voir de ses yeux l’extrémité nord du lac : il y suppléa tant bien que mal au moyen de notes recueillies de la bouche des caravanistes, car les marchands arabes vont, en tournant le lac au nord-ouest, jusqu’à une ville de Kibuyu, au nord de l’équateur, en traversant deux grosses rivières qui viennent s’y jeter. Il apprit donc de ces gens que le lac se rétrécit au nord et forme un canal par où s’échappe une rivière appelée Kivira, qui coule vers le pays des Baris à travers une contrée fort inégale. Or, d’autre part, les voyageurs qui ont remonté le Fleuve-Blanc sont arrivés jusqu’à Garbo, sous le 4° de latitude nord. D’après les dimensions que les indigènes donnent au lac Ukereoné, sa pointe nord serait à peu près sous la 2e parallèle : il n’y aurait donc que deux degrés (55 lieues) à parcourir entre le lac et Garbo pour résoudre ce problème si cherché des sources du Nil, recherche qui était chez les anciens le synonyme proverbial de l’impossible : Fontes Nili quærere !
Nous donnerons plus tard le récit de ce beau voyage envisagé par ses côtés dramatiques et pittoresques, nous bornant aujourd’hui à mettre sous les yeux du lecteur les résultats généraux d’une découverte qui change à fond la géographie d’une partie de l’Afrique équatoriale.
Un missionnaire sarde, qui est établi chez les Gellas au sud du fleuve Jub, le P. Léon des Avanchers, nous a donné d’après les dires des indigènes des lumières précieuses sur un autre lac jusqu’ici inconnu et qui pourrait bien être la source tant cherchés du grand fleuve.
Dans le pays des Borren est une haute montagne appelée Tertale, aux environs de laquelle sont des puits de sel natron, que les gens du pays mélangent avec du tabac. Le plus important paraît être celui de Magad, à l’est et au pied du mont.
À une journée du Tertale, on arrive à un plateau cerné par de hautes montagnes, de manière à former un bassin en forme de cratère, dont le fond est occupé par le lac Bôô. « J’ai vu, dit M. des Avanchers, des Sancheli qui se sont rendus plusieurs fois en cet endroit. Hadji-Abd-el-Nour m’a dit qu’il fallait cinq jours pour le contourner. Il en sort un grand cours d’eau qui va se jeter dans le Nil, et les habitants affirment que l’on peut aller de là en bateau jusqu’à Masser (Masr-l’Égypte).
« Les environs du lac sont habités par les Rendile Gallas qui sont de couleur rougeâtre, portent de longs cheveux et ont de nombreux troupeaux… Le lac Bôô est entouré par de très-hautes montagnes coniques dont les pics sont couverts par des neiges. Elles portent les noms d’Anko, Souk, Abaio-Dertou, Ferlito-Mérélé, Meroudadi et Soukou : ces trois dernières n’ont pas de neiges. »
M. des Avanchers suppose que le lac Bôô est le lac Abbola des autres voyageurs, mais la confusion n’est pas possible, l’Abbola était le lac figuré sur notre carte à l’est du pays de Kaffas bien plus au nord. Sa position précise est difficile à déterminer ; on a les distances de ce point à plusieurs points également vagues, sauf un ou deux, comme Ganassa sur le Jub, dont la situation est connue et qui est à vingt journées du Bôô. Maintenant, si la navigation du Tubire devient si difficile à quelques journées au sud de Belevia, comme on peut le voir dans Brun-Rollet, si d’autre part ou peut aller en bateau du Bôô jusqu’en Égypte, comme l’affirment les noirs, ne peut-on en conclure qu’il y a là une nouvelle direction à étudier ?